- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 19 décembre 2021

Avec le vent du nord...

    


    Avec un ciel si bas
    Qu'un canal s'est perdu
    Avec un ciel si bas
    Qu'il fait l'humilité
    Avec un ciel si gris
    Qu'un canal s'est pendu
    Avec un ciel si gris
    Qu'il faut lui pardonner
    Avec le vent du nord
    Qui vient s'écarteler
    Avec le vent du nord
    Écoutez-le craquer
    Le plat pays
    Qui est le mien

    Le Plat Pays (extrait), 1962
    Stromae Jacques Brel






Chers amis lecteurs, bonjour.

Nous sommes en train de découvrir les dérivés de la forme indo-européenne...

*ǵʰ(e)i-m-“hiver

 




Vite, un tout petit point.

🜛🜛🜛



🜛

Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique 
hiems, hiemis“hiver, tempête
, en descendait, avec, à sa suite,
  • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
  • l'adjectif latin classique 
    hibernus
    “hivernal”, et
  • son emprunt en français, hiver.


D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021

🜛🜛🜛 



Aujourd'hui, chers lecteurs, 

Pour en finir avec ce lâche, ce traitre d'hibernum
- relisez D'hiver, les Divers Jeux rustiques ? si vous ne me croyez pas -,
je vous propose de passer rapidement en revue quelques-uns des mots qui en descendent.

Quand on voit la véritable cohorte de ses dérivés, on peut se dire que le bougre s'est quand même particulièrement bien vendu.

Soulignons cependant que tous ces mots n'en sont pas issus, mais, à l'image du français hiver, ne représentent, dans leurs langues respectives, que des emprunts (directs ou indirects), au latin hibernum.
C'est d'ailleurs du fait de leur qualité d'emprunts qu'ils se ressemblent tellement.

Tous, bien entendu, peuvent se traduire par... 
“hiver”.

  • le roumain iarnă,
  • le catalan hivern,
  • l'occitan ivèrn,
  • le normand hivé,
  • le wallon ivier,
  • l'asturien iviernu, hibiernu,
  • le piémontais invern,
  • le dalmatien inviarno,
  • l'talien inverno,
  • le sicilien nvèrnu,
  • le portugais inverno,
  • l'espagnol invierno,
ou encore
  • le romanche enviern.

ce chien s'appelle Inviarno.
J'en peux rien.




Et si nous allions tous, à présent, nous faire voir chez les Grecs anciens ?

Car il existe le grec ancien... χεῖμᾰ, kheîma
“hiver, froid, gel, tempête”.

Mais... il nous faut d'abord passer le gardien de la porte, le maître des clefs de Gozer (le gozérien) pour le grec ancien, j'ai nommé... Robert Beekes.

Vinz Clortho, le maître des clefs de Gozer,
Ghostbusters, 1984


Car s'il s'avère, selon Beekes, que χεῖμᾰ, kheîma, n'était qu'un emprunt au pré-grec, moi, je vous le dis, je n'irai pas plus loin. (la référence à Vesoul, de Stromae, n'est pas consciente)

- Alors, quel est le verdict ?

◀ IE *ǵʰ(e)i-m-, 
“hiver” 

Mais ouiiiiiiiii ! Vous l'aurez compris, pour Beekes, χεῖμᾰ, kheîma, est bien d'origine indo-européenne, et dérive de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
“hiver”.




Je ne vais pas vous citer tous les mots grecs anciens construits sur 
χεῖμᾰ, kheîma, sinon, peut-être...
le substantif χειμών, kheimónqui désigne toujours bien l'hiver, mais cette fois dans ses rigueurs. Oui. Il évoque la souffrance, la détresse...

N'oublions certainement pas χιών, khiốn, qui, lui, désigne la neige, ou même la neige fondue, l'eau glacée.

La neige personnifiée, ou plutôt déifiée, mais c'est... Χιόνη, Khiónê !

La belle Chioné est la fille de Borée (ben oui, le dieu du vent du Nord) et d'une princesse d'Athènes, Orithye, enlevée par ledit Borée alors qu'elle dansait sur les bords de l'Ilissos, fleuve qui arrose Athènes. 

Et NON, il n'y a rien de répréhensible ni de provocateur à danser sur les bords de l'Ilissos.
Les femmes doivent pouvoir danser sur les bords de l'Ilissos si ça leur chante.
C'est aux Dieux qu'il faut apprendre à ne pas se comporter comme... comme... des Dieux.

#Orithye #metoo.

Borée enlevant Orithye


Et puis, il y a χίμαιρα, khímaira, dont nous avons fait... chimère !
Eh oui. 
Certes, χίμαιρα pouvait désigner une créature mythologique composite, avec un corps ou une tête de chèvre, mais le terme s'employait aussi pour une jeune chèvre, âgée d'un an à sa première mise bas.
D'un an ? D'un hiver.


Chimère




Voilà pour la descendance grecque de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
“hiver”.


le Parthénon sous la neige, en février de cette année




Il nous reste encore un peu de temps (ou de lignes, si vous préférez), alors, pourquoi ne pas passer aux mots qui désignent l'hiver dans les langues germaniques, mmmh ?

Pour Guus Kroonen, sont issus d'un étymon germanique *wintru-
“hiver, année”... 
  • le gotique wintrus,
  • le - ouiiiiiiiii - vieux norois vetr,
    • d'où le féroïen vetur,
    • l'elfdalien witter,
  • le vieux frison winter,
  • le néerlandais winter,
ou enfin
  • le vieil anglais winter
    • d'où l'anglais winter.

Et sans anglais winter, point non plus de Milady de Winter.

Les Trois Mousquetaires s'en seraient certainement mieux portés, la pauvre Constance aurait vécu nettement plus longtemps, mais Alexandre Dumas aurait perdu, outre un formidable ressort dramatique, un remarquable personnage, qui ferait pâlir d'admiration et d'envie tous les Supervillains des Comics américains, s'ils avaient simplement conscience qu'il y a autre chose au-delà des frontières et de la culture états-uniennes.

Milady de Winter, jouée ici par Mylène Demongeot (à gauche),
dans Les Trois Mousquetaires, Bernard Borderie, 1961.


Tous ces mots, sans exception, désignent l'hiver (si ce n'est le féroïen vetur, dont le sens s'est légèrement spécialisé, pour donner “saison où seul le sang encore chaud d'un pinnipède dans lequel vous baignez peut vous éviter de geler dans l'Atlantique. (attention spéciale pour Monsieur X)  

Ah oui, j'oubliais : l'étymologie de ces mots germaniques est très peu claire ; aucune des différentes hypothèses portant sur leur origine n'est vraiment convaincante. 

Ce qui ne fait aucun doute, en tout cas, c'est que ces mots... ne descendent aucunement de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
“hiver!

Oui, c'est comme ça. 

Mais... ça ne veut pas dire que notre forme indo-européenne 
*ǵʰ(e)i-m-, 
“hiver”, 
ne se retrouve pas en germanique...

Non non non. 
Et c'est ce que nous verrons la semaine prochaine...




Ce dimanche étant le dernier avant Noël, 

Je vous souhaite, à tous, outre un excellent dimanche et une heureuse semaine, un beau Noël, chaleureux, plein de fraternité et d'amour.




J O Y E U X   N O Ë L   !


Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,


Les sublimes VOCES8,

dans un morceau que visiblement, ils adorent,

un morceau... de circonstance :

Santa Claus is Coming to Town


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2 commentaires:

Jean a dit…

On nous dit que l'hiver sera rude... Bonnes fêtes à toi aussi, et bonne continuation.

Frédéric Blondieau a dit…

Merci Jean ! Doublement.

Bien à toi,
Fred