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dimanche 23 octobre 2016

La Statue de la Liberté? Aux Etats-Unis.





“Les grands hommes font leur propre piédestal ; l'avenir se charge de la statue.”

Victor Hugo 

Piédestal
















Bonjour à toutes et tous!


En ce dimanche, comme déjà depuis quelques semaines d’ailleurs, nous nous intéressons à la racine proto-indo-européenne *stā-, “être debout”.



Je vous l’ai déjà dit, elle est tout simplement incroyable, cette petite racine.
On la retrouve partout.

Et pour le moment, nous en parcourons les dérivés issus du latin.
Du latin stō, stāre, “se dresser”, “être debout”.

Je vous propose, pour commencer, un mot bien commun, et dont la parenté avec stāre ne vous surprendra aucunement.

Mais il est tellement important!

Ce mot, c’est … état.


Et pourtant, ce n’est qu’un emprunt.
Oui, nous n’avons pas vraiment créé le mot, mais bien emprunté, au latin… status, le participe passé de stō.
On pourrait le traduire par “tenir debout, tenir droit“, “l’action de se tenir”, d’où “position, situation…”.

Cet emprunt s’est fait en toute régularité, rassurez-vous, via une forme intermédiaire estate, que nous retrouvons au début du XIIIème.
De là il se transformera en estat.
C’est en tout cas ainsi qu’on le retrouve pratiquement deux siècles plus tard, vers 1370.


Le latin status décrivait à l’origine le statut légal d’un individu.

On parlait de status civitatis, de citoyenneté, dans le cas du citoyen romain.
Status libertatis désignait lui l’état de l’homme libre.
Et ainsi de suite.



Le mot évoluera en bas latin, pour désigner, d’une façon large, la situation juridique d’une personne.

Et notre ancien français estate désignera, d’une façon plus large encore, la manière d’être d’une personne, que ce soit sur un plan physique ou moral.

C'est ainsi qu'au XVIIème déjà, on pouvait être “dans un état grave”, ou “en bon - ou en mauvais - état”.

On pouvait aussi être en état de grâce.

Ou probablement plus souvent, en état de péché.

Et ça, c’est vraiment pas bien.





















On pouvait déjà, à l’époque, éprouver des états d’âme!

Au pluriel, les états, car tout le charme est là: s’il y a plusieurs états, c'est que l'on passe de l'un à l'autre, il y a instabilité

Fin du XIIIème, depuis le Roman de la Rose (1285), on relève un emploi du mot correspondant à la situation sociale, ou professionnelle d’une personne.

Le Roman de la Rose
On parlait par exemple de “choisir un état” pour choisir une profession.

C’est de cette époque que date notre expression “de son état”, que nous utilisons encore dans un emploi volontairement gentiment désuet, après un nom de profession:


“Obélix est l'inséparable ami d'Astérix, livreur de menhirs de son état, grand amateur de sangliers et de belles bagarres.












État, à partir du XVème siècle, prendra cette acception que nous lui connaissons toujours, celle d’un
groupement humain soumis à une même autorité: la communauté des citoyens d’une même nation, de l’ensemble de la nation…

Quelques dizaines d’années plus tard, il désignera alors l’autorité même qui s’exerce sur un peuple.

Sous l’Ancien Régime, le mot désignera encore, d’une façon plus spécialisée, la condition politique et sociale d’un individu.
Ainsi, on parlait des fameux trois états: la noblesse, le clergé et les roturiers. 


Les orateurs, les bellâtres, et ceux qui servaient aux expériences
dans les laboratoires

On parlera bien vite, pour citer les manants constituant ce troisième état, du Tiers état.
Ceux-là même qu’on qualifiera, bien plus tard et dans le luxe feutré des salons de l’Élysée, de sans-dents.


Ce qui n’est pas nécessairement faux stricto sensu, je dois le reconnaître.

Saleté de pauvres.


Un état, c’est aussi un inventaire: l’état des comptes…
Cette notion d’inventaire se retrouvait déjà, au XIIIème, dans le latin médiéval status.

l'état des comptes Twitter
ça, c'est vraiment marrant.


C’est dans le courant du XVème que, par métonymie,...
- et certainement par beaucoup de monde, n’en doutons pas -,
...état désignera également une situation à un moment déterminé: états de services, état des lieux (description, inventaire).

C’est de là, de cette acception, précisément, que nous arrive “état-major”. 
Autrefois, la liste (l’inventaire) des officiers supérieurs (majors) d’une armée.

Calais 14-18. Le gouverneur de Calais et son état-major général 


À côté du latin stō être debout il y avait statuō, statuere, “mettre debout”.
“Établir, poser, dresser”, d’où “décider, déterminer…”

Nous lui devons, cela va de soi, stature, ou … statuer.

Quant à notre français statut, nous l’avons emprunté au bas latin statutum, “règlement, décret”.
Ce statutum n’était que le neutre substantivé du latin - classique - statutus, “qui a été établi, décidé”., tiré de statuō.

Je ne vous ferai pas l’injure de vous préciser que la statue, du latin statua, est littéralement “ce qui a été établi, posé”. Mis debout.

C’est pour cela que le terme désignait plutôt, avant qu’on ne mélange un peu tout et n'importe quoi, une sculpture représentant un être vivant … en entier. 
En pied, quoi! Ou presque.

Le Penseur de Rodin, au cimetière de Laeken.
Oui, tout près de la sépulture de la Malibran

Mais oui, il y a un mot pour chaque chose. Une statue, ce n'est pas un buste, par exemple.
À moins que vous ne vouliez représenter le buste d’un homme-tronc, je vous l’accorde.
Le buste d'un autre grand penseur,
François-Marie Arouet, dit Voltaire.



Notre latin classique status - revenons-y - donnera l’italien stato. “État”.

Et l’homme d’État...
- ce qui sonne si curieusement bien, dans ce contexte, avec l’italien vendetta -,
... c’est le statista.

au hasard

Eh!

























Et toujours en italien, ce qui concerne l’homme d’État, ce qui est relatif à l’État, se dira … statistica (1633).
Oui oui, 1633, 31 ans avant la célèbre Kronenbourg 1664, “bière” que les Belges ne vous envient pas vraiment, amis Français, je dois bien vous l'avouer.


- Bon, et après les Italiens et les Français, tu vois encore qui, que tu pourrais te mettre à dos?
- Ah ben, les Anglais et les Américains, je pense?…


Bon, l’italien statistica, c’était pas très crédible, ça faisait rire tout le monde.

Surtout prononcé avec les mains.






















Alors, on en a fait le latin moderne… statisticus! (1672)


Et là, tout d’un coup, respect.



Ce terme désormais savant et technique va désigner l’étude méthodique des faits sociaux qui définissent un État, et ce par des procédés numériques: inventaires chiffrés, recensements, dénombrements…

Le mot est passé dans à peu près toutes les langues ; c’est en 1771 que nous l’avons nous-mêmes emprunté au latin (sous la forme statistique, pour les sagacito-défaillants ou autres neurono-déficitaires).




Allez, à présent, traversons la Manche.

Notre vieux français estat, par l’anglo-normand estat, est devenu l’anglais… estate.
En un premier temps, le mot reprend les acceptions du français.

Ainsi, “a person of estate” faisait encore référence à la condition sociale, et désignait un noble.
Plus tard, le mot évoluera encore légèrement, pour donner state, vous vous en doutez.
Dans le même ordre d’idées, “estate” désignera - oh, à la grosse louche, à partir du XVIème - la propriété, les possessions, la fortune.
Attributs on ne peut plus normaux chez quelqu'un de bonne naissance
Eh! De là, l'acception de propriété immobilière. Aujourd’hui, plutôt même d’une certaine importance.

Coquette propriété

Le mot a également perduré dans des expressions composées, comme “estate agency”.

Ah, ça en jette! Ce “estate agency”, ça a quand même plus de cachet que notre brave français “agence immobilière”, d’un utilitarisme violent, d’une platitude infinie.


Estate, on le retrouve aussi - toujours dans un mot composé -, dans l’anglais estate car.
Ce que l’on traduira très subtilement en français par … break!
Ce qui est quand même fascinant.
Volvo 240 Break

Alors, avant d’aller plus loin sur estate, un mot sur ce très sibyllin - et très anglais - break.
Qui, en plus, désigne tout sauf un coupé (“break”: “cassé, brisé, coupé…”).

À l’origine, l'anglais brake - et non pas break! désigne une petite voiture, certes, mais hippomobile.
On y attelait des chevaux, pour le dressage.
Étymologiquement parlant, je ne m’avancerais pas sur l’origine de brake
Bien sûr, en langage équestre, to break signifie dresser (un cheval), le casser (dans ses mauvaises habitudes).  
Mais il y a encore le néerlandais brik, qui désigne aussi une grande voiture hippomobile
Il se pourrait que ce soit lui, qui soit à l'origine de l’anglais brake

Par la suite, on allongea le brake pour permettre le transport d'objets et de personnes.
Ainsi, on munit l’arrière de la caisse, désormais allongée donc, de deux banquettes longitudinales, en vis-à-vis.

comme ici


Et on reprit en français - remarquablement ridicule faute d’orthographe en prime - le nom de ce type de carrosserie allongée pour désigner certaines de nos limousines à moteur à combustion interne

Ça, c’est pour le français break!

Maintenant, à votre avis, pourquoi appelle-t-on “estate car” un ... break au Royaume-Uni?


Et je peux vous le dire, c’est la même raison - ou presque - pour laquelle on l’appelle station wagon aux Etats-Unis.

Je vous laisse un peu chercher?











Au tout début, figurez-vous, on parlait, pour désigner les breaks au Royaume-Uni, de “shooting brakes”, véhicules conçus avec suffisamment d’espace à bord pour transporter un petit groupe de gentlemen à la chasse, avec armes et chiens.

1926 Rolls-Royce 20hp Shooting brake

Dans les années 30, les shooting brakes, tout en continuant à transportant des assassins oisifs et fortunés et leurs chiens, commencèrent à être utilisés à d’autres usages.

Comme celui d’aller chercher quelques bons amis à la gare, avec leurs bagages, de faire quelques menues courses dans la localité, ou de déposer les enfants au pensionnat.

1935 Sunbeam 6 cylinder 3.4 Shooting Brake

C’est alors qu’on les renomma en estate cars, pour...
“voitures dont les propriétaires, élégamment aisés, ont quelques terres, qu’ils aiment à parcourir confortablement assis et en silence, mais qu’ils apprécient également de délaisser l’espace d’un instant, au gré de leurs envies, en toute décontraction.” 

L’américain station wagon procède globalement de la même idée, mais dans une vision nettement plus démocratique et utilitaire: le station wagon est la voiture qui vous permet d’aller rechercher et/ou déposer des personnes à la gare (station), avec leurs bagages. Point.

1937 Ford Model 78 780 De Luxe Station Wagon




Et moi, je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très bonne semaine!

Dimanche prochain, on mangera encore de la *sta-, c’est moi qui vous le dis…



Frédéric


Et on se quitte sur la très courte variation XIX des “Variations Goldberg”, BWV 988, 
interprétée ici divinement,
avec simplicité, humilité, douceur et délicatesse, très grande précision, 
et tout simplement amour,
par Simone Dinnerstein.





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