Je vous l'avais dit : le latin moneō n'a pas fini de nous étonner...
Il était un terme latin du vocabulaire religieux, construit sur moneō, qui désignait un signe divin qu'il vous fallait déchiffrer.
Vous comprendrez mieux le lien sémantique qui pouvait exister entre ce mot et notre moneō si je vous dis que ce signe des dieux, ce présage, était supposé... avertir les hommes de la volonté des dieux.
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Prêtre romain à qui un signe divin annonce qu'il va se brûler les doigts, et prévient aussi de l'incendie de Rome |
Et ce mot latin par lequel on définissait un avertissement des dieux, c'était... mōnstrum.
Oui. Vous devinez déjà ce que mōnstrum nous a donné en français...
Mais pour comprendre les méandres sémantiques par lesquels est passé ce mōnstrum latin, sachez qu'il perdra progressivement sa nature de présage divin, pour finalement désigner tout objet de caractère exceptionnel.
Il s'appliquera encore particulièrement, dans la langue chrétienne, aux démons.
Et NON, n'y pensez même pas, il n'existe aucun lien étymologique entre mōnstrum et démon.
Vers 1120,
je peux vous dire que le français a emprunté ce beau mōnstrum, pour en faire monstre, et l'a tout d'abord utilisé dans son sens de « prodige, miracle ».
En 1541, on le retrouve, sous la plume de Calvin, au sens d' « action monstrueuse, criminelle ».
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Illustration victorienne : Jack l'éventreur |
Mais toujours au XVIème, un peu plus tard (1580), il est toujours attesté au sens de « chose prodigieuse, incroyable ».
Et c'est encore du latin mōnstrum qu'est issu cette fois
- et non plus emprunté, hein -,
via le latin populaire mostrare / monstrare, notre français... montrer, qui, à partir du bas latin mostrare / monstrare, a été repris, avant 950 !, sous la forme mostrer.
Le latin mostrare / monstrare, en passant de la langue religieuse à la langue
- pardonnez-moi, ma nausée revient -
commune,
avait
- évidemment, c'est tellement convenu -
perdu tout sens religieux, et ne signifiera plus que « désigner, indiquer », voire « conseiller ».
« Conseiller » ? Oui, on peut au moins le lui reconnaître, en passant du sacré au profane, il a cependant conservé cette acception héritée de son illustre ancêtre le latin moneō.
Quant à notre ancien français mostrer, il prendra comme sens premier,
et à la suite du sens profane de mostrare / monstrare,
« mettre devant les yeux, exposer aux regards ».
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Sens que l'italien mostra a par ailleurs conservé (salon, exposition...). Ici, la célèbre Mostra de Venise |
Nihil novi... La vanité du monde n'est pas nouvelle, loin s'en faut...
Et il est intéressant de noter que dès le XIIème, se montrer a pris le sens de « paraître en société ».
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des influenceuses (avant, on aurait parlé de pét*sses), ou le règne de la vanité et des apparences |
Et donc, OUI, monstre et montrer sont étroitement apparentés, mais pas comme l'étymologie populaire peut nous le raconter, qui fait de monstre un dérivé du verbe montrer (dans ce sens-là !) -, le monstre étant celui qu'on montre du doigt.
Disons que c'est... gentillet.
Montre ? Ouiiii, la montre, cette horloge portative, prend son nom du cadran de l'horloge, que l'on appelait, entre la fin du XVème et la fin du XVIème, « montre » tout simplement parce qu'il... montrait l'heure.
Parfois, l'étymologie est tellement simple quand elle ne nous fait pas chercher midi à quatorze heures. (Pardonnez-moi cet humour de trop bon aloi.)
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ah oui, ça aussi c'est bien : porter une montre vintageaaaan, simplement pour paraîtreeeaaaan |
Vous l'avez compris : si notre montrer descend de moneō, il en sera de même pour... démontrer.
Le latin avait déjà créé le verbe composé dē-mōnstrō, dē-mōnstrāre, au sens de « montrer, faire voir, indiquer, désigner » où, remarquez-le, nous retrouvons la voix causative indo-européenne dont était empreint moneō.
Mais dans un sens abstrait, demōnstrāre pouvait également signifier « exposer, décrire ».
Oui, c'est ce sens abstrait que l'ancien français conservera.
Notons encore que notre français démonstration, bien que très ancien
- il est déjà attesté vers 1225 ! -
est lui un emprunt savant au latin dēmōnstrātiō, « action de montrer, d'indiquer, description... ».
- Et donc, monstre, montrer, démonstration... ?
- Eh oui, ils proviennent tous, par le latin moneō, de notre racine proto-indo-européenne *men-, « penser ».