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dimanche 27 mars 2022

Les neiges de l'Himalaya

              


      


The old, old trouble that eats the heart out of every civilization: snobbery, the desire for possessions, creditable appendages; and it is to escape this rather than the lusts of the flesh that the saints retreat into the Himalayas."


(“Le vieux, très vieux malaise qui ronge le coeur de toute civilisation : le snobisme, le désir des richesses et de l'accessoire convoité ; c'est pour échapper à cela plutôt qu'aux désirs de la chair que les saints se retirent dans les Himalayas.”)


E. M. Forster,
A Passage to India, 1924



Edward Morgan Forster,
1er janvier 1879 – 7 juin 1970

scène du splendide  - et soooo British - film que David Lean
adapta d'une pièce tirée du roman de E. M. Forster, en 1984.
Ce fut aussi son dernier film.




Amis lecteurs, nous sommes le 27 mars. 

Il est grand temps que nous en terminions avec l'hiver, ne pensez-vous pas ?

Nous clôturerons en ce dimanche ce long chapitre consacré à la forme indo-européenne…


 *ǵʰ(e)i-m-“hiver”.




Allez, une toute dernière fois,


on y croit, non ?

faisons le point.

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Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique 
hiems, hiemis“hiver, tempête
, en descendait, avec, à sa suite,
  • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
  • l'adjectif latin classique 
    hibernus
    “hivernal”, et
  • son emprunt en français, hiver.


D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021

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Le 19 décembre, nous passions en revue quelques-uns des emprunts laissés par le latin hibernum dans les langues romanes :
  • le roumain iarnă,
  • le catalan hivern,
  • l'occitan ivèrn,
  • le normand hivé,
  • le wallon ivier,
  • l'asturien iviernu, hibiernu,
  • le piémontais invern,
  • le dalmatien inviarno,
  • l'talien inverno,
  • le sicilien nvèrnu,
  • le portugais inverno,
  • l'espagnol invierno,
  • le romanche enviern.
Nous avons ensuite traité de la descendance de la forme *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, e
n grec ancien avec :
  • χεῖμᾰ, kheîma
    “hiver, froid, gel, tempête”,
sur lequel se sont construits :

  • χειμών, kheimónhiversouffrancedétresse”,
  • χιών, khiốn,neige, neige fondue, eau glacée”, d'où
    • Χιόνη, Khiónê, Chioné, déification de la neige,
  • χίμαιρα, khímairajeune chèvre âgée d'un an à sa première mise baschimère. 
Nous avons enfin mentionné quelques mots germaniques désignant bien l'hiver, mais ne descendant pas de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • le gotique wintrus, le vieux norois vetr, d'où le féroïen vetur,
  • l'elfdalien witter,
  • le vieux frison winter,
  • le néerlandais winter,
  • le vieil anglais winter,
    • d'où l'anglais winter.

Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021

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Le 26 décembre, nous avons entamé l'étude des dérivés germaniques de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • Le vieux norois 
    gói, 
    gœ, “fin de l'hiver”, d'où...
    • l'islandais góa, “fin de l'hiver”,
    • le norvégien nynorsk gjø, go, “fin de l'hiver”,
    • le féroïen gø, “fin de l'hiver”,
  • le composé vieux norois gómánaðr, “mois de la fin de l'hiver”, d'où...
    • le vieux suédois göyomånat, “février”, dont est issu...
      • le suédois désuet göjemånad“février.
Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris, 26 décembre 2021

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Le 2 janvier, nous terminions le chapitre germanique des dérivés de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec l
es composés vieux bas franciques (latinisés)...
  •  ingimus“animal d'un an”,
et
  • tuigimus, “animal de deux ans”.

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Le 9 janvier, nous avons commencé l'étude des dérivés celtiques de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le vieil irlandais
     gam, gem, gaim,
     hiver”, dont dérivent...
  • le vieil irlandais 
    GAMI-CUNAS, litt. hiver-loup”,
  • le vieil irlandais gemred, gaimred, littéralement 
    saison de hiver
    ”, 
    d'où
    •  l'irlandais geimhreadh
      hiver”,
  • le gaélique écossais geamhardh, geamhraichhiver”,
  • le manxois geureyhiver”,
  • le vieil irlandais fogamar
    automne, récolte, d'où
    • l'irlandais fómharautomne, saison des récoltes, récolte”,
    • le gaélique écossais foghar, “récolte, automne,
    • le manxois fouyr“automne, récolte”,
  • le vieux gallois gaem
    hiver”, d'où
    • le moyen gallois gayaf, gaeaf,
       
      hiver”, d'où
      • le gallois gaeaf
        hiver”, d'où
        • le gallois cynhaeafrécolte ; (désuet) automne”, 
  • le vieux breton guoiam, d'où
    • le moyen breton gouaffd'où
      • le breton goañvgouañv, hiver
et
  • le vieux cornique goyf, hiver”, d'où
    • le cornique gwavhiver”, d'où
      • le cornique kynnyav, kydnyadhautomne”.
Un loup en hiver, 9 janvier 2022

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Le 16 janvier, nous avons traité des dérivés gaulois de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le 
    gaulois
     
    giamos (hiver”), 
que l'on retrouve dans de nombreux anthroponymes : 
  • Giamos, Giamius, Giama, Giamillus, Giamilos, Giamillius, Giamatus, Giamonius, Giamisus, Giamissa...,
dans quelques toponymes :
  • mons Berigiema, Bargème, Bargemon...
et dans 
  • giamoni(o)s, le nom du septième mois du calendrier gaulois.
Nous avons également découvert le gaulois (non-attesté) *gēvros, vraisemblablement à l'origine du français givre, du provençal gibre, ou encore du catalan gebre.

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Le 23 janvier, nous avons traité des dérivés balto-slaves de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, qui signifient tous hiver :
  • le lituanien žiemà,
  • le samogitien žėima,
  • le letton zìema, 
    • d'où le composé letton ziemassvētki, Noël, 
  • le latgalien zīma.
  • le vieux prussien semo,
  • le vieux slavon d'église ⰸⰹⰿⰰzima,
  • le russe, le biélorusse et l'ukrainien зіма́, zimá,
  • le vieux novgorodien ꙁима, zima,
  • le bulgare, le macédonien зи́ма, zíma,
  • le serbo-croate зи́ма, zíma, froid, froidure,
  • le slovène zíma,
  • le tchèque, le slovaque et le polonais zima,
  • les bas-sorabe et haut-sorabe zyma,
    • d'où les bas-sorabe et haut-sorabe nazymaautomne”, 
  • le cachoube zëma,
  • le polabe zaimă.

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Le 30 janvier, nous évoquions les dérivés arméniens de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'arménien classique 
    ձմեռն, jmeṙ-n, hiver ; tempête de neige”, dont découleront...
  • l'arménien classique ձմերային,*jmer-ay(i)n, qui
    • en tant que nom, signifie hiver, saison froide, tempête de neige”, et
    • en tant qu'adjectifhivernal”,
  • l'adverbe arménien classique ձմերանի, jmerani, “en hiver”,
  • l'arménien classique ձիւն, jiwnneige”.
  • le moyen arménien ձմերուկ, jmer-ukpastèque, melon d'eau”.
  • le dialectal  jmet', ou jmayt'photokératitecécité des neiges”.

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Le 6 février, nous avons traité des dérivés albanais et hittites de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'albanais dimër, hiver”, d'où
    • l'archaïque dimëror, décembre”, remplacé par dhjetor,
  • le hittite gimm-,  hiver”, à l'accusatif singulier giman, au locatif singulier gi-im-mi, “en hiver”, d'où
    • le verbe gimmantarii̭e/-a“passer l'hiver, hiverner,
    • et peut-être gimra-au grand air, campagne, champ, campagne militaire”.

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Le 13 février, nous nous lancions dans l'étude des dérivés de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, dans les langues iraniennes occidentales, où nous avons découvert...
  • le vieux perse دمه‎, dama,
  • le moyen-perse manichéen 𐫅𐫖𐫏𐫘𐫤𐫀𐫗, dmystʾn /damestān/,
  • le moyen-perse زم‎, zam,
    • d'où les moyen-perse et persan زمستان‎, zemestân
    • d'où aussi le persan زم‎, zamfroid, vent mordant, blessure”, 
  • le tat zumustun (relisez ձմերային ձիգ գիշերք),
  • le kumzari dimestān.
  • le parthe zmg,
  • le baloutchi زمستان‎zemestân
  • le kurmandji zivistan,
  • le sorani زِستان‎zistan,
  • le gurani زمسان‎, zimsān,
    • le talysh зымсон, zımson, toujours, toujours, “hiver”.

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    Le 20 février, nous recherchions les dérivés de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
    hiver”, dans les langues iraniennes orientales :
    • le sogdien zmē, əzmē, zamē“hiver”,
    • le bactrien ζιμγο, zimgo /zimg/, “hiver”,
    • l'ossète zymæg ou zumæg, “hiver”,
    • le pachto ژمی‎, žë́may, جمی‎, jë́mayزمى‎, zë́may, “hiver”,
    • le vieil avestique zimō-“hiver”, d'où l'avestique récent 𐬰𐬆𐬨𐬋‎, zimō, “hiver”,
    • l'avestique récent, 𐬰𐬌𐬌𐬃‎ziiā̊-, “hiver”, d'où l'adjectif avestique zaiiana“hivernal”.

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    Onze articles !?
    Oui, il peut être bien long, l'hiver...



    Amis lecteurs, finissons-en avec l'hiver, certes, mais dans les règles, et en beauté !

    Nous avons, au cours de ce long périple de onze semaines, approché notre *ǵʰ(e)i-m-, 
    hiver”, par ses
     dérivés latins et romans, germaniques, celtiques, baltes et slaves, arméniens, albanais, hittites et même iraniens.


    Pour ce tout dernier article de la série,
    sous forme de bouquet final,


    je vous propose de nous intéresser à ses dérivés indo-aryens et tokhariens.

    Rien que ça.


    Dans les langues indo-aryennes, nous nous concentrerons sur le भाषा, bhāṣā.

    - Mmmh ? Quoi, vous ne connaissez pas cette langue fascinante ??
    Ah oui, je comprends, pardonnez-moi.

    Mais oui, भाषा, bhāṣā, c'est son vrai nom, littéralement discours, langue parlée”.

    Mais par souci de vulgarisation, et pour prouver que je suis resté, malgré tout, très simple, et finalement assez proche du vulgum pecus
    - accordez-moi quelques instants,
    que je puisse me rincer la bouche -,
    quand je m'adresserai à vous, je le mentionnerai sous son nom 
    - pardonnez-moi -


    commun :


    le sanskrit.






    Le sanskrit ! 




    Nous en avons évidemment souvent parlé, de cette langue indo-européenne si riche et si complexe.
    Plutôt que de réinventer la roue en vous le présentant à nouveau, je vous propose de vous rendre ici : 

     


    En bhā... pardon, en sanskrit, *ǵʰ(e)i-m-, hiver” nous a donné...

    • le masculin हिम, himáfroid, gel ; la saison froide, hiver”,
    mais aussi...
    • le même mot, mais au non-binaire neutre, हिम, himágivre, neige”, ou même... santal” !
    Oui, car on attribue au bois de santal des propriétés rafraichissantes.

    bois de santal



    Et ce n'est pas tout, car en tant qu'adjectif, हिम, himá, signifie encore froid, frais”.


    Retenons également...
    • हेमन्, hémanhiver”, mais qui ne s'emploie qu'au locatif singulier, pour tout simplement signifier “en hiver”.

    Enfin, citons un synonyme à nos हिम, himá et हेमन्, hémanhiver” :
    • le masculin हेमन्त, hemantá, toujours...“hiver, la saison froide”.

    hiver en Inde



    Tiens, vous rappelez-vous cet emploi de hiver pour année, comme dans... 
    • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
     
    • le grec ancien χίμαιρα, khímairajeune chèvre âgée d'un an à sa première mise bas ; chimère”,

    ou encore
    • l
      es vieux bas franciques (latinisés) 
      ingimus“animal d'un an”, et tuigimus, “animal de deux ans?


    Ouiiii, nous retrouvons le même phénomène en sanskrit, avec un autre dérivé de notre *ǵʰ(e)i-m-, hiver”,
    • le substantif masculin हयन, hāyanáannée”.

    Mais nous n'oublierons pas non plus notre हिम, himá, qui, sous forme de suffixe, cette fois
    (-हिम, -hima),
    véhiculera la même sémantique.

    Ainsi, le composé शतहिम, śatá-hima, pourrait se traduire littéralement par “de cent hivers”, et signifie bien “âgé de cent ans”.

    Pssss, le sanskrit शत, śatá, pour “cent”, on en parlait ici : ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A).


    Et OUI, c'est encore le neutre हिम, himágivre, neige” que nous retrouvons dans le composé sanskrit हिमालय, himālaya :

    हिम, hima, “neige, gel” +‎ आलय, ālaya, “maison, résidence, refuge, réceptacle...”.


    Oui, l'Himalaya, c'est littéralement là où réside la neige, le royaume, le séjour de la neige... 

    Je sais, oui, ils ont dû vraiment se creuser la tête, pour trouver cette appellation si subtile, et pas du tout convenue. Comment diable ont-ils pu y penser ??

     
    l'Himalaya



    Et voilà pour la descendance sanskrite de notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, hiver”. 




    Et en tokharien, me direz-vous ?

    (Pour en savoir plus sur le tokharien, la plus orientale des langues indo-européennes, rendez-vous sur ptāñäkte ñom klyoṣluneyā.)


    Mais oui, nous retrouvons encore *ǵʰ(e)i-m-, hiver”, là-bas, loin, loin (loin), dans le bassin du Tarim.

    le bassin du Tarim en hiver


    En tokharien A (ou arśi, ou agnéen), hiver se disait... śarme.

    Et en tokharien B (ou kuči, ou koutchéen), hiver devait se dire (la forme est non attestée)... *śiñc-, qui correspondait également au bruit d'éternuement produit par les Agnéens qui avaient pris froid.





    Et voilà. C'est fini.



    Avec cette impressionnante série d'articles, nous avons évoqué l'hiver, mais nous avons surtout honoré un ancien mot, préhistorique, qui, vaillamment, a donné naissance à une kyrielle de dérivés dans les langues indo-européennes.

    Auriez-vous jamais imaginé que tous ces mots pour hiver, dans des langues si diverses, étaient de lointains cousins, des cognats ?

    Auriez-vous fait le lien entre notre français hiver et le sanskrit हिमालय, himālaya ?

    ah tiens, on dirait que maintenant, c'est fait


    Oui, c'est ça, l'indo-européen.



    Amis lecteurs,

    Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

    Portez-vous bien.




    Frédéric



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    Attention,
    ne vous laissez pas abuser par son nom :
    on peut lire le dimanche indo-européen
    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
    avec le dimanche indo-européen,
    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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    Et pour nous quitter,

    DU BACH !

    La cantate BWV... 1 (oui oui, 1, la toute première),

    "Wie schön leuchtet der Morgenstern", composée à Leipzig en 1725, pour la fête de l'Annonciation,

    interprétée ici par 
    l'orchestre baroque et les choristes de la formidable

    Bachstiftung,
    la Fondation Bach.

    Et c'est tout neuf ; l'enregistrement date de ... hier.


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