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dimanche 13 février 2022

چله‌ی زمستان‎, “La nuit du solstice d'hiver”

           

article précédent : dam-me-tar-wa-an-za LUGAL-us

      


چله‌ی زمستان, šab-e čelle-ye zemestân,  

persan pour “La nuit du solstice d'hiver”.


Savez-vous que la fête iranienne de Shab-e-Yalda (la nuit de la naissance, Shab désignant la, nuit, et Yalda la naissance), qui se déroule le 21 décembre, célèbre le solstice d'hiver, ainsi que la naissance de Mithra ? 

C'est cette fête que les chrétiens reprendront pour célébrer la naissance de leur avatar de 
Mithra, Jésus.



quelques ingrédients pour célébrer le solstice d'hiver comme un vrai Iranien




Amis lecteurs,

Nous pousuivons notre étude des dérivés de la forme indo-européenne...



*ǵʰ(e)i-m-“hiver”.





Faisons un rapide point.

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Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique 
hiems, hiemis“hiver, tempête
, en descendait, avec, à sa suite,
  • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
  • l'adjectif latin classique 
    hibernus
    “hivernal”, et
  • son emprunt en français, hiver.


D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021

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Le 19 décembre, nous passions en revue quelques-uns des emprunts laissés par le latin hibernum dans les langues romanes :
  • le roumain iarnă,
  • le catalan hivern,
  • l'occitan ivèrn,
  • le normand hivé,
  • le wallon ivier,
  • l'asturien iviernu, hibiernu,
  • le piémontais invern,
  • le dalmatien inviarno,
  • l'talien inverno,
  • le sicilien nvèrnu,
  • le portugais inverno,
  • l'espagnol invierno,
  • le romanche enviern.
Nous avons ensuite traité de la descendance de la forme *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, e
n grec ancien avec :
  • χεῖμᾰ, kheîma
    “hiver, froid, gel, tempête”,
sur lequel se sont construits :

  • χειμών, kheimónhiversouffrancedétresse”,
  • χιών, khiốn,neige, neige fondue, eau glacée”, d'où
    • Χιόνη, Khiónê, Chioné, déification de la neige,
  • χίμαιρα, khímairachimère. 
Nous avons enfin mentionné quelques mots germaniques désignant bien l'hiver, mais ne descendant pas de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • le gotique wintrus,le vieux norois vetr, d'où le féroïen vetur,
  • l'elfdalien witter,
  • le vieux frison winter,
  • le néerlandais winter,
  • le vieil anglais winter,
    • d'où l'anglais winter.

Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021

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Le 26 décembre, nous avons entamé l'étude des dérivés germaniques de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • Le vieux norois 
    gói, 
    gœ, “fin de l'hiver”, d'où...
    • l'islandais góa, “fin de l'hiver”,
    • le norvégien nynorsk gjø, go, “fin de l'hiver”,
    • le féroïen gø, “fin de l'hiver”,
  • le composé vieux norois gómánaðr, “mois de la fin de l'hiver”, d'où...
    • le vieux suédois göyomånat, “février”, dont est issu...
      • le suédois désuet göjemånad“février.
Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris, 26 décembre 2021

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Le 2 janvier, nous terminions le chapitre germanique des dérivés de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec l
es composés vieux bas franciques (latinisés)...
  •  ingimus“animal d'un an”,
et
  • tuigimus, “animal de deux ans”.

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Le 9 janvier, nous avons commencé l'étude des dérivés celtiques de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le vieil irlandais
     gam, gem, gaim,
     hiver”, dont dérivent...
  • le vieil irlandais 
    GAMI-CUNAS, litt. hiver-loup”,
  • le vieil irlandais gemred, gaimred, littéralement 
    saison de hiver
    ”, 
    d'où
    •  l'irlandais geimhreadh
      hiver”,
  • le gaélique écossais geamhardh, geamhraichhiver”,
  • le manxois geureyhiver”,
  • le vieil irlandais fogamar
    automne, récolte, d'où
    • l'irlandais fómharautomne, saison des récoltes, récolte”,
    • le gaélique écossais foghar, “récolte, automne,
    • le manxois fouyr“automne, récolte”,
  • le vieux gallois gaem
    hiver”, d'où
    • le moyen gallois gayaf, gaeaf,
       
      hiver”, d'où
      • le gallois gaeaf
        hiver”, d'où
        • le gallois cynhaeafrécolte ; (désuet) automne”, 
  • le vieux breton guoiam, d'où
    • le moyen breton gouaffd'où
      • le breton goañvgouañv, hiver
et
  • le vieux cornique goyf, hiver”, d'où
    • le cornique gwavhiver”, d'où
      • le cornique kynnyav, kydnyadhautomne”.
Un loup en hiver, 9 janvier 2022

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Le 16 janvier, nous avons traité des dérivés gaulois de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le 
    gaulois
     
    giamos (hiver”), 
que l'on retrouve dans de nombreux anthroponymes : 
  • Giamos, Giamius, Giama, Giamillus, Giamilos, Giamillius, Giamatus, Giamonius, Giamisus, Giamissa...,
dans quelques toponymes :
  • mons Berigiema, Bargème, Bargemon...
et dans 
  • giamoni(o)s, le nom du septième mois du calendrier gaulois.
Nous avons également découvert le gaulois (non-attesté) *gēvros, vraisemblablement à l'origine du français givre, du provençal gibre, ou encore du catalan gebre.

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Le 23 janvier, nous avons traité des dérivés balto-slaves de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, qui signifient tous hiver :
  • le lituanien žiemà,
  • le samogitien žėima,
  • le letton zìema, 
    • d'où le composé letton ziemassvētki, Noël, 
  • le latgalien zīma.
  • le vieux prussien semo,
  • le vieux slavon d'église ⰸⰹⰿⰰzima,
  • le russe, le biélorusse et l'ukrainien зіма́, zimá,
  • le vieux novgorodien ꙁима, zima,
  • le bulgare, le macédonien зи́ма, zíma,
  • le serbo-croate зи́ма, zíma, froid, froidure,
  • le slovène zíma,
  • le tchèque, le slovaque et le polonais zima,
  • les bas-sorabe et haut-sorabe zyma,
    • d'où les bas-sorabe et haut-sorabe nazymaautomne”, 
  • le cachoube zëma,
  • le polabe zaimă.

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Le 30 janvier, nous évoquions les dérivés arméniens de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'arménien classique 
    ձմեռն, jmeṙ-n, hiver ; tempête de neige”, dont découleront...
  • l'arménien classique ձմերային,*jmer-ay(i)n, qui
    • en tant que nom, signifie hiver, saison froide, tempête de neige”, et
    • en tant qu'adjectifhivernal”,
  • l'adverbe arménien classique ձմերանի, jmerani, “en hiver”,
  • l'arménien classique ձիւն, jiwnneige”.
  • le moyen arménien ձմերուկ, jmer-ukpastèque, melon d'eau”.
  • le dialectal  jmet', ou jmayt'photokératitecécité des neiges”.

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Le 6 février, nous avons traité des dérivés albanais et hittites de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'albanais dimër, hiver”, d'où
    • l'archaïque dimëror, décembre”, remplacé par dhjetor,
  • le hittite gimm-,  hiver”, à l'accusatif singulier giman, au locatif singulier gi-im-mi, “en hiver”, d'où
    • le verbe gimmantarii̭e/-a“passer l'hiver, hiverner,
    • et peut-être gimra-, au grand air, campagne, champ, campagne militaire”.
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Amis lecteurs, 

La semaine dernière, nous nous quittions en Anatolie.
Je vous propose de poursuivre notre grand périple en faisant un bond vers le sud-est, 



vers les terres persanes, et la branche iranienne du gigantesque groupe des langues indo-iraniennes.






Car notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, 
y a laissé une impressionnante descendance...


Tous les dérivés que nous allons rencontrer ici proviennent de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” 
par sa forme *ǵhiōm-hiver ; neige ; gel”.

Et même si je ne l'ai pas systématiquement précisé, pour ne pas trop alourdir les articles,
ou parce que je n'avais pas envie, na,


 nous avons déjà retrouvé quelques dérivés de cette forme *ǵhiōm-.


Eh oui. Car en sont issus...
  • le grec ancien χιών, khiốnneige, neige fondue, eau glacée”,
Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021,
  • le vieux norois gói, gœ, “fin de l'hiver”, d'où toute une flopée de dérivés germaniques,

et même...

  • l'arménien classique ձիւն, jiwn, “neige”,
ձմերային ձիգ գիշերք, 30 janvier 2022.


C'est bon pour tout le monde ?
Alors, allons-y.


Mon emploi du temps l'impose, nous allons traiter des dérivés de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, 
dans les langues iraniennes sur (au moins) deux articles.

Ces articles s'articuleront, très logiquement, sur les deux grandes familles constituant le groupe iranien, celles des langues iraniennes occidentales et orientales.

Et nous commencerons en ce dimanche par les... 

langues iraniennes occidentales.

Pour être encore un peu plus méthodiques, nous répartirons les langues iraniennes occidentales en deux sous-branches,
  • les langues iraniennes du Sud-Ouest
et
  • les langues iraniennes du Nord-Ouest
division qui se faisait déjà, figurez-vous, dans l'Antiquité, lorsque l'on traitait des différences entre...
  • le vieux-perse (Sud-Ouest)
et 
  • le mède (Nord-Ouest).

L'un des traits linguistiques majeurs qui permet de distinguer ces deux sous-branches est la façon dont la satémisation s'y est appliquée.

Je ne vais pas vous faire l'injure de vous expliquer ce qu'est la satémisation, évidemment, puisque vous avez dévoré ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A), où tout est si remarquablement bien expliqué, ce qui est normal et nécessaire, l'isoglosse Centum/Satem étant l'un des fondements de la linguistique indo-européenne.

 

puisqu'on vous le dit



Mais revenons à la satémisation au sein des langues iraniennes occidentales : 
les consonnes originales palato-vélaires *ḱ, et *ǵʰ du proto-indo-européen se transformeront,
  • dans les langues du Sud-Ouest, en θ (qui évoluera ensuite en h et d)
et,
  • dans les langues du Nord-Ouest, en s et z.


- Mmmmh, quoi ? Ah, quelques exemples de langues du Sud-Ouest et du du Nord-Ouest ?
Bah, oui, 'suffit de demander :

Dans les langues du Sud-Ouest, nous trouvons notamment...
  • le vieux-perse,
dont sera issu le moyen-perse (ou pehlevi),
 
dont sera à son tour issu le persan, dans ses diverses déclinaisons : farsi, dari, tadjik, judéo-persan et hazara,

ou encore...

  • l'achomi (célèbre pour son redémarrage, révélé par l'ancienne tradition orale pose tes deux pieds en canard, c'est l'achomi qui redémarre), langue toujours parlée dans le sud de l'Iran.


l'Iran


et là où se parle l'achomi.



Pour ce qui est des langues du Nord-Ouest, citons notamment...

  • le mède, langue jadis parlée par les... Mèdes (tout se tient), ancien peuple qui vivait originellement dans une région du nord-ouest de l'Iran,
  • le kurde (le kurmandji et le sorani),
  • le gurani, dialecte kurde,

le Thalys en gare de Liège-Guillemins


et enfin (il y en a encore d'autres, mais ce sera pour une prochaine fois, si vous êtes gentils)
  • le gilaki et le mazandarani (moyen mnémotechnique pour retenir ce dernier : pensez au cardinal Mazarin qui adorait les mandarines), langues caspiennes.



Bon, cela étant dit, découvrons enfin les dérivés de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, 
dans les langues iraniennes occidentales.

Tous ceux que nous allons débusquer se traduisent par hiver”. Et si ce n'est pas le cas, je le préciserai.



Dans les langues du Sud-Ouest, citons :

  • le vieux perse دمه‎, dama,
  • le moyen-perse manichéen 𐫅𐫖𐫏𐫘𐫤𐫀𐫗, dmystʾn /damestān/,
  • le moyen-perse زم‎, zam,
    • d'où les moyen-perse et persan زمستان‎, zemestân, comme dans چله‌ی زمستانšab-e čelle-ye zemestân“La nuit du solstice d'hiver”,
    • d'où aussi le persan زم‎, zamfroid, vent mordant, blessure”, 
ou encore
  • le kumzari (ne vous inquiétez pas ; il s'agit simplement d'une variante de l'achomi -l'achomi... l'achomi, l'achomi...) dimestān.




Dans les langues du Nord-Ouest, à présent, citons...

  • le parthe zmg,
  • le baloutchi زمستان‎zemestân
  • le kurmandji zivistan,
  • le sorani زِستان‎zistan,
  • le gurani زمسان‎, zimsān,
sans oublier...
- mais oui, OH !, nous en avons parlé il y a deux semaines -
  • le talysh зымсон, zımson, toujours, toujours, “hiver”.


Ouuuuf.




Remarquez que le  initial de la forme indo-européenne *ǵhiōm-hiver ; neige ; gel”, a bien donné un z dans ses dérivés des langues du Nord-Ouest, et qu'il a donné un d dans certaines des langues du Sud-Ouest, mais pas systématiquement.

Je suppose que les dérivés en z que l'on retrouve dans les langues du Sud-Ouest ne sont que des emprunts, ou des calques de mots des langues du Nord-Ouest. Si vous en savez plus, dites-le moi !



Eh oui, vous vous rendez compte ? Tous ces mots iraniens sont étroitement liés à

  • notre français hiver,
  • au grec ancien χεῖμᾰ, kheîma“hiver, froid, gel, tempête”, 
  • au vieux norois gói, gœ, “fin de l'hiver”, 
  • au vieil irlandais gam, gem, gaim, “hiver”,
  • au lituanien žiemàhiver”,
  • au russe et à l'ukrainien зіма́, zimáhiver”,
  • à l'arménien classique ձմեռն, jmeṙ-n, hiver ; tempête de neige”,
  • à l'albanais dimër, hiver”,

ou encore
  • au hittite gimm-,  hiver”.


C'est dingue non ? (zingue, dans les langues du Nord-Ouest)




Amis lecteurs,

Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

Portez-vous bien.





Frédéric


******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter,

un chant traditionnel iranien,
qui résonnait dans l'ancienne province de استان خراسان, Khorasan (nord-est de l'Iran),
le persan Khorāsān signifiant "d'où vient le soleil".


Voici

Gol Laleh Laleh.

Il s'agit d'un chant d'amour,

où une jeune femme, plutôt qu'avouer ses sentiments à l'être aimé, confie ses pensées intimes à... un jardin de tulipes.

Qui suis-je pour juger ?

https://youtu.be/N_7-1bdRu-U

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article suivant : Aaaah, Samarcande sous la neige...

3 commentaires:

Unknown a dit…

Cher ami,
loin de moi l'idée de vous reprendre sur l'appropriation chrétienne des cultes iraniens.
Que Mithra / le solstice ait donné Jésus / le solstice, rien de plus évident.
À ceci près que l'appropriation romaine du culte de Mithra a associé ce dieu au taureau, qu'il sacrifie. D'où le rôle totamique du taureau en Espagne, où le culte de Mithra s'était implanté.
Mais surtout, Mithra a donné le culte de saint Michel — totalement associé au taureau ainsi que vous l'apprendrez en lisant
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Decouvertes-Gallimard/Decouvertes-Gallimard/Culture-et-societe/Entre-ciel-et-mer-le-Mont-Saint-Michel#
La christianisation du dieu ancien est passée logiquement poar un archange (dont le nom signifie "qui est, comme Dieu"), puisque le culte des anges et des archanges est ,venu de la religion zoroastrienne.
L'Iran perse est à la base de tout !

Frédéric Blondieau a dit…

@Unknown

En suivant le lien, j'ai découvert votre livre, cher Jean-Paul. Je ne vous connaissais pas cette autre passion.
Et je vous rejoins, la puissance divine se manifeste ici-bas par l'intercession des aməša spəṇta. :-)
La Lumière immortelle est toujours la même, même si les images et les mots pour en faire état sont souvent, selon les peuples et les époques, bien différents, car issu de ce monde temporel.

Grand merci pour ces développements.
Je crois aussi savoir qu'il existe un lien symbolique fort entre Saint-MIchel et Gargan, si finement repris par Rabelais, évidemment.

Bonne semaine !

Jean-Christophe Charvet a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.