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“C'est ce qui nous émeut en face du petit aurige de Delphes.
Immobile et stable, ses orteils bien rangés les uns à côté des autres, il semble venir du fond des siècles et continuer sa route sur place, avec la canne blanche des aveugles.”
Jean Cocteau,
Journal d'un inconnu (1953)
Immobile et stable, ses orteils bien rangés les uns à côté des autres, il semble venir du fond des siècles et continuer sa route sur place, avec la canne blanche des aveugles.”
Jean Cocteau,
Journal d'un inconnu (1953)
Jean Cocteau, 5 juillet 1889 -11 octobre 1963 |
Bonjour à toutes et tous !
En ce dimanche 8 mars 2020, nous poursuivons l'étude de notre charmante racine indo-européenne...
*h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
- digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer,
un exemple de gérondif ? "En digérant"., 16 février 2020,
- agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?, 23 février 2020,
- acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements,
et... action !, 1er mars 2020.
Les journées ont été longues, longues, et les nuits courtes, courtes.
Et là, ben,
Aujourd'hui, donc, je vais réduire la voilure, et vous offrir un dimanche indo-européen allégé, et donc particulièrement euh... digeste !
Prenez-le comme un bonbon.
Une friandise.
Je ne vous proposerai que deux mots à vous mettre sous la dent.
Qui, tous deux, dérivent du latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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Le premier ? Aurige.
C'est un emprunt - quasiment un calque, hein -, très récent, de 1823, au latin aurīga.
Et s'il est si connu
- alors qu'à l'origine, il ne s'agit quand même que d'un emprunt savant, utilisé en vocabulaire archéologique -,
c'est qu'il a été abondamment diffusé, fin du XIXème, après que l'on découvrit à Delphes un remarquable bronze archaïque grec, qui représentait un aurige.
Découvrir cette statue, et la reconstituer
Mais ce n'était rien à côté de la difficulté et de la longueur des délibérations visant à lui trouver un nom.
- car elle était en morceaux, dont certains, hélas, manquent encore -n'a pas été une mince affaire.
Mais ce n'était rien à côté de la difficulté et de la longueur des délibérations visant à lui trouver un nom.
Finalement, après des semaines et des semaines de palabres, coup de génie !, il fut proposé de la baptiser l'aurige de Delphes.
Certes, ce n'est pas le premier nom auquel vous penseriez, et oui, il est un peu tiré par les cheveux, mais bon, l'important, c'est qu'elle ait été enfin nommée.
l'aurige de Delphes |
Ah mais, j'vous l'ai pas encore dit !
L'aurīga était un conducteur de char
(de course,
ou de guerre).
Et il s'agit en réalité d'un composé.
De...
- aurea, “bride d'un cheval, mors”, construit sur os (“bouche”)
+
- agō, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
+
- -a, suffixe permettant de créer des noms d'agents.
Amusant- et qui permettra de faire le lien avec un autre dérivé de notre douce *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger” -, l'aurige le plus expérimenté, celui qui avait le droit de conduire le quadrige,
portait le titre... d’agitator.
Car oui - rappelez-vous -, agitō, -āre était le fréquentatif (et intensif) de agō, -ere
Allez, le deuxième et dernier mot que je vous propose en ce dimanche n'est pas un nième emprunt au latin agō, -ere.
Que nenni. Celui-là, il en est issu. Ouuuuf.
Et, ma foi, vous ne pouvez pas deviner qu'il en descende.
Ni par la forme, ni même par le sens.
Ni par la forme, ni même par le sens.
Ce mot, c'est... cacher.
Cacher ??? Oui oui,
“mettre (qqch.) dans un lieu où on ne peut le trouver ; dérober, faire disparaître.”
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française
jouer à cache-cache |
- Mais ? Mais quel rapp...
- Monsieur Ucon, vous êtes tellement prévisible...
Eh oui, surprenant, non ?
Sans le moins du monde vouloir sombrer dans la vulgarité ou la scatologie, je dois vous dire que le mot est attesté au XIIIème sous la forme... quachier, et ce jusqu'au XVème, mais aussi en tant que cachier, et aussi - ce qui est moins gai - cacher, vers 1278.
Jusqu'au XVème, il ne signifie pas vraiment dérober, mais plutôt... presser.
Le mot est issu d'un latin vulgaire (non attesté) *coacticāre, “contraindre”, forme renforcée du latin coāctō, coāctāre, de même sens, “contraindre”.
Et coāctāre,
je vous le donne en mille,
est le fréquentatif de... cōgō, cōgere, “rassembler, collecter...”, dont nous avons parlé le 23 février dernier, et qui se décompose en... co- (cum-, con- : avec) + ... agō.
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?
Si coāctō signifiait “contraindre”, rappelez-vous que c'est de cōgō que dériveront nos français cailler et coaguler.
Vous comprenez mieux, ainsi, qu'à l'idée de contraindre propre à cōgō correspond étroitement celle de serrer, comprimer.
Très vite, ce sens de contraindre en serrant, en comprimant évoluera vers celui que nous employons toujours, de “dissimuler à la vue”.
Eh !
Mais
- y auriez-vous pensé ? -,ce sens ancien, joliment désuet de “presser” se retrouve encore parfaitement et clairement dans un autre mot de la même famille, vraiment très, très proche de cacher...
Cachet !
Le cachet, pastille de cire que l'on pressait sur le papier... !
Mais oui !
C'est beau, non ? Comme une découverte archéologique. Dont vous rassemblez les morceaux.
un cachet - qui en a. |
Très bientôt, il faudra un cachet de ce type à tout Anglais pour se rendre à l'étranger (En France, en Écosse, en Irlande réunifiée...) |
Chères lectrices, chers lecteurs, à vous toutes et tous,
un excellent dimanche,
une belle semaine !
Frédéric
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
comme la semaine dernière,
du Haendel.
L'excellent baryton britannique Jerome Knox,
accompagné par l'Academy of Ancient Music,
nous interprète...
I feel the Deity within...
tiré de Judas Maccabeus, HWV 63
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8 commentaires:
Excellent ! Mais le problème, pour vous, Frédéric, c'est précisément que vous nous habituez à l'excellence : vous faites ainsi naître chez nous des exigences qui risquent de devenir de plus en plus contraignantes... pour vous. Merci et bon dimanche.
Merci, Giellesse !
Ah, des problèmes de ce type, je les accepterais volontiers ! ;-)
Bon dimanche à vous !
Frédéric
Je confirme l'analyse de Giselle ;-)
Ton blog doit rester un plaisir pour nous, mais surtout pour toi
Je ne sais pas qui tu es, mais merci ! :-) sois-en sûr(e ?), il le reste, grâce à des lecteurs comme vous tous et de si beaux commentaires !
Je me rejoins aux commentaires précédents. Le lundi serait plus difficile sans avoir lu le dimanche européen :)
:-) Merci, Rubén ! Du fond du cœur ! :-)
Bonjour, je m’intéresse depuis peu à la linguistique, je reste novice et touche à tout, c’est bien par un heureux hasard que je vous ai trouvé.
Et je tiens à vous dire que je trouve votre travail ainsi que votre façon de le présenter fascinants.
Merci
Bonjour, Hafid, merci de votre commentaire !
« Toucher à tout », et surtout en gardant l’esprit ouvert, est, je pense, une des clés vers sa propre évolution...
Bienvenue sur ce blog, en tout cas !
Frédéric
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