article précédent : un exemple de gérondif ? "En digérant".
“L’humour, l’éclair divin qui découvre le monde dans son ambiguité morale et l’homme dans sa profonde incompétence à juger les autres. L’humour, l’ivresse de la relativité des choses humaines, le plaisir étrange issu de la certitude qu’il n’ y a pas de certitude.”
Les Testaments trahis,
Milan Kundera
Les Testaments trahis,
Milan Kundera
Milan Kundera, né le 1er avril 1929, écrivain tchèque naturalisé français. |
Bonjour à toutes et tous !
Dimanche dernier, nous avions entamé un nouveau chapitre, consacré à la racine indo-européenne ...
*h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
⇓
proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
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latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
racine post-indo-européenne *h₂ǵ-es-, “transporter”
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proto-italique *ges-e/o-, “transporter”
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latin gerō, gerēre, “porter, transporter”
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Oui ?
Alors, poursuivons !
Si le latin gerō, gerēre, “porter, transporter” dérivait de notre délicate *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger” par une forme *h₂ǵ-es- au sens de “transporter”, un autre dérivé latin, lui, est issu en droite ligne de la forme originale *h₂eǵ-e/o-...
Alors, surtout, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Si le mot dont je vais vous parler aujourd'hui est bien issu de *h₂eǵ-e/o- , c'est bien entendu par un très, très long processus, une lente percolation qui a pris des siècles, et dont je peux,
vous préciser que c'est par un étymon proto-italique *ag-e/o- qu'il en descend.
Cette forme (reconstruite, hypothétique, hein), on lui a donné le sens (reconstruit, forcément) de ... (notamment) “faire, agir”.
Et ce mot latin
Alors, poursuivons !
Si le latin gerō, gerēre, “porter, transporter” dérivait de notre délicate *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger” par une forme *h₂ǵ-es- au sens de “transporter”, un autre dérivé latin, lui, est issu en droite ligne de la forme originale *h₂eǵ-e/o-...
Alors, surtout, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Si le mot dont je vais vous parler aujourd'hui est bien issu de *h₂eǵ-e/o- , c'est bien entendu par un très, très long processus, une lente percolation qui a pris des siècles, et dont je peux,
grâce à l'aide de Michiel de Vaan et de son indispensable Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages,
vous préciser que c'est par un étymon proto-italique *ag-e/o- qu'il en descend.
Cette forme (reconstruite, hypothétique, hein), on lui a donné le sens (reconstruit, forcément) de ... (notamment) “faire, agir”.
Et ce mot latin
- oui oui, on y vient -c'est le verbe ... agō, -ere, dont les acceptions sont multiples, comme “mouvoir, emmener, poursuivre, (se) conduire, pousser, faire, agir, administrer...”.
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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Nous lui devons une ébouriffante, virevoltante flopée de mots français !
En ce dimanche, au vu de mes contraintes de temps, nous n'en aborderons qu'une toute petite partie...
(toute petite) Chacun peut avoir sa réponse. |
En vous disant déjà que de cette racine particulièrement prolifique, nous étudierons plus tard les dérivés grecs, germaniques, celtiques, sanskrits, arméniens, et peut-être même (si vous êtes gentils) tokhariens...
Mais bon, une chose à la fois.
on n'est pas aux pièces, non plus |
Le latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”,
de qui vous trouverez (si du moins vous cherchez) quelques cognats purement italiques, au passage, comme...
- l'osque acum, “agir (sur un plan légal)”,
- le marrucinien (autre langue sabellique) agine et l'osque aginss, “cas, action, rituel”,
ou encore (soyons fous)
- l'ombrien ahtisper, “actions”,
sans oublier bien sûr
- je sais, je sais, oooh ! je le fais tout le temps, mais je ne peux pas m'en empêcher -
- l'osque arouaïld, “auteur de bons mots britannique”,
le latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”, disais-je,
nous a donné quelques bien jolis mots français...
Sans ambages, je vous propose, dans la très (très) longue liste de ses dérivés français, de commencer par...
ambages.
Paroles embarrassées, détours dans l'expression.
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française
Ambages, emprunté vers 1355 au féminin pluriel latin ambāgēs, “sinuosités, détours”,
composé de ambi-, “les deux (ici, à entendre dans l'idée des deux côtés)” + agō, “conduire” + le suffixe -ēs formant des substantifs.
Le mot, soyons clair, est tombé en désuétude.
En 1677, on le considérait déjà comme “vieux”. Si vous voyez ce que je veux dire.
Á présent, il ne s'emploie plus que dans la locution adverbiale “sans ambages”, “sans détours, franchement”.
Décelez-vous la moindre once d'ambiguïté dans ce que je viens de vous dire ?
Non ?
Ah, c'est presque dommage.
Car au nombre des dérivés français de agō, nous trouvons encore...
ambigu.
Qui présente deux ou plusieurs sens possibles, dont l'interprétation est incertaine.
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française
Ambigu,
emprunté, fin du XVème, au latin ambiguus, “qui se déplace d'un côté à l'autre”, d'où, au sens figuré, de nature douteuse”,
composé de (faut-il vraiment le préciser ??)...lui-même du verbe... ambigere , “errer, aller sans but, d'où douter”,
ambi-, “autour, des deux côtés” + agere, “conduire, se déplacer...”.
La discipline linguistique, même à mon humble niveau, peut être exigeante.
Et rédiger ce type de blog, faire en sorte qu'un article sorte chaque dimanche à 8h, quelles que soient les circonstances (car, figurez-vous, j'ai un vrai boulot aussi, et une vraie vie de famille), oui, ça demande du travail, et beaucoup de temps.
C'est aussi pour cela que je ne comprends pourquoi des gens qui ne prennent même pas la peine de me lire se permettent parfois (parfois, heureusement, voire rarement) des commentaires tout simplement malvenus, écrits sans aucune empathie, réflexion, ni - disons-le sans ambages - intelligence, comme par des enfants gâtés qui n'ont aucune conscience que par leur comportement égoïste, nombriliste, par une seule petite phrase assassine, ils blessent des êtres humains (eux), qui se sont consacrés à un travail qui leur est offert sur un plateau et que personne, de surcroit, ne les oblige à lire !
"dézinguer" |
Exigeant ?
Qui est habitué à exiger beaucoup ; qui est difficile à contenter.
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française
Nous avons emprunté exiger dans la seconde moitié du XIVème au latin exigere, créé sur notre ago précédé du préfixe ... du préfixe ? OUI, ex-, bravo !
Au sens propre, exigere signifiait “pousser dehors, faire sortir...”, d'où “exiger, peser, faire payer”.
Bon. Jouons à un petit jeu.
Si nous savons qu'ambigu descend de agō, -ere, et qu'il en est de même pour exiger, quel pourrait bien être le mot suivant sur notre liste ?
Mmmmh ?
OUI !!!!
Exi...gu.
Le sens courant d'exigu (d'un appartement, d'un logement : petit, de petites dimensions...) ne rend pas bien son sens premier.
Nous avons emprunté exigu au latin exiguus, dérivé de exigere, dont
- le monde est bien fait, non ? -nous venons de parler il y a à peine quelques lignes.
Exiguus signifiait ainsi “trop strictement pesé”.
D'où petit, insuffisant.
penthouse à Paris |
Agir !
Mais oui, celui-là, vous l'attendiez !
Comment pourrait-on omettre notre français agir, quand nous parlons du latin agō, -ere ?
Curieusement, agir, qui lui est bien issu de agō, -ere
- on ne parle pas ici d'un vulgaire emprunt, jeté à la figure, mais bien d'un mot qui nous vient par lente décantation, percolation -,
nous est arrivé sur le tard, au milieu du XVème, et ne signifiait pas vraiment, à l'époque, “faire, agir”, mais plutôt ... produire.
bon, d'accord, c'est surprenant, mais n'en faites pas trop, non plus |
Et encore, dans un sens restreint, dans un contexte chrétien, où l'on dotait l'acte
(les abruti-e-s d'aujourd'hui parleraient de l'agir)d'une valeur philosophique.
Un exemple ? Fastoche.
("évidemment", pour les monoglottes et/ou anglophobes) |
Il suffit d'ouvrir la page 12 du Dialogue d'entre le Maheustre et le Manant, écrit de la plume (au sens propre) de François Morin, sieur de Cromé, à la fin du XVIème, pour y lire :
(...) il n'y a que Dieu de ſa puiſſance abſoluë & extraordinaire qui puiſſe agir telle conuerſion d'vne âme ſi inueteree en ſon erreur (...)
lien vers Gallica |
Vous l'avez deviné !
Après avoir parlé d'agir, nous passons maintenant à ... agiter.
Agiter est à nouveau un emprunt, cette fois du XIIIème, au latin agitare.
Agiter / agitare ?? Je sais, c'est vraiment surprenant.
Agitō, agitāre était tout simplement le fréquentatif (et intensif) de... agō, -ere.
Nous pourrions d'ailleurs le décomposer en agō + -(i)tō, suffixe qui avait la propriété de former, à partir de verbes existants, des ... fréquentatifs, ce qui tombe finalement très bien.
Hiro-itō |
Agiter, étymologiquement, pourrait donc s'entendre comme “agir beaucoup et souvent”.
D'agiter, il n'y a qu'un pas vers ... cogiter.
Cogiter.
Si agiter s'employait (à l'origine, en alchimie) au sens de remuer fortement des liquides, son composé cogiter correspondra à remuer... des pensées.
sur ce plan-là non plus, nous ne naissons pas égaux |
Notre cogiter est un emprunt de la moitié du XVème au latin cōgitāre, “penser, méditer”, composé de con- (cum), “avec” et de agitāre.
Cōgitāre, au sens propre, signifiait “agiter ensemble des pensées”.
En alchimie ?
Tiens tiens...
S'il est bien un mot courant, jusqu'à en devenir commun, en alchimie, c'est... coaguler.
Coaguler ?
Transformer (une substance organique liquide) en une masse solide de consistance plus ou moins molle.
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française
C'est votre dernier mot, Frédéric ?
Oui, Jean-Pierre, ce sera mon dernier mot pour aujourd'hui.
Le français coaguler est une nouvelle fois un emprunt.
Savant, peut-être, et très ancien, d'avant 1300, mais quand même.
Un lamentable emprunt.
En l'occurrence au latin coāgulō, coāgulāre, qui s'employait, en parlant du lait, au sens de “figer en masse plus ou moins solide”.
La construction du latin coāgulō est assez complexe, vous allez le voir...
Le composé coāgulō est créé sur le substantif coāgulum,“lien, lait caillé, épaississement...” suivi du suffixe -ō, qui
- à l'inverse de -ēs, applicable à un verbe pour former un substantif -s'appliquait à un substantif pour en faire un... verbe.
Coāgulum était quant à lui créé sur le verbe cogo, au sens (notamment) de “rassembler, collecter...”.
Mais à l'origine, ce cogo n'était que la composition de co- (cum-, con- : avec) + ... agō.
Eh !
pourquoi faire simple... |
Je dois en convenir, jusqu'à présent, nous n'avons pratiquement vu que des emprunts au latin, et non de beaux mots proprement issus de agō.
Le seul (!) à nous mettre sous la dent, c'est agir.
Le seul (!) à nous mettre sous la dent, c'est agir.
Qu'à cela ne tienne !
Car à côté de l'emprunt savant et technique coaguler, il y avait le brave vieux français
quailler, coaillier, issu du bas latin *coaglāre / *quaglāre, dérivé de coāgulō, coāgulāre, et qui donnera notre... cailler.
quailler, coaillier, issu du bas latin *coaglāre / *quaglāre, dérivé de coāgulō, coāgulāre, et qui donnera notre... cailler.
Aaaaah
Terminons en beauté, avec quelques mots d'autres langues romanes issus
- j'insiste -du latin coāgulō, coāgulāre, et par là-même beaux cognats de notre cailler :
- l'aroumain cljag (n'essayez même pas : comme le gallois, l'aroumain ne se prononce pas),
- l'asturien cuayu,
- l'occitan calh,
- le romanche quagl,
- le sarde callu, cazu, cracu, cragu, giagu,
- le sassarais (d'origine toscane, parlé en Sardaigne) ciaggu,
- le sicilien quagghiu, quagliu,
et enfin...
- le vénitien cajo, caio, cagio, conajo.
Á toutes et tous, un excellent dimanche, une belle semaine !
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
mais tout en restant dans les accents méditerranéens,
je vous propose du Claudio Monteverdi,
avec une interprétation enjouée de...
Zefiro Torna E Di Soavi Accenti, SV 251
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