article précédent : exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?
“Quand un acteur est mauvais, l'applaudissement le rend pire.”
Jules Renard
Jules Renard
Pierre-Jules Renard, dit Jules Renard, 22 février 1864 - 22 mai 1910 |
Bonjour à toutes et tous !
S'il fallait le préciser, nous sommes toujours plongés dans l'étude des dérivés de notre douce racine indo-européenne...
*h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer,
un exemple de gérondif ? "En digérant"., 16 février 2020
agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?, 23 février 2020.
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
⇓
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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Nous en étions restés à agir et agiter.
Inutile de nous étendre sur ces autres
- agenda, “ce qui doit être fait”,
- agent, “ce qui agit”, ou
- agence, ou encore
- agissements.
Quoique, pour ce dernier... Agissements, figurez-vous, est apparu, toujours au pluriel, pendant la Révolution française, pour désigner des actions critiquables, blâmables.
Des actions de sales royalistes, d'infâmes contre-révolutionnaires ou de méprisables conservateurs passéistes, quoi.
Fernand Ucon |
- Beh oui, et 'ya aussi agencer, évidemment !
- Monsieur Ucon, quelle bonne surprise !
Non. Au risque de vous décevoir, non, agencer n'a aucun rapport étymologique (aucun) avec agent / agence.
D'ailleurs, ça ne m'étonnerait pas qu'on voie bientôt poindre un Aigle de Meaux...
Eh oui, gagné, le voilà !
Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : le lien entre agent et agencer se meurt, le lien entre agent et agencer est mort !
Jacques-Bénigne Bossuet, l'« Aigle de Meaux » 27 septembre 1627 - 12 avril 1704 |
Aaah, Jacques-Bénigne, toujours pareil à vous-même, je vois !
Décidément, vous n'en ratez pas une !
Encore merci, en tout cas, de passer nous dire bonjour de temps en temps, vous êtes ici chez vous !
Oui, pour les petits nouveaux, Fernand Ucon et Jacques-Ben, comme il adooore être appelé, sont deux habitués du blog, le premier, digne descendant d'une famille qui a notamment tenté de saccager la langue française (lisez/relisez tous les articles où il apparaît : Fernand Ucon), le second apparaissant toujours pour nous annoncer la fin tragique d'un lien étymologique entre deux mots (la liste des articles où il est venu nous prêter main forte ? Aigle de Meaux).
(PS : Quand vous parcourez le blog à partir d'étiquettes ou libellés (labels) de ce type, le blog vous donne les articles les plus récents d'abord, et en limite le nombre par page ; à vous d'en voir la suite en cliquant sur le lien Articles plus anciens, en bas de page.)
Agencer, en effet, dérive d'une racine dont nous déjà parlé à deux reprises, *genǝ-, “donner naissance, enfanter, engendrer”.
Dans
Tour de France et Tour de Babelet dans
C'était qui, encore, le gendre d'Agamemnon ?.
Eh oui !
Nous retrouvons dans le composé agencer l'ancien adjectif gent, gente, pour “noble, beau”
- oui oui, celui de gente dame -,
The Accolade, Edmund Leighton, 1901 |
qu'il fallait comprendre dans le sens de “bien né”.
La valeur première, étymologique, du mot était “rendre beau, agréable”..., mais déjà en ancien français, le mot s'emploiera pour “arranger, disposer en bon ordre”.
Qu'à cela ne tienne, agō, -ere nous a donné bien d'autres mots, ne vous inquiétez pas ...
Et ce dimanche sera, grâce à agō, marqué du signe de la comédie, que ce soit à la scène, ou au cinéma...
Avec l'acteur !
L'ancien français actor n'est qu'un calque du latin... āctor, “celui qui fait, acteur, et en droit, acteur en justice : celui qui dépose plainte (le plaignant), procureur, avocat...”.
Le latin āctor, lui, est un nom d'agent construit sur le participe passé de agō, āctus suivi du suffixe -tor, permettant de créer des, des ... noms d'agents, masculins.
Action !
Avant d'être le mot de prédilection de tout bon metteur en scène qui veut vraiment ressembler à un vrai metteur en scène - avec coupez !, évidemment.
Je sais, je sais,
mais c'est un film qui m'a tellement enchanté, qui m'a marqué.
Oh, et le Grand Choral de Georges Delerue !!!!!
Action, avant d'être vulgarisé sur les plateaux de tournage, était un mot... religieux !
On parlait d'acciun de grâce, au début du XIIème.
Acciun, emprunt au latin chrétien āctiō, “fait de rendre grâce...”, même si en latin, āctiō pouvait déjà signifier l'action (le fait d'agir), une action en justice, le fait de gesticuler en parlant, ou même l'action, la trame d'une pièce de théâtre, par exemple.
Āctiō était composé sur le supin de agō, āctum, suivi du suffixe -tiō (qui, lui, permettait de créer, à partir du supin d'un verbe, un substantif évoquant l'action du verbe, ou son résultat).
Quant au sens bassement financier du mot, très honnêtement, on ne sait pas trop d'où il vient.
Colbert l'emploie avec ce sens en 1669, certes, mais rien n'est très clair quand à l'origine de cette acception. On parle de l'influence du néerlandais aktie.
Mmmmwouais, mais chronologiquement, c'est difficilement défendable.
Sans acte, point de comédie (ou de drame).
Et ce n'est encore qu'un emprunt, cette fois au latin ācta, “registre des événements”, pluriel de āctum, “décret, loi”, participe passé substantivé de ...
(je dois vraiment le dire ?)...agō.
En ancien français, acte prend tout naturellement le sens juridique que revêtait le pluriel latin ācta, et désignera plus précisément un contrat entre particuliers.
Le sens général qu'on lui connaît à présent, celui de ce que l'on peut faire, ce que l'on fait, est nettement plus récent ! Du XVIème.
Quant à l'acception latine de pièce de théâtre, puis de partie d'une narration, elle ne sera reprise (empruntée, sans vouloir être méchant) qu'à la Renaissance, avec une attestation en 1533.
Acte se spécialisera alors, pour désigner la subdivision principale d'une pièce de théâtre.
Un peu plus complexe, j'en conviens, est l'apparition de notre actuel...
Accrochez-vous.
L'adjectif français actuel, elle, vient, lui, du latin tardif actuālis, dérivé du latin classique āctus, “agissant”.
En latin scolastique, cependant, le sens de āctus se transformera pour devenir "effectif" (en opposition à virtuel, potentiel).
Calvin en usera d'ailleurs en français, en parlant du péché actuel, par opposition au péché originel
- mais oui, sans péché, la religion, ce n'est pas très vendable -,et en médecine, le mot signifiera "qui produit son effet", ce qui engendrera son sens moderne, "qui agit", puis "qui existe au moment même" (ce dernier attesté au XVIIIème), peut-être aussi influencé par son dérivé ... actuellement.
Notre actuellement, qui signifiait, en 1337, dans la logique de acte, “en acte” (d'où "de fait", "en réalité"...), perdra en effet par la suite son sens premier, pour prendre alors la valeur temporelle que nous lui connaissons encore - attestée en 1372 -, “à l'heure actuelle, maintenant, de nos jours...”.
Mais revenons à actuel...
Que l'on retrouve, par exemple, en vieux français sous la forme actual, attesté au XIIème, dans l'expression médicale cautere actual, pour “cautérisation au fer chaud” (entendez cautérisation effective, efficace)
- qu'emploiera encore par ailleurs et pratiquement in extenso, sous la forme cautère actuel, le célèbre Ambroise Paré au XVIème, en moyen français.
Ambroise Paré, sans qui de nombreux CHU se retrouveraient tout simplement sans nom |
Mais voilà... !
Et tout se complique encore !!!
...
...
...
Entretemps,
Sous cette forme actual, et au sens de effectif,
le mot passera,
par l'anglo-normand,
en anglais, avec en gros le même sens : réel, effectif, efficace...
En conjugaison avec son étymon (son parent)
c'est plus compréhensible avec les sous-titres |
l'anglo-normand actual, donc, en conjugaison avec son étymon actuālis, donnera naissance à l'adverbe anglais... ... ... actually, au sens de “en fait, en réalité, à vrai dire, vraiment...”.
Sens qu'il a toujours euh...
je vous l'avais dit, qu'on resterait dans le monde du cinéma, aujourd'hui... |
Eh oui...
Voilà comment on crée de faux-amis.
Voilà pourquoi les pauvres francophones traduisent si facilement
- et si maladroitement -l'anglais actually par actuellement.
Les gros malins.
À la décharge des francophones - et surtout de certains Français qui aiment tant pester contre l'anglais, ce vil envahisseur
- je crois que les raisons profondes de cette franchouillarde haine que je qualifie d'irrationnelle vis-à-vis de l'anglais sont en réalité psychologico-historiques -,alors qu'ils n'en connaissent souvent réellement pas grand-chose, sinon le globish, que les Anglais eux-mêmes ne comprennent pas toujours,
à la décharge des francophones, donc, ajoutons que dans plusieurs langues européennes, les emprunts qu'a engendrés le latin tardif actuālis,
datant tous au moins du XIVème,ont, eux, repris le sens temporel qu'avait pris le mot français (maintenant, à l'heure actuelle)
- avec parfois, cependant, un léger glissement de sens, évoquant l'urgence, la pertinence -,pensons notamment...
- au portugais atualmente,
- à l'espagnol actualmente,
- à l'allemand aktuell,
- à l'italien attualmente,
- au tchèque aktuálně.
Tout ceci explique qu'énormément d'Européens
- maintenant, c'est facile, plus moyen de confondre Anglais et Européens, merci le Brexit -se trompent de la même façon quand il s'agit de comprendre ou d'employer l'anglais actually.
Forcément, je ne pouvais pas rater l'occasion.
Voici un extrait de Love actually,
qui, avec La Nuit américaine, et aussi Alexandre le Bienheureux,
et Excalibur (et quelques autres), est un de mes films préférés.
Ici, la séquence où il s'avère que Colin,
qui s'imagine qu'aux Etats-Unis, il aura plus de chance avec les filles,
avait parfaitement raison.
“Si tu veux, tu peux venir dormir chez nous.
Le seul problème, c'est que nous n'avons qu'un seul lit (et pas de divan),
et que nous n'avons pas les moyens de nous payer des pyjamas...”
PS : vous entendrez dans cet extrait Colin prononcer “actually” ; il s'agit d'un code narratif
- Wagner parlerait d'une sorte de leitmotiv -
présent dans chacune des trames que rassemble ce film si intelligent, et qui annonce l'histoire d'amour, au sens large, au sein de ladite trame.
Chères lectrices, chers lecteurs, à vous toutes et tous, un excellent dimanche, une belle semaine !
Frédéric
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
Une formidable découverte !
La soprano britannique Mary Bevan,
chante, accompagnée des merveilleux musiciens de
l'Academy of Ancient Music,
le célèbre, et sublime
Lascia la spina, cogli la rosa (Laisse l'épine, prends la rose),
tiré du tout premier (!!) oratorio de Haendel,
oeuvre allégorique où sont personnifiés le temps et la désillusion,
Il Trionfo del Tiempo e del Disinganno, HWV 46a
Et pourquoi avoir précisément choisi cela pour clôturer cet article ?
Avec toute la mauvaise foi dont je suis capable, je vous expliquerai que
le temps fait référence à actuel et son faux-ami actually,
et que
la désillusion est ce que devrait en toute logique affronter le pauvre Colin aux Etats-Unis, si Love actually n'était une oeuvre de fiction.
Mais, pour être franc,
cette interprétation, que je viens de découvrir, me touche,
et je voulais la partager avec vous, tout simplement.
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article suivant : et la statue de l'aurige, celle qu'on vient de retrouver à Delphes, on va l'appeler COMMENT ???
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