article précédent: et la loi de Verner, t'as lu ?
L'immuable conteur du mois nous fait apprécier le cas d'Ulysse. Ce n'est pas un mou troyen ! L'admirable Ulysse, sans calotte devant l'étrange Ithaque se mit à passer. Aux yeux des spectateurs se dévoilait la faune de l'humide Zante : le mouton boîte et les
petites chèvres attirent les colons.
Le Nouvel Album de la Comtesse: Contrepets parus dans «Le Canard enchaîné» de mars 1967 à juin 1979, suivis de leurs solutions figurées,
Cédric Comtesse
Bonjour à toutes et tous !
Je vous avoue que le blog me pèse. En fait, tout me pèse.
Mon vieux et adorable chien est en ce moment, et depuis samedi au matin, dans une clinique vétérinaire, pour une perfusion ; on vient de lui découvrir une insuffisance rénale.
Et j'ai le coeur lourd, et surtout pas la tête à l'indo-européen.
Emma, le plus gentil chien du monde. Ici, en compagnie de Monsieur Badger, samedi, peu avant de partir pour la clinique. Monsieur Badger qui partage son box à la clinique, d'ailleurs |
Bref.
J'ai failli déclarer forfait, pour ce dimanche.
J'en suis là, oui.
On verra pour la suite.
Oh, et pourtant, je peux m'estimer satisfait du blog: à ce jour, je compte 348 inscrits à la distribution des articles par mail (abonnement par mail), et 585 personnes suivent sa page Facebook.
Franchement, pour un blog des plus improbables, traitant de linguistique historique, de racines indo-européennes, je pense que ce sont des chiffres décents, ou plutôt même... ahurissants.
Et puis, et puis, il y a surtout, vous, vous ! Vous qui commentez, me faites des suggestions, m'écrivez, me dites que je vous fais rire, que vous appréciez les articles...
Merci !
Figurez-vous que j'avais contacté Guus Kroonen à l'occasion de the mote in thy brother's eye, article ardu, particulièrement technique, et qui m'avait fait voyager jusqu'aux confins de mes propres connaissances.
...To explore strange new worlds, to seek out new life and new civilizations, to boldly go where no man has gone before. |
Oui, n'étant pas assuré de ma compréhension de son entrée *ahanō- ~*aganō- dans son Etymological Dictionary of Proto-Germanic, je lui avais envoyé un mail.
Et il m'a répondu !!!!
Je connais certains linguistes qui vous prennent de très très (très) haut
(sauf quand il s'agit de promouvoir leur nouveau dictionnaire),et là
- un petit bonheur -,un véritable spécialiste, une des sommités actuelles en matière d'indo-européen, qui prend un peu de son précieux temps pour vous répondre, en se montrant plus que courtois, amical !
Et
- je garde le meilleur pour la fin -,il m'a confirmé mon interprétation de son article ...
Aaaah...
Allez, on y va.
La semaine dernière, avec les dérivés celtiques de notre *h₂eḱ-, “piquant, acéré”, j'avais reparlé du latin dialectal ocris, le second terme du composé medi-ocris, traité fin juillet.
Oui ?
“Le propre de la médiocrité est de se croire supérieur.” - La Rochefoucauld
Eh bien, en ce dimanche, celui-ci, je vous propose de revenir une nouvelle fois à cette forme *h₂óḱ-r-i-, “arête acérée”, à l'origine du latin ocris.
(Si vous aviez, là, maintenant, pris la peine d'aller relire l'article en question, dont je vous redonnais à nouveau, encore, une nouvelle fois le lien, je ne devrais pas vous préciser ce qui suit ; tirez-en vous-même toutes conclusions utiles.)
Mais soit...
Dans cet article, donc, je mentionnais que *h₂óḱ-r-i-, “arête acérée”
- pour rappel :
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
forme *h₂eḱ-ro-, “acéré”
⇓
forme dérivée *h₂óḱ-r-i-, “arête acérée”
⇓
proto-italique *okri-
⇓
latin dialectal ocris, “montagne escarpée” -,
latin dialectal ocris, “montagne escarpée” -,
*h₂óḱ-r-i-, “arête acérée”, disais-je,
par le proto-hellénique *ókris-,
nous avait donné l'ancien grec ὄκρις, ókris, “pointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”.
Oui ??
Eh bien, *h₂óḱ-r-i- se retrouve encore dans un autre nom, par ailleurs lui aussi composé.
Je vous laisse le chercher ?
Allez, je vous donne des indices, onze précisément, de plus en plus précis, sous forme de décompte.
Essayez de trouver avant le zéro, hein...
C'est parti !
11. Il s'agit de l'ancien nom d'un lieu, ainsi baptisé par les anciens Grecs.
---
10. Ce toponyme rappelait les trois caps distinctifs de ce lieu.
---
9. Si le toponyme, passé du grec par le latin, est maintenant obsolète, il désigne toujours l'emblème de ce lieu particulier...
---
8. Je vous parlais d'un composé : il s'agit ici de l'assemblage de deux termes
---
Cet emblème devrait vous rappeler, par la forme et par le sens, d'autres emblèmes, comme celui ...
7. de l'île de Man...
---
6. ou un symbole celtique bien connu...
Le symbole de l'île de Man ?
---
5. Ny Tree Casyn
(non, Ny Tree Casyn n'est PAS ma cousine ; était-ce vraiment nécessaire ?)
armoiries de l'île de Man (source) |
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Et ce symbole celtique bien connu ?
4. Oui, vous l'avez trouvé : il s'agit du ... triskell (ou triskel, ou même triskèle...)
(Ces deux symboles, nous en avions parlé en ces pages en 2015 :
action - réaction: inculquer - récalcitrer)
---
3. L'ancien toponyme que je vous fais chercher correspond à une île.
---
2. Une île faite de trois pointes.
---
1. Le nom actuel de cette île méditerranéenne triangulaire ?
La Sicile. Ben oui.
Son nom précédent, du temps des Grecs ?
---
0. Τρινακρία, Trinakría, littéralement trois pointes.
Pointes que sont les trois caps que l'on appelle aujourd'hui Peloro au nord-est, Passero au sud-est et Lilibeo à l'ouest.
Le latin a repris l'ancien grec Τρινακρία, comm' d'hab', et en a fait le calque Trinacria.
Nous le connaissons, en français, en tant que Trinacrie ou Thrinacie (que vous soyez respectivement d'humeur latine ou grecque).
Trinacria qui est toujours l'emblème de la Sicile, encore bien présent sur son drapeau...
Cette tête de femme est précisément celle de Méduse la Gorgone, ailée et - forcément - coiffée d'un nœud de serpents.
De cette tête jaillissent trois jambes fléchies, comme saisies en pleine course.
Ah oui ! Les épis de blé ont été rajoutés aux serpents par les Romains, à la fois comme symbole de fertilité et parce que la Sicile est le grenier à blé de Rome.
C'est du moins ce qu'en dit Wikipedia.
Incapables de créer le moindre nom sans le calquer sur le grec, mais à rajouter des épis de blé sans (strictement) aucun intérêt à une superbe représentation de Méduse, alors là, ils excellaient.
oui oui, cachez-vous. |
Mais... et quid de Sicile, alors ? Pourquoi a-t-on rebaptisé l'île ?
Trinacria c'était quand même très bien, non ?
'faut savoir que l'île deviendra romaine dès 241 av. J.-C., sous le nom de ... “Sicilia”.
On peut supposer que ce changement de nom était un acte symboliquement fort.
Par lui, les Romains marquaient leur nouveau territoire.
Et ce Τρινακρία, même latinisé en Trinacria, sonnait quand même toujours très... grec.
Alors, les Romains, toujours pleins de ressources (et d'imagination), baptisèrent l'île du nom d'un des trois peuples qui y habitèrent à partir du IIe millénaire
(av. J.-C, pour les non matheux et/ou ceux qui ont séché trop de cours d'Histoire).
il y a aussi ceux qui affirment que la Terre est plate... |
Alors, voyons voir ... on y trouvait les Sicanes, les Sicules et les Élymes...
Wikipedia m'impose de mettre ce texte immonde en légende, appréciez : Par Soprani — Self-published work by Soprani, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2875060 |
Bah, créons le nouveau nom sur “Siculi”, d'accord ?
(“Sicules”, faut-il le préciser ? - Sicels en anglais)
Ainsi fut fait.
Ce qu'ils avaient oublié, ces braves Romains, c'est que le terme Siculi lui-même n'était qu'une pâle, minable copie du grec ... Σίκελος, Síkelos, le pluriel οἱ Σικελοί, oi Sikeloí désignant précisément ces Siculi, ces Sicules, et à la grecque, Sikèles).
Et le latin Sicilia n'était lui qu'un calque du grec ancien Σικελία, Sikelía, évidemment construit sur Σίκελος, Síkelos.
On ne sait pas grand-chose de ces Sicules, mais on les soupçonne quand même d'être d'origine indo-européenne...
On pense aussi que pour des raisons parfaitement compréhensibles, à un moment de leur Histoire, et pour mettre fin aux continuels quolibets dont les affublaient sottement les Sicanes et les Élymes, ils modifièrent leur nom, en remplaçant le préfixe original en- par cet ingénieux si-.
Sachez encore que la mention la plus ancienne des Sikèles remonte à l'Odyssée : c'est une vieille Sicule qui s'occupe du père d'Ulysse, à Ithaque.
(' vous fatiguez pas, 'y a pas de contrepèterie)
En italien, enfin, le terme siculo est toujours synonyme de siciliano.
D' où le jeu de mots sicula mente (sicuramente étant assurément ; sicula mente se traduisant par esprit sicilien, à la sicilienne)
Tiens, ça me rappelle le logo de la Province de Luxembourg, qui fait rire le reste de la Belgique...
Et donc,
*h₂eḱ-, “piquant, acéré”
⇓
forme *h₂eḱ-ro-, “acéré”
⇓
forme dérivée *h₂óḱ-r-i-, “arête acérée”
⇓
proto-hellénique *ókris-
⇓
ancien grec ὄκρις, ókris, “pointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”
⇓
ancien grec ὄκρις, ókris, “pointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”
⇓
composé toponymique Τρινακρία, Trinakría, litt. “trois pointes”, désignant la Sicile
et aussi (bah, tant qu'à faire),
grec ancien Σίκελος, Síkelos (au pluriel οἱ Σικελοί, oi Sikeloí), “Sikèles”
⇓
grec ancien Σικελία, Sikelía, “Sicile”
⇓
calque
⇓
latin Sicilia
À toutes et tous, un excellent dimanche,
portez-vous bien !
Frédéric
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Attention,
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
rien à voir avec de quelconques Sicels, mais bien avec une Sissel.
La chanteuse norvégienne Sissel Kyrkjebø,
à la voix si délicate, si cristalline,
nous interprète Unchained Melody.
En ré-écoutant ces paroles,
je me suis dit qu'on pourrait même croire cette chanson écrite comme
un échange entre Ulysse et Pénélope...
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6 commentaires:
Toujours aussi passionnant
Et musique ou chant final, c'est toujours aussi beau !!
J.C.Tournier
Haut les cœurs ! Et merci d'avoir écrit cette semaine.
Excellent. Merci
courage pour votre mignonne chienne et merci pour vos toujours passionnants articles
Excellent comme d'habitude !
Merci à vous tous pour vos gentils mots ! MERCI !
Frédéric
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