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dimanche 29 septembre 2019

question épineuse








L'amour est une rose, chaque pétale une illusion, chaque épine une réalité.

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire,
9 avril 1821 - 31 août 1867

















Bonjour à toutes et tous !



Dites voir...

Vous n'en avez pas marre, vous, des dérivés germano-celto-balto-slaves d'une absconse racine proto-indo-européenne pleine de*h et de ḱ-, qui plus est, vieille de plusieurs milliers d'années et qui doit certainement empester la naphtaline ?


Revenons à des choses simples.


(Allez quand même expliquer à un Belge que son jambon, vous le mettez dans un torchon. 
Là, clairement, on ne parle pas la même langue...)
c'est ÇA, pour moi, un torchon


Le latin, 'y'a qu'ça d'vrai, non ?

Enfin, notez, il faudrait d'abord s'entendre sur ce que c'est que le latin, car n'allez jamais croire que vous apprenez le latin à l'école. Vous apprenez en réalité une langue ... écrite ! Et nous savons, rien que par les auteurs latins eux-mêmes, que le latin parlé n'était pas le même d'une ville à l'autre...

Vu d'ici, ou plutôt vu de maintenant, le latin nous apparaît comme un socle fixe, fait d'un seul tenant, et n'ayant pratiquement évolué. Une valeur sûre, quoi.

Bref.


Quoi qu'il en soit, je vous propose de goûter à un mot bien français, que nous a livré notre cher latin, que ce dernier fût polymorphe, non-binaire ou quoi ce que soit d'autr.e(s).  



Notre délicieuse *heḱ-, “piquant, acéré” est à l'origine du latin ăcŭs, “aiguille”...


l'Aiguille du Midi



Quoi, vous ne le saviez pas ????!!!

Mais... Je vous l'avais dit, pourtant !




Comment osez-vous ? Vous m'avez volé mes rêves et mon enfance !
(ce n'est pas Anne Frank, qui a dit ça ? Non ?? Oups, pardon)


Ah là là !

Allez, relisez donc cet article fondateur, par lequel allait commencer notre étude de *heḱ-:
du vin au vinaigre...
*heḱ-“piquant, acéré”
forme *heḱ-u-“pointu”
proto-italique *aku-

radical latin acu-, “acéré”
latin ăcŭs, “aiguille” ...



Oui, ça y est, ça revient ?

Maintenant, partons à la découverte de ce joli mot français issu de notre bon vieux latin...




Sous forme d'énigme, tiens !

En dix indices, trouvez le mot avant 0 !


Et... TOP !




10. Le mot que nous recherchons descend d'un dérivé latin de ăcŭs, “aiguille” .


9. Ce dérivé était construit plus précisément sur le diminutif de ăcŭs, dont la définition était tout simplement et en toute logique ... “petite aiguille” ... 


8. Le diminutif en question, c'était ... acula.



7. Quant au dérivé dont je vous parle, il s'agit, construit sur acula, du substantif masculin aculeus, “aiguillon, dard, piquant”. 


6. En latin classique se formera sur aculeus un adjectif, pour “qui a des aiguillons, des piquants...” : aculeatus.

Une idée du mot français sur lequel débouchera ce aculeatus ?





Allez, on poursuit...


On ne peut expliquer l'ancien français duquel découlera notre mot que par des formes non attestées, mais évolutions on ne peut plus logiques de 
aculeatus.

5. Ainsi, on suppose un *aculentum, “muni d'épines”.





4. En latin populaire, ce *aculentum se serait altéré en ... *aquilentum (de même sens).


Alors, une idée, mmmh ? 

Non ? 



Bon, on poursuit...


3. En ancien français, *aquilentum deviendra ... aiglent.

Et là, vous devriez apercevoir le mot à trouver...

2. D'autant plus si je vous dis qu'il s'agit d'un nom d'arbre...




Oui, ça y est ??


1. Notre mot mystère, déjà attesté en 1080, dérive de l'ancien français aiglent par l'adjonction d'un suffixe: -ier.


0. Et là, vous découvrez ce mot en majesté ! 




Églantier, attesté en 1080 sous la forme eglenter.


Églantier, nom que l'on donne à un rosier sauvage.





Reprenons depuis le début :




*heḱ-“piquant, acéré”
forme *heḱ-u-“pointu”
proto-italique *aku-

radical latin acu-, “acéré”
latin ăcŭs, “aiguille”
diminutif acula, “petite aiguille
substantif masculin aculeus, “aiguillon, dard, piquant
adjectif aculeatus, “qui a des aiguillons, des piquants...
*aculentum, “muni d'épines
altération formelle
latin populaire *aquilentum
ancien français aiglent
eglenter (1080)
français églantier



Mais, et églantine, alors ?

Églantine, désignant la fleur de l'églantier, s'est créé sur l'adjectif aiglentin, dérivé direct de ... aiglent.

Le mot est attesté bien plus tard - en 1560 ! -, sous la forme englantine, puis en 1600, en tant que esglantine, et représente le féminin substantivé de l'adjectif original aiglentin...






Et donc, que cela soit bien clair !

Églantine, adorable prénom féminin, ne désigne absolument pas
[Ex- + gland]
une femme castratrice, qui ôterait la virilité de son compagnon ou de son fils
(et/ou de son fils, si elle est du Nord).

Chères Églantines, l'étymologie vient enfin à votre rescousse, et vous lave de ces calomnieuses accusations.


Eglantine Éméyé


Et donc, vous qui avez épousé une Églantine ou avez eu une mère portant ce joli prénom, et qui n'êtes qu'une grosse et pauvre larve pitoyable et mollassonne, ce n'est qu'à vous-même que vous pouvez vous en prendre, pour cette absence d'allant masculin qui vous caractérise.



chiffe molle



Ah oui ! 

Par métonymie, églantine, adjectif invariable, qualifie également une couleur, rose pâle.


accessoire de couleur églantine




Oh, merci à vous toutes et tous qui vous êtes manifestés pour prendre des nouvelles de mon bon chien, pour me donner du courage !



MERCI !!


Emma est rentrée à la maison, après trois longs jours à la clinique.
Les “marqueurs” testés ont baissé ; le traitement a donc bien fonctionné, ouf !
Seul le taux d'urée est encore légèrement trop élevé, mais bon...





À toutes et tous, je vous souhaite un excellent dimanche, 
portez-vous bien !





Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Un Bach ... enjoué !

Gai, soulagé, heureux !

On pourrait presque ici l'accuser de plagiat,
tant le ton qu'il prend, si léger, si plein d'allant,
rappelle le prodigieux Grand Choral, de George Delerue




Voici... 

la Cantate BWV 29
Wir danken dir, Gott, wir danken dir,

par  la 
J.S. Bach Foundation




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2 commentaires:

LeScrat a dit…

Merci Frédéric pour ce Dimanche surprenant! Et qui portera sûrement chance à Emma car l'églantier appartient à l'espèce rosa canina, cousine de la rosa acicularis .

Ben oui, aciculaire : mince et allongé, en forme d'aiguille ou de prisme aminci (merci le CNRTL!).

Et pour ceux qui auraient perdu leur latin.. un petit rappel https://www.youtube.com/watch?v=Ja4tVPCDQco

Belle semaine à toutes et tous!

Unknown a dit…

Merci pour ce régal...votre humour me va droit aux neurones...