article précédent : et... coupez !
“Qu'était-ce que les Saxons ? Des Angles : Angles, ainsi qu'ils s'appelaient eux-mêmes ; Saxons, ainsi que les appelèrent, d'après les Francs, les indigènes de la Bretagne, l'île du Nord-Ouest de l'Europe, envahie particulièrement par eux, au Ve siècle.”
Petite philologie, les mots anglais (1877),
Stéphane Mallarmé
En ce dimanche 22 novembre 2020, nous poursuivons, mes amis, l'étude des dérivés de la prolifique racine proto-indo-européenne...
*sek-, “couper” !
**********
racine proto-indo-européenne *sek-, “couper”
⇓
adjectif & nom indo-européen *sek(h₂)-no-, “coupe, coupé”
⇓
proto-italique *sekno-, “statue, signe”
⇓
latin sīgnum, “marque, signe...”
⇓
deuxième terme de l'adjectif in-signis, “qui a un signe particulier”, “remarquable, insigne...”
⇓
verbe īnsigniō, “mettre une marque, signaler, distinguer, désigner”
⇓
altération
⇓
latin médiéval *insignāre
⇓
ancien français enseignier, “faire connaître par un signe” (1050)
⇓
extension du sens (entre 1165 et 1170)
⇓
“instruire (quelqu'un)”
⇓
glissement de sens
⇓
“apprendre à quelqu'un” (vers 1200)
⇓
moyen français enseignier
⇓
français enseigner, “enseigner que” et “transmettre des connaissances à (un élève)” (fin du XVIIème)
⇓
emploi absolu, pour “être enseignant” (fin du XVIIIème)
⇓
participe présent
⇓
français enseignant, “qui enseigne”, 1762
sens spécialisé : Église enseignante (1771)
⇓
corps enseignant (1806)
⇓
substantivation
⇓
enseignant, enseignante (1865)
**********
**********
latin sīgnum, “marque, signe...”
⇓
diminutif
⇓
sigillum, “figurine, statuette”
⇓
latin classique sigillatus, “orné de figurines”
⇓
bas latin sigillatus, “(en parlant d'une étoffe :) orné de figurines”
⇓
emprunt
⇓
grec byzantin σιγιλλᾶτος, sigillâtos
⇓
emprunt
⇓
arabe siqlat
⇓
emprunt
⇓
persan سقرلاط, saqirlāt, “étofffe d'écarlate...”
⇓
emprunt
⇓
latin médiéval scarlatum / scarlata, “drap ou étoffe écarlate, de couleurs éclatantes”
⇓
emprunt
⇓
**********
Nous savons que l'anglais design, nos français désigner, dessein, dessin, dessiner, ou encore l'italien disegnare en dérivent,
enseigner le design ? À dessein ?, 8 novembre 2020,
Enfin, nous savons que par un autre descendant latin de notre jolie *sek-, “couper”,
le latin secō, secāre (au sens générique de “couper”, pour faire simple),
nous arrivent nos secteur, sécateur, scie, insecte et sexe,
et que c'est toujours à *sek- que l'on attribue la paternité de l'étymon slave *sěkti-, “couper, tondre”, dont proviennent, par exemple,
- le vieux slavon d'église сѣщи, sěšti, “ couper”,
- le russe се́чь (“cietch”), “tailler en pièces”,
- le tchèque síci, “tondre”,
- le bulgare seká, “hacher”, ou encore
- le russe секи́ра (sekíra), “hache”.
râpé ou pas râpé ?, 10 février 2019
🜛🜛🜛
C'est déjà pas mal, tout ça, non ?
Rappelez-vous que nous sommes partis d'un mot très commun
- même s'il désigne des personnes au rôle tellement fondamental -,
“enseignant”.
En ce beau dimanche de novembre, nous nous intéresserons aux dérivés germaniques de notre ravissante *sek-, “couper”.
Et comme vous pouvez vous en douter
- si tout au moins vous me suivez depuis un certain temps -,
c'est le formidable dictionnaire de Guus Kroonen,
Etymological Dictionary of Proto-Germanic,
qui nous servira de fil rouge tout au long de ce chapitre germanique de notre étude.
Guus Kroonen, qui, en plus d'être un remarquable expert en son domaine, est aussi simple d'accès et à l'écoute des passionnés... |
le dictionnaire en question |
L'un des étymons proto-germaniques issus de *sek-, “couper”, le plus criant, voire le plus prévisible, pourrait être...
le féminin germanique (non attesté, hein) *sagō-.
Ah là là, je vous vois déjà venir.
NON (NON et NON), ce *sagō- scie
- enfin, je veux dire ce *sagō-ci -
ne donnera PAS le vieux norois saga. Tout était déjà dit fin mars 2015 :
Notre *sagō-, “scie”, se retrouve, lui, dans le vieux norois (oh oui oh oui)... sǫg, “scie”.
C'est aussi simple que cela.
En descendront notamment...
- le danois sav, “scie à lame dentée”,
- l'islandais sög, “scie”,
- le norvégien (tant Bokmål que Nynorsk, ce qui ne gâte finalement rien) sag, “scie, scierie”,
- le suédois såg, “scie à lame dentée, scierie”,
ou encore
- le féroïen sag, “scie à lame dentée (particulièrement destinée à éventrer / lacérer / déchirer toute peau de mammifère marin)”
(cette dernière définition étant, évidemment, spécialement imaginée pour Monsieur X ; relisez donc et dans le bassin du Tarim, on massacre aussi les bébés-phoques ?. Je sais, je suis très taquin.)
Pour ce qui est des langues germaniques occidentales, à présent, cet étymon *sagō- y sera également à l'origine, entre autres...
- du vieil anglais sagu, qui deviendra le moyen anglais sawe / sawgh, dont est issu l'anglais saw, “scie”,
- du moyen néerlandais sage (toujours “scie”), d'où le néerlandais zaag, “scie”,
et
- du vieux haut allemand saga / sega, dont découlera, par le moyen haut allemand sage, l'allemand Säge (toujours, et sans surprise, “scie”).
De la scie, on passe tellement vite au couteau, d'autant plus dans le domaine de l'étymologie, ne trouvez-vous pas ?
À côté de l'étymon germanique *sagō-, “scie”, nous retiendrons son comparse, le neutre *sahsa-, “couteau” .
- En - oh oui oh oui - vieux norois, il donnera... sax, “couteau court, ciseaux”
D'où...
- l'elfdalien (ou dalécarlien, si vous insistez à ce point, oh !) saks, “ciseaux”,
l'alphabet elfdalien (on l'apprenait jadis en traçant ces runes au couteau sur le corps des moines chrétiens, processus lent et difficile, les moines n'étant franchement pas toujours très coopératifs) |
Toujours du proto-germanique *sahsa- seront issus (par un étymon proto-germanique occidental dérivé que l'on reconstruit en *sahs-)...
- le vieil anglais seaxh, “couteau”, dont descendra le moyen anglais sexe / sex / sæx, seax, “couteau” (l'arme ou l'outil),
- d'où l'anglais zax, qui désigne une hachette de couvreur, et
zax |
- l'anglais sax, qui désigne, lui, un marteau de couvreur, ou qui, dans un emploi obsolète, désignait bien un couteau, une dague,
- le vieux frison sax, “couteau, épée courte, dague”, d'où - soyons fou - le saterlandais Soaks, “couteau”,
(pour rappel, le saterlandais se parle dans la commune allemande de..., de... OUI ! Saterland, comme l'explique si bien ce remarquable article du Wiktionary qui sait admirablement bien choisir ses sources :
(source) |
on raconte que les intimes de Frison-Roche l'appelaient Steen, car Steen, c'est Roche en vieux frison. (En toute honnêteté, je doute de la véracité de l'anecdote.) |
Enfin, et toujours issus du germanique *sahsa- via la forme germanique occidentale dérivée *sahs-, citons...
- le vieux haut allemand sahs (toujours “couteau”).
- Excellente remarque ! (Vous allez bien, Monsieur Ucon ? - vous êtes sûr ? Vous ne voulez pas un petit remontant ? Vraiment ? Vous êtes bien... vous-même ?)
Eh bien OUI, notre français Saxon n'est qu'un mot savant recopié sur le bas latin Saxo, Saxonis, “habitant de la Saxe”, lui-même latinisation d'un mot germanique créé sur notre proto-germanique occidental *sahs-.
Oooh... [séquence... - expiration - émotion... - expiration -], nous avions ce 33 tours à la maison, que j'ADORAIS |
Il semble donc que les Saxons étaient connus comme ceux du couteau, réputés pour leurs couteaux, arme caractéristique de leur tribu...
Curieusement - on raconte qu'il s'agissait surtout pour lui de ridiculiser les linguistes qui, selon lui, se la pétaient un peu trop -, John Saxon se battait toujours mains nues |
Mais où en étions-nous, maintenant ? Ah oui : “Il semble donc que les Saxons étaient connus comme ceux du couteau, réputés pour leurs couteaux, arme caractéristique de leur tribu...”
Oh, à cela, rien de choquant !
N'attribue-t-on pas à une autre tribu germanique très bien connue (celle des Francs, pour ne pas la nommer) une arme tout aussi caractéristique ? Le scramasaxe.
scramasaxes mérovingiens (source) |
Scramasaxe, vraisemblablement du vieux bas francique *scrâmasahs, littéralement “couteau qui entaille”, composé de...
- scrama- construit sur le vieux bas francique (non attesté) *skramō, “balafre”,
- *sahs-, “couteau”, ben oui.
Pour l'anecdote (et pour me la péter un peu), le Dieu des Saxons, c'était, selon les sources retrouvées, Seaxnēat / Seaxnet / Saxnōt.
Le vieux saxon Saxnōt est d'ailleurs attesté dans un vœu baptismal
(un engagement pris au moment du baptême)
figurant dans un manuscrit du IXème (!) retrouvé dans la bibliothèque d'un monastère de Mayence.
Dans ce vœu baptismal,
connu également comme Le vœu baptismal d'Utrecht ou spécialement comme Le vœu baptismaleuh d'Utrektaan par la presse télévisée parisiennaan, ou même sous l'expression latine si subtile Abrenuntiatio Diaboli (Renoncement au Diable !!),
dans ce vœu, disais-je, sont repris, aux côtés de Saxnōt, les noms de deux autres dieux du panthéon germanique, et pas des moindres : Uuoden (Odin) et Thunaer (Thor).
Le grand
- que dis-je, l'illustre -
Jacob Grimm comprenait ce nom Saxnōt comme composé de l'élément *sahs..., “couteau, dague...” et de (ge)-not, (ge)-nēat, “compagnon” (pensez à l'allemand Genosse, “camarade”).
Pour Grimm, donc, ce nom Saxnōt signifiait “compagnon du glaive”, et il y voyait une épithète du Dieu germanique Tyr (connu aussi comme Tiwas ou Zio).
D'autres linguistes, plus récemment, ont plutôt associé ce Saxnōt à Freyr.
Ah oui, encore une chose !
En ancien français, on n'utilisait pas ce savant Saxon. On lui préférait un autre mot roman, populaire, issu, lui, du latin Saxo, Saxonem : Saisne.
Saisne, comme dans la Chanson des Saisnes, cette chanson de geste contant la guerre entre Charlemagne et les..., les..., les... Saxons.
L'auteur en était ce bon Jean Bodel Bocassa ; il dut l'écrire avant l'an 1200.
Chanson des Saisnes |
Il y a gros à parier que c'est ce Saisne que l'on trouve dans le nom de famille normand Lecesne (parfois orthographié différemment).
Il y avait un Lecesne dans l'Expédition d'Égypte
- on parlera plus volontiers d'Expédition d'Égypte pour Campagne d'Égypte quand on ne veut pas trop insister sur les aspects belliqueux, impérialistes et sanglants de ladite Compagne -
qui aida même à la réalisation de la carte de la Basse-Égypte, excusez du peu...
Je pense ici à l'ingénieur géographe Bienheureux (Désiré François Réel) Lecesne, qui naquit le 28 janvier 1771 à Falaise et mourut le 29 septembre 1827 (à Arras).
Sur ce,
Passez un excellent dimanche, et une très belle semaine.
À dimanche prochain ?
Et surtout, surtout, portez-vous bien.
Frédéric
******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
******************************************
Et pour nous quitter en beauté...
les remarquables chanteurs de
VOCES8
nous interprètent le
Magnificat primi toni
(à huit voix, ce qui tombe assez bien),
de Giovanni Pierluigi da Palestrina
******************************************
Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
- vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par email dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou
- liker la page Facebook du dimanche indo-européen : https://www.facebook.com/indoeuropeen/
******************************************
article suivant : Ne JAMAIS promener un étymon germanique sans laîche
8 commentaires:
Vraiment magnifique !
Bonjour Frédéric,
C'est certainement un petit oubli, mais il n'y a pas qu'en elfdalien que saks se dit saks : aussi en norvégiens (les deux), en danois, en suédois (avec la graphie sax) et enfin, en féroïen où saksur a tout naturellement pris le sens de "outil comportant deux lames mobiles articulées qui glissent l'une sur l'autre pour trancher les matériaux minces, en particulier la peau de mammifère marin)".
Bon dimanche, porte-toi bien !
:-) Grand merci !
Bonjour Pierre,
Ouiiii ! J’avais zappé les autres dérivés nordiques, et j’ai raté le feroïen, plus vrai que nature ! :-)
Et dire qu’on m’accuse d’exagérer le trait ! ;-)
Grand merci, Pierre, passe un excellent dimanche !
Cher Frédéric, vous vous êtes surpassé!
Oh, merci !
Bonjour Frédéric !
Ben ça! Je ne m'imaginais pas voyager jusqu'en Egypte! Je m'attendais plutôt à faire un petit détour dans les comtés du Wessex, du Middlesex voire du Sussex.
Merci pour cet excellent article. Très beau dimanche à toi. Porte-toi bien
:-) Bonjour, et merci, @LeScrat !
C'est vrai que j'aurais pu à nouveau parler des comtés anglais en -sex, mais bon, la matière était tellement riche...
Passe un bon dimanche !!
Et de même, porte-toi bien.
Enregistrer un commentaire