article précédent : Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris
Au coeur de l'hiver 1328, lorsque meurt Charles IV sans laisser de garçon, une assemblée de notables rejette à son tour les prétentions au trône d'Isabelle de France, pourtant seule descendante encore en vie de Philippe le Bel au profit de son cousin, Philippe VI de Valois.
Le 25 juin 1593, le Parlement de Paris rend un arrêt qui exclut cette fois de la succession l'infante Isabelle, petite-fille d'Henri II, laissant le trône de France au futur Henri IV, cousin de son prédécesseur.
Tous les arguments ont été bons pour justifier cette exclusion.
La nature : « C'est office viril que d'être roi de France », affirme Jean Jouvenel des Ursins, conseiller de Charles VII.
La coutume : « Les lys ne filent pas. »
La religion : seul un homme peut recevoir les huiles sacrées.
L'histoire avec « la loi française de la succession en lignée mâle ».
Et dans tous les cas une extrême mauvaise foi : pour être roi il faut avoir « bon et entier jugement de raison ».
On a même été, au XVe siècle, jusqu'à falsifier - de bonne ou de mauvaise foi, la question reste entière - un texte très ancien remontant au VIe siècle et à Clovis, la loi salique, pour justifier, a posteriori, une généalogie exclusivement masculine du pouvoir monarchique.
Extrait d'une publication de Catherine Chatignoux
dans Les Echos, 5 novembre 1999
De bien mauvaises langues racontent que
Catherine Chatignoux n'aurait écrit cet article que pour y placer hiver et salique.
Je n'y crois guère.
Un petit point ne sera pas du luxe, mmmh ?
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Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique
hiems, hiemis, “hiver, tempête”
, en descendait, avec, à sa suite,- les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
- l'adjectif latin classique hibernus,“hivernal”, et
- son emprunt en français, hiver.
D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021
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Le 19 décembre, nous passions en revue quelques-uns des emprunts laissés par le latin hibernum dans les langues romanes :
- le roumain iarnă,
- le catalan hivern,
- l'occitan ivèrn,
- le normand hivé,
- le wallon ivier,
- l'asturien iviernu, hibiernu,
- le piémontais invern,
- le dalmatien inviarno,
- l'talien inverno,
- le sicilien nvèrnu,
- le portugais inverno,
- l'espagnol invierno,
- le romanche enviern.
Nous avons ensuite traité de la descendance de la forme *ǵʰ(e)i-m-,
“hiver”, e
n grec ancien avec :- χεῖμᾰ, kheîma, “hiver, froid, gel, tempête”,
sur lequel se sont construits :
- χειμών, kheimón, “hiver, souffrance, détresse”,
- χιών, khiốn,“neige, neige fondue, eau glacée”, d'où
- Χιόνη, Khiónê, Chioné, déification de la neige,
- χίμαιρα, khímaira, chimère.
Nous avons enfin mentionné quelques mots germaniques désignant bien l'hiver, mais ne descendant pas de *ǵʰ(e)i-m-,
“hiver” :
- le gotique wintrus,le vieux norois vetr, d'où le féroïen vetur,
- l'elfdalien witter,
- le vieux frison winter,
- le néerlandais winter,
- le vieil anglais winter,
- d'où l'anglais winter.
Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021
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Le 26 décembre, nous avons entamé l'étude des dérivés germaniques de notre *ǵʰ(e)i-m-,
“hiver”, avec...
- Le vieux norois gœ, “fin de l'hiver”, d'où...gói,
- l'islandais góa, “fin de l'hiver”,
- le norvégien nynorsk gjø, go, “fin de l'hiver”,
- le féroïen gø, “fin de l'hiver”,
- le composé vieux norois gómánaðr, “mois de la fin de l'hiver”, d'où...
- le vieux suédois göyomånat, “février”, dont est issu...
- le suédois désuet göjemånad, “février”.
Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris, 26 décembre 2021
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Chers amis lecteurs, en ce premier dimanche de cette nouvelle année
- eh oui, ça passe vite, trop vite, bien trop vite -,
nous allons poursuivre et terminer cette petite escapade en pays germaniques débutée la semaine dernière. Disons-le tout net : l'année dernière.
Bien entendu, c'est encore Guus Kroonen qui nous servira de guide.
Vous vous le rappelez forcément, les premiers dérivés germaniques que nous avions abordés descendaient de l'indo-européen *ǵʰi-ōm, une forme de degré zéro dérivée de notre *ǵʰ(e)i-m-.
Avertissement : les lignes qui suivent ne s'adressent qu'aux plus grands malades d'entre vous ; si vous êtes normalement constitué, vous pouvez les zapper allègrement.
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Je ne vous le cacherai pas plus longtemps, ce *ǵʰi-ōm est un nominatif.
Un nominatif, certes, mais... secondaire. C'est du moins ainsi que le qualifie Kroonen, sans beaucoup de tact, il faut bien l'admettre.
Secondaire, car *ǵʰi-ōm, forme de degré zéro, dérive d'un autre nominatif, de degré plein et de timbre e : *ǵʰéi-ōm, qui, au génitif, donnait *ǵʰi-m-ós.
Vous remarquerez donc avec moi que c'est un degré zéro que le beau nominatif de degré plein *ǵʰéi-ōm donnait au génitif : *ǵʰi-m-ós. (Vous voyez la voyelle-pivot e dans le radical de *ǵʰi-m-ós, vous ? Eh ben voilà.)
Si je vous dis tout ça, c'est parce que Kroonen explique la formation de ce nominatif secondaire *ǵʰi-ōm par la généralisation du radical de degré zéro
*ǵʰi-m-, qui n'apparaissait primairement qu'au génitif.
Euh, je résume tout ça, et étoffe par là-même le schéma de la semaine dernière :
mot indo-européen
*ǵʰ(e)i-m-, “hiver”
⇓
nominatif (degré plein) *ǵʰéi-ōm / génitif (degré zéro) *ǵʰi-m-ós
⇓
généralisation du radical de degré zéro *ǵʰi-m-
⇓
nominatif secondaire de degré zéro *ǵʰi-ōm
, “hiver”
-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-
- Mais ?? Mais vous êtes fou, Blondieau !? Et en quoi diable cela peut-il nous intéresser ?
- Monsieur Ucon !? Bien le bonjour. Je peux difficilement juger de ma propre folie, même si je ne vous donne pas totalement tort. Mais j'explique ci-après en quoi cela peut vous intéresser...
Mais avant tout, savez-vous qui étaient les Francs Saliens ?
Oui, bien avant l'Euro, il y avait les Francs.
À l'origine, ces
Francs Saliens vivaient du côté de l'embouchure du Rhin.Ils devaient être presque tous chauves, pour que l'on doive désigner par Clodion le Chevelu leur chef de l'époque, qui, vers le milieu du Vème siècle, les conduisit victorieusement en territoire romain pour s’emparer du Cambrésis et de l’Artois méridional.
(leur déplacement depuis l'embouchure du Rhin jusqu'en Gaule belgique fut grandement facilité par la présence d'une immense flèche jaune) (source) |
C'est là
- dans le Cambrésis et l’Artois méridional, on suit -,
que Clodion le Chevelu, probablement entre deux baumes démêlants, brushings ou autres décolorations, fonde un petit royaume franc tout mimi, dont héritera... Clovis, ZE Clovis, et qui sera, comme vous le savez, l’embryon du futur Royaume de France.
(Pour l'étymologie de Clovis, c'est ici que ça se passe : - Ludwiiiiiig !, pour la nième fois ! - Aber... Was ?)
(j'adore ces planches, qui me rappellent l'école primaire) |
Vous connaissez la suite.
Comme diraient très élégamment les Anglais, the rest is history.
- Euh, mais pourquoi les traiter de Saliens, ces Francs ?
- Excellente question. Plusieurs hypothèses sont en lice, mais je pencherais, avec Alain Rey, pour celle qui veut que leur dénomination corresponde tout simplement à l'endroit où ils étaient établis originellement, sur les rives d'un affluent du Rhin, la rivière Sala (aujourd'hui, Yssel, ou IJssel, aux Pays-Bas).
Remarquez que pour les mêmes raisons, on eût pu les traiter de Francs Mal Embouchés ; ils ont donc gagné au change.
Notons encore que l'adjectif salique, emprunt savant
- de 1380, quand même -
au latin médiéval salicus, dérive du bas latin Salii, désignant les, les, les... OUI ! les Francs Saliens.
C'est dans l'expression loi salique, ce recueil de lois des anciens Francs Saliens, que l'adjectif apparaît pour la première fois
(il fallait cent anciens Francs Saliens pour faire un nouveau Franc Salien).
Une disposition, perdue parmi les soixante-cinq titres de ce code législatif, excluait les femmes de la succession à la terre (en revanche, elles obtenaient les biens meubles).
Rien à voir, donc, avec une quelconque succession du royaume ; il ne s'agissait que des biens du clan familial).
Et ces braves Francs Saliens parlaient le, le... francique.
Ou plus exactement, le vieux francique.
Ou encore mieux, pour le rattacher aux dialectes bas allemands dont il fait partie : le vieux bas francique.
Pour savoir pourquoi l'on parle de bas allemand, je vous propose de lire ou relire cet article du 11 juillet 2021 : “Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.”, Voltaire
Si vous savez tout ça, alors nous pouvons
- enfin -
passer à la suite.
Vous resituez ce fameux radical
de degré zéro *ǵʰi-m- ?
Eh bien, c
'est précisément par ce radical du génitif (oui oui,
de degré zéro) *ǵʰi-m- que l'on peut reconstruire le composé vieux bas francique (ici latinisé) in-gimus.
Le vieux bas francique ingimus désignait un animal d'un an.
Tout comme le vieux bas francique tuigimus désignait un animal de deux ans.
Toffee vient d'avoir un an |
Ouiii, vous avez fait le lien !
C'est la même construction que l'on retrouve...
- en latin, avec bīmus, “âgé de deux ans” (D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?),
- en grec ancien, avec χίμαιρα, khímaira, “(jeune chèvre) âgée d'un an (à sa première mise bas)” (Avec le vent du nord...).
Notez enfin qu'en néerlandais dialectal, nous pouvons encore retrouver cette même construction, mais utilisant cette fois le mot spécifiquement germanique pour hiver, winter
- allez, on relit Avec le vent du nord... -,
où un un bœuf, une vache... de l'année se dira enter, contraction de
eenwinter (een-, “un” et winter).De même pour un bœuf, une vache... de deux ans, twenter étant la contraction de tweewinter, littéralement “deux hivers”.
Sur ce, amis lecteurs,
Je vous souhaite un excellent dimanche, ainsi qu'une bonne première semaine de 2022 !
Je vous réitère mes voeux pour cette nouvelle année,
Qu'elle vous comble.
Portez-vous bien.
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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,
Un morceau d'un compositeur germanique...
Voyons, voyons...
Mais oui, je vous propose du Bach.
Un moment de triste recueillement, d'intime réflexion,
de retour sur soi,
sobre (sombre ?), sans éclats, presque silencieux...
Voici, par la talentueuse
Hilary Hahn,
qui l'interpréta début décembre 2021,
l'andante de la sonate No. 2 en la mineur pour violon seul, BWV 1003.
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article suivant : Un loup en hiver
5 commentaires:
" Mr Blondieau, j'ai noté un anachronisme entre l'explication de l'adjectif Salien et son illustration :-(. Jacquouille est extrait d'un film dont le scénario nous précise qu'il débute au XIe siècle et non le XIVe comme vous semblez l'indiquer par l'année 1380. Vous me voyez bien attristé par cette erreur." Allez, juste pour me montrer plus dingue que toi ! C'est vrai que je suis dingue... de te lire tous les dimanches
" Mr Blondieau, j'ai noté un anachronisme entre l'explication de l'adjectif Salien et son illustration :-(. Jacquouille est extrait d'un film dont le scénario nous précise qu'il débute au XIe siècle et non le XIVe comme vous semblez l'indiquer par l'année 1380. Vous me voyez bien attristé par cette erreur." Allez, juste pour me montrer plus dingue que toi ! C'est vrai que je suis dingue... de te lire tous les dimanches
:-) Ben, franchement !? :-D
Je tiens compte de ta remarque, merci !
Et surtout, merci de me lire...
PS tu serais surpris des remarques surprenantes de certains, sur le blog.
Une dame avait fait un commentaire sur l'artilce Terre des hommes ? Pléonasme ! (pas sûr qu'elle l'avait lu, d'ailleurs, car son commentaire assassin ne traite que du titre ! :-)
"Le pléonasme peut être volontairement une clause de style; comme l'oxymore en poésie. Prendre cela au pied de la lettre est étrange.! Par exemple essayer de faire pousser une rose en plantant une graine dans un être humain -on laisse le choix à l'expérimentateur de l'orifice et même d'en faire un où il voulez, avec un bistouri- que croit-on va pouvoir cueillir ensuite ? Je parie que même nos très lointains ancêtres, pas plus couillons que la majorité des humains du XXI ème siècle, n'ont dû essayer."
Je lui avais gentiment répondu "Vous n'avez pas saisi le trait d'humour. J'oserais dire, pour vous paraphraser, qu'il est étrange que vous ayez pris cela au pied de la lettre. ;-) Je m'amusais dans ce titre à rapprocher "homme" de "terre", en une annonce amusante du contenu de l'article. C'est tout !"
@Frédéric,
C'est sûr qu'à vouloir rapprocher "homme" de "terre", on finit par se..friter ;-)
Et les femmes, les X, Y et Z + dans tout ça hein!?
:-D
LeScrat,
ne rigole pas trop. Il se pourrait que les "wokes" mettent "Terre des hommes" à l'index, rien que pour ça...
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