"Je trouvais à la fois dans ma création merveilleuse toutes les blandices des sens et toutes les jouissances de l'âme."
Chateaubriand, in Mémoires d'outre-tombe
Bonjour à toutes et tous!
Alors, il y a déjà longtemps, le 15 avril 2012 - vous rendez-vous compte, il y a déjà deux ans et demi? - dans un sublime article si joliment intitulé Marcel et sa madeleine, Fred et sa dringaille, j’avais fait allusion à la racine proto-indo-européenne *melǝ- ("moudre, battre, broyer", d'où, par extension "fin, menu”), à l’origine du latin classique marcŭlus - marteau, mais aussi de mots comme "meule", "moulin", ou encore l'anglais "mill".
Et puis, le dimanche suivant - le 22 avril de la même année donc - j’avais tenu ma promesse, en traitant en long et en large de cette belle racine dans l’inénarrable Vestales, malléoles et Lofoten.
Mais avec cependant un avertissement…
(je me cite:)
Attention, une racine similaire, *mel-, véhiculait, elle, la notion de douceur, d'adoucissement. J'en parlerai très certainement lors d'un autre "dimanche", car elle est aussi pleine de surprises...
Oui, ça fait longtemps que je m’étais dit que je devais vous parler de cette autre *mel-.
Le croirez-vous: Ce sera fait aujourd'hui…
*mel-, ou plus précisément
*mel-1
- "1" car il y a six (!!) racines que l’on a pu recomposer sous la forme *mel-; chacune d'entre elles bien sémantiquement différente -
véhiculait la notion de ... douceur.
Aaaaaaah.
Je suis en train de rédiger en écoutant le premier mouvement de la Pastorale, la Symphonie n° 6 en fa majeur, que Beethoven écrivit en 1808.
Parfait. Simplement parfait.
Juste ce qu’il me fallait…
Aaaaaah…
Ici, une version du Boston Symphony Orchestra
dirigé par Leonard Bernstein
et sur iPad:
Bon, allons-y!
*mel-1 évoquait la douceur ; et pas mal de ses dérivés font référence à quelque chose de doux, ou d’adouci, de souple ou d’assoupli, voire carrément de… mou.
Une forme allongée *meld- se retrouve dans le germanique *meltan, devenu le vieil anglais *meltan, puis l’anglais moderne melt.
To melt? Fondre, ou faire fondre.
I am melting!
C’est ce que cette méchante sorcière hurlera en fondant - bien fait pour sa tronche, à cette vieille bique - dans The Wizard of Oz...
,
et sur iPad:
(OUI, je sais, j'ai mes thèmes récurrents, de Excalibur aux Monty Python, en passant par Alexandre le bienheureux, ou, en l'occurence, The Wizard of Oz, dont j'avais encore récemment parlé ici: Une idylle avec une idole?? Mais quelle drôle d'idée...)
Mais, revenons à notre douceur…
Aaaaaaah
On soupçonne - mais sans certitude aucune - cette délicieuse *mel-1 d’être à l’origine du germanique *maltam, qui donnera le vieil anglais mealt, pour déboucher sur l’anglais moderne … malt!
Le malt?
Mais c’est une céréale germée, en général de l'orge, qui est cuite (d'où amollie), pour qu'elle dégage tous ses arômes.
Oui, ça aussi, c'est un thème récurrent: les Single Malts... Ici, échantillon destiné à une Burns night... |
C’est ce même germanique *maltam que l’on retrouve dans le néerlandais mout, l’allemand Malz ou le suédois malt.
Mais, pour tout vous dire, il se pourrait que le proto-germanique *maltam soit un emprunt au proto-slave *malta, que l’on retrouve, lui, dans l’ukrainien молот (mólot), ou encore le tchèque mláto.
(bof bof bof)
Une forme variante et suffixée de *mel-1:*mled-sno, a donné le grec βλεννός, blennós, que je traduirais en français de Belgique par èèèkess (l'équivalent français de France de beurk): visqueux, morveux, relatif au mucus.
Yerk…
En zoologie, la blennie désigne encore une des espèces de petits poissons osseux marins benthiques (oui, du grec ancien βένθος, bénthos: « profondeur »), d'eau douce ou saumâtre, allongés, à longue nageoire dorsale, et … couverts de ... mucus.
espèce de blennie! |
De l’ancien grec βλέννα, blénna: “mucus” et ῥαγή, rhagḗ, “éruption”, nous avons gardé… blennorragie…
Ouais, bon…
La blennorragie, encore appelée gonorrhée, chaude-pisse, castapiane ou plus sympathiquement chtouille, est, comme vous le savez, une infection sexuellement transmissible.
Cette infection des organes génito-urinaires est due au gonocoque Neisseria gonorrhoeae découvert par Albert Neisser en 1879.
Sacré Albert. On ne lui dit pas merci…
Albert Ludwig Sigesmund Neisser (source) |
- Plus trop envie de faire Aaaaaah, tout d’un coup, tiens…
Nous devons à une forme suffixée au timbre zéro de *mel-1, *ml̥d-wi- le latin … mollis: mou, moelleux, tendre, souple, flexible … … …
De lui nous arrivent …
mou, mollasse, mollasson, mollesse, molleton, mollusque, émollient, mouiller ... ... ... ou - surtout - mojito!
Un mollusque, c’est littéralement une noix, ou une châtaigne, molle!
Le mot est emprunté (1763, E. Bertrand) au latin scientifique moderne molluscus (1650), créé par Jonston d'après le latin impérial mollusca (sous-entendu nux) "sorte de noix (nux) dont l'écorce est tendre, spécialement la châtaigne", lui-même dérivé de notre mollis latin.
mollusque |
- Mouiller??? Mais ça n’a rien à voir avec la notion de souplesse, de douceur?? Enfin!!
- Oui, c’est une bonne remarque. Mais bonjour quand même!
Mais en fait, mouiller nous arrive du latin populaire *molliare, variante de mollire (« amollir »), basé sur mollis, et qui signifiait à l’origine « attendrir en trempant, rendre mou ».
Quant à mojito, il provient bien entendu de l’espagnol, ou plus précisément de l’espagnol cubain mojo (la sauce), basé sur l’espagnol mojar (“mouiller”), lui-même basé sur le latin populaire *molliare.
mojito |
Il est également possible que par une forme nasalisée *mlad-, *mel-1 ait donné le latin blandus (doux, caressant, ou, au sens figuré, flatteur…).
Même si nous avons eu, en ancien français, blant (flatteur), nous n’avons plus, en français moderne, de descendance de ce blandus latin, si ce n’est en langage littéraire, où nous pouvons encore trouver “blandice”, souvent employé au pluriel, désignant les caresses, les flatteries, les attraits, les séductions, comme chez Chateaubriand, Huysmans, ou encore Gide…
Mais le latin blandus existe toujours dans d’autres langues, cette fois sous des mots usuels.
Je pense notamment à l’anglais bland (doux à en être insipide), à l’italien blando (faible, timide...) ou l’espagnol blando (tendre, mou…).
Mais continuons le tour des dérivés de notre *mel-1 proto-indo-européenne…
Une de ses formes variantes, *smeld- a donné le germanique *smelt- (fondre).
De *smelt, l'ancien haut allemand a retenu smelzan « fondre ».
D’où en découle, certes, l’allemand moderne schmelzen (fondre), mais aussi le francique *smalt, de même sens, qui deviendrait, au XIIème siècle, esmal puis email, ou même, au XIIIème, esmail.
Eh oui, nous devons à notre *mel-1 notre français émail, qui désigne dès le début un vernis obtenu par vitrification destiné à recouvrir le métal, la céramique, la faïence, la porcelaine et qui, après avoir été porté à une certaine température et … fondu!, se solidifie et conserve des couleurs inaltérables.
Emaux |
*mel-1, nous la retrouvons encore, via une forme allongée *meldh- passée dans le germanique *mildja-, dans l’anglais mild (doux), ou le prénom féminin Mildred (littéralement “force douce”), tiré du composé vieil anglais Mildþryð, Mildthrȳth, où ðryð, thrȳth signifie la force.
Sainte Mildred - ou Mildrède - de Thanet fut une abbesse du VIIème siècle.
Elle était la fille du roi Merewald d'Anglie (✝ 700) et l’une des trois filles de sainte Ermenburge, princesse de Mercie en Angleterre (estuaire de la Tamise).
Elle fut élevée au monastère de Chelles, en Ile-de-France.
De retour en Angleterre, elle prit l'habit bénédictin des mains de saint Théodore de Cantorbery et devint abbesse de Thanet.
"Miséricordieuse, tempérée et paisible", Mildthrȳth est l'une des saintes les plus populaires du Moyen Âge anglais…
Sainte Mildred de Thanet (source) |
Happiness is a cigar called Hamlet.
Vous tondez la pelouse?
Alors vous connaissez sûrement l’anglicisme mulch / mulching.
En français? Paillis / paillage - pailler.
Le paillis, c’est, selon le Larousse, une "légère couche de paille ou d'un autre matériau dont on recouvre le sol pour en maintenir la fraîcheur et éviter que certains fruits, tels que melons, concombres, fraises, soient souillés par le contact de la terre."
L’anglais mulch viendrait d’une forme suffixée de notre *mel-1: *mel-sko-, passée au vieil anglais mel(i)sc, mylsc (doux, moelleux) par le germanique *mil-sk-.
Mulching - paillage |
Enfin, il est possible, il se pourrait - mais franchement je ne parierais pas trop là-dessus - que nous retrouvions *mel-1 dans le celtique *molto-, qui désignait cet animal à la laine si douce, le … mouton!
moutons, Orkney, Scotland, UK |
On retrouve le mot dans le vieil irlandais molt, le moyen-breton mout, le cornique mols, ou encore le gallois mollt.
Mais il se pourrait que le *molto- celtique ne fasse pas vraiment référence à la douceur de la laine de l’animal, mais qu’il désigne plutôt le bélier castré…
Bon, il est clair que je préfère la référence à la douceur de la laine…
Aaaaaaah
Je vous souhaite, à toutes et tous,
un charmant dimanche, une très belle semaine, et vous donne rendez-vous…
Dimanche prochain!
Ah, j'allais oublier!
Vous trouverez dans la colonne de droite du blog un lien vers Pinterest: j'y ai créé (sur Pinterest) un board où j'épingle les illustrations qui me semblent intéressantes, et - forcément - relatives au proto-indo-européen, ou au moins à l'un ou l'autre des groupes de langues indo-européennes...
Il y a de très belles illustrations, des cartes, des graphiques, des arbres...
La loi de Grimm en schéma, celle de Verner, qui la précise, en un one pager (vous n'imaginez pas à quel point ce terme one pager m'horripile), l'évolution de la racine *del(ə)- sous forme arborescente, un SUPERBE arbre linguistique des langues indo-européennes, cinq et cent représentés dans chacun des groupes indo-européens, une carte de l'isoglosse centum/satem (mais oui, on en a parlé dans ceud mìle fàilte chez les Tochariens (A))... ... ...
Bref, allez voir, il y en a vraiment pour tous les goûts...
http://www.pinterest.com/fredblondieau/proto-indo-européen/
Frédéric
article suivant: de mieux en mieux...
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