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dimanche 23 décembre 2018

la peau de mérou explose (mais oui, sous la pression)






Gomme élastique :

Est faite avec le scrotum de cheval.

Gustave Flaubert,
Le Dictionnaire des idées reçues ou Catalogue des opinions chics, 1913

Gustave Flaubert,
12 décembre 1821 - 8 mai 1880























mérou

Bonjour à toutes et tous !


Plusieurs lectrices
- oui, curieusement, seules des lectrices ont fait le lien... -
se demandaient très intelligemment
- faut-il vraiment le préciser ? Des dames, et qui plus est fidèles lectrices d'un blog aussi improbable ... -
s'il fallait voir un lien entre le latin scortum, “peau”, et le latin... scrōtum“peau”, aussi, mais plutôt de euh... 

reprenons: 
... et le latin scrōtum, désignant l'enveloppe cutanée des testicules.



"Puissiez-vous vivre aussi longtemps que votre corps tout entier ne
ressemble plus qu'à un scrotum"

Ah ! Une aussi bonne question attend une réponse claire et simple.

Hélas... 

Je ne serai en mesure de vous la donner, cette réponse directe et limpide...
Je ne pourrai que vous soumettre des propositions de réponses. 


Pour l'American Heritage Dictionary - et donc Calvert Watkins -, le Webster's et Winfred P. Lehmann, la réponse est ... OUI. 




Oui, le latin scrōtum dérive bien de notre formidable *(s)ker-.

Ce qui impliquerait une métathèse
(une permutation phonétique, pour les gens normaux, ceux qui ne sont pas lecteurs assidus de ce blog), 
ainsi qu'une spécialisation du sens premier de scortum, “peau”.


Winfred P. Lehmann




















Noah Webster



Calvert Watkins















J'eusse tant aimé en rester ... 





Mais bon, comme disait mon compatriote Brel
(si vous ne voyez pas qui c'est, pensez à Stromae, mais en nettement moins bien, sans visage ni démarche de clown triste, sans marketing, sans marque de vêtements),
la vie ne fait pas de cadeaux.
- kadooutai aurait merveilleusement condensé en un seul mot fort et surtout vrai le grand Stromae -
Ce que je poursuivrais par...

Et nom de dieu ! 
Si Orly est triste le dimanche 
Avec ou sans Bécaud, 
Le dimanche (indo-européen) peut l'être aussi,  
Avec ou sans -... euh la rime... Aah... - Blondieau. 


Eh oui.




Pour l'heure, et pour rester dans le domaine des certitudes, sachez que les anatomistes français ont emprunté le mot vers 1540, pour en faire le français ... scrotum.
Ce qui ne devrait pas, au demeurant, vous surprendre outre mesure.



Et qu'aussi, on peut rapprocher scrōtum du latin scrautum, qui désignait le carquois, cet autre étui, destiné lui à contenir non pas des douilles mais des flèches, et toujours, du moins à l'origine, fait de ... peau.



long carquois romain
(source)


racine indo-européenne *(s)ker-, “couper, découper”
forme *skort-o-, “coupe, coupure...”
proto-italique *skort-o-
latin scortum, “peau”
métathèse et spécialisation du sens
latin scrōtum, enveloppe cutanée des testicules”  (et aussi scrautumcarquois)
emprunt savant (circa 1540)
français scrotum







Et hop !












Mais voilà, pour d'autres linguistes, il n'est vraiment pas certain que scrōtum et scrautum proviennent de notre *(s)ker-.

Eh !






Alain Rey penche, lui, pour une filiation de scrōtum à partir d'une racine indo-européenne, certes, mais qu'il ne nomme curieusement pas... 

Il précise cependant que le mot latin signifie d'abord “ce qui garnit”.

Et c'est pour moi un grand mystère... 




Je pourrais supposer qu'il déduit ce sens original de la sémantique de la racine indo-européenne qu'il voit à la source de scrōtum ?

Mais, voyez-vous, j'ai beau chercher, je ne retrouve aucune racine qui, de forme *(s)k?-, évoquerait la notion de garnir.
De près ou de loin.

Le mystère s'épaissit... 
Et, je vous le dis tout de suite - je n'aurai pas de réponse à y apporter. 

Sauf peut-être la boisson ? Mais non, je n'oserais imaginer Alain Rey boire plus que de raison. 

































Donc, voilà une piste qui s'arrête...

Ou alors... 
- mais dans ce cas, il vaudrait peut-être mieux ne pas écarter l'hypothèse boisson trop vite -
Oui, on retrouve bien un proto-germanique *skraudan-, “couper, déchiqueter”, peut-être dérivé d'une racine indo-européenne tardive et de même sens, *skróudʰ-e- qui, en
- OUI OUI OUIIIIII -
vieux norois, donnera skrúð, dont une des acceptions sera “ornement, chose précieuse”...
(Parce qu'il s'agissait d'un vêtement de peau, d'une pièce de cuir particulièrement travaillée?)

Mais convenez-en, cela semble vraiment tiré par les cheveux.
Et nous sommes là à des lieues du latin scrōtum...



racine indo-européenne skróudʰ-e-“couper, déchiqueter”
peut-être
proto-germanique *skraudan-, “couper, déchiqueter”
vieux norois skrúð, (notamment) “ornement, chose précieuse”



Une autre étymologie nous est encore donnée par Michiel de Vaan. 

Enfin, non. 
Justement.


Pour de Vaan, qui examine
dans son Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages
le latin scrūta, -ōrum, “bric-à-brac, vieilleries, pacotille...”
(ou pour Ernout et Meillet, “hardes, défroques, friperies”),
scrautum et scrōtum pourraient en dériver (de scrūta, -ōrum, enfin ! Allez, reprenez un café).

“Pourraient” en dériver
Car même si formellement, on pourrait les associer à scrūta, sémantiquement, c'est une autre histoire...



latin scrūta, -ōrum, “vieilleries, hardes, défroques, friperies...”
peut-être
latins scrautum et scrōtum



De mon enquête ressort encore un élément dont j'aimerais vous faire part...

Pour Guus Kroonen et son Etymological Dictionary of Proto-Germanic,
le latin scrūta, -ōrum, “bric-à-brac, vieilleries, pacotille... pourrait
(pourrait)
n'être qu'un emprunt au germanique ... *skraudan-, “couper, déchiqueter”  (ou à un de ses descendants) !! 



racine indo-européenne skróudʰ-e-“couper, déchiqueter”
peut-être
proto-germanique *skraudan-, “couper, déchiqueter”
(...)
 
peut-être emprunt
latin scrūta, -ōrum, “vieilleries, hardes, défroques, friperies...”
peut-être
latins scrautum et scrōtum




Alors, que tirer de tout cela ? 

Ben, que scrōtum pourrait dériver de scrūta, -ōrum, 
lui-même peut-être simple emprunt au germanique *skraudan-,
construit peut-être sur une racine indo-européenne tardive, *skróudʰ-e-, “couper, déchiqueter”.

(C'est d'elle, d'ailleurs, que proviendra, par le vieil anglais scrēad, l'anglais shred,  “déchiqueter”.)

racine indo-européenne skróudʰ-e-“couper, déchiqueter”
peut-être
proto-germanique *skraudan-, “couper, déchiqueter”

vieil anglais scrēad
anglais shred,  “déchiqueter”



Ou qu'alors, comme d'autres - et non des moindres - le pensent, scrōtum serait tout simplement dérivé de *(s)ker-.


À vous de choisir !

Choisir, faire son choix, comme lors d'un scrutin... 

Scrutin, réfection (attestée en 1465) de crutine, crestine, emprunté au bas latin scrutinium, “action de fouiller”, pour se spécialiser dans le vocabulaire ecclésiastique pour désigner l'examen des opinions.

Vous l'aurez compris, scrutinium dérivait du latin classique scrūta, -ōrum.
Précisément par le verbe scrūtārī, “fouiller, chercher dans les hardes”. 



latin scrūta, -ōrum, “vieilleries, hardes, défroques, friperies...”
latin scrūtārī, “fouiller, chercher dans les hardes”
bas latin scrutinium, “action de fouiller” 
spécialisation
examen des opinions
français crutine, crestine
réfection
scrutin




C'est une image forte, ne trouvez-vous pas ? 
Lors d'un scrutin, étymologiquement, on vous fait choisir parmi des hardes, de la pacotille, toutes choses dont on veut se débarrasser.

Vous voyez ces charmants petits insectes qu'on appelle des bousiers? 
Ben, c'est un peu leur rôle qu'on vous demande d'endosser, non, lors d'un scrutin ?
Oui, c'est bien ça, en fouillant la m.

Je trouve vraiment cette image très, très, forte...

Et à voir tous ces corrompus, ces incompétents et ces médiocres qui ne pensent qu'à leurs propres intérêts parmi lesquels nous devons faire un choix en Belgique à chaque élection fédérale ou régionale, je puis affirmer que nous pouvons être fiers, nous Belges, d'avoir pu conserver à scrutin son étymologie première.


Allez, on se retrouve dimanche prochain, le dernier dimanche de cette année, pour la suite des aventures de l'incroyable *(s)ker-.






Je vous souhaite, à toutes et tous,
un merveilleux Noël.


Fêtons donc le retour de la lumière, l'avènement de l'amour et de la fraternité entre tous les hommes.

Je sais.
Rêvons un peu.


Frédéric



PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter, 

Comme la semaine dernière, du Purcell...

Cette fois, tiré de Come Ye Sons of Art, Z.323, 1694

le célèbre

Sound the Trumpet,

mais dans une version particulière...

À l'origine, duo pour hautes-contre, 

il est ici interprété par l'excellent haute-contre Iestyn Davies
mais aussi par la plus que talentueuse trompettiste Alison Balsom



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...

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dimanche 10 décembre 2017

Quand Luis Ocaña voyait Merckx partir en danseuse, il avait les foies.







“ Cette combinaison est noire et opaque pendant la fusion; mais, après le refroidissement, elle a une couleur hépatique, et ressemble parfaitement au foie de soufre ordinaire.”

Jöns Jakob Berzelius,

Traité de chimie, traduit de l'allemand, 1839

Jöns Jacob Berzelius, 1779 - 1848,
considéré comme l'un des fondateurs
de la chimie moderne
























Bonjour à toutes et tous !


Le dimanche 26 novembre, nous nous penchions sur la racine indo-européenne *Hyekʷ-“foie”.
Trop de caviar, c'est pas bon pour le foie

Nous découvrions que cette racine était (peut-être, sans certitude) à l'origine de l'allemand Leber, ou de l'anglais liver... 



*Hyekʷ-“foie”
peut-être !
forme ultérieure, pré-germanique *lipr-éh2-
racine germanique *librō-, “foie”
 mots germaniques pour foie: anglais liver, néerlandais lever, allemand Leber...



... ou même aussi à l'origine (mais toujours sans certitude) de l'arménien լյարդ (lyard), “foie”.




*Hyekʷ-
“foie”
peut-être !
vieil arménien լեարդ (leard), “foie”
arménien լյարդ (lyard), “foie”


(Ce l initial qui pose de vrais problèmes, tant dans les langues germaniques qu'en arménien, aurait pu...
- c'était la théorie du grand linguiste néerlandais feu Robert Beekes (superviseur, avec Alexander Lubotsky, du monumental Indo-European Etymological Dictionary de l'Université de Leiden), qui nous a quittés le 21 septembre dernier - 
... être repris du mot pour “gras” (nous pensons ici à l'indo-européenne *leip-“coller, adhérer, graisse...” et à ses dérivés)


Adieu, Monsieur le professeur.

Enfin, dans les langues balto-slaves, elle a notamment donné des mots aux sens de “frai, laitance, mollet”, dont le russe икра́ (ikrá), caviar.


*Hyekʷ-“foie”
racine balto-slave *jьkrà-, *jьkro-, frai, laitance, mollet”
mots baltes et slaves pour “laitance, frai, caviar, mollet...”



Dimanche dernier, nous passions en revue les dérivés de notre *Hyekʷ- dans les langues indo-iraniennes...
"Avant notre venue, rien ne manquait au monde. Après notre départ, rien ne lui manquera."
Avec, par exemple, le sanskrit...  यकृत् (yakRt), “foie”, l'avestique yakarə, “foie”, et surtout le farsi جگر‏ (djegar), “foie”, mais aussi “cher/chère”, ou “chéri(e)”.



À présent, intéressons-nous aux dérivés helléniques de notre *Hyekʷ-.

C'est une forme suffixée en -r̥-
(derrière ce -r̥- se cache en réalité le suffixe *(ó)-r̥ n, permettant de créer un substantif à partir d'un radical)
de notre *Hyekʷ-, *Hyékʷ-r̥-, qui, en passant par le proto-hellénique (non attesté) *eyékʷər-, a donné le grec ancien ἧπᾰρ, hêpar, donnant au génitif ἥπᾰτος, hḗpatos.

Et bien entendu, sans surprise aucune, ἧπᾰρ, hêpar, désignait ... le foie.


*Hyekʷ-
“foie”

*Hyékʷ-r̥-
racine proto-hellénique *eyékʷər-, foie”
grec ancien ἧπᾰρ, ἥπᾰτος (hêpar, hḗpatos), “foie”



Bah oui - faut-il le préciser ? - c'est de ἧπᾰρ, hêpar, ἥπᾰτος, hḗpatos que nous viennent nos hépatique, hépatite, ou encore ces hépat- ou hépato- qui entrent dans la composition de termes de pathologie et de médecine, comme hépatologie.

Hépatique, “qui se rapporte au foie”, nous est arrivé par le bas latin hepaticus“relatif au foie”, ou “qui a le foie malade”.
Mais ce bas latin hepaticus - je suis désolé de le dire - n'était qu'un calque du grec ἡπατικός, hêpatikós.

Figurez-vous qu'à l'origine, hépatique
- ou plutôt epatic (1240), epatique (1314), “hépatique” étant une réfection étymologique tardive (1538) -
désignait une plante (genre de renonculacées - vous voyez le genre), dont une certaine variété, l’hépatique commune, l'anémone hépatique ou herbe de la Trinité, était employée pour soigner les affections du foie. 


anémone hépatique


Et voilà pour le grec.



Quid du latin ?me direz-vous. 


Ah ! Par un proto-italique reconstruit *jekʷor-“foie”, c'est toujours bien notre forme *Hyékʷr̥ qui donnera le mot latin pour foie : iecur.


C'est au latin iecur que le grand cycliste espagnol devait son surnom de foie à pédales, du fait que sur le parcours du Tour, chaque fois qu'on lui demandait s'il allait courir ce jour-là, il répondait invariablement Si (claro), yé cour, yé cour.
Il faut dire aussi que les journalistes sportifs de l'époque étaient nettement plus cultivés qu'aujourd'hui. 
Luis Ocaña

Ah oui, j'oubliais ! 

Le latin iecur désignait bien le foie, anatomiquement parlant, mais le foie latin, à l'instar du farsi جگر‏ (djegar), correspondait également à d'autres choses : au siège de l'esprit ou de l'intelligence, à celui des passions, et des sentiments...

C'est d'ailleurs pour ce genre de propriétés attribuées au foie que l'expression avoir les foies signifie manquer de courage.

Avoir les foies, ça n'évoque honnêtement plus grand-chose, mais sachez que l'expression, à l'origine, était nettement plus compréhensible, car se disait : avoir les foies blancs. 

À l'époque on pensait que le foie fournissait le sang à l'organisme - d'où sa couleur sang, rouge sombre
Et la couleur rouge sang était notamment symbole de force et de courage... 

Dans ce contexte, un foie blanc, donc privé de son sang, devenait synonyme de lâcheté, mais aussi de peur, et par conséquent aussi de traîtrise (les lâches, ce sont des traîtres en puissance, méfiez-vous des peureux...). 

Au point qu'on qualifiait les traîtres de foies blancs...




*Hyekʷ-“foie”

*Hyékʷ-r̥-
racine proto-italique *jekʷor-, “foie”

latin iecur“foie”


Et voilà !

D'autres questions?


- Mmmmais ? Et le français foie, alors ?
















Mais enfin ?? Mais le français foie n'a STRICTEMENT RIEN à voir avec *Hyékʷ.

Enfin ?! AUCUN rapport.


Nous qui aimons les langues anciennes, et d'une façon générale avons le plus grand respect pour les Anciens, ceux qui nous précédèrent sur Terre il y a si longtemps, et à qui nous devons tant, nous devons hélas parfois admettre que la c*nnerie sans nom, la bêtise à l'état pur, ou le syndrome des deux bras cassés, c'est aussi d'eux que nous les tenons...


Et ça ne fait pas du bien.

Oula non...








Mais pourquoi ? Pourquoi ? Voilà bien la seule chose qui peut vous venir à l'esprit dans de telles circonstances.

Laissez-moi quelques instants pour me remettre, et je vous raconte tout ça.

Voilà.


Vous rappelez-vous cet article d'il y a un peu plus de deux ans : 
La rue Chaudron est une voie du 10e arrondissement de Paris, en France. (Wikipedia, "Rue Chaudron")
J'y expliquais que jamais Paris n'aurait dû s'appeler Paris

Mais plutôt Lutèce (ou selon la prononciation locale, Lutessaaaan)

En tout cas et en toute logique, son nom aurait dû se dériver, d'une façon ou d'une autre, du Lutetia originel.
Aujourd'hui peut-être que les plus bobos friqués-branchés d'entre les jeunes Lutéciens parleraient de leur ville comme de Lutt' (Luttaaaan) 
Pour le wiiikendaan, on s'ra sur Luttaaan


Idem pour cette invraisemblable, navrante, imposture qu'est notre fromage.
Maître corbeau, sur un arbre perché...
Il se fait que quelques abrutis - la boisson devait probablement y être aussi pour quelque chose - ont conclu de l'expression formaticus caseus,
fromage (caseus) moulé dans une forme (formaticus),
que formaticus signifiait fromage

C'est tout bonnement grandiose.

À des niveaux de c*nnerie pareils, mes amis, on touche carrément à la perfection. On se prend Dieu en pleine face.


- mmmh, mais quoi ?
- non, rien.


Eh bien, il s'est passé la même chose avec notre foie”.


En grec ancien, figue se disait σῦκον, sûkon. 

Déjà à l'époque, on engraissait les oies ou les canards. Avec des figues

Créé sur σῦκον, sûkon, on trouvait donc συκωτόν, sukôtón, “(engraissé) aux figues.

ἧπᾰρ συκωτόν, hêpar sukôtón, littéralement foie de figuesse disait du foie d'un animal engraissé avec des figues. 

Et désignait donc le foie gras.


Jusque là...





Les Romains, pour qui tout ce qui était grec était trop hype, ne purent s'empêcher de reprendre l'expression grecque
- c'était juste des gosses, de grands gamins, tout simplement ! -
et la transposèrent littéralement en iecur fīcātum, ce qui, sur rigoureusement le même modèle que le grec, en faisait “foie de figues”, contraction de foie d'un animal engraissé avec des figues

Nous sommes d'accord, ce n'était pas très malin de la part des Romains. 
Qui vraiment n'avaient aucune imagination. 
Mais bon, au moins, ça avait du sens.


Le souci, c'est que bien plus tard, en bas latin
- je n'veux pas faire mon upper middle class mais bon, il faut bien reconnaître que le bas latin, dit aussi latin vulgaire, n'était pas nécessairement parlé par des académiciens... -,
de iecur fīcātum, on a ... oublié
(on va dire ça comme ça, pour ne pas jeter l'opprobre sur des populations déjà si fragilisées, défavorisées et si peu éduquées)
le iecur. De l'expression iecur fīcātum, on ne retint donc plus que ficatum.

Par conséquent, pour foie gras, on parla dorénavant de fīcātum.






Ce stupide et ridicule ficatum, à force de désigner le foie gras, en a fini
- tant qu'à faire, continuons dans la même voie, hein les gars? Ouais, farpaitement ! -


à désigner le foie, en général.

C'est de ce ficatum d'une bêtise désarmante que nous arrive notre français foie, attesté au XIIIème.



Et c'est le même phénomène qui est à l'origine du mot pour foie dans d'autres langues romanes...

Vérifiez:
  • En aragonais? figado
  • En asturien ? fégadu
  • En catalan ? fetge
  • En corse ? fecatu, fegatu
  • En italien ? fegato
  • En occitan ? fetge, hitge
  • En portugais ? fígado
  • En espagnol ? hígado
(petite private joke pour un lecteur qui se reconnaîtra) Hígado.  Et avec un h !

Car le f initial de nombreux mots latins est devenu un h en espagnol (farina ⇒ harina, fīlius ⇒ hijo,  fābulārī ⇒ hablar...), vraisemblablement par l'influence d'une langue aujourd'hui disparue - quoique, certains pensent au basque - qui servit de substrat pour les langues ibéro-romanes...
PS: En linguistique, un substrat est une langue qui en influence une autre tout en étant supplantée par cette dernière. Ainsi, on peut dire que le gaulois est un substrat du français.




Et maintenant, vous savez tout !

Pourquoi on retrouve des dérivés de *Hyékʷ depuis les berges de la Baltique jusqu'aux rives du Gange, en sanskrit, en ourdou, en arménien, en grec ancien ou en latin, mais PAS en français, ni dans pas mal de langues romanes.

Et pourquoi, bizarrement, je n'ai pas commencé cette suite d'articles par le français, le latin, ou le grec...


Oh, vous n'êtes pas les seuls. Moi aussi, je suis consterné. 

J'ai honte.









Là-dessus, je vous laisse.


Et je vous souhaite surtout, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très bonne semaine !





Portez-vous bien !

Frédéric








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Et pour nous quitter,

Daniel Barenboim joue, rien que pour nous, la sublime sonate No. 8 Op. 13, de Beethoven.

Oui, la Pathétique,
ce qui colle particulièrement bien à la façon dont on a fait de ficatum le foie.

Mais aussi, Beethoven serait peut-être mort d'une hépatite infectieuse.





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