- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 31 octobre 2021

Dieu que la plèbe est orchidoclaste. - Tristan-Edern Vaquette





    (...)
    Les témoins d’Arcade étaient le prince Istar et Théophile. Ce n’est pas volontiers et de son plein gré que l’ange musicien était venu participer à cette affaire. Il avait horreur de toute violence et il désapprouvait les combats singuliers. La détonation des pistolets, le cliquetis des épées lui étaient insupportables, et la vue du sang répandu le faisait évanouir. Ce doux fils du ciel avait refusé obstinément de servir de second à son frère Arcade et il avait fallu, pour l’y déterminer, que le kéroub menaçât de lui briser une bouteille de panclastite sur la tête. En outre des combattants, des témoins et des médecins, il n’y avait dans le jardin que quelques officiers de la garnison de Versailles et plusieurs journalistes.
    (...)


    Extrait du chapitre XXX de
    La Révolte des anges, 1914,

    Anatole France



    Anatole France, pour l'état civil, François Anatole Thibault,
    16 avril 1844 - 12 octobre 1924 


Bonjour à tous !


Oui, nous sommes toujours à la recherche des dérivés de la racine indo-européenne...


*kelh-, “battre, frapper”.



Spécial Sahmain !
(ou Halloween, pour les plébéiens)

- de Sahmain et d'Halloweenon en parlait ici -.

Un esprit frappeur, selon BBC Comedy.

Tout d'abord, ce que voit et vit le couple, 
puis, par la magie d'un filtre révélateur de fantômes
la même scène, avec maintenant le fantôme précédemment invisible...

(ATTENTION, même si c'est de l'humour,
ça peut faire peur...)



Le point.

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Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine…”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé…”, d'où 
  • l'espagnol incólume,
  • l'italien incolume,
  • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite…”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021

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      Le 17 octobre, nous découvrions un beau dérivé latin de notre racine *kelh-“battre, frapper”, -cellō“frapper”, sur lequel seront composés les latins…
      • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence…”,
      • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) …”,
      et
      • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser…”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger…”.
      De procellō dérivera prŏcella, tempêteorageouragan”, d'où, notamment …
      • le portugais procela, de même sens, 
      et nos moyens français…
      • procelletempête”,
      • procellé“produit par l'orage”,
      • procelleux“tempétueux”.
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      Le 24 octobre, nous avons tenté de trouver des dérivés grecs anciens à notre racine, mais sans grand succès…
      • κλάω, kláô“briser, casser…”, est vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec,
      et pour ce qui est de
      • κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille…”, son étymologie est peu claire ; il pourrait s'agir d'un emprunt au substrat pré-grec, ou d'un dérivé de la racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) bois.
       
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      Chers lecteurs, 

      Aujourd'hui, nous continuons à nous frayer un chemin difficile, étroit et sinueux, en compagnie de Robert Beekes, dans la terrible jungle hellénique des dérivés possibles de notre racine *kelh-, “battre, frapper”, peuplée d'adorables mots d'origine indo-européenne, mais aussi de dangereux et cruels emprunts au substrat pré-grec.





      Surtout, ne poursuivez pas cet article sans avoir lu celui de la semaine précédente :

      Pour rappel, voici les signes conventionnels employés par Beekes dans son magistral dico étymologique de grec ancien :

      ◀ PG ▶ : le mot est pré-grec,
      ◀ PG? ▶ : le mot est probablement, sans certitude, pré-grec,
      ◀ PG (V) ▶ : le mot est pré-grec, au vu de la présence constatée de variations propres au pré-grec,
      ◀ PG (S) ▶ : le mot est pré-grec, car présente un suffixe pré-grec,
      ◀ IE ▶ : le mot est d'ascendance indo-européenne,
      ◀ IE? ▶ : le mot est probablement d'ascendance indo-européenne, mais son étymologie indo-européenne n'est pas entièrement convaincante.


      On y va ?

      Poursuivons notre périlleux parcours,


      avec…

      • l'adjectif κλαδαρόςkladarós, “invalide, infirme…”. (Entendez, pour le rapprochement sémantique avec frapper, casser : brisé, cassé…)
      Chantraine lui attribue le sens plausible de “fragile, faible.

      Mooon, mais tout y est, non ? La forme, le sens ! Mais que voilà un superbe dérivé de *kelh-, “battre, frapper” !



      Étymologiquement parlant, Beekes, comme Chantraine avant lui, constate par ailleurs, tout guilleret, que l'on retrouve, sous cette même sémantique [“invalide, faible”], d'autres adjectifs ayant en commun cette même terminaison, comme par exemple πλαδαρός, pladarós, “lâche, flottant”, ou χαλαρός, khalarós, “ample, lâche”. 

      Lexicalement, Beekes, visiblement d'excellente humeur, va même jusqu'à relier pour nous…
      • κλαδαρόςkladarós au verbe κλαδάω, kladáo“agiter, brandir (une arme)”,
      • πλαδαρός, pladarós, “lâche, flottant” au verbe πλαδάω, pladáo“être flasque, mou”,

      ou même

      - soyons fous - 

      • χαλαρός, khalarós, “ample, lâche” au verbe χαλάω, khaláo, “relâcher...”.

       

      Aaaaah, mais que tout est beau, le ciel est si bleu, sans nuage, le soleil brille, brille, et les petits oiseaux gazouillent gaiement…


      Mais voilà…



      Beekes
      (suivant l'avis de Chantraine, il faut bien le dire),
      sans certitude, émet que κλαδαρόςkladarósinvalide, infirme...”, pourrait être construit sur le même radical que κλάω, kláô“briser, casser...” (voir l'article de la semaine dernière).

      Ça, mes amis, ça, ça commence déjà à sentir - à tout le moins - le roussi...,


      puisque, rappelez-vous, Beekes considère κλάω, kláô comme vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec”.

      Mais hélas, ce n'est pas tout...

      Vous vous le rappelez, pour Beekes, parmi les fameux indices permettant d'identifier les mots du lexique pré-grec figure une variation consonantique qui se traduit par l'échange d'un ρ (r) contre un λ (l) entre deux mots de la même famille.

      Tiens, ça me fait penser... Dans un groupe FB consacré à la linguistique où certains adorent, non pas s'écouter, mais se lire eux-mêmes, un internaute avait laissé sous l'article Nobis omnes conscii sumus... du 10 octobre dernier un commentaire qui prouvait par a+b qu'il n'avait évidemment pas lu ledit article. J'ai eu le malheur de le lui faire remarquer. Je m'en veux encore, de l'avoir remis à sa place. Mais oui, vu le poids et les dimensions de son ego, j'ai failli me faire un tour de rein.

      Tour de rein, ou interprétation assez réussie
      d'Alexandrie, Alexandra ?

      (♫ bar-ra-cu-da ♬)


      Mais revenons au présent article : je venais de vous rappeler cet échange d'un ρ (rcontre un λ (l) entre deux mots de la même famille, indice d'une possible ascendance pré-grecque...

      Or, il se fait qu'apparenté à κλαδαρόςkladarós“invalide, infirme..., l'on trouve le terme κράδαλοι, kradaloi, “branche de figuier”. (Proche par la sémantique de la branche, la branche présentant une cassure, une rupture par rapport au tronc. Vous allez vous décider à le lire, l'article de la semaine dernière ?)

      Et si ça ne suffisait pas, κράδαλοι, kradaloi, forme un binôme avec κλάδοι, kladoi, “branche...”.

      κλαδαρόςkladarós - κράδαλοι, kradaloi, mais aussi κράδαλοι, kradaloi - κλάδοι, kladoi...
      Eh.
      Imparable.


      Selon la méthode de Beekes, on peut en déduire que toute cette famille de mots est d'origine pré-grecque. 

       
       

      Conclusion :

      ◀ PG (V) ▶

      Traduisez “il s'agit d'un emprunt au substrat pré-grec, au vu des variations rencontrées”.



      Allez, gardons l'espoir, avec un dernier mot :
      • l'archaïque κόλος, kólos, qui se dit de bœufs, de chèvres, etc., “sans cornes, dont les cornes n'ont pas poussé”, ou encore d'une lance sans pointe. Nous pourrions le traduire par “tronqué, écorné, écourté, raccourci…”Oui, vous y retrouvez la notion de [cassurefaiblesse, infirmité...].

      Chantraine, après avoir énuméré avec ravissement tous les emplois et acceptions du mot, ainsi que les nombreux composés où il figure, nous précise qu'étymologiquement, tout se rattache au vieil adjectif ϰόλος, kólos, qui serait peut-être un nom verbal issu d'un radical verbal signifiant “frapper”.

      Mmmmmh, mais comme cela annonce de bien belles choses ...



      Chantraine et Beekes, de concert, nous racontent encore que deux verbes sont étroitement apparentés à κόλος ; ils en sont d'ailleurs peut-être même dérivés κολάζω, kolázô, châtier, punir, réprimander”, et κολούω, koloúō“mutiler, limiter...”.

      Aaaaaaaah...



      Hélas, hélas, hélas…

      Beekes tente bien de rapprocher *kelh-, “battre, frapper”, du grec ancien κλάω, kláô“briser, casser…”, mais sans en être particulièrement …


      … convaincu.


      Mais finalement, ce qui fait clairement pencher la balance du côté du pré-grec, c'est que le lien entre *kelh-, “battre, frapperet ces deux verbes étroitement apparentés à κλάω que sont κολάζω et κολούω est improbable (entendez, dans le langage mesuré de Beekes, “plus que difficile à expliquer”).

      Beekes se retient encore tant bien que mal,
      mais c'est sûr, , il va craquer.



      Considérant que l'étymologie de ces deux verbes apparentés à κλάω, kláô est obscure, il en conclut par transitivité, tout en restant prudent, que nous avons affaire probablement - sans certitude - à un complexe pré-grec.

      ◀ PG? ▶

      Traduisez “il s'agit peut-être d'un emprunt au substrat pré-grec, sans certitude”.


      Et oui, c'est comme ça.


      Pour clore ce chapitre grec ancien (ou pas !?), je vous propose quelques emprunts savants dont le français a toujours été si friand, et dont il a délicatement saupoudré son vocabulaire scientifique, notamment en géologie et en médecine...

      Mais
      - vous l'avez (trop) bien compris -,
      il y a peu de chances que ces mots puissent être reliés à notre lointaine *kelh-, “battre, frapper”.



      Qu'à cela ne tienne ! Si ce n'est pas le cas, dites-vous bien qu'ils descendent alors d'une langue lointaine, au moins aussi ancienne que le grec ancien, et qui a réussi, avant de disparaître, à marquer ce dernier en profondeur, ce qui n'est quand même pas rien...





      Sur κλάω, kláô“briser, casser...”,

      cassé-aanh


      le grec ancien avait créé l'adjectif κλαστός, klastos, “brisé”.
      Nous l'avons emprunté, pour faire notamment...
      • clastefragment d'origine minérale ou organique entrant dans la composition d'une roche sédimentaire,
      Vous aurez évidemment reconnu, en a), des brèches avec des clastes décimétriques sub-anguleux de calcaire micritique à foraminifères planctonique ; en b) un joli granoclassement normal au sein d'une des stratifications obliques présentes dans les faciès bréchiques ; et enfin, en c), une distribution des faciès bréchiques (couleur violette) et gréseux (couleur jaune) au sein de la formation du Flysch Supérieur de Bourail, Nouvelle-Calédonie.

      Pour l'anecdote, les bancs bréchiques ont une base érosive (traits rouges) et sont marqués par des mégarides (traits noirs discontinus) dont, tout à fait entre nous, ils auraient parfaitement pu se passer.
      (source)



      • le suffixe -claste, utilisé pour former un nom correspondant à une notion de destruction, comme dans, par exemple :
        • ostéoclaste, littcellule détruisant l'os ancien,
        • chondroclaste : cellule renouvelant le cartilage dégénéré,
        • iconoclaste, litt. “briseur d'images”,
      iconoclastes



      S'il est avéré que Manuella (de Koh-Lanta, bande d'incultes) veuille effectivement
      casser son image de femme parfaite, comme le mentionne Gala,
      alors, nous tenons un autre bel exemple d'iconoclaste.

       

      ou encore
        • le plus récent et rafraîchissant orchidoclaste, pour “casse-bonbons”,



      • clastiquedépôt formé de fragments brisés de roches, de minéraux ou d'organismes ; crise violente marquée par des bris d'objets”,
      • clastique, mais en tant que suffixe (-clastique) :
        • pyroclastique : littbrisé par le feu: vague de lave issue d'un volcan en éruption”,
      Écoulement pyroclastique


        • anaclastique : en dioptrique (vieilli), qui réfléchit la lumière”,

      • panclastite : explosif liquide d’une grande puissance, composé de peroxyde d'azote et d'un combustible liquide. Il a été utilisé notamment en 14-18 dans les bombes d'avion ; le mélange des deux liquides se faisait juste avant le largage des bombes.
        Comme son nom l'indique, quand la panclastite explose, ça fait pan.




      Sur le grec ancien κλασις, klasis, “cassure, fracture…”, toujours bien dérivé de κλάω, kláô“briser, casser…”, nous avons encore créé, par exemple :
      • anaclase : en métrique gréco-latine, “procédé de scansion qui consiste à résoudre une longue en deux brèves théoriques, susceptibles d'être réparties entre deux pieds contigus”, en médecine, inflexion articulaire...”, en optique, “réflexion ou réfraction de la lumière ou du son”...

      Et il y en a encore plein d'autres…






      Je vous souhaite, à toutes et tous,
      un excellent dimanche, une heureuse semaine.





      Frédéric



      ******************************************
      Attention,
      ne vous laissez pas abuser par son nom :
      on peut lire le dimanche indo-européen
      CHAQUE JOUR de la semaine.
      (Mais de toute façon,
      avec le dimanche indo-européen,
      c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

      ******************************************

      Et pour nous quitter,

      la talentueuse chanteuse canadienne

      Emilie-Claire Barlow

      nous rappelle, longtemps après Louis Armstrong, que le monde est merveilleux…
      Avec ou sans dérivés grecs anciens à notre *kelh-, “battre, frapper”.

      What A Wonderful World, 1967,

      paroles et musique de George David Weiss et Bob Thiele.



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