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dimanche 17 juin 2012

roulez, jeunesse




Nous sommes toujours au mois de juin! Et au troisième épisode de notre trilogie...

Nous avons traité la semaine dernière de *aiw- (ou *ayu-): force vitale, vigueur de la jeunesse.
(Tout était parti de DON'T PANIC, 42 et toutes ces sortes de choses, l'article d'il y a deux semaines)

Continuons dans le même ordre d'idées, et parlons à présent d'une racine dérivée de *aiw-, véhiculant elle aussi la notion de "force vitale" associée à la jeunesse:


*yeu-.


Au degré zéro (sans le "e"), et accolée au suffixe -wen (donc, pour donner *yuwen-), elle désignait celui - ou celle - qui possède la vigueur de la jeunesse, qui est jeune.

Vous devinez la suite!

Le français lui doit, via le latin juvenis ("jeune"): juvénile, jouvence, jouvenceau, jouvencelle.

Et jeune, aussi, bien entendu!

"Jouvence" nous vient de l'ancien français "jovente", du latin juventa: "jeunesse, jeune âge".

La Jouvence de l'abbé Soury


Une jeune vache n'ayant pas encore eu de veau, c'est une génisse.
Le latin classique connaissait junix, -icis: génisse, jeune vache.
En latin populaire, c'était devenu *jūnīcia, puis enfin *jenīcia, que le français a repris dans génisse.

Génisse (à gauche)


Par le vieil anglais geoguth*yeu-, sous une forme suffixée *yuwn-ti-, a transmis à l'anglais youth: la jeunesse, via le germanique *jugunthi-.

Et à partir d'une autre forme, *yuwn-ko-, cette même racine *yeu-  a transmis au vieil anglais geong, devenu en anglais moderne young: jeune.

Junior est également un descendant de la racine, iunior étant en latin le comparitif de iuvenis (jeune), donc signifiant: "plus jeune".

- Ouais, ok, on a compris: des dérivés en français et en anglais, et à part ça, que dalle dans les autres langues indo-européennes. C'est ça hein?
- Pas tout à fait, non...

Déjà, il ne faut pas oublier l'allemand jung, le néerlandais jong, le norvégien young, le danois unge, ou même le suédois ung... - qui est aussi, curieusement, l'onomatopée émise quand on se coince le doigt en montant un meuble IKEA, tout en tentant de conserver en bouche les vis que l'on avait préparées.

Le grand Carl Gustav Jung


N'oublions pas non plus l'espagnol joven, ou l'italien giovane...

- Ouais, c'est ça, Mossieu je-sais-tout; mais à part les langues latines et germaniques, hein??

Ben, il y a aussi le russe юный ("iouneil"): frais, jeune, juvénile.

Et puis l’ukrainien ю́ний. Ou le vieux-bulgare юн, юне́ц, юне́, pour "jeune taureau".
Ou юна́к pour "jeune héros".

Allez, soyons fou: il y a aussi le serbo-croate jу́нац (génitif jýнца), signifiant toujours "jeune taureau", jу̀ница ("génisse"), le slovène junóta "(les jeunes gens) ou júnǝс ("jeune taureau, faon").

Ou encore, en tchèque ancien junec ("jeune taureau") ou junoch ("jeune homme").

Nous avons encore le tchèque moderne jinoch ("adolescent"), le slovaque junač ("les jeunes") ou junák ("garçon, gaillard"), les polonais junosza ou junoch ("adolescent"), juniec ("jeune taureau"), ou junak ("adolescent")...

Ah oui tiens, on retrouve encore "jeune taureau" en tant que juvencus en latin, mais aussi sous la forme junk en bas-sorabe.

- Euh, vous avez bien dit "bas-sorabe"?

- Eh bien oui! Le bas-sorabe (dolnoserbski, ou en allemand Niedersorbisch) est une langue slave parlée en Allemagne (encore faut-il qu'elle soit parlée, me direz-vous).
Elle appartient, avec le haut-sorabe, au groupe des langues... sorabes.

Usitée en Basse-Lusace (à Cottbus et dans ses environs, dans le Brandebourg), par environ 10 000 locuteurs, elle est menacée d’extinction.

Je n'oserais pas supposer que le haut-sorabe est usité en Haute-Lusace?

Le haut-sorabe est donc en bas, et le bas-sorabe en haut


Allez, encore une fournée:

Transmis par la racine protoslave *junъ, *junьcь, nous avons encore le lithuanien jáunas (jeune), le letton jaûns (jeune),ou le lithuanien jaunìkis (jeunes mariés)...

Jeunes mariés lituaniens


En indien ancien, on retrouve yúvan- (génitif. уū́nаs) (jeune, adolescent), et en avestique yuvan- (génitif уūnō).

La déesse romaine Iuno (Junon) était probablement ainsi nommée ("la jeune") parce qu'elle était la déesse de la "jeune lune" (entendez de la "nouvelle lune").

Junon, fille de Saturne


Et voyez comme les choses sont bien faites, et comment la boucle se boucle:

C'est de son nom que provient...  juin, le mois de Junon...

L'appel du 18 juin


Frédéric


article suivant: en attendant *gheu-*dyeu-

dimanche 10 juin 2012

l'éternité? Oh juste une bonne hygiène de vie.






"Eternity is a long time, especially towards the end."
("L'Eternité, c'est long, surtout vers la fin.")
Woody Allen

Les Oiseaux de Moebius,
Maurits Cornelis Escher
l'éternité représentée!


Second volet de notre trilogie!

Nous avions traité, lors du dimanche indo-européen de la semaine dernière, de la racine *gʷeiǝ-,"vivre".

Une des raisons pour lesquelles je me passionne pour le proto-indo-européen, et a fortiori pour lesquelles j'ai créé ce blog,  c'est le bonheur que j'éprouve à pouvoir réunir ce qui est épars: découvrir des points communs entre des choses qui, à première vue tout au moins, n'en ont pas.

Trouver le lien invisible entre des mots d'une même langue, ou même entre les mots de langues différentes.

Oui, peut-être, d'une certaine façon, tenter, à mon humble niveau, de retourner symboliquement, le temps d'un instant, à l'âge mythique d'avant la Tour de Babel, où la langue se confondait avec la parole, avec la Parole.

En page 2 de mon dictionnaire préféré: "The American Heritage dictionary of Indo-European Roots" par Calvert Watkins, je trouve une racine qui me fait bougrement plaisir!

Car elle permet justement de créer des liens que jusque là je n'imaginais pas.

Calvert Watkins,
sans qui "le dimanche"
n'existerait probablement pas


Cette racine proto-indo-européenne, la voici: il s'agit de *aiw- (ou *ayu-).

Vous allez rapidement comprendre pourquoi je tenais en un premier temps à traiter de la racine *gʷeiǝ-,"vivre"....

Car le champ sémantique de *aiw- (ou *ayu-) s'étendait à des notions allant de "force vitale", "vie", à "longue vie", "éternité"; elle pouvait s'appliquer à "qui est doté du meilleur de la force vitale", entendez "à qui est jeune".

Une petite parenthèse: les racines proto-indo-européennes que l'on retrouve, ou en tout cas reconstruit, sont des "bouts de mots avec un sens". Rarement des mots complets (d'où souvent la présence d'un tiret "-" après, ou même avant la racine). 
Même si l'on peut décemment croire en l'existence d'une racine, et en la façon plus ou moins précise dont elle se prononçait, le gros souci du linguiste est d'en déterminer le ou les sens associés. 
La reconstruction en tant que telle est devenue chose relativement(!) aisée, mais il faut encore donner un sens au bout de mot retrouvé. 
Facile quand tous les dérivés de ce "proto-mot" recueillis dans les langues indo-européennes concordent en leur définition; nettement plus ardu quand la signification de ces mots diffère d'une langue à l'autre... Le linguiste doit alors peser, évaluer, et finalement choisir. Avec tous les risques d'erreur ou d'omission que cela comporte. 
Parfois aussi, certains linguistes estiment qu'une même racine proto-indo-européenne recouvrait plusieurs significations, alors que pour d'autres, ces significations ne peuvent être liées, et sont à associer au contraire à des racines bien distinctes, mais très semblables - voire carrément identiques quant à leur retranscription... 
Tout cela pour expliquer qu'il vaut toujours mieux interpréter les significations des racines, et considérer que ces racines ne font que "véhiculer une (ou plusieurs) notion(s)", qu'elles "correspondent à une signification". Sans plus. 
Je crois qu'il vaut mieux penser à l'image qu'elle peuvent représenter, plutôt que tenter de les figer dans un sens littéral... 
Ce qui en soit est magnifique! Mais oui! 
Car c'est VOUS qui vous les appropriez, et en cela VOUS les faites revivre... 
C'est ainsi que je comprends le sens de la force de l'esprit vivifiant sur la lettre morte... J'espère que Paul me pardonnera de le paraphraser ainsi ("la lettre tue, l'Esprit vivifie" -2 Corinthiens 3,6). 
Euh, j'ajouterai que si tout le monde pouvait ainsi rechercher l'esprit des textes plutôt que s'arrêter à la lettre (en d'autres termes, chercher le contenu plutôt que s'attarder au contenant, ou encore: regarder dans la direction indiquée par l'index, plutôt que de regarder le doigt lui-même...), il y aurait moins de fanatisme borné, stupide et liberticide sur Terre. 
Fini le créationnisme, fini le totalitarisme religieux... On peut rêver, non! 
Enfin... (et je ne peux m'empêcher de repenser à ce passage de Monty Python's Life of Brian)




- Farpaitement! Patron, remets-nous ça!
OK, bon, j'arrête ma morale de comptoir à deux balles, pour revenir à la racine proto-indo-européenne de ce dimanche: *aiw-*ayu-:

Nous retrouvons la racine dans le vieil anglais ā "à jamais, pour toujours".
Et c'est très probablement la combinaison, en vieil anglais, de ā et de fēore (au nominatif feorh: "vie, existence"), qui a donné ǣfre, qui est devenu plus tard, en moyen anglais... ever!
Ever, qui reprend le sens de ā: "à jamais, pour toujours".

Et notre vieil anglais ǣfre, associé à ǣlċ ("each": chaque), a donné en moyen anglais everich... devenu à présent every: tout, chaque, ...

Never, évidemment (jamais: la négation de "toujours"), provient de *aiw-, accolée à la racine proto-indo-européenne reprenant l'idée de "rien, nul, négation": *ne.

Neverland, où vit Peter Pan
Avez-vous LU Peter Pan? C'est une splendeur...

Par le vieux norrois ei, *aiw- nous a aussi donné le fameux Aye que vous entendrez encore maintenant comme réponse à un ordre donné sur un vaisseau de sa Très Gracieuse Majesté:

"aye aye Sir", par laquelle le matelot confirme sa compréhension de la commande, et sa mise à exécution.

L'équipage du HMS Stork, 1942


"Oui, oui, Monsieur". Curieux, non?
Que cette notion de "vigueur, de jeunesse, de longue vie", passe ainsi à une sorte de "oui"...

(Notons qu'en écossais, "oui" peut encore se dire aye, et que dans la Chambre des Communes britannique, prononcer "aye" est toujours la façon accoutumée de donner son accord à une motion).

Je me l'explique par la notion d'affirmation liée à ce qui existe. "C'est là, je le vois, c'est devant moi..." "VIE = OUI", "MORT = NON", ou quelque chose comme ça...

Munie du suffix*-ā qui permettait de former des noms abstraits ou collectifs, la racine proto-indo-européenne *aiw- (ce qui nous fait donc *aiwā) a, par une dérivation en plusieurs étapes, donné l'allemand echt "vrai, véritable".

Car "ce qui est éternel, ce qui dure" a finalement désigné "ce qui se fait toujours, ce qui est traditionnel, ce qui est de coutume".
Pour devenir: ce qui est donc légitime, ce qui est à faire.
Donc, en fin de compte, ce qui est vrai. "Car nos ancêtres ont toujours fait comme ça; c'est comme cela que les choses nous ont été transmises".

On retrouve ici la notion importante de tradition (la transmission), qui rend fous nos esprits modernes, cartésiens et raisonnables, alors qu'elle est au centre de toutes les civilisations, même de la nôtre.

- Bon, coco, c'est bien ton machin, mais jusqu'à présent, tu ne parles pas vraiment du français...
- C'est parfaitement exact! Et c'est là où je veux en venir:

J'ai toujours trouvé le mot anglais "ever" tellement beau...
Et me suis toujours demandé à quel mot on pouvait l'associer en français.
Sans jamais trouver...

Et, oui, c'est par le proto-indo-européen que j'ai fait le lien:

Jouez le jeu: pensez au début du mot: "ev", et réfléchissez à des mots français qui exprimeraient l'idée de durée, d'âge, et qui reprendraient ce bout de mot...

Ca y est?

Longévité! Médiéval!

Eh oui!
Ils nous sont passés du proto-indo-européen par le latin aevum: âge, éternité...

"Longévité", dans la série des posters démotivants


Une forme postérieure de la racine *aiw- a, elle, donné naissance par le latin aetās, à notre français âge.

Une autre forme de la racine, *aiwo-, suffixée par -t-erno pour créer *aiwo-t-erno, a, bien évidemment, donné éternel, éternité, sempiternel...

Et ce n'est pas fini...

Une forme plus ancienne de la racine, *ǝyu-, combinée à notre racine de la semaine dernière: *gʷeiǝ-, pour donner *ǝyu-gʷeiǝ-es ("avoir une vie vigoureuse"), a transmis au grec ὑγιής (hugies): en forme, en bonne santé.

D'où nous vient le mot... Hygiène!

...


Allez, une toute dernière pour la route:

Vous rappelez-vous que nous avions évoqué la racine *weid- voir, savoir (in arbres, vérité, druides et dead parrots), qui avait notamment permis de créer le sanskrit veda - connaissance?

Eh bien, la racine proto-indo-européenne *aiw-, dans sa forme ancienne *ǝyu-, adjointe à *weid-, a créé le mot sanskrit désignant la médecine traditionnelle hindoue "la connaissance de la longue vie", Ayurveda, en sanskrit: आयुर्वेद - Āyurveda.

Dhanvantari, la divinité associée
à l'Ayurveda



Bonne et longue vie à toutes et tous!

Frédéric

article suivant: roulez, jeunesse

dimanche 3 juin 2012

DON'T PANIC, 42 et toutes ces sortes de choses


article précédent: feu à volonté




NAD (n.) 
Measure defined as the distance between a driver's outstretched fingertips and the ticket machine in an automatic car-park. 1 nad = 18.4 cm.





("NAD (n.)  
Distance entre l'extrémité des doigts tendus d'un conducteur et le distributeur de tickets dans un parking à paiement automatisé. 1 nad = 18,4 cm.")
Douglas Adams & John Lloyd, The Meaning of Liff

Douglas Adams


Le 25 mai dernier, c'était le Towel Day!

De l'intérêt de toujours avoir un essuie-main,
une serviette de toilette sur soi

Le jour qui célèbre désormais Douglas Adams, décédé en 2001, l'auteur de la nécessaire, indispensable, formidable, extraordinaire Trilogie du "Hitchhiker's Guide to the Galaxy".

Ah oui, je ne l'avais pas précisé, mais ça va de soi: il s'agit d'une trilogie en cinq volumes.


Tout simplement extraordinaire...


A l'origine, il s'agissait d'un feuilleton radiophonique diffusé sur la BBC en 1978.

Humour absurde, décalé, d'une logique irrésistible et implacable.
Douglas Adams et les Monty Python ont puisé clairement à la même source.
Douglas Adams a d'ailleurs brièvement collaboré avec les Monty Python.

DON'T PANIC! (toujours en majuscules!), c'est ce qui est inscrit sur la couverture du "Hitchhiker's Guide to the Galaxy", cette sorte de Guide du Routard intergalactique, que vous consultez en cas de souci, comme par exemple si un Vogon vous oblige à écouter sa poésie...

Quant à 42, c'est tout simplement LA réponse; la réponse ultime, la réponse à LA question ultime (d'où venons-nous, pourquoi, ...)...

Pour en savoir plus, vous devez lire "The Hitchhiker's Guide to the Galaxy"!

Pour ce qui est du Meaning of Liff, Douglas Adams s'était dit qu'il y avait énormément de noms de villes, de villages, de toponymes qui finalement ne servaient à rien.

Et que dans le même temps, une multitude de choses n'avaient pas de nom...

Comme cette flaque dans laquelle on vous rend votre monnaie sur le comptoir d'un bar, ou l'odeur présente dans un taxi que vous empruntez alors que quelqu'un vient d'en sortir, ou encore cette simagrée de marche rapide qu'opère un piéton devant votre voiture quand vous vous êtes arrêté pour le laisser passer...

Et donc, il a, dans The Meaning of Liff, associé à ces noms "inutiles", une définition pour laquelle un mot n'avait jamais été créé... C'est tout simplement hilarant, tordant, intelligent, bien observé...
Un petit bijou...


Eh bien, à ma façon, je célèbrerai la vie et l'oeuvre de Douglas Adams par une trilogie: un sujet qui couvrira trois "dimanche" consécutifs...

Pour faire bonne figure - premier volet de la trilogie - nous devons commencer par une racine proto-indo-européenne qui est associée à une notion de base, fondamentale:

vivre.

Parce que tout commence par là!


Je veux parler de la racine *gʷei-, ou *gʷeiǝ-.

Elle nous a transmis l'anglais "quick". Et le français vif.

L'un comme l'autre signifient "vivant", "en vie" avant de vouloir dire "rapide", "preste"...

"vif" nous est parvenu par le latin vīvus - vivant, en vie; alors que "quick" nous a été transmis par le biais du germanique *kwi(k)waz.

En français, nous parlons toujours de "mort ou vif".

En revanche, en anglais, le mot "quick" a pratiquement perdu son sens de "en vie".

Pourtant, jadis, on considérait qu'un bébé commençait réellement à vivre quand il bougeait pour la première fois dans le ventre de sa mère.
Et ce moment si important, on le qualifiait, en anglais, de "quickening", de "mise en vie".

On ne retrouve plus le mot anglais dans son acceptation initiale que dans la Bible du Roi Jacques, qui parle de Jésus comme "juge des vivants et des morts": judge "of quick and dead".

Ou dans le mot quicksilver, le mercure!
D'ailleurs, autrefois nous l’appelions en français vif-argent, "l'argent vivant"...

The King James Bible


Par le latin vīta - la vie, nous devons à la racine proto-indo-européenne *gʷeiǝ- vitalité, vital ou même vitamine!

Par le latin vīvus (en vie, vivant), *gʷeiǝ- nous a bien entendu légué vie, vivant, mais également vivarium, vivide, vivifier, vivacité, viable, vivace, convivial...

Et aussi... viande, vivres (les "provisions"), victuaille, ravitailler.

Viande, vivres, victuaille?? Mais euh??
Mais oui, c'est l'idée de "tout ce qui sert à la vie", qui "permet de vivre"...

Vipère! Vipère provient de la contraction du latin vīvipera: vivipare: "qui porte des jeunes en vie".

Car de nombreuses espèces de vipères "portent leur progéniture en vie", les oeufs incubant et éclosant dans le ventre de la femelle.
Nous parlerions maintenant plus précisément de la vipère comme d'une espère ovovivipare.
(pour vipère, voir également Mes parents? Là sur le rempart, sous le parasol.)

Sous une forme suffixée en -o, au degré zéro (perdant sa voyelle e), la racine *gʷeiǝ-, devenant donc *gʷiǝ-o, s'est dérivée dans le grec βίος - bios: la vie.

A qui nous devons biologie, microbe, antibiotique, mais aussi amphibien...

De biographie à biosphère, il serait fou de citer tous les mots qui en sont dérivés!

En voici une liste, non exhaustive...


Et puis, ne l'oublions pas, c'est toujours une variante de la racine, *gʷyō- qui nous a donné le grec ancien ζωή - zôê, "vie", sur quoi nous avons construit zoo, zodiaque, protozoaire...


Ce qui nous ramène à notre sujet de départ:

Car c'est Zooey Deschanel qui jouait le rôle de la terrienne Trillian dans l'adaptation très (trop, beaucoup trop) hollywoodienne du Hitchhiker's Guide to the Galaxy...

Zoé, c'est littéralement celle qui est pleine de vie...

Zooey Deschanel dans l'adaption au cinéma du
Hitchhiker's Guide to the Galaxy



A dimanche prochain, pour la suite!!!




Frédéric

dimanche 29 avril 2012

Tour de France et Tour de Babel


article précédent: Vestales, malléoles et Lofoten





En cette période d'élections en France, nous entendons régulièrement parler de "nation", de "vrais Français"...

Ce "dimanche indo-européen" n'est pas là pour polémiquer, ni faire de la politique (dans le sens commun du terme).

Certes non.

(Même si, je l'avoue, je préfère vivre en démocratie plutôt que dans un système totalitaire.
Mais bon, ça c'est strictement personnel. Les goûts et les couleurs, mon bon Monsieur...)


Mais il est peut-être intéressant de reprendre l'étymologie de quelques-un de ces mots que l'on entend si souvent en ce moment...


Alors, commençons par...

"Nation", qui provient, par le latin natio ("naissance, peuplade, nation") de la racine proto-indo-européenne


*gen- ou *genǝ-: donner naissance, enfanter, engendrer.


Nous devons à cette fertile racine engendrer ou gène, évidemment, mais aussi genre, générer, dégénérergendregénérateur, génération, généreux, génital, génériquegens ("les gens"), généalogie, genèse ...

Exemple de dégénéré


- Mais enfin, quel lien phonétique peut-on faire entre natio et *gen-? Gène je comprends, mais natio/nation?? C'est du grand n'importe quoi, oui!!

- Remarque subtile. Je dois effectivement préciser que le latin natio vient d'une forme au degré zéro (sans voyelle) de la racine: *gnǝ-, prolongée du suffixe *-sko.

Le composé ainsi formé, *gnǝsko- a ... donné naissance (c'était un peu facile, j'en conviens) à natio, mais aussi au latin nascere: naître (nascio: je nais).

C'est de lui que nous proviennent naître, naissance, natal, ...


*gnǝsko- nous a également légué le latin natura, avec le sens d'"action de faire naître, caractère naturel, ordre naturel").

Et bien évidemment, natura est devenu nature....


Plus surprenant: sous une forme réduite *gn- et devenue un suffixe, la racine *gnǝ- a fourni bénin et malin.
Mais oui: on retrouve trace de la racine originelle une fois que l'on met ces deux adjectifs au féminin: bénigne, maligne.

Bénin, c'est étymologiquement ce qui est "bien né"; malin ce qui est "mal né".

Bénin

La racine, au degré zéro (donc: *gn- / *gnǝ-) nous a donné imprégner, par le latin improegnare: inséminer, fertiliser.

Et aussi l'anglais... pregnant: enceinte.


Le genius latin était le "démon tutélaire qui préside à la conception, donc à la destinée d'un homme". Et de nos jours, être un génie, c'est détenir un talent inné, donc de par sa naissance.

Ingénieux, et par la suite ingénieur, proviennent aussi de cette même racine *genǝ-, par le biais du latin ingenium: "génie, savoir-faire", "disposition naturelle" (entendez: "dans les gènes").

Ne JAMAIS embêter un ingénieur


En ces temps d'élections présidentielles françaises, on aime souvent à se référer au.. Général!

Giraud, Roosevelt, de Gaulle et Churchill
à la Conférence de Casablanca, janvier 1943


Le Général - le mot vient bien de la même racine *gen-, c'est celui qui commande à "toute une classe, tout un genre" de personnes.

A l'origine, il s'agissait uniquement d'un adjectif, que l'on a accolé à capitaine ("capitaine général") pour désigner un militaire de haut rang.


Enfin, la forme suffixée *gn(ǝ)-men nous a donné germe, germination, mais aussi... Germain!
Les Germains étaient des hommes "du même germe". Une grande famille, quoi!

En Droit, on parle toujours de:

  • Frère germain, sœur germaine: de mêmes père et mère, par opposition à consanguin (de même père et de mères différentes) et à utérin (de même mère et de pères différents).
  • Cousin germain, cousine germaine: issu de deux frères, de deux sœurs, ou du frère et de la sœur.


Mais, et le mot "France"? (Soit dit en passant, avez-vous déjà extrait les lettres FN du mot France? Il reste alors les lettres: race).

Mieux vaut conserver les mots en entier, vous ne trouvez pas? Ils sont tellement plus riches...

Carte du Tour Auto 1952


Mais revenons à l'origine du mot:
NON, le mot ne provient pas d'une réelle racine indo-européenne commune (peut-être nos lointains ancêtres usaient-ils d'un autre terme pour désigner le "centre du monde"?).

La France est clairement le centre du monde
Elements de géographie (édition 1906)


Car il est une création (relativement) plus récente, que l'on ne trouve que dans certaines langues dérivées indo-européennes.

"France", vous le savez, provient du nom de cette tribu germanique, les Francs, qui a pris la Gaule celtique aux Romains du côté de l'an 500.
Cette tribu prendrait son nom (rien n'est très sûr) du vieux germanique *frankon-: le javelot - la lance, qui, on le suppose, aurait été leur arme de prédilection.



Bon, je charrie un peu nos amis Français, mais soyons clairs, en Belgique, nous n'avons de leçon à donner à personne en matière de politique, avec nos puériles, mesquines, pitoyables et ridicules querelles linguistiques.

No comment


Car en Belgique, il faut bien le comprendre: le langage, cette faculté oh combien humaine et essentielle à l'Homme, qui est censée réunir... sépare.

La Belgique vue par TF1. Ca fait peur.

C'est curieux, non? Dans cette infime, microscopique péripétie spatio-temporelle qu'est la Belgique, le "langage", en devenant "langue", perd sa fonction première.
Ou carrément, dans ce cas-ci, change de pôle, s'inverse et devient un outil de séparation, de discorde.

La langue qui rassemblait, puis qui a séparé? Mais ma parole, on devrait parler de la Tour de Babelgique!

1563-Pieter Brueghel l'aîné, la Tour de Babel, détail


-- Coupez ici pour sauter mes digressions et emportement belgitudinesques non linguistiques --
Dans le monde, des gens meurent de faim, beaucoup de nos frères humains vivent dans la précarité, dans la guerre, dans la souffrance, dans le sang. Certains ne savent pas s'ils survivront à la nuit, s'ils auront à manger ou à boire le lendemain. Ils se demandent seulement qui parmi leurs enfants, parents, voisins, amis ils devront pleurer bientôt.

Et nous, nous dissertons sur l'emploi des langues dans telle ou telle commune de Belgique.

C'est tout bonnement fascinant.

Tout ce que je nous souhaite - à nous Belges - c'est d'avoir la possibilité de jouer encore très longtemps à ce grand jeu.
Je nous souhaite encore beaucoup de paix, d'opulence, de prospérité et de temps à ne plus savoir qu'en faire pour nous permettre de nous adonner à ces jeux d'enfants gâtés, à ces passe-temps de "gosses de riches" qui n'ont vraiment rien d'autre à faire.

Car ce n'est que quand on est assuré de se coucher chaque soir dans un lit chaud et douillet, le ventre bien plein et bien tendu, qu'on peut se permettre ce genre de querelles autant absurdes qu'intestines...

Mais bref.

Je m'emporte, pardonnez-moi.
Mais ça peut se comprendre, surtout quand vous saurez que..
-- Fin de mes digressions et emportement belgitudinesques non linguistiques --


"Belge" selon Wikipedia, serait issu du celtique *bhelgh "se gonfler, être furieux" (à rapprocher du gaulois *bolga "sac de cuir" ou du vieil irlandais bolg "soufflet, ventre").

Le celtique *bhelgh dérive, EVIDEMMENT, d'une racine proto-indo-européenne *bhel- "gonfler".

Il faudrait donc comprendre le terme soit comme "les furieux" soit comme "les fiers, les vantards, ceux qui se gonflent comme une outre". Amusant non?


J'ai trouvé une autre étymologie, basée sur le composé BEL-GA:
*bhelgh, "objet gonflé, rond", véhicule, au sens figuré: "cercle, alliance".
Et -ga aurait désigné, en gaulois, un homme armé.

"Belges" signifierait alors "les hommes de l’alliance".
Le mot composé serait ainsi d’origine gauloise.
Et il semble que César nous confirme l’existence d’une alliance de tribus.

Une sorte de "communauté de l'anneau", en somme!

The Fellowship of the Ring


"Flandres" et "Flamand" (Vlaanderen et Vlaams) viennent très probablement du frison, de *flāndra et *flāmisk (en vieux frison flamsk), dont l'étymon germanique est *flaumaz, signifiant "débordement, inondation".
Cet étymon provient du proto-indo-européen *pleu-: couler. (il y a plein de choses à en dire!)

A noter qu'une autre théorie, assez proche, fait remonter les mêmes mots Vlaanderen et Vlaams à une racine germanique flām-, signifiant "zone inondée"; on retrouve un dérivé de cette racine dans le proto-germanique (dit aussi germanique commun): *flōðuz, "inondation".

Dans tous les cas, on peut déduire qu'il s'agit de décrire les habitants de zones souvent inondées...


Quant au terme Wallon, il vient de Walha, très vieux mot germanique utilisé par les Germains pour désigner les populations celtophones ou romanes, ou plus explicitement dit: "les étrangers, ceux qui parlent roman ou celte".

On retrouve la racine dans les mots Wales (Pays de Galles), Cornwall (Cornouailles), et même Valachie.
La Valachie est, avec la Moldavie, à l'origine de la Roumanie.


Les armes de la Valachie.
Ca fait très Syldavie , non?


On en retrouve la forme adjectivale notamment en vieux norrois, valskr signifiant "Français", en vieux haut-allemand, walhisk signifiant "Roman", ou encore dans l'anglais moderne Welsh (Gallois).


Et ceci nous ramène tout gentiment à la France... Car le mot "Gaule" provient lui aussi de Walha...




Frédéric le furieux, dit "sac de cuir" (ou aussi "gonflé du ventre")

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