- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 24 novembre 2019

"*wɁi-, *vìti-, wić" (Jules César, rendant état au Sénat de sa rapide victoire sur Pharnace II, peu avant de désaouler)





 Vēnī, vīdī, vīcī

L'expression que l'Histoire a retenue, que 
Jules César a pu finalement prononcer correctement après avoir décuvé comme il convenait.
Ah ça, la bouche pâteuse...



Ce  je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu aurait été prononcé, selon Plutarque, par Jules César au Sénat Romain après son éclatante victoire sur Pharnace II (qui jusque là était roi du Pont, quand même), en Asie mineure en -47. 


Caius Iulius Caesar IV,
12 (ou 13) juillet 100 av. J.-C. - 15 mars 44 av. J.-C.























Bonjour à toutes et tous !




Nous avons découvert, la semaine dernière, deux superbes étymons,

  • le proto-slave *věja-, “branche
et
  • le proto-balto-slave *wɁitis-,
tous deux issus de notre jolie racine indo-européenne *ueh1-i-, “tisser, tresser...”.






Oui ?



Nous clôturerons trrrrrès bientôt ce chapitre balto-slave des dérivés de *ueh1-i-, “tisser, tresser, avec, non pas un, mais bien deux derniers étymons.





Oui, je sais.




En ce dimanche
- le tout dernier étymon, pas piqué des vers, ce sera pour la semaine prochaine -,
laissons-nous emporter par l'étymon balto-slave ... *wɁi-.
- t'es vraiment un comique, toi, hein ...


Il provient d'un degré zéro de notre douce *ueh1-i-, correspondant à une forme d'aspect aoristique.

Et non
- je vous connais -,
être aoriste n'est pas souffrir d'un handicap susceptible de vous faire traverser l'Atlantique à la voile pour sauver la planète. 

Aoriste, pas autiste, enfin !!

Voilà ! Á cause de vous, je vais encore devoir rendre des comptes à la bien-pensance, c'est malin. Comment osez-vous ? Vous m'avez volé mes rêves et mon enfance !

Aoriste, comme ce temps, cet aspect que l'on retrouve dans la conjugaison du grec ancien.
Qui l'a repris purement et simplement de l'indo-européen, hein, mais bon, c'est vrai que le grec ancien ne s'en vante pas trop... 

Il s'agit d'un aspect verbal perfectif, qui évoque donc une action sans référence aucune à sa durée, contrairement à l'imperfectif (qui décrit bien, lui, une action dans sa durée, si je puis me permettre). 

Si l'on devait transposer cette notion en français, eh bien nous pourrions dire,
  • au perfectif, je mange une pomme, 
ce qui donnerait,
  • à l'imperfectif, je suis en train de manger une pomme.


Au passé ? 
  • Je mangeai une pomme, perfectif, 

à comparer à 
  • je mangeais une pomme, imperfectif.


Oui ?

Oh, 'y a pas qu'le grec qui a conservé l'aoriste indo-européen ; on le retrouve avant tout en sanskrit, mais aussi en serbe, en bulgare, en croate, en bosnien, jusqu'en ancien tchèque.

Quant à l'emploi des aspects perfectifs et imperfectif, il se retrouve encore notamment en russe, même si, à proprement parler, le perfectif ne s'y exprime plus par l'aoriste.




Mais soit !


Reprenons:
L'étymon balto-slave *wɁi- provient d'un degré zéro de notre douce *ueh1-i-, correspondant à une forme d'aspect aoristique *uhi-t-.


Il a donné naissance
(nous sommes toujours, bien évidemment, dans un monde théorique, hein, il n'est pas question, ici, d'attestations de ces étymons ; c'est pas pour rien que je passe ma vie à taper des myriades de * devant tous les mots non-attestés)

  • au proto-slave *viti-“tordre, tresser, tourner...”,
ainsi qu'
  • au proto-balte *vyti- II, de même sens :  “tordre, tresser, tourner...”.
(oui, II, car il existe un étymon homonyme, intelligemment et subtilement nommé *vyti- I, de sens “chasser, poursuivre...”, sans aucune parenté avec le premier).


Alors, du balte *vyti II, “tordre, tresser, tourner...
- oui, lui d'abord -,
on fait descendre ...
  • le lituanien výti, “tordre, tresser, tourner...” (oui, je sais, c'est original),
Vilnius, capitale de la ... Lituanie
et 
  • le letton (mais l'est-on vraiment ?) vît, “festonner, tresser, enrouler...”.
Riga, capitale de la ... Lettonie, OUI !



Quant au slave *viti-“tordre, tresser, tourner...” , on en fait descendre ...
- mon dieu mon dieu mon dieu, ou plutôt Боже мой! - une flopée de mots.

Je ne passerai ici en revue que les dérivés directs de l'étymon slave *viti-, car sachez-le déjà
- et c'est tellement slave -
on a *vit- euh vite fait d'accoler une ch.ée débauche de ces fameux préfixes monosyllabiques 
terreur absolue des étudiants en russe -,
au verbe *viti- pour en altérer le sens.

C'est ainsi qu'un jour de blizzard, égaré dans la toundra, à bout de forces, transi, la neige jusqu'aux genoux, vous pourriez facilement tomber sur un ...

*perviti-, “plier”, ou sur un
*zaviti-, “tourner autour”, ou encore un
*naviti-, “enrouler, boucler”, ou même un
*poviti-, “emballer, envelopper”, un
*jьzviti-, “fléchir, courber”, voire carrément un
*orzviti, “développer”.

Et je vous le dis en toute honnêteté, mieux vaut tomber sur un ours affamé, ou sur une meute de loups.


Allez, on lui connaît comme descendance, à ce brave *viti-
- descendance dont le champ sémantique couvre toujours les notions de “tordre, tresser, tourner, tisser...”, ce genre de choses, quoi... -,
dans les langues slaves orientales,
  • le bielorusse віць, vicʹ, 
  • le russe вить, vitjʹ
  • l'ukrainien ви́ти, výty,
tenue traditionnelle ukrainienne

dans les langues slaves méridionales,
  • le - oooooouuuuiiIIIIIIIII - vieux savon d'église вити, viti, ou beaucoup mieux - en glagolitique !! - : ⰲⰹⱅⰹ, toujours viti,
  • le bulgare ви́я, víja,
  • le macédonien ви́е, víe,
  • le serbo-croate ви̏ти, vȉti,
  • le slovène víti,
tenue traditionnelle slovène

dans les langues slaves occidentales,
  • le tchèque vít,
  • le polonais wić,
  • le slovaque viť,
et enfin,
  • le bas sorabe wiś et, forcément,
  • le haut sorabe wić.
tenue traditionnelle sorabe (de Lusace)

Bon, finalement, ' sais pas vous, mais moi je préfère en rester à l'ukrainien
ou au slovène.




Et donc :


**************

*ueh1-i-, “tisser, tresser...”
degré zéro d'aspect aoristique *uhi-t-
proto-balto-slave *wɁi-
proto-slave *viti- et proto-balte *vyti- II, “tordre, tresser, tourner...”

*

proto-slave *viti-, “tordre, tresser, tourner...”

russe вить, vitjʹ,
vieux savon d'église ⰲⰹⱅⰹ, viti,
tchèque vít,
haut sorabe wić
(...)

*

proto-balte *vyti II, “tordre, tresser, tourner...”

lituanien výti, “tordre, tresser, tourner...”,
letton vît, “festonner, tresser, enrouler...”

**************









Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !





À ... dimanche prochain, pour la fin de notre chapitre balto-slave...






Frédéric

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Attention,
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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Tiens, si l'on devait associer tous ces tournoiements, ces virevoltes à une danse,
on pourrait se l'imaginer comme une valse, non ?


Pour nous quitter,


de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch,
Дмитрий Дмитриевич Шостакович,

le 7ème et avant-dernier mouvement de la 
Suite pour orchestre de variété n° 1,

la célébrissime Valse no 2,

mais ici ... dans une version peu banale
(et qui me plaît énormément),

interprétée
par un quintet composé exclusivement de violoncelles...





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dimanche 17 novembre 2019

Tu peux m'passer la perche de bois de saule pour attacher le toit de chaume ?





Ah ! le toit de chaume aspire au repos ! Elle aspire au repos, la minime flamme dansante sur l'étang morne ! Il aspire au repos, l'esprit vigilant qui se débat dans la chair des hommes depuis le commencement du monde.



Dialogues d'ombres, 1955
Georges Bernanos

Georges Bernanos,
20 février 1888 - 5 juillet 1948















Bonjour à toutes et tous !


Ces deux dernières semaines , nous évoquions les étymons celtiques provenant de notre sublime, fantastique, formidable *ueh1-i-, “tisser, tresser...”...





Il est temps, ne trouvez-vous pas, de passer aux étymons slaves qui en sont issus.





Comme je vous le mentionnais la semaine dernière dans un style et un phrasé très, disons, politicien, dans une remarquable langue de bois,




non, l'article précédent n'était pas court, il s'agit plutôt d'un article de transition.



Car le celtique *wēti-, “brin d'osier” nous met sur la voie sémantique de certains des dérivés slaves de notre vigoureuse racine *ueh1-i-“tisser, tresser...”.

 Je me hasarderais même à dire qu'en l’occurrence, il nous branche sur lesdits dérivés.


Car voilà, 

on
- ou plutôt, nommons-le : Rick Derksen !

















attribue à l'étymon slave *věja-, issu bien évidemment de *ueh1-i-“tisser, tresser...”
- sinon, je n'en parlerais pas maintenant, hein ? on suit ! - ,
le sens de ... branche.
(Je me fonderai, pour les dérivés baltes et slaves de *ueh1-i-, sur les deux (!) dictionnaires de Rick DerksenEtymological Dictionary of the Slavic Inherited Lexicon et Etymological Dictionary of the Baltic Inherited Lexicon)

D'où le 
- Ouiiiiiiii ! -

vieux slavon d'église вѣꙗ, věja-, “branche”.

Ou alors, dans les langues slaves méridionales, le slovène vḝja“brindille, feuillage”.






Pour sortir du cadre strict des langues slaves, si d'aventure vous vouliez un beau cognat sanskrit au slave commun slave *věja-
- qu'à cela ne tienne -,
je vous donnerais - et avec grand plaisir - le sanskrit वया, vayA, (notamment) “branche, brindille, feuillage”.


bouleau de l'Himalaya


Je préciserai encore que l'on passe de notre délicieuse *ueh1-i- au slave commun *vějapar une forme indo-européenne de timbre o *wohy-éh.



**************

*ueh1-i-, “tisser, tresser...”
timbre o *wohy-éh
proto-slave *věja-, “branche
vieux slavon d'église вѣꙗ, věja-, “branche”,
slovène vḝja“brindille, feuillage

**************


Mais il est encore possible de retrouver un autre étymon slave issu de notre jolie *ueh1-i-, “tisser, tresser...”. 

Eh oui ! C'est la fête, aujourd'hui !





Enfin... Vu que l'on fait de cet étymon le père de dérivés slaves mais aussi baltes, on va plutôt le qualifier d'étymon ... oui, balto-... oui, et ensuite ? slave, voilà ! 



Voici donc, issu de ueh1-i- par la forme de timbre (ou degré) zéro 


- oui mon chéri, il est parti, monsieur *e ; 'a p'us le *e pivot -,
voici donc, issu de ueh1-i- par la forme de timbre zéro, disais-je ... *uhi-ti-s-,
le balto-slave ... *wɁitis-, ...

[Euh, rappelons peut-être que ce Ɂ - qui n'est absolument pas un ?, regardez-le bien -, représente le fameux coup de glotte
ou consonne occlusive glottale, pour les vrais amateurs et autres pervers polymorphes -,
et correspond à une interruption du flux d'air, un peu comme dans la ridicule et vomitive scansion du Ho Ho Ho attribuée (par Coca Cola, je suppose ? - ici c'est bien un ?) à Santa Claus, le Saint-Nicolas 
- ou Père Noël, pour ceux que l'allusion religieuse dérange et/ou qui vivent en République - 
nord-américain.]



Et maintenant - c'est malin, je m'égare -, je reprends :

Voici donc le balto-slave *wɁitis-, désignant “quelque chose de tressé, de tourné

 à l'origine, 
  • par l'étymon slave *vitъ-...,
dans les langues slaves orientales,
  • du russe вить, vitj', “quelque chose qui a été tressé”,

dans les langues slaves occidentales,
  • du slovince ...
(ou vieux-poméranien, langue hélas aujourd'hui disparue ; je vous renverrais volontiers, les loulous, à ne confondons pas "les croisières en mer Baltique" et "les croisades baltes", où TOUT était dit sur le slovince)
loulou de Poméranie
... vjīc, qui désignait très précisément une ... perche de bois de saule pour attacher un toit de chaume,
[Admirez ici la sobre et soucieuse économie de cette langue, où la seule éructation de vjīc suffisait à faire comprendre à tout votre entourage que vous faisiez allusion à une perche de bois de saule pour attacher un toit de chaume...]

  •  et du polonais wić, “brindille, osier”,

et dans les langues slaves méridionales,
  • du serbo-croate pȁvit, “vigne”,
  • et du slovène vȋt “vis, tour”,

et à l'origine,
  • par l'étymon balte, cette fois, *vytis-,
  • du lituanien vytìs, “brindille”.




Ouuuuuf.





Tiens, et si,
histoire de montrer que cet illustre blog traite de TOUTES les langues indo-européennes,
je vous proposais un gentil p'tit cognat avestique à notre balto-slave *wɁitis-, pour finir en beauté, peut-être ? 


Mmmh ?




Eh bien, voici l'avestique ... vaēti-“saule”.

Salix aegyptiaca, ou saule de Perse




 Allez, une p'tite récap' du parcours de *ueh1-i-, “tisser, tresser...” par le balto-slave *wɁitis-, et on en restera là pour aujourd'hui...




**************

*ueh1-i-, “tisser, tresser...”
forme de timbre zéro *uhi-ti-s-
proto-balto-slave *wɁitis-
proto-slave *vitъ- et proto-balte *vytis-

*

proto-slave *vitъ-
russe вить, vitj', “quelque chose qui a été tressé”,
slovince vjīc, perche de bois de saule pour attacher un toit de chaume,
polonais wić, “brindille, osier”,
 serbo-croate pȁvit, “vigne”,
slovène vȋt “vis, tour”

*

proto-balte *vytis-
lituanien vytìs, “brindille

**************



C'est dingue, non ?

Vous auriez imaginé, vous,  que pour désigner une perche de bois de saule pour attacher un toit de chaume, les Slovinciens employaient un magnifique cognat de notre français vin ??

Que ces deux mots vjīc et vin sont étroitement apparentés ?

Et que l'avestique ... vaēti-“saule est leur cousin ?





Ben oui, j'pense qu'on peut remercier l'indo-européen, non ?





Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !





À ... dimanche prochain,






Frédéric






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CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
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Et pour nous quitter


- bon, j'allais vous trouver une composition classique ou romantique lituanienne,
ou alors un bon Rachmaninov,

mais non -,

je suis tombé presque par hasard sur cette bande annonce d'époque de

River Of No Return,

avec, bien entendu,

Marilyn.


Et elle chante si bien ...
Elle a une voix si douce ...
Et une prononciation si ...

 - aaaaaaaah -




Down In The Meadow,
par Marilyn Monroe



et ici, avec les sous-titres, pour le karakoé :



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