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dimanche 10 février 2019

râpé ou pas râpé ?


article précédent : C'est râpé




Les imams et les muphtis de toutes les sectes me paraissent plus faits qu'on ne croit pour s'entendre; leur but commun est de subjuguer, par la superstition, la pauvre espèce humaine.



Jean le Rond d'Alembert,
Lettre au roi de Prusse, 14 juin 1771


Jean le Rond d'Alembert,
1717 - 1783























Jean le Rond, à ne pas confondre, évidemment, avec...















... John le Carré



Bonjour à toutes et tous !




La semaine dernière, nous passions en revue quelques-uns des mots que vous m'aviez proposés comme dérivés possibles de l'infatigable racine indo-européenne

*(s)ker-, “couper, découper”.

C'est donc grâce à vous et votre intérêt pour l'étymologie et pour ce blog qu'exceptionnellement, je n'ai pas à chercher comme un malade de nouveaux sujets d'articles... Merci !


Mais continuons donc sur notre lancée...

Une lectrice me propose toute une série de mots apparentés
  • par le sens à notre chère *(s)ker-, “couper, découper”, et 
  • par la forme, entre eux. Et c'est déjà ça.

Ces mots, les voilà : secteur, sécateur, scie, insecte, voire sexe (à comprendre comme séparation entre mâle et femelle).

Il est un fait qu'ils dérivent bien tous du latin secō, -āre, "couper, trancher...".



Mais voilà... ! 

Le latin secō descend, certes, d'une racine indo-européenne - ouf -, qui plus est dont le champ sémantique couvre bien les notions de couper, amputer, MAIS cette racine n'est pas, hélas, 
du moins pour les sources qui me servent de références,
*(s)ker-.


Eh non, il s'agit ici d'une autre racine, mais qui en est bien proche par le sens,

*sek-

(ou *sekh- selon la reconstruction qu'en fait Michiel de Vaan dans son Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages.)

Michiel de Vaan 



C'est toujours elle,
*sek-, donc,
que l'on situe à l'origine de l'étymon slave *sěkti-, “couper, tondre”, dont proviennent, par exemple, 
  • le - OUIIIIIIIII !!! - vieux slavon d'église сѣщи, sěšti, “ couper”,
  • le russe се́чь (“cietch), tailler en pièces”,
  • le tchèque síci, “tondre,
  • le bulgare seká, “hacher, ou encore
  • le russe секи́ра (sekíra), “hache”.


Eh donc...

c'est râpé.



Attention cependant à secte,
qui lui, selon mes sources - et selon moi aussi, j'assume -,
n'est pas apparenté à ces insecte, section, scie...


Nous en parlions ici, 
être séquestré par une secte peut causer de graves séquelles,
le 16 février ... 2014 !


Secte
même si, sémantiquement, on le rapproche volontiers de la notion de couper” 
(secte pouvant désigner ainsi ceux qui se séparent du monde, qui se coupent du tout-venant) -
descend pour moi du latin secta, ligne de conduite ; école philosophique, parti politique, secte religieuse, construit lui-même sur le latin sequor, “suivre” via son fréquentatif sector, que l’on pourrait traduire par “suivre assidûment”.
Ce qui, sémantiquement, colle vachement bien...



La racine indo-européenne qui s'y cache ?

la jolie... *sekʷ-1suivre”.



---


Une autre proposition, bien intéressante, à la descendance de notre formidable *(s)ker-: 

L'anglais - mais emprunté, calqué en français - score.



Nous en parlions ici:
le 22 septembre ... 2013 !
Je sais, ça ne nous rajeunit pas...



Je vous avoue qu'en ce cas présent, j'aimerais vous l'accorder

Oui, j'aimerais que score dérivât de *(s)ker-. 



Mais ...




Je n'en suis pas sûr.






Ce que je prends pour vrai, c'est que l'anglais score provient du

- yes yes yesss -
vieux norois skor, que l'on fait remonter au proto-germanique (non-attesté) *skurō- (ou *skurā-), “incision, déchirure, crevasse...”.



Mais à partir de là, on se perd en conjectures... 






Pour certains, oui, le germanique *skurō/ā- descend bien d'une forme *skur- , déclinaison faible de notre *(s)ker-,... 




... mais pour d'autres, l'origine de *skurō/ā- est inconnue.






Allez savoir. 

À vous de choisir !







Et franchement, relisez quand même Quatre-vingts / dix? Joli score !, vous comprendrez pourquoi l'anglais score pouvait signifier tant “entaille” que “vingt”...




Et pourquoi nous sommes toujours enclins à appeler 80 quatre-vingt.

Et pourquoi certains d'entre-nous, dans le paysage francophone, sont tellement accros à cette façon de compter par 20 qu'ils en font toujours la base pour 70 ou 90...




Et... nous en resterons là pour aujourd'hui...


Passez un EXCELLENT dimanche, et une TRES BELLE semaine !



Frédéric






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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

Un morceau d'un compositeur, ou plutôt d'une compositrice aux multiples facettes...


Vous allez peut-être reconnaître du Haydn, ou du jeune Mozart...

Eh bien non, il s'agit de 

l'ouverture de Erwin und Elmire, 

de .... Anne-Amélie de Brunswick.

Oui, Anne-Amélie de Brunswick, Anna Amalia von Braunschweig-Wolfenbüttel,

24 octobre 1739, Wolfenbüttel - 10 avril 1807, Weimar

duchesse de Saxe-Weimar-Eisenach, 

rien que ça.




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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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dimanche 16 février 2014

être séquestré par une secte peut causer de graves séquelles





"La secte, c'est l'Eglise de l'autre."
André Comte-Sponville, in Dictionnaire de philosophie



Bonjour à toutes et toutes!


Dernière livraison dans le cadre de notre dossier “temps”: seconde!


Je vous en avais soufflé mot dimanche dernier: le français seconde provient d’une racine proto-indo-européenne qui pourrait se traduire par “suivre”…


Cette racine, là voici:

*sekʷ-1


Seconde nous vient du latin secundus, que nous pourrions traduire par suivant, arrivant après, ou bêtement... second!
Et c'est en fait d'une forme suffixée participiale de *sekʷ-1: *sekʷ-ondo-, que dérive le latin secundus.

Raymond Poulidor, l'"éternel second"


- Bon, OK! Mais... et alors? En quoi cette notion de "suivant" a à voir avec la seconde, la soixantième partie d'une minute?
- Très judicieuse question!

Vous vous rappelez que "minute" est à entendre comme la partie menue résultant de la division de l'heure. Mmmmh?
Eh bien, seconde nous vient du latin minutum secundum: « partie menue résultant de la seconde division de l’heure - ou du degré ».

Eh! Pour obtenir la minute, on divise l'heure une première fois en 60 parties; pour la seconde, on la divise une … seconde fois en 60 parties...!

Oui, c'est aussi simple que ça!


On retrouve notre racine proto-indo-européenne *sekʷ-1 dans pas mal de langues indo-européennes, comme par exemple en sanskrit, où सचते (sácate) véhicule l’idée d’accompagner, de suivre, de poursuivre… ou encore en ancien grec: ἕπομαι, hepomai, c'était suivre, obéir, être inséparable de, résulter de…

C’est toujours elle qui a donné le vieil irlandais sechur:je suis”, ou l’avestique hačaitēil suit”.

Toujours elle, derrière les mots pour “suivre” en lituanien: sekti, ou en letton: sekt.

PS: l’avestique, c’est l’iranien ancien dans lequel est rédigé l’Avesta, le livre sacré de la religion mazdéenne.

L'un des textes fondateurs pour les Mazdéens,
adorateurs de Mazda
"Mazda est grand, et Wankel est son prophète"



Par le latin secundus, *sekʷ-1 nous a aussi donné secondaire, évidemment.

Mais nous avons reçu de *sekʷ-1, par le latin sequor cette fois: suivre, puis le latin vulgaire *sequere (suivre) et ensuite le vieux français sivre (suivre), le français moderne… suivre!

Poursuivre, suite… , en sont également issus, 'ya pas d'secrets.


Par l’anglo-normand suer, le vieux français sivre est devenu l’anglais to sue: poursuivre, toujours, mais cette fois en justice.


Oh, il y a bien d’autres descendants de *sekʷ-1 par le latin populaire *sequere, comme séquence, conséquence, ou séquelle

Ou persécuter! du latin per-sequor: poursuivre, pourchasser


Mais vous serez probablement surpris de découvrir quelques autres mots que nous devons à *sekʷ-1


Commençons par ... secte!
Du latin sectaligne de conduite ; école philosophique, parti politique, secte religieuse »), issu lui-même de sequor (« suivre », hein, on est d’accord?) via son fréquentatif sector, que l’on pourrait traduire par « suivre assidûment ».



Notez, on mentionne parfois une autre étymologie à secte, selon laquelle le mot proviendrait du latin secare (couper) et désignerait alors un petit groupe qui se détache, se retranche d'un ensemble plus vaste.

Comm’ d’hab', vous choisissez la version qui vous convient - mais personnellement, je pencherais pour secte comme provenant de sequor, comme le fait Watkins…


En espagnol, sequor est devenu … seguir (suivre).

Connaissez-vous la seguidilla? Une danse castillane rapide, à trois temps…

Bizet nous en donne sa version, dans Carmen…


La Callas, dans la Seguidilla de Carmen, Bizet


Plus surprenant, parmi les descendants de *sekʷ-1, est le verbe… exécuter!

Eh oui! Exécuter nous vient du latin exsecutus, participe passé de exsequor, formé, vous l’aurez compris, de ex- et de sequor.

Exsequor, c’était suivre jusqu’au bout, poursuivre.

D’où son sens de “mettre en oeuvre”, de finaliser, de concrétiser

Ah, que de souvenirs...!


Encore plus curieux: obsèques!

Le mot nous vient du latin obsequiae, un curieux mélange du latin exsequiaepompe funèbre, funérailles, convoi »), et du latin obsequia, neutre pluriel de obsequiumcortège »).

Les obsèques, c’est donc, étymologiquement, le convoi - funèbre - que l’on suit

Le cortège funèbre transportant la dépouille mortelle de
Churchill sur la Tamise, les grues des docks (du Hay's Wharf,
à présent disparu, remplacé aujourd'hui par la Hay's Galleria)
s'inclinant respectueusement, l'une après l'autre, sur son
passage...


Obséquieux?
Mais oui, même origine!

Obséquieux, qui, selon la définition que nous en donne le wiktionnaire, désigne celui qui “porte à l’excès les témoignages de respect, les égards, la complaisance, les attentions, par servilité ou hypocrisie”, se base sur le latin obsequiosus, de même sens.

Dans obsequiosus nous retrouvons obsequium et -osus.
Obsequium, composé de ob-sequor et de -ium, désignait l’action de suivre docilement, la docilité, la complaisance, la déférence, la soumission


Séquestrer!
Du latin juridique sequestrumdépôt, séquestre »).
Sequestrum est en fait le neutre substantivé de sequester, dérivé de sequor.

Le sequester était celui qui gardait à part, en attente d'un jugement, un objet litigieux.
Dans l'ordre - "dans la séquence" devrais-je dire - de la procédure judiciaire, le sequester était ainsi “celui qui suit” (“le suiveur”).
On pourrait comprendre son rôle comme celui d'un intermédiaire, d'un médiateur...


Intrinsèque!
Du latin scolastique médiéval (du 13ème ou 14ème siècle) intrinsecus, « intérieur », formé de intra et secus.

Et secus, basé sur le même radical *sec que sequor, provient d’une forme suffixée en *-os- de notre racine *sekʷ-1: *sekʷ-os- (“suivant”).

Littré nous définit intrinsèque comme "qui est intérieur à quelque chose, en dedans de quelque chose".
Etymologiquement, nous pourrions comprendre l'adjectif comme "suivant sa nature intérieure", "fonction de soi-même"...


Enfin, une forme au degré (ou timbre) o de notre racine proto-indo-européenne *sekʷ-1, et suffixée en *-yo-, j’ai nommé: *sokʷ-yo-, nous a laissé quelques descendants de poids…

Car c’est d’elle que nous arrive le latin socius: l’allié, le compagnon.

Sur socius, nous avons créé, bien entendu, social, sociable, associé, société, association...

Eh oui! Nous sommes bien des êtres grégaires: derrière la notion de société, il y a clairement, étymologiquement du moins, l’idée de suivre




De Panurge, les moutons!

Comment Panurge feist en mer
noyer le marchant et les moutons



Et là-dessus, je vous laisse ruminer (ahahah!) sur ces incroyables entrelacs de l'esprit humain, créations linguistiques millénaires…

Oui: société, séquestrer, poursuivre, secte, exécuter, obsèques ou seconde, tous ces mots usuels et aux sens bien différents sont étroitement apparentés…


- Merci qui?
- Merci le proto-indo-européen!





Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très bonne semaine, je vous donne rendez-vous à…
Dimanche prochain!


Au menu?
Surprise!




Frédéric