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dimanche 31 août 2014

m-moi, b-bu? M-mais j-je r-reviens d-d'un c-c-col.. colloque!!??


article précédent: l'affaire de la racine perdue



Nunc est bibendum

"Maintenant, il faut boire"

Horace, 
Odes, Livre premier, ode XXXVII, première ligne


* - * - * - *

"There will be no foolish wand-waving or silly incantations in this class. As such, I don't expect many of you to appreciate the subtle science and exact art that is potion-making. However, for those select few... Who possess, the predisposition... I can teach you how to bewitch the mind and ensnare the senses. I can tell you how to bottle fame, brew glory, and even put a stopper in death."

Professor Snape, in Harry Potter, J.K. Rowling


* - * - * - *

Here's what happened

"Voilà ce qui s'est passé"




Bonjour à toutes et tous!

Dimanche dernier, nous avions recherché - péniblement - l’étymologie du mot philtre.
Car oui, nous sommes toujours à nous intéresser à la Magie et aux magiciens.


Aujourd’hui dimanche 31 août de l’an de grâce 2014, nous en sommes - si je compte bien - à notre quatorzième article de cette grande série…

Le philtre, pardi, c’est une potion magique!

Eh bien, partons de là, et intéressons-nous au mot français… potion!

Il y aura, je le pense, quelques petites surprises à la clé…
Poum poum poum…



Une potion, selon le Larousse, c’est une “préparation aqueuse et sucrée contenant une ou plusieurs substances médicamenteuses, destinée à l'usage interne”.

Certes! Mais dans les contes, la potion est souvent … magique, et possède des pouvoirs extraordinaires.

Ainsi, dans une version de Cendrillon, ses sœurs (à Cendrillon) lui administrent une potion soporifique pour l’empêcher de se rendre au palais où le prince doit choisir une épouse.

C’est également une potion qui permettra à la Reine, dans Blanche-Neige, de se transformer en vieille marchande pour se rendre au logis des nains…

La reine déguisée en marchande (copyright)


Bon d’accord, il y a aussi la potion magique du Druide Panoramix.




Et Potions est un cours obligatoire à la Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry.
Le Professeur Severus Snape en fut d'ailleurs le titulaire pendant plusieurs années.

Severus Snape devant sa classe


Le français potion (originellement pocion), mot du XIIème ou du XIIIème siècle, comme souvent, nous arrive du latin.
Ici précisément, de l’accusatif potionem du latin pōtiō: boisson, breuvage.

Dans sa célèbre quadrilogie Dialogorum libri quatuor de vita et miraculis patrum italicorum et de aeternitate animorum, que, je ne sais pas pourquoi on persiste à nommer Dialogues, le pape Grégoire 1er (540 - 604) définit pōtiō comme un «médicament liquide destiné à être bu».

Grégoire Ier, dit le Grand


Quant à notre pōtiō latin, il nous arrivait - évidemment - d’une racine proto-indo-européenne:

*pō(i)-


Qui signifiait tout simplement: boire.


Le pōtiō latin provenait précisément d’une forme suffixée *pō-ti- basée sur la forme simple, non allongée de notre racine *pō(i)-: *pō.

C’est sur cette même forme proto-indo-européenne que s’est construit, toujours via le latin pōtiō, le français… poison!

On fait remonter le mot à la deuxième moitié du XIème siècle, où il désignait une boisson, sans plus.
Ce n’est que plus tard qu’il en viendra à désigner une boisson ... euh... empoisonnée.

Savez-vous que l’on parlait de LA poison?
Eh oui, le latin pōtiō, potionem, c’était un féminin!

D’ailleurs, ne dit-on pas toujours LA boisson?

Boisson, tout comme potion et poison, provient de ce même latin pōtiō


C’est cette fois à partir d’une forme suffixée de *pō(i)-: *pō-to- que s’est créé le latin pōtus: bu, boisson, voire “ivre” sur lequel se base le verbe pōtāre: boire.

Sur pōtus, nous avons bien entendu créé le français … potable.


Sur une autre forme suffixée de notre proto-indo-européen *pō(i)-: *pō-tlo-, qui désignait le récipient à boire, nous retrouvons encore le sanskrit पात्र, pAtra: le récipient à boire, le gobelet, la coupe, le bol


Et puis, c’est à une forme dupliquée au timbre o de notre racine *pō(i)-: *pi-pə-o-, qui deviendra *pi-bo-, assimilée à *bi-bo-, que nous devons les français imbiber, boire, beuverie, ou le métathésique breuvage, tous provenant du latin bĭbĕre: boire.


- Et bière?
- Mmmh? Ah oui, bière!

Mouais. Eh ben, c’est pas si simple…

C’est vrai que souvent, on fait remonter le français bière au latin bĭbĕre.
Mais bon, on peut se permettre de douter…

A mon sens le mot bière viendrait plutôt des langues germaniques.

Voilà ce qui s'est passé! (J’adore Monk)

Adrian Monk


Le mot bière proviendrait du vieux français bière, d’origine germanique.

Difficile d’affirmer précisément d’, mais on suppose qu’il provient ...

  • soit du moyen néerlandais bier ou bēr, provenant lui-même du vieux saxon bior
  • soit du vieux haut-allemand bior.


Dans tous les cas, le mot serait issu du proto-germanique *beuzą (“bière”), qui dériverait de la racine proto-indo-européenne *bews-, désignant le déchet, le sédiment, ou - pour ce qui nous intéresse ici - la levure du brasseur!

Nous retrouvons notamment les cognats de bière dans le néerlandais ou l’allemand bier, l’islandais bjór, le suédois buska (“nouvelle bière”), ou encore dans l’anglais argotique booze, désignant d’une façon générale des boissons alcoolisées, des spiritueux


Mais bon, revenons à notre *pō(i)-!

On n’en a pas encore fini avec elle…

Car, même si *pō(i)- ne nous a pas transmis le mot bière, elle a bien transmis son équivalent en russe: пиво (“pivo”), la bière.

C’est encore elle qui est derrière le verbe boire en russe: пить ("pit'") ; ces deux mots пиво (“pivo”) et пить ("pit'") nous arrivant de *pō(i)-, je ne le vous cacherai pas, par le vieux slavon d’église пити (“piti”).


OUI, toujours *pō(i)-, via une forme suffixée *pī-ro- basée sur sa forme au timbre zéro: *pī-, à l’origine des russes пиро́г ("pirog"), ou пирожки ("pirochki"), cette fois par le vieux slavon d’église *pirŭ: le festin, le banquet, les festivités…

"Fish pie" by Shuvaev - Own work (own photo)


Et c’est encore *pō(i)- qui apparaît derrière le sanskrit पिबति, píbati: boire, siroter, absorber…


Enfin, une forme suffixée nasalisée de *pō(i)-: *pī-no-, nous a légué le grec πίνειν, pīnein: boire.

En notant qu’à Lesbos - ouf, il fait drôlement chaud tout d’un coup, non?? - le grec πίνω, píno "boire", "descendre", se disait πώνω, pṓnō.

Au grec “bu” correspondait donc le lesbien “descendu”.


Cécile Sorel
En 1933, elle lance le fameux
« L'ai-je bien descendu ? »
au pied de l'escalier Dorian du
Casino de Paris, phrase qui lui restera
pendant longtemps associée.
(copyright)

Oui, je sais, c'est lamentable.


Du grec πίνω, píno, nous utilisons toujours, en biologie cellulaire, pinocytose - composé de pino-, de cyte (cellule) et du suffixe "-ose" indiquant la destruction ou la mort - désignant un type d’endocytose, en d’autres termes un mécanisme de transport de molécules ou de particules (virales, bactériennes, etc.) vers l'intérieur de la cellule.


Nous sommes en grec? Restons-y!

Car le plus beau - et peut-être le plus improbable -  des dérivés de la proto-indo-européenne *pō(i)-, c’est au grec que nous le devons:

Symposium!


Eh oui! Symposium nous arrive du grec ancien συμπόσιον, sumpósion, littéralement “fête à boire”, de συμπίνω, sumpínō: “boire ensemble”, se décomposant en συν-, sun-:ensemble” et πίνω, pínō, forcément: “boire”.


Symposium



- Eho! Et ton titre?? Quel rapport avec colloque?
- Mais je n'allais quand même pas déjà révéler symposium dans le titre, non? Colloque ça passait mieux...


PS: le mot "bière" dans diverses langues européennes, sur mon board Pinterest:
http://www.pinterest.com/pin/57702438951455668/


Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une TRES bonne semaine!


A dimanche prochain?





Frédéric


dimanche 15 avril 2012

Marcel et sa madeleine, Fred et sa dringaille


article précédent: jeux de mains



"Le sieur Dalliez m'assure que le fer de Bourgogne que l'on fabrique dans les martinets de Vienne, est des plus fins et aussi bon que celui de Piémont" 

Jean-Baptiste Colbert dans sa Correspondance, III, 469



Colbert. Je n'aime pas trop le personnage,
surtout après ce qu'il a fait à Fouquet


Avant d'aborder les deux racines proto-indo-européennes dont j'ai envie de vous parler en ce "dimanche", j'aimerais, d'une certaine façon, vous dresser le décor dans lequel le mot qui me servira de point d'entrée m'a été transmis...

Car il me vient de loin, de mon enfance.

J'ai passé mon enfance au pied d'un terril, le terril du Martinet, à Roux, près de Charleroi, en Belgique...

Ca c'est moi, avec Rack, du temps où je jouais sur le terril...


Alors, voilà une petite introduction sur le lieu, avant de passer au plat de résistance:

Ce terril, particulièrement boisé, était pour moi une merveilleuse plaine de jeux, et j'y passais des journées entières de congés ou de vacances.

A présent, le lieu est classé, et visitable.


Le terril du Martinet, ou plutôt le plus grand des deux
(car il y a en fait deux terrils, disposés en "L")


Et grâce au très actif comité de quartier, les anciens bâtiments du charbonnage du Martinet sont en train d'être réhabilités et sont gages d'un heureux futur pour le site, et le quartier.


Tant qu'à faire de planter le décor, je ne résiste pas au plaisir de le dépeindre selon une perspective proto-indo-européenne (ben voyons):

Le nom Roux n'a strictement rien à voir avec la couleur des cheveux, mais bien avec le traitement que l'on fit subir il y a bien longtemps au lieu en question pour permettre à une communauté humaine de s'y installer...

En effet, le territoire était couvert de bois, et on l'a défriché, essarté.

Le mot "Roux" provient du germanique *reudijanan ("défricher"), par le bas-allemand reuten, issu du haut-allemand riuten.

A l'origine, on trouverait peut-être (je ne l'affirmerais pas) la racine proto-indo-européenne *reudh-, qui aurait porté déjà cette notion de "nettoyage de terrain".

Roux, vu depuis le terril du Martinet

*reudh- se retrouve en abondance dans la toponymie belge, avec des noms de communes comme: Rœulx, Rœux, Rhode, Roux-Miroir, Wernigerode, Roetgen, Marienrode, Goutroux...


Et "Martinet", le nom du quartier de mon enfance, tire vraisemblablement son nom d'une ancienne forge qui a dû jadis être établie à cet endroit, dans laquelle fonctionnait un...

... martinet! 

Un "marteau qui est mû ordinairement par la force de l’eau et qui sert dans les forges, dans les moulins à papier, à tan, à foulon, etc."

Selon Dicocitations ™, il s'agit d'un "marteau mû par un moulin".

Engrenages du martinet de la forge de Sheffield


Et le mot "martinet" est un diminutif du bas-latin martellus, dérivé du latin impérial martŭlus, altération du latin classique marcŭlus - marteau.

Et - ça va de soit! - le latin marcŭsmarcŭlus vient d'une racine proto-indo-européenne, nommément: *melǝ- ("moudre, battre, broyer", d'où, par extension "fin, menu"), dont sont également issus "meule", "moulin", ou encore l'anglais "mill".

Cette racine est tellement intéressante qu'elle demanderait un "dimanche indo-européen" à elle toute seule... J'y reviendrai donc....
- Pour en savoir plus sur *melǝ-, lisez donc: Vestales, malléoles et Lofoten!

Voilà pour le décor, avec encore un tout petit mot pour terminer de le planter:


A la nouvelle année, mes parents m'emmenaient faire le tour de la famille, pour présenter nos voeux.

Il était de coutume de nous recevoir autour d'une tasse de café, avec des galettes et une petite goutte.

Galettes et café


Et à chacune de ces agréables haltes familiales - nous voilà au mot de départ de ce "dimanche" - je recevais une dringaille (à ne pas prononcer "dringaïe", mais bien "dringueille"; on trouve aussi l'orthographe "dringuelle"): de l'argent de poche.

Littéralement, de l'argent pour boire, un pourboire, quoi!, par le néerlandais: drink-geld.
(A l’origine, cette gratification permettait à la personne qui la recevait de se payer à boire)


Dringaille / drinkgeld est un composé de deux racines proto-indo-européennes: *dhreg- et *gheldh-.

*dhreg- transmet la notion de "tirer, aspirer, puiser", et par extension, de "puiser pour mettre en bouche", donc: boire!

L'anglais to drink (boire) en est le descendant.
Tout comme le sont les anglais drench: "tremper", et encore drown: "noyer".

J'aurais bien aimé que le français troquet en provienne, mais hélas, je n'ai rien trouvé qui permette de le corroborer...


Quant à la racine *gheldh-, elle avait comme sens: "payer".

Outre le geld néerlandais ("argent" comme moyen de paiement), nous lui devons le très romantique anglais yield ("le rapport financier, le rendement, le revenu"...).

Et aussi les mots pour désigner une "dette", en danois - gjæld, comme en suédois - gäld.


Mais *gheldh-, par un léger détour par le vieux norrois gildi, nous a également donné la ... guilde!

*geldjam, en vieil allemand, c'était le paiement, la contribution.

Le mot en est venu à désigner une association fondée sur le principe de la contribution, sur les intérêts communs.

La guilde, au Moyen-Age, représentait une assemblée de personnes pratiquant une activité commune, et dotée de règles et privilèges précis, regroupant les artisans d'un même corps de métier.


Le Syndic de la Guilde des Drapiers – Rembrandt 1662,
lors d'une de ces sessions de beuverie débridée et
plaisanteries paillardes dont ils avaient le secret.



Je ne peux que vous conseiller, après votre escapade sur le Terril du Martinet, la visite de la Grand-Place de Bruxelles, bordée par les maisons des différentes corporations: boulangers, graissiers, ébénistes, merciers, tailleurs, brasseurs ... ...

La Grand-Place et quelques-unes des maisons des corporations




Frédéric, décidément très belge aujourd'hui.