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dimanche 25 juillet 2021

Ambroise Paré s'était-il vraiment préparé à l'immortalité ?

       
article précédent : dob'i sidhe cēd-marbh Erenn diob




Je ne vous demande pas si vous êtes catholique ou protestant, riche ou pauvre, mais : quel est votre mal ?


Je le pansay, Dieu le guarist (Je le pansai, Dieu le guérit).


Citations d'Ambroise Paré,
qui résument magnifiquement bien son humanité, sa modestie, et sa philosophie.


Ambroise Paré,
circa 1510, Bourg-Hersent, Mayenne - 20 décembre 1590, Paris,
chirurgien et anatomiste français, sans qui plein de CHU seraient anonymes




Bonjour à toutes et tous.


Oui, nous poursuivons en ce jour notre étude des dérivés de la racine proto-indo-européenne...

*mer-mort”.


La tombe de Mel Blanc
(de son vrai nom, 
Melvin Jerome Blank),
30 mai 1908 - 10 juillet 1989,
qui interpréta les voix originales de nombreux
personnages de dessins animés créés par Tex Avery


Les dessins animés de la série Looney Tunes se terminaient
invariablement par le désormais célèbre
That's all Folks, C'est fini, les gars !





Allez, faisons le point.

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C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
  • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
  • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
  • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
  • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

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Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

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Le 18 juillet, nous nous baladions parmi les dérivés celtiques de notre racine *mer-mort”, dont notamment...
  • le vieil irlandais marbd'où l'irlandais marbhle manxois marroole gaélique écossais marbh,
  • le gallois marw,
  • le moyen breton marf, maru, d'où le breton marv,
  • le cornique marow,
  • le moyen gallois marwd'où le gallois marw.

Nous avions également traité des composés...
  • moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie”,
dont on pourrait retrouver la trace dans certains noms gaulois, avec...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”, 
ou
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”.
Enfin, nous avions parlé de deux noms gaulois non plus apparentés à *mer-mort”, mais vraisemblablement construits sur le terme celtique *-natuVanatus et Vanata, peut-être  antonomases de la fonction de pleureur lors de funérailles.


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En ce 25 juillet 2021, je vous propose de passer à présent au... grec ancien.


Et, pour nous guider, deux guides particulièrement sûrs, Messieurs... 

Robert Beekes 
et

Pierre Chantraine.



Quand je pense qu'un abruti s'était permis de m'assimiler à un facho au vu d'une de mes publications dans un groupe consacré au grec ancien. En réduisant les études de linguistique indo-européenne à une théorie raciste, était-il conscient, pauvre tache, qu'il salissait aussi la mémoire de ces deux linguistes hors du commun, qui ont permis à la linguistique comparative de faire des pas de géant ?

Ah ça, la lecture de J.P. Demoule n'est pas à recommander aux esprits simples et/ou fragiles. 

Je suis même surpris que la mouvance woke /cancel culture /antiracisme / inclusivisme ne soit pas encore montée au créneau pour dénoncer l'horreur de ces études. Ça ne devrait pas tarder.

Taré·e·s·x, va.

 

En grec ancien, tout le bagage hérité de notre redoutée *mer-mort”, pourrait se résumer en un seul mot :

βροτός, brotósmortel”.


Beekes le fait remonter à cette forme indo-européenne que nous avons déjà rencontrée à deux reprises, l'adjectif verbal *mŕ-to-mort”.


Ce qui nous donne :

racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
adjectif indo-européen (degré zéro) *mŕ-to-mort
germanique *murþa-meurtre”,
celtique *marwo-mort”,
grec ancien βροτός, brotósmortel”



Le mortel dont il est question, ben oui, c'est l'Homme. L'être humain. D'ailleurs, βροτός est généralement employé comme substantif. Et bien souvent, au pluriel.

Qui plus est, il s'agit d'un terme poétique. Homérique, au sens premier. Et très ancien.


ὢ πόποι, οἷον δή νυ θεοὺς βροτοὶ αἰτιόωνται.
(ṑ pópoi, hoîon dḗ nu theoùs brotoì aitióōntai).

[c'est Zeus qui parle] Ah ! combien les hommes accusent les Dieux !


L'Odyssée, 1.32



Et tant Chantraine que Beekes l'identifient comme étant une forme éolienne...  

oui, bon, je sais, c'était facile


Mais oui, oooh ! le grec éolien est un ensemble de dialectes du grec ancien au nombre desquels on rattache le béotien, le thessalien, mais surtout le lesbien, ce qui fait de l'éolien l'une des fondations de la culture LGBTTQQIAAP
(Enfin !! Il faut vraiment vous expliquer ? OK Boomers !)
LGBTTQQIAAP pour lesbian, gay, bisexual, transgender, transexual, queer, questioning (des personnes qui se questionnent sur leur sexualité), intersex, asexual, allies (les alliés hétérosexuels de la cause) et pansexuels (qui revendiquent une attirance pour n'importe quel genre). 
Cette façon particulièrement étroite de classer les personnes par leur seule sexualité dénote bien son origine puritaine américaine, alors qu'au contraire, ces braves gens de la culture LGBTTQQIAAP prônent l'inclusivité. Je les adore. Si on suit leur discours, votre personnalité, votre humanité, tout se résume... au cul.

Mais j'y pense : le lesbien, voilà peut-être la raison pour laquelle les béotiens de la cancel culture...

(béotien ? la définition leur colle parfaitement : personnage lourd, peu ouvert aux lettres et aux arts, de goûts grossiers ; merci Le Grand Robert de la langue française)

...n'ont pas encore dénoncé le grec ancien et son ascendance indo-européenne ? 

Je blague. Homère est déjà mis à l'index (source). Taré·e·s·x, va.
 
 
L'éolien se parlait principalement en Béotie, sur l'ile de Lesbos (eh !) et dans les colonies grecques de l'Anatolie.

l'éolien, en jaune
(source)



Autrement dit et pour le moment,

racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
adjectif indo-européen (degré zéro) *mŕ-to-mort
éolien βροτός, brotósmortel”
grec ancien βροτός, brotósmortel”



Nous en reparlons bientôt à l'occasion d'un prochain article, et je ne vais quand même pas déflorer le sujet... Mais... sachez déjà que cette forme βρoτός, brotós, a son pendant en sanskrit, l'adjectif... मृत, mṛtámort”.

Encore mieux ! Nous pouvons une nouvelle fois le constater, la construction lexicale du sanskrit et du grec ancien peut les rapprocher étroitement - et permet de leur reconnaître une langue-mère commune, ce qui, avouons-le, arrange assez bien l'auteur si modeste


de cet improbable (mais vraiment remarquable) blog consacré aux racines indo-européennes.



Eh oui, le sanskrit amṛtá, “immortel” (le a- initial faisant fonction, comme en grec, de privatif), correspond très précisément au grec ancien ἄμβροτος, ámbrotos, de même sens : “immortel”.

Je dis ça, j'dis rien, mais retenez cet ἄμβροτος, ámbrotos, il nous resservira très bientôt. 
Pom pom pom...
 

Ah oui ! J'allais oublier... cette forme éolienne βροτός, brotósne fut pas la seule en grec ancien au sens de mortel”. Ouh là non, que nenni ! Car l'on atteste une autre forme grecque ancienne, μορτός, mortós. De même sens.

Ô surprise, nous en trouvons un parfait équivalent en sanskrit, avec मर्त, marta, le mortel, l'homme”.

- Mais ?? Mais c'est quoi ce bordel brotós, mortel” ?? Je pouvais difficilement admettre ce βροτός, mais si toi-même, Blondieau, tu me dis qu'il y a eu un μορτός, mortós !!? 
 
Il est limpide, ce μορτός, mortós. On voit bien qu'il provient de *mer-. 
Mais franchementbrotós !! Bro - tós !! 
Brrrrrrrro - tós !!
C'est du grand n'importe quoi, oui. 

Fernand Ucon

 

- Monsieur Ucon, bien le bonjour ! Je dois le reconnaître, curieusement, cette remarque est excellente.

Oui, il y a bien eu (au moins) deux formes, de même sens : βροτός, brotós et μορτός, mortós.

Et μορτός, mortós, qui se rapproche formellement de notre adjectif indo-européen *mŕ-to-, doit en toute logique être la plus ancienne des deux. 
(En réalité, ce n'est pas tout à fait exact ; Beekes fait remonter μορτός, mortós, à une autre forme indo-européenne dérivée de *mer-, de degré plein au timbre o *mór-to-.)

Quant à ce βροτός, brotós, d'origine éolienne, 
qui s'emploiera donc surtout en poésie - ce dont Homère ne se privera pas (mais bon, il n'avait que ça à f**tre, aussi) -,

 on pourrait supposer qu'il est le produit d'une altération de μορτός, mortós. 


Allons donc un tout petit peu plus loin dans l'explication de ce surprenant bro en lieu et place d'un attendu... mor.


Hein, bro !

- Mais, mais ? Je ne vous permets pas ! 
 

Car, admettons-le, c'est bien à une forme possédant un μ-, m, à l'initale que nous devrions nous attendre.

Et c'est le grand - et regretté - linguiste et helléniste Michel Lejeune qui vient ici à notre secours,

Michele Lejeune,
30 janvier 1907 - 27 janvier 2000.

par l'intermédiaire d'un ami très cher qui m'a déniché son explication, limpide, et que je remercie chaleureusement.


Précisons tout d'abord que la forme μορτός, mortós, est elle-même déjà l'évolution d'une forme précédente, non attestée, *μροτός, *mrotos.

Les anciens, vous connaissez la chanson.

Quant aux nouveaux : c'est par métathèse que l'on est passé de *μροτός, *mrotos, à μορτός, mortós.

La métathèse, en linguistique, est une permutation par laquelle les lettres d’un mot s'inversent. En français, nous connaissons l’aréoport et son contraire l’aréopage.


Mais... reprenons à *μροτός, *mrotos, car c'est elle, la forme sur laquelle se développera βροτός, brotós.

En grec ancien, au contact de la consonne liquide, dans les anciens groupes consonnantiques "*mr", "*ml", "*nr", la fin de la nasale (m/n) perd sa nasalité, pour se réduire à l'explosion d'un "b" (ou d'un "d").

C'est ainsi que ces groupes *mr, *ml, *nr se transformeront respectivement,

si entre voyelles,

en 
-μϐρ-, -mbr-, 
-μϐλ-, -mbl- 
et 
-νδρ-, -ndr-,

et

se réduiront,

si à l'initiale du mot

en 

βρ-, br-, 

βλ-, bl-,

et 

δρ-, dr-.


Ce qui explique magnifiquement ces formes ἄμϐροτος, ámbrotos (*mr ⇒ -μϐρ-, -mbr-) et βροτός, brotós (*mr ⇒ βρ-, Br-), créées sur l'original *μροτός, *mrotos.


- Mais euh, mais pourquoi ? Pourquoi ces transformations ?

- Décidément, excellente question. 

Cette adjonction/insertion d'un "b" s'explique pour des raisons d'euphonie.


Oh, ne jouez pas les vierges effarouchées.


Pas avec moi.

Ce même phénomène s'est présenté souvent en... français.

Comment pensez-vous qu'on soit passé du latin numerus au français nombre ?
Amusez-vous à prononcer numre, ce qu'aurait dû donner le latin numerus...

Eh. Voilà, vous avez tout compris.

Pareil en grec ancien, où ce *μροτός, *mrotos, jugé imprononçable, ou à tout le moins, moche, subit un traitement identique à celui que nous ferions plus tard subir à nomre

Certes, comme nous le savons tous, les anciens Grecs étaient philosophes. Ils auraient parfaitement pû s'accomoder de ce mot imprononçable / moche.

Mais là, non, ils ont préféré y rajouter un b épenthétique (tout en abandonnant le m de départ).

Ce qui tombe assez bien, car l'épenthèse

- c'est de cela qu'il s'agit, qui consiste à insérer dans la parole un son supplémentaire pour clarifier, faciliter, ou rendre plus naturelle l'élocution -,

l'épenthèse, donc, tire son nom d'un calque du... grec ancien ἐπένθεσις, epénthesis, qui signifiait insertion.

Les anciens Grecs, pas encore contaminés par la cancel culture, et qui comprenaient toujours le sens de ἐπένθεσις, epénthesis, ornèrent donc *μροτός, *mrotos, d'un joli β, b, pour en faire un mot enfin euphonique, et prononçable sans devoir systématiquement se laver la bouche après coup.




Cette explication, mine de rien, nous permet également de préciser et compléter le schéma d'évolution depuis *mer-, “mort” vers βροτός, brotósmortel” :

racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
adjectif indo-européen (degré zéro) *mŕ-to-mort
ancien grec (non attesté) *μροτός, *mrotos
épenthèse
éolien βροτός, brotósmortel”
grec ancien βροτός, brotósmortel”


Quoi qu'il en soit, sur ἄμβροτος, ámbrotos, “immortel”, s'est créé l'adjectif grec ancien ἀμβρόσῐος, ambrósios, “immortel”, donc aussi... “divin

ἀμβρόσῐος, ambrósios, épithète de TOUT ce qui concerne les Immortels : cheveux, robes, sandales, huile... (habit vert, épée...)


Les Immortels.
Ici, Erik Orsenna devisant avec Alain Finkielkraut

D'où le substantif... ἀμβροσία, ambrosía, que nous avons emprunté via le latin ambrosia, pour en faire notre ambroisie, cette nourriture d’un goût et d’un parfum si délicieux, qui était destinée aux divinités de l’Olympe, et qui en outre donnait l’immortalité aux mortels qui en goûtaient.

On pense à présent qu'il pourrait s'agir de miel sauvage, ou de graisse animale liquéfiable, voire d'huile d'olive, son équivalent en sève végétale.

Intéressant, non, ce pouvoir divin - ici, même, divinisant ! - de la graisse, de l'huile... Qui n'est pas sans rappeler l'onction

Oui, nous en avons déjà parlé : vous voulez l'extrême-onction, avant le kouign-amann ? 

La nourriture des dieux de l'Olympe,
attribué à Nicola da Urbino, 1530,
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

(euh, d'expérience, pour les Néerlandais, deux infâmes sandwichs mous
dotés d'une minuscule tranche de gouda, sans beurre ni salade,
consommés avec un verre de lait,
c'est déjà de la nourriture divine, donc, méfiance)


Le prénom Ambroise (Ambrosius) renvoie à l'ambroisie, bien évidemment. 

L'un des plus célèbres Ambroise, c'est bien Ambroise Paré, considéré comme le père de la chirurgie moderne.


Je ne veux pas faire mon intéressant, et encore taper sur le même clou

- Delenda Carthago, comme disait l'autre -,

mais bon, le grec ancien ἀμβροσία, ambrosía, possède un remarquable cognat, tant par la forme que le sens, le... sanskrit...

ouai-eeeuh, je sais

...अमृत, amṛ́ta, dont nous avons vu qu'il signifait immortel, mais qui est à prendre ici au sens d'“élixir de vie, immortalité, nourriture et nectar des dieux”.


Allez, un dernier mot en grec ancien pour aujourd'hui : 

βρότος, brótos.

- Mais enfin !? Tu viens d'en parler, Blondieau, tu n'as fait que ça !

- Ben non. Ici, il s'agit de βρότος, brótos, pas de βροτός, brotós. 

Mais au moins, me voilà rassuré sur votre santé. Je commençais à m'inquiéter ; je suis heureux de retrouver le Fernand Ucon que j'ai toujours connu.


Et βρότος, brótos désignait le sang.

Oh, pas n'importe lequel ! Le sang qui coulait des plaies infligées par l'ennemi, le sang des guerriers, celui, pur ou impur, susceptible d'abreuver les sillons.


Beaucoup ont essayé de rapprocher βρότος de βροτός. 

Bah, pourquoi pas ? Le sang répandu sur le champ de bataille évoque clairement les morts, non ?

Mais NON, aucune étymologie sérieuse ne va dans ce sens.

Pour les linguistes modernes, l'étymologie du grec ancien βρότος, brótos“le sang verséest tout simplement inconnue, voire

- et ça, c'est dans le meilleur des cas -

incertaine.


Et moi là-dessus, je vous laisse.

On parlera encore de grec ancien dimanche prochain.



Je vous souhaite, à toutes et tous,

un excellent dimanche, une heureuse semaine.






Frédéric



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Et pour nous quitter,

une louange des mortels adressée au monde divin.

Un Te Deum (si pas LE Te Deum),

celui en ré majeur de Marc-Antoine Charpentier, qu'il composa entre 1688 et 1698.


En voici en tout cas le prélude...


Dans les manuscrits anciens, on donne parfois au Te Deum, hymne latin chrétien,
le titre de... 
hymnus ambrosianus (hymne ambrosienne),
par allusion à l'un de ses auteurs (présumés, hein !),

Ambroise de Milan.

Décidément, tout se tient.

Ce bon Ambroise de Milan (Aurelius Ambrosius),
339 - 397,
qui, de fait, devait avoir l'oreille.


https://youtu.be/I3LIlzPtsmw

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dimanche 18 juillet 2021

dob'i sidhe cēd-marbh Erenn diob

      





dob'i sidhe cēd-marbh Erenn diob 

(le premier d'entre eux à mourir en Irlande)


Leabhar Gabhála,
(le livre des conquêtes d'Irlande), 
the recension of Micheál Ó Cléirigh part 1

Micheal Ó Cléirigh,
circa 1590 – circa 1643,
frère franciscain, chroniqueur et scribe irlandais


l'école Micheal Ó Cléirigh,
Rossnowlagh, Conté de Donegal, Irlande.



Bonjour à toutes et tous.


Nous en sommes toujours aux dérivés de la racine proto-indo-européenne...


*mer-mort”.


Commençons par un petit point, voulez-vous ?

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C'est le 4 juillet 2021 que nous avons débuté cette étude de la racine proto-indo-européenne *mer-mort”, avec quelques dérivés italiques et particulièrement latins, notamment morior, morīmourir” dont est issu notre français mourir.

Ce jour-là, nous avons également parlé...
  • du datif singulier vénète 𐌌𐌖𐌓𐌕𐌖𐌅𐌏𐌝, murtuvoi, mort”,
et
  • d'autres dérivés latins de morior, morīmourir” :
    • mortuusmort”, qui a cessé de vivre”, “où rien ne se passe ; qui demeure sans vie, dont la vie s'est retirée”, dont est issu notre français mort,
    • mors, mortis, “(la) mort”, dont est issu, par son accusatif mortemle substantif français (la) mort
    • mortālispérissable, sujet à la mortd'où... humain”, et son antonyme immortālis, que nous emprunterons pour en faire nos mortel et immortel,
ou encore
    • le composé moribundus, que nous emprunterons sous la forme moribond.
Heyr himna smiður, 4 juillet 2021

🜛

Le 11 juillet 2021, nous nous sommes penchés sur ses dérivés germaniques, au nombre desquels nous citerons...
  • le vieux norois morðmeurtre”, d'où...
    • l'islandais morðle norvégien mordle suédois mordle danois mordou le féroïen morð.
  • le vieil anglais morðmeurtre” (ou dans un emploi poétique, mort, crime”), d'où le moyen anglais morth, murth, d'où l'anglais... murder, meurtre”,
  • le vieux frison morthd'où le saterlandais Morde, Moort, meurtre” et le frison occidental moard, meurtre”,
  • le vieux saxon morth, d'où le moyen bas allemand mōrt, d'où le bas allemand mort,
  • l'ancien haut allemand, mordd'où le moyen haut allemand mort, d'où l'allemand Mord, meurtre”,
  • le francique (non attesté) *murth, *morth, qui explique le vieux néerlandais morth, et à sa suite, le moyen néerlandais mort, dont sera issu le néerlandais moord,
  • le vieux norois myrðaassassiner”, d'où l'islandais myrðaassassiner”, le danois myrdeassassiner”, le norvégien Bokmål myrdeassassiner”, le féroïen myrðaassassiner”,
  • le gotique 𐌼𐌰𐌿𐍂𐌸𐍂, maurþrmeurtre”,
  • le vieil anglais morðor, meurtre”,
  • le vieux francique *murthrjan-, assassiner”, d'où l'ancien français meurtrir, murtrir, assassiner”, d'où nos meurtre et meurtrissure.

 
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Amis lecteurs, en ce 18 juillet 2021, nous allons jeter un coup d'oeil du côté des langues... celtiques.


Pour nous guider dans notre quête,

l'...

et... 



Les langues celtiques, un tout petit rappel ?


Les langues celtiques :
  • continentales : gaulois, celtibère, lépontique, galate… 
  • insulaires :
    • gaéliques :  irlandais, manxois, écossais
    • brittoniques : breton, cambrien, cornique, gallois





Ranko Matasović...

c'est lui

nous propose un adjectif proto-celtique...
(donc, forcément - allez, tous avec moi - non attesté, bien !, même si reconstruit n'était pas mal non plus)
...*marwo-, au sens de mort.


L'on fait remonter cet adjectif celtique *marwo-, tout comme d'ailleurs son cousin germanique *murþa-...

- *murþa- ?? si doute il y a, on se dépêche de relire “Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.”, Voltaire -,

...à l'adjectif indo-européen *mŕ-to-mort.


racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
adjectif indo-européen (degré zéro) *mŕ-to-mort
celtique *marwo-mort”,
germanique *murþa-meurtre”


Et,
dans l'autre sens,
de *marwo-, l'on fait descendre une jolie brochette de dérivés celtiques,

ici, une jolie brochette de boeuf irlandais


tous reprenant le sens initial de *marwo- dont, notamment, 
  • dans les langues gaéliques,
    • le vieil irlandais marb,
d'où
      • l'irlandais marbh,
      • le manxois marroo,
      • le gaélique écossais marbh,
et 
  • dans les langues brittoniques,
    • le gallois marw,
    • le moyen breton marf, maru,
d'où

      • le breton marv,
le breton marv, comme dans
Mojennoù ar marv,
contes et légendes de la Mort
    • le cornique, non pas troupier, bien essayé, mais marow,
    • le - aaaaah, mais ouiiiiiii ! - moyen gallois marw,
d'où

      • le gallois marw.



Tá m’athair féin marbh.

irlandais pour mon propre père est mort.


En français du XVIIème, ça donnerait quelque chose comme...

- Jack-Ben, t'es prêt ? La régie ? Dépêchons ! La poursuite sur Jack-Ben, et... action !

Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : mon propre père se meurt, mon propre père est mort !

Jacques-Bénigne Bossuet,
27 septembre 1627 - 12 avril 1704


Revoyons donc l'action au ralenti, en prenant, pour l'exemple, l'irlandais marbh :


racine proto-indo-européenne (degré plein, timbre e) *mer-, “mort”
adjectif indo-européen (degré zéro) *mŕ-to-mort
celtique *marwo-, mort
vieil irlandais marbmort
irlandais marbhmort


 

Notons encore que le breton marvel siginifie mortel, ce qui permet aux Bretons de se gausser allègrement de la série The Eternals publiée par Marvel Comics
 



Ranko Matasović épingle également une autre forme celtique créée sur *marwo-, le nom composé... *marwo-natu-au sens de poème ou chant funéraire, élégie
*natu- désignant le poème, le chant, gagné !


C'est ici qu'intervient Delamarre qui s'intéresse, lui, à ce terme *natu-.

Quittons donc,
pour quelques lignes, pour quelques lignes seulement...

-  Brel n'aurait pas dit beaucoup mieux -,

...la descendance de la racine *mer-mort”, et examinons ce celtique *natu-.

 


Je sais que dans ma saoulographie
Chaque nuit pour des éléphants roses
Je rechanterai ma chanson morose
Celle du temps où je m'appelais Jacky
Être une heure, une heure seulement
Être une heure, une heure quelquefois
Être une heure, rien qu'une heure durant
Beau, beau, beau et con à la fois


(Pour les seuls et véritables amoureux de la chanson française que sont les fans de Stromae :

Tempsoujemappelaijackyoutai)



C'est probablement ce *natu- que l'on retrouve notamment dans les noms gaulois...
  • Vonatorix, qui désignerait un Maître des chants”,
le nom Vonatorix,
sur une inscription funéraire découverte à Bonn


ou encore
  • Vanatactus, qui serait celui qui mène ou dirige les chants”,
désignations d'une fonction liturgique ou sacerdotale impliquant une récitation... chantée.


Quoi qu'il en soit, descendraient de ce *marwo-natu- celtique (et reprenant de même son sens original)...
  • le moyen irlandais marbnad, d'où l'irlandais marbnath,
  • le - mais ouiiii ! - moyen gallois marwnad, d'ou le gallois marwnad,
  • le moyen breton marvnad, d'où le breton marvnad, toujours élégie.


Mais,
memento mori,
Delamarre avance que d'autres noms gaulois construits sur -*natu,
précisément Vanatus et Vanata,
pourraient être des désignations métonymiques d'un type de chanteur, par le nom du chant qu'il pratiquait, en l'occurence *Vo-natu-.
Euh, quant à ce préverbe Vo-, rien n'est clair ; il devait peut-être spécifier le chant en question ?

Et
- c'est là que ça devient intéressant pour notre étude -
ce chant appelé *Vo-natu-,

je sais, mais non: Vonatu, pas Vanuatu

que pratiquait donc un Vanatus ou une Vanata, pourrait désigner, au regard de l'emploi que prit le mot celtique *natu en contexte funéraire
(repensons évidemment à l'irlandais marbnath, au gallois marwnad...),
un chant... funèbre.

La fonction qui y est attachée serait alors celle de pleureur” (Vanatus) ou de pleureuse” (Vanata) officiels, commissionnés à l'occasion de... funérailles.

pleureuses
(source)









Je vous souhaite, à toutes et tous,
un excellent dimanche, une heureuse semaine.


Être sur Liège est en ce moment une expression parfaitement correcte




Frédéric



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Et pour nous quitter,

voici les

Choral Scholars of University College Dublin,

dans une formation d'il y a quelques années,

qui nous chantent le traditionnel écossais

The parting glass,

Le verre du départ

https://youtu.be/eisW0skJ9fU


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