- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 30 septembre 2018

"Утро вечера мудрее" (le matin est plus sage que le soir), proverbe russe






La nostalgie, c'est comme les coups de soleil :
ça fait pas mal pendant, ça fait mal le soir.

Pierre Desproges














Bonjour à toutes et tous !




Ma bronchite - car oui, c'est une bronchite qui m'a assailli dernièrement- me tenaille toujours, mais j'aurai le dernier mot.




Á propos de mots, tiens...

Une fidèle lectrice du blog, et qui partage ma passion pour l'indo-européen, m'a suggéré, à l'issue de l'étude sur la forme indo-européenne *gʰ-di-es-, à qui nous devons notamment notre français “hier”, de traiter de la façon dont les langues slaves, cette fois, avaient choisi de désigner ce jour d'avant aujourd'hui. Oui, je parle de hier.

Excellente suggestion !


Oh, allez, faisons un peu de copinage ;
je vous renvoie à son site,
qui traite notamment de linguistique, de lexicologie, et de littérature: https://www.francoisenore.com/

Car en effet, comme vous l'aurez constaté dans cette étude,
qui débutait ici:
Hier encore, j'avais vingt ans, je caressais le temps - Charles Aznavour,
il faut se rendre à l'évidence: aucune trace de notre *gʰ-di-es- dans groupe balto-slave, qui lui a préféré une tout autre racine.

Ah ah ! Que personne ne sorte.


Murder on the Orient Express, Sidney Lumet, 1974


Mais... on retrouve la racine qui a donné ce hier slave dans d'autres groupes linguistiques... 
Et, qui plus est, nous en avons déjà parlé ! 

Oui.

Mais je ne vous en voudrai pas si vous l'avez oublié. Car c'était le 15 janvier 2012 ! 

Dans un article qui traitait des points cardinaux:
orientons-nous.

Il s'agissait de l'un des premiers articles de ce blog, figurez-vous.
Article, évidemment, que je vous invite à lire ou à relire, court article qui vous servira d'entrée en matière pour ce qui va suivre...

J'y mentionnais la racine *wes-pero- comme étant à l'origine de notre français ouest, ou du latin vesper, “soir”. 

Ben oui: le soir, là où se couche le soleil: à l'ouest.


Vesper Lynd, personnage sombre et torturé du premier James Bond de
Ian Fleming, sorti en 1953,
ici sous les traits, évidemment, de Eva Green.

Dans le roman, Vesper explique que ses parents la baptisèrent ainsi car elle
est née un soir particulièrement orageux... ("on a very stormy evening")

Et moi, je vais profiter de ce ... bond dans le temps de près de sept ans pour préciser plus avant ce qui se cache derrière ce *wes-pero-.

Car on en sait à présent beaucoup plus...

Ce *wes-pero-, que j'avais présenté à l'époque comme une racine, est en réalité un mot.  
Eh oui !

Un composé, qui plus est.

Et tant qu'à faire, on a revu la façon dont on le reconstruit, à la lumière des progrès de la linguistique comparative...

Mesdames, Messieurs, 
Je vous présente donc le mot indo-européen à l'origine de notre vespéral, ou de l'anglais west:





*uekspero-
Ou encore (soyons fous) *ue-k(ʷ)sp-er-o-.


Rien à faire, il faut le reconnaître, ainsi revu, il a méchamment plus de gueule.

Mais il y a plus que la forme...
Sa définition, aussi, a été revue.

Ouaip.

Je vous avais expliqué qu'il désignait l'ouest, et que de là, il en était venu à désigner le soir
là où se couche le soleil: à l'ouest. Comme tu disais, hein !

- Ben oui. Mais en fait, c'est rigoureusement ... l'inverse.



Le mot devait en réalité désigner le soir ! D'où la notion d'ouest qui s'y est attachée, mais seulement en un deuxième temps, comme sens dérivé... 

Eh oui, c'est comme ça ! 





Je vous disais qu'il s'agissait d'un composé?

Il se constituait de deux parties.

La première: *ue-, et la deuxième: *k(ʷ)sp-
Je reprends ici la très belle explication qu'en donnait Robert Beekes dans son incontournable Etymological Dictionary of Greek, de la série des Leiden Indo-European Etymological Dictionary.
Robert Beekes















On a pu isoler le sens de *k(ʷ)sp-. Il s'agit tout simplement du degré zéro de la racine *k(ʷ)sep-... “nuit”. 
Pss: Vous pourriez la retrouver représentée sous la forme *k(ʷ)sep-r/n-. C'est bien la même ! Mais par là, on insiste sur la terminaison du thème qu'elle pouvait former, qui prenait, soit un *-r au nominatif et à l'accusatif singulier, soit un *-n dans les autres cas. C'est ce qu'on appelle un thème hétéroclite...
Et tant qu'on y est, sachez encore que cet invraisemblable amas de consonnes, ce machin *k(ʷ)sp- est ce qu'on appelle élégamment un groupe consonantique, une “grappe de consonnes” si l'on devait traduire littéralement l'anglais consonant cluster. Un assemblage de consonnes particulièrement complexe, mais qui permet d'unifier en une seule expression une forme originale à tous les dérivés qu'on a pu en retrouver, les diverses langues indo-européennes ayant choisi de le simplifier chacune à sa façon...

Notre jolie k(ʷ)sep-r/n-, on la retrouve donc bien
- et ce via le proto-italique *we(k)spero- -
dans le latin vesper, mais aussi dans...

  • le vieil arménien գիշեր, gišer“nuit, obscurité”,
  • le hittite išpant-, “nuit”,
  • l'indo-iranien *kšap-, 
  • d'où, via l'indo-aryen *kṣap-, 
  • le sanskrit क्षपा, kSapA, et
  • d'où, via l'iranien *xšap-,
  • l'avestique xṣ̌ap, xṣ̌apan,
  • le kurde şev, ou
  • le perse شب‎, šab


Pour ce qui est de *ue-... 

Dites, vous voulez vraiment qu'on en parle?

Vraiment ?




Bon...

Pour ce qui est de *ue-... 
Les choses sont nettement moins limpides...

Il est en effet difficile de le rattacher à quoi que ce soit.
Une des dernières hypothèses en date est qu'il s'agit de la réduction d'un nom (ou adjectif) antérieur, sans plus... Mais lequel ?




Ce qu'il signifierait ? 


Pfff, on sait pas trop. Mais dans ce composé, on pourrait y retrouver la notion d'extension, de direction, présente dans notre préposition vers...

Ce qui permettrait de donner un sens littéral à ce composé *ue-k(ʷ)spero-, dans lequel on trouve la notion de nuit, et qui rappelle irrémédiablement le soir: 


“(ce qui s'étend) vers la nuit”.


Bon, cela dit, n'allez surtout pas croire qu'on ne retrouve *ue-k(ʷ)spero- qu'en latin et dans les langues indo-iraniennes, hein ! 

Car - voyez comme les choses sont bien faites -, il est également présent dans le groupe celtique, où par exemple le, le ... 

OUIIII ! 





moyen gallois ... 




ucher, “soir” semble bien être la continuation d'un beau *ue-*k(ʷ)sp-, via un étymon proto-celtique *weskʷ ero-.


Bon, avec tout ça, je pense qu'on a planté le décor:

À l'origine du latin vesper, mais aussi des mots pour “hier” dans les langues balto-slaves, nous avons le mot composé indo-européen *ue-k(ʷ)spero-,(ce qui s'étend) vers la nuit”.


- Et alors, tu auras tes nouvelles dents pour ce soir ? 
- Vesper !


Dimanche prochain, sur ces bases à présent solides, nous attaquerons avec sérénité la suite, tant attendue: 




la descendance de *ue-k(ʷ)spero- dans les langues balto-slaves.

Psss ! En vous disant qu'on parlera aussi de grec ancien...


Récap' !


élément *ue-“vers?” + racine indo-européenne  k(ʷ)sep-r/n-, “nuit”
mot composé indo-européen *ue-k(ʷ)spero-“soir” ((ce qui s'étend) vers la nuit”)
proto-italique *we(k)spero-
latin vesper“soir” 

---

degré zéro *ue-*k(ʷ)sp-
proto-celtique *weskʷ ero-
moyen gallois ucher, “soir” 

---

racine indo-européenne k(ʷ)sep-r/n-
vieil arménien գիշեր, gišer“nuit, obscurité”

---

racine indo-européenne k(ʷ)sep-r/n-
vieil arménien գիշեր, gišer“nuit, obscurité”

---

racine indo-européenne k(ʷ)sep-r/n-
hittite išpant-, “nuit”, indo-iranien *kšap-

---

indo-iranien *kšap
indo-aryen *kṣap- et iranien *xšap-

---

indo-aryen *kṣap-
sanskrit क्षपा, kSapA

---

iranien *xšap-
avestique xṣ̌ap, xṣ̌apan, kurde şev, perse شب‎, šab

---



Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très belle semaine !

À dimanche prochain !




Frédéric



PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.

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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

du Bach !

le premier mouvement de la cantate BWV 42 qu'il composa à Leipzig en 1725,

et magnifiquement interprétée par l'Academy of Ancient Music,

la sinfonia
Am Abend aber desselbigen Sabbats
(Le soir de ce même jour du sabbat) 



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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dimanche 23 septembre 2018

Miam miam miam... Merci à qui ? À l'indo-européen, pardi !






Merci à qui ? À l'indo-européen, pardi !

Frédéric Blondieau
Frédéric Blondieau, linguiste du dimanche




















Bonjour à toutes et tous !



Il y a quelque temps, une amie particulièrement espiègle avait affiché une photo sur Facebook.

Sur cette photo, des objets insolites, curieux. 
Qui ressemblaient à des pierres délicatement polies. 
À des galets joliment arrondis. 

Mais bien sûr, ces objets n'avaient rien de vulgaires galets. Vraiment pas.
vulgaires galets
(source)

Et mon espiègle amie demandait tout naturellement à la cantonade ce que pouvaient être ces objets qu'elle avait photographiés. 
Avec un resto à la clef pour celui qui résoudrait l'énigme ; il faut tout dire.
Et je vous dis tout, et tout de suite ; c'est moi qui ai gagné l'invitation au resto. (Et toc.)
Comme mon amie est une lectrice fidèle du blog, elle saura - s'il d'aventure elle en doutait - que je n'ai pas (encore) oublié, et qu'il faudra se trouver, dans nos agendas bien remplis, un moment pour aller manger ensemble.

Pourquoi je vous parle de ça?
Vous vous en doutez bien: il y a de l'indo-européen là-dessous...

J'ai en réalité une très mauvaise mémoire. 




C'est simple: il m'arrive parfois de relire avidement d'anciens articles du blog, pour m'esbaudir - voire m'esclaffer - devant leur contenu. 
Oui, j'en suis là. Parfois, je m'inquiète.
Le côté positif, c'est qu'ainsi, j'apprends tous les jours, et qu'en outre j'apprécie mon sens de l'humour...
Autre exemple, tiré de la vie réelle, professionnelle: dans un emploi précédent, un excellent collègue me demandait si j'avais connaissance d'un projet trucmuche
En toute franchise, je lui répondis que non
- Jamais vu, jamais entendu. Mais j'ajoutai - sait-on jamais: tu peux peut-être chercher dans ce dossier, avec tel ou tel mot-clef...”.  
Ce qu'il fit. 
Pour me revenir quelques minutes plus tard, hilare
- J'ai trouvé le document relatif au projet. Tiens, Fred, regarde.

Et, blême, livide, consterné, incrédule, je ne pouvais que constater que c'était mon nom qui figurait dessus.
Oui, j'avais participé à ce projet. 

Mieux que ça: j'étais l'auteur du document que mon collègue narquois - lui aussi particulièrement espiègle - me présentait. 

J'avais totalement oblitéré, et le projet, et le document, de ma mémoire.
Je suis comme ça.

Bref.

Mais reprenons le fil.
Ma réponse à l'espiègle devinette photographique, ici, curieusement, m'a été soufflée par un vieil article du blog. Qui date du 5 février 2012 ! 

Pour une fois, oui, ma mémoire, en temps normal si déplorablement inutile, ne m'a pas lâché. 

Je me rappelais vaguement avoir entrevu ce type d'objets lors de recherches pour le dimanche indo-européen

Je ne me souvenais plus (du tout) de quelle(s) racine(s) le nom de l'objet provenait
- ah ben oui, n'exagérons rien, quand même -,
mais au moins, je me rappelais de son nom, de sa définition, et de sa langue d'origine: le perse.

Je pensais en fait l'avoir traité, ce mot, mais non, il n'en était rien. 

- Ah bon ?
- Ben oui.
Il m'a fallu du temps, mais je sais à présent pourquoi
- après avoir finalement retrouvé le fil de mes idées et de mes recherches d'il y a bientôt sept ans -
j'avais dû le mettre de côté: tout simplement parce qu'à l'époque, j'avais des doutes sur son étymologie...
Les choses ont changé... Aujourd'hui, je ne doute plus de l'étymologie indo-européenne de ce mot, mais bien de celle des dérivés dont je traitais alors... J'y reviendrai.
les temps changent...


Quoi qu'il en soit, voici donc ..

  • une photo de ces objets...



et... 

  • l'article où j'eus pu mentionner leur nom - et forcément son étymologie:
Autobahn, guns et pourfendeurs de dragons
Article que je vous conseille vivement de lire avant de poursuivre, hein...

Quant à la racine indo-européenne que je traitais à l'époque ?


*gʷhen-“tuer, abîmer...: pourfendre...”.

Mais, avant d'aller plus avant...

Vous, dites-moi, vous, vous avez trouvé de quoi il s'agit?






- Huuh ?







Allez, je vous laisse encore quelques instants...

...

...

...

Il s'agit de ... bézoards.


- Des bézoards???

Bézoard:
  1. Concrétion calculeuse faite de poils ou de divers débris végétaux se formant dans le corps de certains animaux (ruminants) et parfois de l'homme (psychopathes avalant des matières non digestibles).                        
  2. Préparation pharmaceutique qui était autrefois considérée (notamment en Orient) comme un puissant antidote aux poisons et aux maladies infectieuses. Bézoard oriental. Bézoard animal, minéral, végétal. 
Oh, merci, merci, Le Grand Robert de la langue française©.


Oui, le bézoard est une concrétion pierreuse, un corps étranger que l'on trouve le plus souvent dans l'estomac des ruminants...

Jadis appelé pierre de fiel ou perle d'estomac, on lui prêtait des vertus curatives
C'était surtout pour son action d'antidote aux poisons qu'il était réputé.


Ne confondons pas...


B zoar et...

K zoar












































Nous devons ce mot à une drôle de série d'emprunts...

Nous avons emprunté le mot au XVème, sous la forme bezaar, et via le latin médiéval, à l'arabe bāzahr
(non, ne cherchez pas, rien à voir avec bazar, le marché),
lui-même emprunté au vieux perse pādzahr, “ce qui préserve du poison”.

Mais ce n'est pas fini... 
Il a fallu attendre la moitié du XVIème pour que nous adoptions la forme bezoar
- qui s'écrira bezoard , avec un superbe -d final, fin du XVIème, sous l'influence ridicule, saugrenue et néfaste du suffixe -ard - ;
forme bezoar calquée sur le latin médiéval bezoar, lui-même emprunté à l'arabe bezuwār, ce dernier n'étant que la forme maghrébine de l'arabe classique bāzahr.

Ouf.

Faisons déjà le point...


vieux perse pādzahr, “ce qui préserve du poison

emprunt

arabe 
bāzahr

emprunt

latin médiéval bezaar

emprunt (calque) du XVème

français bezaar

déformation

français bezoar,
déformation s'expliquant par:
[arabe bāzahr déformation maghrébin bezuwār  emprunt ⇒ latin médiéval bezoar calque de la mi-XVIème ⇒ français bezoar]

influence du suffixe -ard

bezoard, fin XVIème

forme moderne bézoard


Ouais...
Des déformations à la pelle, cet emploi de la terminaison -ard malvenu, infondé, injustifiable...
Comme vous, j'y verrais bien les basses oeuvres de la famille Ucon...


- maisje ?
Fernand Ucon, à la famille de qui les incohérences du français
doivent beaucoup (relisez ceci).


Bon, maintenant, passons aux choses sérieuses, et intéressons-nous à ce vieux perse pādzahr...

Il s'agit en réalité d'un composé.


 pʾt (prononcez pād”) +‎ zhl (à prononcer zahr”).


Et là, surprise ...





Les deux racines indo-européennes à l'origine des deux parties formant ce composé, nous les avons déjà traitées. 

Mais, honte sur moi, je n'avais jamais mentionné pādzahr au nombre des dérivés ni de la première, ni de la deuxième...


La première partie du mot,  pʾt (/pād/), provient de la racine *pā-protégernourrir, traitée ici:
Une bonne pâte, ce satrape.
et descend précisément de *pā- par l'étymon proto-iranien *pah-, à qui on attribue le sens de “protéger, garder”, et spécialement “garder au pré, mettre en pâture”.
Je vous invite à lire ou relire l'article en question... Je ne blague pas.

La deuxième partie du mot, zhl (/zahr/), provient quant à elle de la racine indo-européenne *gʷhen-“pourfendre...”.

C'est précisément par un étymon proto-iranien que l'on reconstruit sous la forme *zarH- que l'indo-européenne *gʷhen- aurait donné le vieux perse zhl.


Pour l'anecdote, c'est d'ailleurs de cette forme *zarH- que serait issu le khotanais ysurra-, “colère”.
- Le khotanais ? Vous avez bien dit khotanais ?
- Mais oui, oh ! Une langue moyenne iranienne parlée par les Sapas ou Sakas, au VIIème siècle, dans les royaumes de ... Khotan (ben voyons, comme par hasard), de Kashgar et de Tumushuke - je n'invente RIEN -, dans le bassin du Tarim, au sud de l'actuel Xinjiang. 

À l'époque de Autobahn, guns et pourfendeurs de dragons, c'était de cette jolie indo-européenne *gʷhen- que je faisais descendre l'allemand bahn, par exemple, ou l'anglais fence...

Mais à l'occasion de cette replongée dans le sujet, force m'est de constater que ce lien est bien ténu... 

En effet, même si certains établissent ce lien
- certains et pas des moindres... Je pense notamment à Pokorny, à Watkins ou au lexicologue allemand Elmar Seebold -,
pour d'autres
- c'est le cas de l'Américain Thomas L. Markeyprofesseur de langue allemande et de linguistique, dans la roue duquel Guus Kroonen n'hésite pas à sauter -,
même si sémantiquement la question ne se pose pas, il paraît peu probable qu'en l'espèce, ce *b germanique puisse dériver d'un *gʷh indo-européen... 


Mais donc, si vous m'avez bien suivi, ces doutes n'assombrissent que les formes germaniques dérivées (peut-être) de *gʷhen-“pourfendre...”.
Celles-là dont je parlais dans Une bonne pâte, ce satrape., qui ne seraient peut-être
- le doute subsiste malgré tout -
issues que d'une racine germanique s'apparentant sémantiquement et formellement avec l'indo-européenne *gʷhen-, mais n'entretenant avec elle aucun lien filial...

Ce qui signifie aussi 
- il est important de le noter -
que rien de tout ceci ne devrait vous faire remettre en question la filiation entre la racine indo-européenne *gʷhen- et notre perse zhl.


Mais reprenons...

Il est intéressant de constater que le vieux perse pour bézoard
(pʾtzhl, /pādzahr/, pour les ramollis du bulbe en général ou descendants de la famille Ucon en particulier)
signifiait littéralement anti-poison: “ce qui préserve du poison”, “ce qui protège du poison”, composé de pʾt, qui protège”, et zhl, “poison” (ce qui tue”).

Curieux, non ? C'est donc par son emploi d'antidote qu'on connaissait l'objet, qu'on le définissait, plus que par son origine, sa nature intrinsèque...

Ce qui nous amène à penser que si le pādzahr était si grandement apprécié, c'est que chez les anciens Perses, l'emploi du poison devait être particulièrement fréquent...


Quelques dérivés du vieux perse pʾtzhl, /pādzahr/, peut-être?

Mais oui !

À côté de notre français bézoard, de l'espagnol et de l'anglais bezoar, citons encore...

  • le persan پادزهر, /pâdzahr/, پازهر‎, /pâzahr/,
  • l'ourdou پادزہر‎, /pādzahr/, پازہر‎, /pāzahr/, 
  • le turc ottoman ادزهر, /pâdzehr/,
  • le turc panzehir, et évidemment
  • l'arabe بادزهر‎, /bādzahr, bādizahr/, بازهر‎, /bāzahr/, فادزهر‎, /fādzahr/,






Allez, on en restera là pour ce dimanche.

Chers amis, j'ai pris ce qu'on appelle un méchant refroidissement ; je tousse, j'utilise des dizaines de mouchoirs en papier... Là, j'en peux plus !


Une ch'tite récap', en deux parties plus une recomposition, et on se quitte fissa.


racine indo-européenne *pā-protégernourrir
étymon proto-iranien *pah-, “protéger, garder”, spécialement “garder au pré, mettre en pâture
 
vieux perse pʾt, /pād/, “qui protège

---

racine indo-européenne *gʷhen-“pourfendre...
étymon proto-iranien *zarH-, “ce qui tue, poison
 
vieux perse zhl, /zahr/“ce qui tue, poison

---

composé vieux perse pʾt, /pād/, “qui protège” + zhl, /zahr/“ce qui tue, poison
vieux perse pʾtzhl, /pādzahr/, bézoar, antidote




Je vous souhaite, à toutes et tous, un beau dimanche, une belle semaine...
(ici, 'fait moche, mais bon, c'est plus que normal)


À dimanche prochain !




Frédéric



PS: dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.

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Attention,
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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

RIEN à voir - si ce n'est que ce morceau et cette interprétation sont d'excellents antipoisons à la morosité ambiante...

Hélène Grimaud nous joue... 

Les jeux d'eaux à la Villa d'Este, de Franz Liszt.



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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