- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -
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dimanche 4 juin 2023

I'm a poor lonesome cowboy, I'm a long long way from home

   article précédent : La mémoire, ce fléau des malheureux.





I'm a poor lonesome cowboy
I'm a long long way from home
And this poor lonesome cowboy
Has got a long long way to roam
Over mountains over prairies
From dawn till day is done
My horse and me keep riding
Into the setting sun


Lonesome cowboy, lonesome cowboy, you're a long long way from home
Lonesome cowboy, lonesome cowboy, you've a long long way to roam



La chanson que fait chanter le grand Morris à son célèbre Lucky Luke,
à la fin de ses albums, et chevauchant Jolly Jumper vers le couchant






Bonjour à tous.


Chers amis, ce dimanche sera... particulier.

Tout d'abord, c'est avec lui que nous allons clore notre formidable voyage multi-millénaire auprès de l'irrésistible racine indo-européenne...


*men-, « penser ». 



Ce loooong périple, nous l'avions commencé le 13 novembre de l'année passée (!), avec
Les gens exigent la liberté d'expression pour compenser la liberté de pensée qu'ils préfèrent éviter. - Søren Kierkegaard.


Nous aurons ainsi consacré en tout 31 articles à cette magnifique racine. Rendez-vous compte.



Et puis, surtout
- je dois vous l'avouer ; peut-être même l'avez-vous déjà perçu ? -,
 je n'en peux plus.


Ce dimanche ne sera peut-être pas le dernier article du blog
- honnêtement, je n'en sais rien -,
mais après lui, je me permettrai
- enfin, enfin ! -


de souffler. De... penser à autre chose. Et nous verrons pour la suite.

Peut-être sous une autre forme, selon une autre périodicité ? 





J'avais gardé les deux étymons dont je vous parlerai aujourd'hui pour la bonne bouche.
Car, comme vous allez le voir, ils nous permettent encore d'établir des liens insoupçonnés avec des mots d'autres groupes linguistiques...


Le premier de ces étymons n'est que balte
Eh oui, on n'a pas (encore ?) découvert de mots slaves qui y seraient apparentés.

Il est tout simple, ce petit étymon ; le voici :

*manyti.


Il permet d'expliquer...
  • le lituanien (bon d'accord, dialectalmanýti, « penser, prévoir... »,
et
  • le letton - mais l'est-on VRAIMENT ?? - manît« remarquer, percevoir... »

Ce qui le rend encore plus intéressant, ce bon *manyti, c'est sa voyelle a, qui est la lointaine descendante d'une voyelle-pivot o proto-indo-européene. 

Oui, le slave *manyti nous arrive évidemment bien de *men-, « penser », mais précisément par son degré plein de timbre o, *mon-.

En cela, nos deux lascars manýti et manît sont de beaux cognats du... latin moneō, « faire se souvenir, avertir, recommander, annoncer, conseiller... » !

le temple de Juno Moneta

 

Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, nous avions consacré à moneō une belle série d'articles dont le premier était...

C'est beau, non ? Un pont solide vient d'être établi entre un mot dialectal lituanien, un mot letton (vraiment ?) et un mot latin...

un pont lituanien



Passons à présent à *mondros-.

*mondros-les-bains
(ça ne devrait faire légèrement sourire que les Luxembourgeois)



Nous avons ici affaire à un véritable étymon balto-slave

Balto-slave dont sont issus...
- du moins selon les lois de la linguistique comparative -
  • un étymon balte : *mandras-
et 
  • un étymon... slave*mǫdrъ .

Ce qui rend fascinants tous les dérivés, bien attestés, de cet hypothétique *mondros-, c'est leur construction grammaticale.

Mais ouiiiii ! Figurez-vous que nous avons déjà mentionné quelques-uns de ces dérivés,
rapidement, j'en conviens,
lors du billet consacré à un étymon germanique issu de notre *men-...

Nous y avions découvert que le germanique *mundra- était grammaticalement construit sur le même modèle indo-européen que celui adopté par l'avestique... 𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁‎, mazdā !

Je ne vous recopierai pas la démonstration, disponible à un clic d'ici ; passons plutôt en revue ces fameux dérivés balto-slaves de *mondros- :

Par le slave *mǫdrъ :
  • le - mais ouiiiiii ! - vieux slavon d'église мѫдръ, *mǫdrъ, « sage... »,
et, de même sens,


Langues slaves orientales
  • le russe му́дрый, moúdryj (le substantif мудрость, moudrost', désignant la sagesse, comme dans ...
Кто честность и премудрость обретет,
Тот, право же, вовек не пропадет:
Ведь честность выполняет обещанья,
А мудрость… никогда их не дает!

  — Эдуард Аркадьевич Асадов,

Celui qui gagne l'honnêteté et la sagesse,
Lui, vraiment, ne sera jamais perdu :
Après tout, l'honnêteté tient les promesses,
Et la sagesse... n'en fait  jamais !

  - Eduard Arkadievitch Asadov,


Langues slaves occidentales
  • le vieux tchèque múdrý,
    • d'où le tchèque moudrý,
le vieux Tchèque Pavel Múdrý, dans toute sa sagesse
  • le slovaque múdry,
  • le polonais mądry,

Langues slaves méridionales
  • le serbo-croate múdar,
  • le bulgare мъ́дър, mǎ́dǎr,
et
  • le slovène mọ́dər.


Enfin, par le balte *mandras-,


Langues baltes
  • le lituanien dialectal mañdras, « vif, intelligent... », mais aussi « fier, arrogant... »,
et
  • le letton (mais l'est-on vraiment ??) muôdrs« alerte, vigoureux, joyeux... ».





Chers amis, 

Merci de m'avoir lu, merci de votre fidélité.

Merci à toi, chère Aurore, de m'avoir si souvent aidé,
Merci à toi, cher Pierre, d'avoir su si finement présenter mes articles, et de les avoir publiés dans tant de groupes sur FB.
 

À bientôt peut-être. 

Portez-vous bien.




Frédéric



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Et pour nous quitter…

un morceau surprenant,

et à l'image de cet article si particulier.


Nous venons de mentionner des mots qui, de par leur construction, attestent de leur lointaine parenté.

Pour votre plaisir, je vous proposerais bien de cliquer sur le lien vers la video en essayant de ne pas en lire le titre...

Et à l'écoute, d'essayer alors de deviner de quoi il s'agit.

Retrouvons-nous plus bas, APRÈS l'écoute du morceau...

https://www.youtube.com/watch?v=JRkW6kky-9Y

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Vous avez pu l'écouter sans en lire le titre ?

Mozart, deux ans avant sa mort, en visite à Leipzig, avait pu découvrir des partitions de J.S. Bach qui y étaient conservées.

Je pense d'ailleurs que dans une de ses lettres, il déclara plus tard
- je cite de mémoire, pardonnez-moi -
qu' « enfin, il avait appris quelque chose ! »

(oui, vous retrouvez dans cette citation l'arrogance mâtinée de vivacité propre au lituanien dialectal mañdras).

Et il a alors composé un sybillin contrepoint à trois voix, à la manière de, et d'une complexité qui le rend difficile à jouer, et peu accessible à une oreille mozartienne.

Il s'agit donc de la Petite Gigue en sol majeur, K 574

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dimanche 30 avril 2023

Ce n'est pas un grand avantage d'avoir l'esprit vif, si on ne l'a juste.

  article précédent : Hwæt mǣnst þū mid þȳ?




« Ce n'est pas un grand avantage d'avoir l'esprit vif, si on ne l'a juste. La perfection d'une pendule n'est pas d'aller plus vite, mais d'être réglée.»


Luc De Clapiers, Marquis De Vauvenargues



Luc De Clapiers, Marquis De Vauvenargues,
Artiste, écrivain, moraliste
 (1715 - 1747),

« une âme pure et fière, généreuse et tendre, éprise d'idéal.
Un homme au jugement ferme, lucide et pondéré, non dénué de finesse
»
(citation de Charles-Marc Des Granges)



Bonjour à tous !


En ce dimanche 30 avril 2023, nous nous intéresserons à un tout dernier étymon germanique issu de notre magnifique racine indo-européenne...

*men-, « penser ».


Cet étymon proto-germanique, non attesté, reconstruit
- selon les lois de mutation phonétique de la linguistique comparative -
à partir de ses dérivés, c'est... *mundra-, auquel Guus Kroonen attribue le sens (tout autant reconstruit) de « vif, animé... ».


Affirmer que le proto-germanique *mundra- descend de notre racine *men-, « penser », n'est certes pas un mensonge, mais ne reflète pas non plus la réalité dans toutes ses nuances...


50 nuances



En effet, à l'origine de *mundra-, nous trouvons plutôt une racine composite, fabriquée à partir de deux racines indo-européennes : 
  • notre *men-, « penser », 
associée pour l'occasion à cette autre racine sans laquelle nos langues ne seraient pas vraiment les mêmes :
  • *dʰeh-, « mettre, placer, mettre en place, poser… ».
Oh, nous en avons parlé,
et à maintes reprises, encore,
de cette jolie et essentielle *dʰeh- ; lisez plutôt...
   
La linguistique comparative fait donc remonter le germanique*mundra- à une racine composite *men-*dʰeh-, à laquelle s'est rajouté le suffixe adjectival -ro-., ce qui nous donne la forme... *men-*dʰeh-ro-.

- Mais ?? Admettons ces assemblages, Blondieau, mais comment, grands dieux, expliques-tu le sens de *mundra- ?? Comment, à partir d'un adjectif créé sur (penser + placer), obtient-on « vif, animé... » ?? C'est du n'importe quoi, comm' d'hab', hein, pauvre tache ! 

- Ça alors, Monsieur Ucon ? Heureux de vous revoir, en si belle forme.

La question mérite assurément une réponse. 

Kroonen nous explique que le composite *men-*dʰehrenvoie au concept de « mettre en esprit... ». 

Eh oui, être vif (d'esprit), c'est en quelque sorte avoir en tête une foule d'idée ; passer, en jonglant, d'une idée à l'autre...   


Et nous devons à *men-*dʰeh-ro-,
via le germanique *mundra-,
quelques beaux adjectifs, comme...
  • le vieux haut allemand muntar,
d'où le moyen haut allemand et l'allemand munter« heureux, vif, éveillé... »,
 
allemand dont descendra à son tour le néerlandais monter, de même sens.



N'allez surtout pas croire que cette concaténation de racines soit une pure construction germanique.

Que nenni.


On peut retrouver des dérivés de *men-*dʰeh-... 
  • en lituanien : mañdras, « vif, intelligent... »,
  • en letton (mais l'est-on vraiment ??) : muôdrs« alerte, vigoureux, joyeux... »,
ou même...
  • en russe : му́дрый, moúdryj, « sage... ». 

Tiens tiens... Ce
sage russe devrait vous mettre sur la voie... 
De la sagesse, pourquoi pas
- et je vous le souhaite -,
mais surtout sur la voie... d'un cognat on ne peut plus éminent de notre proto-germanique du jour
(*mundra-, pour les moins vifs d'entre nous)
en... avestique... 


Ferez-vous le lien entre l'allemand munter, le lithuanien mañdras... et ce mot avestique si caractéristique ?

Mmmmh ?

...

Oui, non ?

...

Et si je vous montre :



Ouiiiiiii !

Ce terme de l'Avesta, c'est... 𐬨𐬀𐬰𐬛𐬁‎, mazdā.



Eh oui. Nous en avions notamment parlé ici

et aussi, plus récemment, dans le cadre de l'étude des dérivés avestiques de *men-, ici :



Nous l'avons déjà mentionné : un mot d'une langue A qui res
semble à un autre dans une langue B peut n'être qu'un vulgaire emprunt. Et ne permet pas de rapprocher étymologiquement ces langues A et B ; encore moins de les faire descendre toutes deux d'un parent plus ancien.

Oui, exactement :
ça ressemble à une Mazda, mais non...



Et sachons aussi nous méfier de l'étymologie populaire, qui est tout sauf de l'étymologie. 

Mais ces constructions identiques,
comme ici ce *men-*dʰeh-, commun (notamment) à l'avestique, aux langues germaniques et aux langues balto-slaves,
sont de précieux indices d'une étroite parenté linguistique entre toutes ces langues. 
Prendre un mot d'une langue pour le reproduire dans une autre est chose banale et courante. 
Mais reprendre une construction grammaticale, ça, ça sort de l'ordinaire.



À vous tous, un excellent dimanche.

Portez-vous bien.




Frédéric


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Et pour nous quitter…

un peu de Liszt...


Aaaaah,

Voici, sous les doigts vifs de

Khatia Buniatishvili,

un rêve d'amour,
ou
50 nuances de Liszt :


Liebestraum No. 3 en la bémol majeur, S 541



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