- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 mars 2020

du virus de l'étymologie à l'étymologie de virus





“(…) il lui avait inoculé le virus redoutable de sa vertu ;
il lui avait infusé dans les veines sa conviction, sa conscience, son idéal (…)


Victor Hugo,

dans

Quatrevingt-treize,

son tout dernier roman,
dont l'action se situe vers... 1793, du temps de la Terreur.

Nonante-trois aurait été très bien aussi, notez.
























Bonjour à toutes et tous !



En ce dimanche confiné, nous continuons la grrrrrande étude, que dis-je, la saga que nous avons consacrée à l'étymologie de... coronavirus.


Cette palpitante odyssée avait commencé avec 
Le Corbeau et le Renard, c'est de Corneille ?,

et s'était poursuivie avec
-Au nord, c'était les... -NON. -Mais enfin ?-NON. Non non. Non. NON..


Aujourd'hui, pour l'avant-dernier chapitre de cette monumentale somme, nous parlerons du deuxième terme du composé corona-virus..., v...
- allez, un effort !
- vi...
- OUIIIII ! -
virus.



Pour rappel, nous savons déjà que corona- nous arrive,
par le latin corōna, guirlande, couronne...”,
du grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...”, issu, lui,
de la racine indo-européenne *kor-u/n-, qui désignait le corbeau.


**********

racine indo-européenne *kor-u/n-, “corbeau

grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...

emprunt

latin corōna, guirlande, couronne...”

emprunt savant (années 1960)

français corona- dans le composé coronavirus

**********




Intéressons-nous donc à présent à ce deuxième élément, -virus.




Il s'agit, encore une fois, d'un emprunt au latin.
Relativement récent, l'emprunt, car attesté seulement en 1478 (septante-huit).

Le vīrus latin pouvait désigner plein de choses, mais qui avaient toutes en commun, disons...
une certaine odeur,




une viscosité particulière ?




Au nombre des acceptions de vīrus, l'on trouvait ainsi :
  • odeur forte, désagréable, puanteur, 
  • semence animale, sperme,
  • goût désagréable,
  • poison, venin,
  • suc des plantes (lui-même servant souvent de poison),
  • teinture de pourpre (mais oui, obtenue par extraction et putréfaction à l'air libre des sécrétions d'un mollusque, le murex. Le lien ? L'odeur abominable)
  • forte odeur épicée,
  • liquide visqueux, gluant... (comme la bave des limaçons),
  • ...


le gomphide glutineux
(source)




Au figurévīrus signifiait encore amertume, âcreté, venin, fiel...



En français, le mot désignera une substance organique, comme le pus
- ouais, je sais -,

susceptible de transmettre une maladie, une infection.


Ensuite, fin du XVIIème, il servira à désigner plus précisément une toxine, un agent de contagion (même si on ne savait pas trop à quel facteur attribuer cette contagion).

On parlait déjà du virus de la rage, mais on employait surtout le mot à propos des maladies vénériennes, réputées particulièrement impures.





Au sens figuré, le mot s'emploiera, dès le XVIIIème, pour désigner un principe moral de contagion. C'est encore sous ce sens que Victor Hugo l'utilisera dans Quatrevingt-treize, paru en 1874 (dix-huit cent septante-quatre).
En 1925, il est attesté comme l'équivalent de passion, dans l'expression virus de la lecture.



Mais revenons au sens propre de virus...

Au début du XXème, le terme va se spécialiser pour désigner un micro-organisme, qui, s'il était encore mal connu, était en tout cas nettement plus petit que les microbes et bactéries. 

On parlait d'ailleurs de virus filtrants, dans la mesure où seuls ces micro-organismes passaient à travers les filtres.
Saloperies.


Le sens moderne de virus, datant du XXème siècle, nous le devons à la recherche biologique et médicale :
Micro-organisme infectieux, parasite absolu des cellules vivantes, possédant un seul type d'acide nucléique et synthétisant sa propre substance à partir de son seul stock génétique (sans échange métabolique).
Merci, merci, © 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française


Voilà pour l'évolution du mot en français, à partir de son emprunt au latin.


Mais... D'où qu'i' v'nait, le latin vīrus, hein ?


Michiel de Vaan,
dans son Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages,


nous raconte que le latin vīrus est issu d'un étymon italique qu'il retranscrit sous la forme 

*weis-o-(s-),

et à qui il attribue le sens de... poison.


Eh oui, ce passage de s à r entre deux voyelles est un bel exemple de rhotacisme.
En cas de doute sur le rhotacisme, allez donc lire rhotacisme? Moi je n'aime pas ce garçon.
Vous êtes confinés ; profitez-en.


Quant à l'étymon proto-italique *weis-o-(s-)
- toujours selon de Vaan -
il est issu d'une forme indo-européenne de même sens (poison, hein) qui donnait
*ueis- au nominatif,
et
*uis-os- au génitif.


Mais... - me direz-vous -, pourquoi diable insister sur ces deux formes ?
Faut-il vraiment faire si grand cas de ces deux... euh... cas ? 

Le souci, voyez-vous, c'est qu'on explique difficilement cette forme latine, comparée à ses différents cognats
- cognats que vous trouverez en grec ancien, en gallois, en moyen irlandais, en sanskrit, en avestique, ou alors - soyons fous - en tokharien. A et B, excusez du peu.

Il se pourrait que pour une raison encore inconnue, le latin,
par l'entremise de l'italique *weis-o-(s-),
ait choisi la forme nominative indo-européenne *ueis- pour en faire son vīrus,

alors que tous les autres cognats seraient issus, eux, du radical présent dans les cas autres que le nominatif (entendez les cas obliques), *uis-...







Vous l'avez deviné...

La semaine prochaine, nous nous pencherons sur tous ces cognats du latin vīrus, du gallois au tokharien B.



Résumons l'article du jour, et puis, disons-nous au revoir...



**********

forme indo-européenne nominative *ueis-, “poison

étymon proto-italique *weis-o-(s-)“poison

rhotacisme

latin vīrus, visqueux et puant : suc des plantes, semence animale...”

emprunt (1478)

français virus

**********





Chères lectrices, chers lecteurs,
surtout, surtout,
protégez-vous bien.

Portez-vous bien.
Et tenez bon !




Frédéric



Spécial confinement :

Le Getty, le J. Paul Getty Museum de Los Angeles, fermé lui aussi pour cause de confinement, propose un petit jeu aux amateurs d'art : refaire, avec les moyens du bord - les objets de la maison -, les oeuvres d'art qu'il héberge.

Et certains résultats sont fantastiques !







PS : dans ces articles, les passages de texte en bleu, vous l'aurez compris, traitent d'éléments de linguistique.

******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
******************************************

Et pour nous quitter,

mais sans tout à fait quitter la Rome Antique,
et surtout en pensée avec nos amis Italiens,

un air déchirant, un cri poignant,
celui de Cléopâtre à Jules César,

tiré de
Giulio Cesare in Egitto, HWV 17

opéra (opera seria) que composa Georg Friedrich Haendel en 1723,

“ Se pietà di me non senti

(Si tu n’as pas pitié de moi).




******************************************


Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
  • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par mail dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou
  • liker la page Facebook du dimanche indo-européen: https://www.facebook.com/indoeuropeen/


dimanche 22 mars 2020

-Au nord, c'était les... -NON. -Mais enfin ?-NON. Non non. Non. NON.




Le souvenir des années de collège me servira à rendre
exactement ma pensée.
Qui n'a goûté de Y abondance? 
Ce breuvage peu fortifiant contient beaucoup d'eau mêlée à un 
peu de vin.
C'est l'image de la monnaie avilie, de l'abondance factice que l'on prétend produire au moyen de l'altération de la monnaie.
Comme celle du collège, cette fausse abondance ne profite guère.


Traictie De La Première Invention Des Monnoies,

Nicole Oresme


Nicolas Oresme
entre 1320 et 1322 (le travail fut pénible) - 1382,
philosophe, astronome, mathématicien, économiste,
musicologue, physicien, traducteur et théologien


























Bonjour à toutes et tous ! 

Je vous l'avoue, si dimanche dernier, mon moral n'était pas ce qu'il est d'habitude, cela n'avait pas grand-chose à voir avec le confinement.





Mais avec la perte de mon bon chien.

Nous savions que ce jeudi, elle partirait. Et le jeudi tant redouté... est arrivé. 

Et je n'en peux plus. 

Pour tout vous dire, je ne savais tout simplement pas que je pouvais pleurer à ce point-là.
Je vous ferai grâce des détails, rassurez-vous !

Mais en tout cas, et encore une fois, je vais faire court. Mais au moins, je ferai.


Emma, le meilleur chien du monde
Lens, 12 janvier 2006 - Givet, 19 mars 2020



Notre question du moment : quelle est donc l'étymologie de coronavirus ?

Nous avions vu, dimanche dernier, que le corona- du composé coronavirus nous arrivait, 
par le latin corōna, guirlande, couronne...”, 
du grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...”, issu, lui,  
de la racine indo-européenne *kor-u/n-, qui désignait le corbeau.
le corbeau, dont on compare l'intelligence à celle des grands singes !

Ce qui signifie donc que le corbeau serait nettement plus intelligent
que bon nombre de nos compatriotes.




**********

racine indo-européenne *kor-u/n-, “corbeau

grec ancien κορώνη, korṓnē, “quelque chose de courbé...

emprunt

latin corōna, guirlande, couronne...”

emprunt savant (années 1960)

français corona- dans le composé coronavirus

**********




Du latin corōna, guirlande, couronne...”, nous avons bien évidemment tiré, 
par l'ancien français corona, (circa 980), puis curune et corone, attestés, eux, un siècle plus tard, en 1080,
notre couronne, vers 1340.






De là,
et comme vous pouvez aisément le deviner,
nous avons créé... couronner, couronnement...




Mais... calqué sur l'adjectif latin coronarius“en forme de couronne”, nous avons aussi créé... coronaire !


Coronaire ?

En anatomie - et selon le ©Le Grand Robert de la langue française -,
qui est disposé en couronne. Spécialement, se dit d'artères et de veines du cœur. 


Oui, l'adjectif coronaire, attesté en 1562, se rapporte aux artères disposées en rond qui partent de l’aorte et qui portent le sang dans le cœur, ainsi qu'à la veine qui draine vers l’oreillette droite le sang qui a irrigué le cœur, que l'on appelle
(à moins de ne pas avoir l'intelligence d'un corbeau ou d'un grand singe)
la grande veine coronaire.






Mais dites-moi, auriez-vous fait le rapprochement entre notre couronne et ... corollaire ?





Notre corollaire est une réfection de correllaire (1372), emprunt au diminutif latin corollarium, pour “petite couronne”.

Au figuré, ce corollarium pouvait aussi désigner un don, un supplément, parce qu'il était coutume de donner, en gratification, une petite couronne. Notamment aux acteurs.





Mais bon, de supplément à, par exemple - je reprends ici une de ses acceptions -
proposition dérivant immédiatement d'une autre,
il n'y a peut-être qu'un pas, mais alors, un pas gigantesque, non ?


Le terme fut introduit en logique par le grand Nicole Oresme, pour désigner un argument nouveau, produit à l'appui d'une affirmation précédente. 

Plus tard, en 1611, ce sens disparaîtra au profit de “proposition découlant à titre de conséquence immédiate d'une autre déjà démontrée”.

Par extension, il en viendra à désigner la conséquence, la suite naturelle (1788).


Ce qui s'est passé, qui expliquerait ce pas gigantesque ?


Here's what happened (voici ce qui s'est passé)
Adrian Monk

On a très tôt confondu, mélangé les sens de corollarium et de corrélation.

Ce qui explique par la même occasion cet ancien français correllaire, et puis l'évolution de sens ultérieure de sa réfection corollaire.


Nous retrouverons cependant le sens pur, inaltéré de “petite couronne” dans notre français ... corolle, francisation du latin scientifique corolla (1740), que Linné empruntera au latin classique corolla“petite couronne, feston de fleurs, guirlandes”, diminutif de corōna.



Corolla des années '70


- Bon, et l'anglais coroner“médecin légiste”, qui apparaît dans toutes les séries policières anglaises dignes de ce nom, il fait aussi référence au coeur, sans les battements duquel il n'y a point de vie ? Le coroner, c'est celui qui vérifie si le coeur bat toujours ?
- Ah, beau rapprochement ! 

Mais le rapport entre l'anglais coroner et couronne,
s'il existe assurément, du reste,
est autre...

Le Coroner était tout simplement à l'origine, fin du XIIème, un officier de la Couronne !, chargé de faire respecter les propriétés privées du souverain, et de le défendre dans ses actions en justice.

Plus tard, son rôle se spécialisera en médecin légiste, chargé de déterminer les causes de la mort de personnes mortes par accident ou des suites de violences.


Le moyen anglais coroner descend,
par l'anglo-normand coruner, corouner,
de l'ancien français curuner, repris du latin médiéval custos placitorum coronae, que l'on pourrait traduire littéralement par gardien des procédures pénales de la Couronne”. 


Sachez par ailleurs que ce latin placitum, littéralement « ce qui plaît », 
et qui prit le sens de « ce que l'on a en vue », et en latin médiéval, « dessein, projet, résolution, consentement, pacte », 
s'emploiera, dans la langue juridique médiévale, pour « engagement à comparaître devant le tribunal », « réunion, conférence », et de là, pour « séance judiciaire, plaidoirie » et « litige, procès ». 
C'est donc bien de placitum que sera issu le fameux plaid de l'ancien français, dont nous tirons nos modernes plaider et plaidoyer.

Les aficionados de la première heure du blog se souviendront certainement de l'article du 3 février 2013,
Quand les hommes vivront d'amour
où je reprenais le texte des Serments de Strasbourg de 842, dans lequel Louis le Germanique fait mention, 
dans une langue romane que l'on ne peut encore qualifier - sinon sous l'emprise de la boisson - de français,
de plaid.



deux des coroners officiant à temps complet à Midsomer
(Midsomer murders, Inspecteur Barnaby)

quand le taux de mortalité du coronavirus aura atteint celui des morts
violentes dans cette jolie et fictive bourgade anglaise,
je ne donnerai plus cher de notre peau d'humains



- Va pour coroner ! Et idem pour le français coron, qui descend lui aussi de notre latin corōna, guirlande, couronne...” !
- Euh, comment vous dire ? Non. Non, absolument pas.




Je vous l'accorde, on peut très facilement comparer le théâtre de l'action de Coronation Street (Rue du Couronnement), série télévisée anglaise à l'antenne depuis le 9 décembre 1960 (!!!), et qui se situe quelque part du côté de Manchester, 



avec un coron


ensemble d'habitations identiques, disposées régulièrement le long de voies, et construites pour loger les ouvriers des mines de charbon, notamment dans le Nord de la France.
© 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française

Je précise quand même que les corons, il y en a aussi - et plein - en Belgique. Une fois.

- Wouah, "une fois", c'est trop drôle, c'est bien du belge, ça, une fois !
- Oui, je savais que ça vous amuserait. Ça amuse notamment les corbeaux et les grands singes.


- Au nord, c'était les...
- Non. S'il vous plaît. J'ai déjà perdu mon chien, c'est assez dur comme ça.




monchien outai,

Jacques Brel Stromae



Notre coron, figurez-vous, est vraisemblablement dérivé de l'ancien français cor / corn, “extrémité, coin(circa 1180).
Cor / corn que l'on retrouve en français actuel dans corne, évidemment, ou en anglais, dans corner, le coin !

En ancien français, coron, propre aux dialectes du nord, désignait l'extrémité, la corne d'un bâtiment.

Il désignera, en wallon, l'extrémité d'une rue...

De son acception de bout d'une rue, il en viendra vite à désigner un ensemble de maisons ouvrières dans une localité industrielle, car ces quartiers ouvriers étaient situés précisément... en bout de rue, hors de l'agglomération.



Le pays de Charleroi, le pays où je suis né,
mon pays.




Allez, on s'quitte. Mais pour une semaine, seulement.

Chères lectrices, chers lecteurs,
surtout, surtout,
protégez-vous bien, pensez à VOUS, portez-vous bien.

Tenez bon !




Frédéric



******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
******************************************

Et pour nous quitter,


du Bach.

Un merveilleux morceau qui m'apaiserait presque,

qui évoque pour moi le retour au calme - et surtout à la sérénité - après la tempête, la souffrance :

Wenn ich einmal soll scheiden,

de La Passion selon Saint Matthieu, BWV 244




******************************************


Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
  • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par mail dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou
  • liker la page Facebook du dimanche indo-européen: https://www.facebook.com/indoeuropeen/


******************************************