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dimanche 27 février 2022

ѡ нем же Оукраина много постона

             

article précédent : Aaaah, Samarcande sous la neige...



      

ѡ нем же Оукраина много постона

/o nem že Oukraina mnogo postona/,

vieux slave oriental pour

“pour lui, l'Ukraine gémissait beaucoup”.




sans commentaire




Amis lecteurs,


Désolante, lamentable, épouvantable actualité oblige, nos devoirs d'étymologie, en ce dimanche, traiteront de l'Ukraine.

De guerre, nous en avons déjà parlé, ici : Guerre et Paix. Et saucisse.

(Mais vous n'y couperez pas, nous reviendrons à notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-“hiver”, plus tard.)


Sachez déjà
- mais vous le savez évidemment, si vous êtes abonnés depuis un certain temps à ce blog si particulier -
que de la famille des langues slaves orientales ne demeurent vivantes que l'ukrainien, le russe et le biélorusse.

Mais vous-êtes vous déjà demandé ce que voulait dire Ukraine, et d'où venait ce nom ?


Non ? Eh ben, allons-y.
Ce sera, à ma façon, l'hommage que je rendrai à ce grand pays, à ce grand peuple.



Ukraine.

Comme souvent, avec les noms propres, ou les toponymes, il existe plusieurs étymologies possibles.

Je vous en proposerai deux, qui sont celles les plus reconnues par la communauté linguistique internationale.


Même si
- je l'avoue -
j'ai une préférence certaine pour la première, défendue par l'illustre linguiste Max Vasmer, ou plutôt Максимилиан Романович Фа́смер, Maksimilian Romanovič Fásmer, 1886 - 1962, né à Saint-Pétersbourg (Санкт-Петербу́рг) de parents allemands.

À Max Vasmer, nous devons notamment le célèbre Russisches Etymologisches Wörterbuch, qui fait toujours autorité.

Max Vasmer



Le mot ukrainien Україна, /Oukrayina/, est attesté fin du XIIème (circa 1187), sous la forme Оукраина, Oukraina, cité dans la chronique d'Ipatiev, Ипатьевская летопись.


la chronique (ou codex) d'Ipatiev
- en réalité un recueil de trois chroniques -,
conservée à la Bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg,
et rédigée en vieux slave oriental, une variante du vieux slavon d'église.


Mais reprenons :

Le mot ukrainien Україна, /Oukrayina/, est attesté fin du XIIème (circa 1187), sous la forme Оукраина, Oukrainacité dans la chronique d'Ipatiev, Ипатьевская летопись..., et désignait à l'époque, non pas tant l'Ukraine que le territoire de la Principauté de Pereïaslavlau sud de la Principauté de Kiev
- Kiev ou plutôt Kyiv, pour lui redonner son nom ukrainien, non teinté de russe -,
à l'occasion de la mort de son Prince, Volodymyr Hlibovych :

ѡ нем же Оукраина много постона (o nem že Oukraina mnogo postona),
pour “pour lui, l'Ukraine gémissait beaucoup”.
le territoire de Pereïaslavl



Le mot Україна, Oukrayina, provient
- ça, c'est certain -
du vieux slave oriental украина, oukraina, en réalité un composé, de la préposition у- (/ou/, “chez, à, en, autour de, près de, à partir de, en possession de...”)
- si ce en possession de” vous intrigue, sachez qu'en russe, У меня́ нет карандаша́, /Ou miniá niet karandachá/, littéralement À moi / En ma possession pas de Caran d'Achesignifie que je n'ai pas de crayon ; Caran d'Ache étant au russe ce que BIC est à notre français stylo-bille -,


le vieux slave oriental украина, oukraina, est composé, disais-je, de la préposition у-...

et de (on n'en est pas trop sûr)...
  • краи, /krai/, “limite, fin, rive...”, 
ou
  • край, /kraj/, “terre, pays, territoire, fin, limite”.

Ouais, vous le constatez comme moi, les deux mots sont presque synonymes et homophones.


Mais comment donc comprendre ce composé у-краина, ou-kraina ?


Pour certains, dont Max Vasmer, il désigne ce que nous appelons en français marche, une région frontalière.

Mais dès les années 30, certains linguistes ukrainiens ont traduit Україна, Oukrayina, par région, principauté, pays, voire province ; les terres autour, le pays appartenant à (un centre donné)”. 

Plus récemment, en 2001, le linguiste ukrainien Hryhoriy Pivtorak, arguant que le у- initial peut s'entendre au sens de “autour deavance que le mot pourrait désigner une parcelle de terre séparée, une partie séparée du territoire d'une tribu”. 

Pour étayer son étymologie, il précise que certains territoires qui ont formé la Lituanie étaient parfois appelés Ukraine lituanienne, de même que certains territoires qui ont formé la Pologne étaient dits Ukraine polonaise.

En outre, selon lui, le terme Ukraine était employé depuis le XVIème siècle par les Cosaques ukrainiens pour désigner leur propre territoire, et que la confusion entre territoire séparé et marche n'est qu'une invention de la Russie tsariste.

Il n'a peut-être pas tort, oui.

Mais Pivtorak oublie de dire que le terme, après avoir désigné le territoire de la Principauté de Pereïaslavl, s'appliquera indifféremment à une série de régions frontalières fortifiées de cette fédération politique médiévale que l'on appelait la Rous de Kiev (ou Rus' de Kiev), laquelle s'étendait sur les territoires actuels de la Biélorussie, de l'Ukraine et d'une partie de la Russie.


J'ai mon avis sur la question, mais bon, faites-vous votre propre idée !


Sur une note plus humaniste...
J'ai le sentiment qu'ici, linguistique et nationalisme se côtoient un peu trop ; ce qui débouche rarement sur des débats intelligents.
Je repense aux nationalistes tamouls, pour qui le tamoul est la plus ancienne langue du monde (ce qui ne veut par ailleurs strictement rien dire). Alors que pour certains Albanais, la langue la plus ancienne n'est autre que... je vous laisse deviner.
Ne parlons pas de ces nationalistes indiens qui, mêlant gaiement tradition religieuse et science, affirment que le sanskrit est à l'origine des langues indo-européennes (et que le proto-indo-européen n'est donc qu'une pure invention des colonialistes européens).
Tous se font rire au nez par les ultra juifs, qui savent évidemment que l'hébreu descend en droite ligne de Dieu. Ce qui fait hurler de rire les islamistes intégristes, à qui on ne la fait pas, qui peuvent affirmer que seul l'arabe est d'essence divine, forcément.
Pour résumer et généraliser, linguistique et idéologie font bien mauvais ménage. Il suffit, chez nous, de voir les dommages que l'inclusivisme prôné par des taré·e·s·x, pourtant plein·e·s·x de bonnes intentions, inflige à nos langues.


Décidément, on n'est pas rendu.


 

Amis lecteurs,

Je vous souhaite un bon dimanche, une belle semaine.

Et je pense amèrement à nos amis ukrainiens, qui sont sous les bombes et les rafales d'armes automatiques. Je leur souhaite courage.

Ils doivent certainement se rassurer en se disant que ça pourrait être pire, qu'un gouvernement dictatorial pourrait les obliger à montrer un certificat de vaccination à l'entrée des restaurants.




Portez-vous bien.



Ukraine, la magnifique


Frédéric



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(Mais de toute façon,
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Et pour nous quitter

- c'est la chronique d'Ipatiev qui m'en a donné l'idée -,

voici la superbe chanteuse de bossa nova, la philippine Sitti, 

qui, délicieusement, nous interprète...

non pas la chronique d'Ipatiev,
mais
La fille d'Ipanema,

ou plutôt l'original, Garota de Ipanema,

composé en 1962 par Antônio Carlos Jobim,
et dont les paroles originales, portugaises, sont de Vinícius de Moraes.




Et à Riga (Lettonie), ce 25 février au soir, la foule reprenait, non loin de l'ambassade russe, l'hymne national ukrainien,
Ще не вмерла України, dont, dans sa version actuelle, le premier vers est

Ще не вмерла України ні слава, ні воля,
La gloire de l'Ukraine n'est pas encore morte, ni sa liberté.


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article suivant : Ѣ, ѣ, mon général !

dimanche 20 février 2022

Aaaah, Samarcande sous la neige...

            


      

Nous n’habiterons pas toujours ces terres jaunes, notre délice…

L’Eté plus vaste que l’Empire suspend aux tables de l’espace plusieurs étages de climats. La terre vaste sur son aire roule à plein bords sa braise pâle sous les cendres - couleur de souffre, de miel, couleur de choses immortelles, toute la terre aux herbes s’allumant aux pailles de l’autre hiver – et de l’éponge verte d’un seul arbre le ciel tire son suc violet.

     Un lieu de pierres à mica ! Pas une graine pure dans les barbes du vent. Et la lumière comme une huile. – De la fissure des paupières au fil des cimes m’unissant, je sais la pierre tachée d’ouïes, les essaims du silence aux ruches de lumière ; et mon cœur prend souci d’une famille d’acridiens…


extrait d'un poème d'Alexis Léger, dit Saint-John... Perse
(je sais, je sais, mais je me suis couché tard, hier soir)




Samarcande, sur la route de la soie, 
sous la neige...



Amis lecteurs,


Nous poursuivons notre étude des dérivés de la forme indo-européenne...



*ǵʰ(e)i-m-“hiver”.




Et si nous faisions le point ?

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Le 12 décembre, nous avons (notamment) appris que le latin classique 
hiems, hiemis“hiver, tempête
, en descendait, avec, à sa suite,
  • les latins bīmus, “âgé de deux ans”, trīmus, “âgé de trois ans”, quadrīmus, “âgé de, de quatre ans”, et quadrīmulus, “qui n'est âgé que de quatre ans”,
  • l'adjectif latin classique 
    hibernus
    “hivernal”, et
  • son emprunt en français, hiver.


D'hiver, les Divers Jeux rustiques ?, 12 décembre 2021

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Le 19 décembre, nous passions en revue quelques-uns des emprunts laissés par le latin hibernum dans les langues romanes :
  • le roumain iarnă,
  • le catalan hivern,
  • l'occitan ivèrn,
  • le normand hivé,
  • le wallon ivier,
  • l'asturien iviernu, hibiernu,
  • le piémontais invern,
  • le dalmatien inviarno,
  • l'talien inverno,
  • le sicilien nvèrnu,
  • le portugais inverno,
  • l'espagnol invierno,
  • le romanche enviern.
Nous avons ensuite traité de la descendance de la forme *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, e
n grec ancien avec :
  • χεῖμᾰ, kheîma
    “hiver, froid, gel, tempête”,
sur lequel se sont construits :

  • χειμών, kheimónhiversouffrancedétresse”,
  • χιών, khiốn,neige, neige fondue, eau glacée”, d'où
    • Χιόνη, Khiónê, Chioné, déification de la neige,
  • χίμαιρα, khímairachimère. 
Nous avons enfin mentionné quelques mots germaniques désignant bien l'hiver, mais ne descendant pas de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • le gotique wintrus, le vieux norois vetr, d'où le féroïen vetur,
  • l'elfdalien witter,
  • le vieux frison winter,
  • le néerlandais winter,
  • le vieil anglais winter,
    • d'où l'anglais winter.

Avec le vent du nord..., 19 décembre 2021

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Le 26 décembre, nous avons entamé l'étude des dérivés germaniques de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • Le vieux norois 
    gói, 
    gœ, “fin de l'hiver”, d'où...
    • l'islandais góa, “fin de l'hiver”,
    • le norvégien nynorsk gjø, go, “fin de l'hiver”,
    • le féroïen gø, “fin de l'hiver”,
  • le composé vieux norois gómánaðr, “mois de la fin de l'hiver”, d'où...
    • le vieux suédois göyomånat, “février”, dont est issu...
      • le suédois désuet göjemånad“février.
Góa er næstseinasti mánuður vetrarmisseris, 26 décembre 2021

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Le 2 janvier, nous terminions le chapitre germanique des dérivés de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec l
es composés vieux bas franciques (latinisés)...
  •  ingimus“animal d'un an”,
et
  • tuigimus, “animal de deux ans”.

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Le 9 janvier, nous avons commencé l'étude des dérivés celtiques de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le vieil irlandais
     gam, gem, gaim,
     hiver”, dont dérivent...
  • le vieil irlandais 
    GAMI-CUNAS, litt. hiver-loup”,
  • le vieil irlandais gemred, gaimred, littéralement 
    saison de hiver
    ”, 
    d'où
    •  l'irlandais geimhreadh
      hiver”,
  • le gaélique écossais geamhardh, geamhraichhiver”,
  • le manxois geureyhiver”,
  • le vieil irlandais fogamar
    automne, récolte, d'où
    • l'irlandais fómharautomne, saison des récoltes, récolte”,
    • le gaélique écossais foghar, “récolte, automne,
    • le manxois fouyr“automne, récolte”,
  • le vieux gallois gaem
    hiver”, d'où
    • le moyen gallois gayaf, gaeaf,
       
      hiver”, d'où
      • le gallois gaeaf
        hiver”, d'où
        • le gallois cynhaeafrécolte ; (désuet) automne”, 
  • le vieux breton guoiam, d'où
    • le moyen breton gouaffd'où
      • le breton goañvgouañv, hiver
et
  • le vieux cornique goyf, hiver”, d'où
    • le cornique gwavhiver”, d'où
      • le cornique kynnyav, kydnyadhautomne”.
Un loup en hiver, 9 janvier 2022

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Le 16 janvier, nous avons traité des dérivés gaulois de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, avec...
  • le 
    gaulois
     
    giamos (hiver”), 
que l'on retrouve dans de nombreux anthroponymes : 
  • Giamos, Giamius, Giama, Giamillus, Giamilos, Giamillius, Giamatus, Giamonius, Giamisus, Giamissa...,
dans quelques toponymes :
  • mons Berigiema, Bargème, Bargemon...
et dans 
  • giamoni(o)s, le nom du septième mois du calendrier gaulois.
Nous avons également découvert le gaulois (non-attesté) *gēvros, vraisemblablement à l'origine du français givre, du provençal gibre, ou encore du catalan gebre.

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Le 23 janvier, nous avons traité des dérivés balto-slaves de *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver”, qui signifient tous hiver :
  • le lituanien žiemà,
  • le samogitien žėima,
  • le letton zìema, 
    • d'où le composé letton ziemassvētki, Noël, 
  • le latgalien zīma.
  • le vieux prussien semo,
  • le vieux slavon d'église ⰸⰹⰿⰰzima,
  • le russe, le biélorusse et l'ukrainien зіма́, zimá,
  • le vieux novgorodien ꙁима, zima,
  • le bulgare, le macédonien зи́ма, zíma,
  • le serbo-croate зи́ма, zíma, froid, froidure,
  • le slovène zíma,
  • le tchèque, le slovaque et le polonais zima,
  • les bas-sorabe et haut-sorabe zyma,
    • d'où les bas-sorabe et haut-sorabe nazymaautomne”, 
  • le cachoube zëma,
  • le polabe zaimă.

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Le 30 janvier, nous évoquions les dérivés arméniens de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'arménien classique 
    ձմեռն, jmeṙ-n, hiver ; tempête de neige”, dont découleront...
  • l'arménien classique ձմերային,*jmer-ay(i)n, qui
    • en tant que nom, signifie hiver, saison froide, tempête de neige”, et
    • en tant qu'adjectifhivernal”,
  • l'adverbe arménien classique ձմերանի, jmerani, “en hiver”,
  • l'arménien classique ձիւն, jiwnneige”.
  • le moyen arménien ձմերուկ, jmer-ukpastèque, melon d'eau”.
  • le dialectal  jmet', ou jmayt'photokératitecécité des neiges”.

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Le 6 février, nous avons traité des dérivés albanais et hittites de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” :
  • l'albanais dimër, hiver”, d'où
    • l'archaïque dimëror, décembre”, remplacé par dhjetor,
  • le hittite gimm-,  hiver”, à l'accusatif singulier giman, au locatif singulier gi-im-mi, “en hiver”, d'où
    • le verbe gimmantarii̭e/-a“passer l'hiver, hiverner,
    • et peut-être gimra-au grand air, campagne, champ, campagne militaire”.

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Le 13 février, nous nous lancions dans l'étude des dérivés de notre *ǵʰ(e)i-m-, 
hiver” dans les langues iraniennes occidentales, où nous avons découvert...
  • le vieux perse دمه‎, dama,
  • le moyen-perse manichéen 𐫅𐫖𐫏𐫘𐫤𐫀𐫗, dmystʾn /damestān/,
  • le moyen-perse زم‎, zam,
    • d'où les moyen-perse et persan زمستان‎, zemestân
    • d'où aussi le persan زم‎, zamfroid, vent mordant, blessure”, 
  • le tat zumustun (relisez ձմերային ձիգ գիշերք),
  • le kumzari dimestān.
  • le parthe zmg,
  • le baloutchi زمستان‎zemestân
  • le kurmandji zivistan,
  • le sorani زِستان‎zistan,
  • le gurani زمسان‎, zimsān,
    • le talysh зымсон, zımson, toujours, toujours, “hiver”.

     

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    Amis lecteurs, 


    La semaine dernière, nous avions découvert quelques dérivés de notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, 
    hiver” dans les langues iraniennes occidentales.

    Aujourd'hui, nous allons bien évidemment nous livrer au même exercice, mais cette fois dans les langues iraniennes orientales

    les langues iraniennes orientales actuelles, en vert pomme irradiée
    (je ne suis pas responsable du choix des couleurs)



    Dans ce vaste groupe de langues, nous trouverons notamment...
    • le scythe (ou plutôt les langues scythes), de l'époque de l'iranien moyen, qui se parlait jadis en... Scythie, le territoire occupé par les... Scythes, du VIIIème siècle avant Jésus-Christ (ne connaissant pas l'année de naissance de Mythra, je ne m'y référerai pas) jusqu'au IIème siècle de notre ère.
    la Scythie au Ier siècle avant Jésus-Christ

    la City au XXIème siècle après Jésus-Christ

    Le scythe, dont sera notamment issu...
      • l'ossète (parlé par les Os..., Os..., Ossètes, en Os... Ossétie - vous voyez, quand vous voulez), au nord du Caucase (et aussi en Géorgie).
    l'Ossétie


    Nous avions également...
    • le sogdien, langue moyenne iranienne qui se parlait dans la somptueuse Sogdiane, celle de Samarcande et Boukhara - aaaaaah -, et dont l'alphabet ne fut déchiffré qu'au tout début du XXème,
    le territoire de la Sogdiane

    • le bactrien, très proche du sogdien, également repris dans le moyen iranien, mais parlé, lui, au sud de la Sogdiane (oui, dans l'ancienne Bactriane, bravo !), et qui a disparu quelque part entre le IIème et le IIIème siècle après Jésus-Christ,
    Bactriane


    • le chorasmien, toujours langue moyenne iranienne, qui s'est parlé jusqu'au XIVème dans l'ancienne... Je vous laisse deviner ? Chorasmie, bravo !, au sud de ce qui fut naguère la mer d'Aral,
    Chorasmie


    • les langues du Pamir, toujours parlées, tout à l'est, notamment dans le nord-est de l'Afghanistan et dans l'est du Tadjikistan. L'une de ces langues, le sariqoli (je n'invente rien), se parle même à la frontière entre l'Afghanistan et la Chine
    (ne cherchez pas la contrepèterie, même s'il existe un rapport certain entre la Chine et l'Afghanistan ; ne dit-on pas Canton l'Afghanistan ?),

     ce qui en fait la langue iranienne la plus orientale de toutes,

    Le Pamir


    • le pachto, l'une des deux langues officielles de l'Afghanistan, avec le dari, variété du persan, et qui se parle également au Pakistan,
    l'aire du pachto, dans une couleur indéterminée
    (je suis un homme ; c'est soit du rose, soit de l'orange) sur la droite de la carte


    Et enfin, la plus célèbre de ces langues,
    • l'avestique, la langue iranienne orientale la plus anciennement attestée, celle utilisée dans l'Avesta, le livre sacré des Zoroastriens.
    Pour rappel, l'avestique apparaît sous deux variétés :

    • le vieil avestique, la langue archaïque des gāthās (non, il ne s'agit pas des vieux gâteux, mais des chants), que l'on peut faire remonter au IIème millénaire avant J.-C. (millénaire, hein, pas siècle, comprenons-nous bien),
    et

    • l'avestique récent, qui remonte à peine - gamin, va - au VIIIème siècle avant J.-C.

     

    copie du livre de lois zoroastrien Videvdad, l'un des plus anciens manuscrits
    zoroastriens encore existant,
    copié en 1323 par le scribe Mihraban Kaykhusraw.

    Chaque phrase y est donnée en avestique (ancien iranien),
    puis traduite en pahlavi (moyen persan)
    (source)



    C'est bon pour tout le monde ? Alors, en avant, et découvrons ensemble les dérivés iraniens orientaux de notre indo-européen *ǵʰ(e)i-m-, 
    hiver

    Ah oui ! Et ce qui est valable pour ses dérivés dans les langues iraniennes occidentales, l'est toujours dans les langues iraniennes orientales : les dérivés que nous y épinglerons sont tous issus de *ǵʰ(e)i-m-, “hiver” par sa forme *ǵhiōm-, “hiver ; neige ; gel”.


    • En sogdien, nous pouvions trouver zmē, əzmē, zamē“hiver”,
    alors qu'...
    • en bactrien, hiver se prononçait ζιμγο, zimgo /zimg/.

    En ossète ? Mais oui !
    • en ossète, hiver se disait zymæg ou zumæg.

    • En pachto, à présent, vous trouverez, pour hiver, ژمی‎, žë́may, جمی‎, jë́may, voire
    - soyons fous -
     
    زمى‎, zë́may.



    Enfin, enfin, last but not least,
    • en vieil avestique, nous trouvons le mot zimō-, pour
    - je vous le donne en mille -
    “hiver”,

      • d'où l'avestique récent,𐬰𐬆𐬨𐬋‎, zimō, “hiver”.


    Sachez toutefois qu'... 
    • en avestique récent, 𐬰𐬌𐬌𐬃‎ziiā̊- pouvait encore désigner l'hiver,
    d'où l'adjectif avestique zaiiana, pour hivernal.




    Encore Samarcande, en hiver.
    C'est bien, d'habiter Samarcande, et de savoir rester simple.




    Amis lecteurs,

    Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 

    Portez-vous bien.





    Frédéric


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    Attention,
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    CHAQUE JOUR de la semaine.
    (Mais de toute façon,
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    c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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    Et pour nous quitter,

    Les merveilleuses, les délicieuses...

    ხატია ბუნიათიშვილი, Khatia Buniatishvili
    et sa soeur, d'un an son aînée,
    გვანცა, Gvantsa,

    accompagnées par l'Orchestre de Chambre de Lausanne,

    nous interprètent divinement, mais
    - le Vivace et l'Allegro, du moins -
    à un train d'enfer,

    le

    concerto en ut mineur pour deux clavecins, BWV 1062,
    en trois mouvements, 

    de

    - forcément -

    Johann Sebastian Bach,

    qu'il transcrivit et transposa à partir de son double concerto pour violons en ré mineur, BWV 1043.


    Écoutez comme les pianos se répondent...


    - Mmmh ? Y a pas d'rapport avec l'article ? Mais c'est pas d'ma faute, quand même, si l'ossète se parle aussi en... Géorgie.


    (Par ailleurs, une pianiste dont le nom s'écrit ხატია ბუნიათიშვილი ne peut être fondamentalement mauvaise.)


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