- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 31 juillet 2022

Tout de Goth

 



Languages are maintained by societies in which individuals for the most part wish to participate without appearing as odd; in western societies of the present, allowance is, however, made for adolescents, who fix on idiosyncratic speech known as slang. Accordingly, changes in language are maintained or rejected in accordance with the prestige of the groups that make those changes.


Winfred P. Lehmann, Theoretical Bases Of Indo European Linguistics


Les langues sont cultivées par des groupes auxquels les individus souhaitent pour la plupart adhérer sans dénoter ; cependant, dans les sociétés occidentales d'aujourd'hui, une concession est faite vis-à-vis des adolescents, qui s'en tiennent à un discours idiosyncrasique, un argot qui leur est propre.
Si l'on suit le raisonnement, les modifications apportées à la langue seront appliquées ou rejetées en fonction du prestige dont jouissent les groupes qui opèrent ces changements. »)





J'aimerais croire que, vu le ridicule dont savent se parer les inclusivistes,
nous avons encore toutes nos chances de conserver un français digne de ce nom.


Tiens, savez-vous comment, en anglais, on appelle avec humour la communauté LGBTQAAIPSJFUES ?
(Ah mais oui, comme vous le voyez, l'acronyme vient encore de se rallonger.)
 
On l'appelle la communauté de l'alphabet !  Alphabet Community.



Serais-je finalement un analphabète ?




Chers lecteurs, bonjour.

Nous continuons, en ce beau dimanche, l'étude des dérivés de la sémillante indo-européenne

*ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe... ».



Nous avons découvert cette racine le 24 juillet, avec le tokharien B īke, pour « lieu, endroit ; position ». 

Nous en avions même repris quelques attestations, comme :
  • snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,
  • sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,
  • sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne », 
ou encore
  • tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥,  « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».



Aujourd'hui, amis lecteurs, il sera question des dérivés de notre *ueiḱ-« l'endroit où l'on s'installe... », dans les langues... germaniques.


Je reprendrai ici les résultats des recherches du grand Winfred P. Lehmann, linguiste américain qui se spécialisa notamment en linguistique germanique (ce qui tombe assez bien), et qui nous a quittés il y aura très précisément quinze ans demain.

Winfred Philip Lehmann,
23 juin 1916 – 1er août 2007

A Gothic Etymological Dictionary,
Winfred Philip Lehmann


Un dictionnaire gothique



Et si nous parlions un peu du gotique ?
Oui, gotique sans h, pour bien distinguer le nom de la langue de l'adjectif (oui, avec un h, lui).

Le gotique est une langue morte, qui était parlée par les... Goths (oui oui, avec h) dans l'Antiquité tardive et même jusqu'au haut Moyen Âge.

Et parmi les Goths, c'était surtout les Wisigoths (toujours avec h) qui en étaient les locuteurs.

Wisigoth, avec hache





Le gotique est la plus ancienne des langues germaniques attestées, grâce notamment au Codex Argenteus, une traduction
(en gotique, j'aimerais ne pas devoir le préciser)
de la Bible, datant du VIème.

Codex Argenteus


Alors, surtout, ne vous méprenez pas !
Le gotique n'a donné naissance à aucune (AUCUNE) des langues germaniques actuelles.

AUCUNE.



Mais par son caractère archaïque, il est d'une aide particulièrement précieuse en linguistique comparée, puisqu'il nous permet de nous plonger dans le passé et de nous représenter ce qu'était une langue germanique de l'époque.



Allez, c'est parti.


Winfred Philip Lehmann nous propose comme dérivé de *ueiḱ- le gotique 𐍅𐌴𐌹𐌷𐍃, weihs« village », qui, précise-t-il, donnait au génitif weihs-is.

Il note également qu'une variantede même sens, est attestée : 𐍅𐌴𐌷𐍃𐌰, wēhsa.

Authentique camp de Goths (photo colorisée)




Bon ben… Voilà pour aujourd'hui.


- Quoi, c'est tout ?? Mais, et le vieil anglais wic, le vieux frison wik, et tous ces autres mots germaniques pour village ??? 
Ne fût-ce que pour Brunswik devenu Braunschweig, enfin ! Blondieau, soyons sérieux.

La ville allemande de Braunschweig (Brunswick),
en Basse-Saxe



- Ah oui..., 


ceux-là.


Vraiment, je n'y tenais pas, mais puisque vous insistez, je vais vous le dire,
en tentant de rrrrrrrrrester calme :



 ces mots ne sont que de vulgaires… 



 emprunts.

Accordez-moi un instant, voulez-vous, que je me rince la bouche.

Voilà, merci.


À quelle langue ? Ah, mais il nous faut tout d'abord,
et en toute logique,
examiner les mots de cette autre langue indo-européenne sur lesquels ils ont été bassement copiés, avant de répondre à cette question.

Patience, donc. Nous y arriverons bientôt.




Et d'ici là, je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 
Portez-vous bien.




Et là, je retourne me coucher.

Alexandre le Bienheureux, 1968




Frédéric





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

Un morceau peu connu, et pourtant si beau…


L'Alléluia du compositeur américain Randall Thompson (1889 - 1984).


Je vous en propose deux versions.

L'Alléluia de Thomson, 1940, est à l'origine un morceau choral, a cappella.

Le voici donc tout d'abord  interprété par une magnifique chorale, placée ici sous la direction de la fougueuse Bélarusse Anastasiya Sychova :

https://youtu.be/-XAM2t6D1Tg


Et puis, en voici une deuxième, une remarquable transposition pour quatuor à cordes.


Et c'est dans un cadre idyllique que vous découvrirez l'excellent quatuor qui nous l'interprètele
 
DaPonte String Quartet,

basé dans le Maine, sur la côte est des États-Unis.

Confinement oblige, les musiciens ont dû jouer, à l'époque (nous étions en 2020), en respectant les tristement célèbres distances physiques.


Alors, ils se sont physiquement distancés, au point de se disperser, rien que pour nous, aux quatre coins (c'est un quatuor, je vous rappelle) de la Wells Reserve, splendide réserve naturelle et zone de conservation du patrimoine, dans le Maine.


Voici, pour les yeux et pour l'oreille - et pour l'âme, aussi -, le DaPonte String Quartet :

Sachez enfin que la fondation qui permettait depuis des années à
ce magnifique quatuor de se financer les a congédiés.

Le motif : leur musique ne rend pas suffisamment la diversité des femmes et des non-blancs.

Ce que reconnait d'ailleurs bien volontiers le violoncelliste du quatuor (qui plus est, à l'origine de la fondation en question) : « il est vrai que la plupart des morceaux que nous interprétons ont été composés par des hommes blancs européens morts,
mais c'est tout ce que nous savons faire ».


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article suivant : ingens coacta vis navium est lintriumque ad vicinalem usum paratarum

dimanche 24 juillet 2022

Les langues Arśi et Kuči sont en bateau dans le bassin du Tarim...





tumem c[ai]
brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kame 


Si vous voulez en connaître la traduction, il vous faudra lire quelques lignes.






Chers lecteurs, bonjour.

 Je ne suis pas encore techniquement en vacances, mais c'est tout comme.

De courts articles, qui me permettent de souffler et de vivre ma vie au jardin, c'est ce que je vous prépare pour les semaines à venir.



Nous voilà, ce dimanche, avec une nouvelle racine indo-européenne à étudier, 

c'est bien, mais là, on se calme

que je retranscrirai sous la forme de timbre e et de degré plein (donc, où la racine-pivot est un e),

*ueiḱ-. 


Dans notre voyage à sa rencontre, nous la retrouverons, au fil de ses dérivés, parfois au degré zéro (sans voyelle-pivot) *uiḱ-, ou même au degré plein de son timbre o*uoiḱ-.


Ah oui, le sens qu'on lui attribue : l'endroit où l'on s'installe, d'où, par exemple, maison, village... 


Je vous l'avais mentionné la semaine dernière, je vais commencer par les dérivés des groupes de langues les premiers à s'être séparés du tronc commun indo-européen.

Je n'ai trouvé aucun dérivé de cette brave *ueiḱ- dans les langues anatoliennes.


Oui, je sais.


En revanche, nous en avons bien dans les langues... tokhariennes




Cette appellation, je vous le rappelle, n'est pas très conforme à la vérité historique, mais les sources germaniques l'utilisent encore communément. 
Et puis, moi, j'aime bien le nom.


Les langues tokhariennes, qui se parlaient dans le bassin du Tarim
- l'actuelle région autonome chinoise du Xinjiang -,
au premier millénaire de notre ère, sont attestées par près de 7600 inscriptions dont les plus anciennes remontent à l'an 400 et et les plus récentes à l'an 1200 de notre ère.



Ces langues constituent, dans leurs deux variantes A et B, la langue la plus orientale des langues indo-européennes.

Cette appellation, donc, ne correspond nullement au véritable nom de ces langues, ni à celui des peuples qui les parlaient ; c'est en réalité le philologue et orientaliste allemand Friedrich W. K. Müller (1863  – 1930) qui les baptisa ainsi, se fiant notamment à l'ethnonyme ancien grec dont usait le grand Strabon pour appeler certaines tribus scythes, Τόχαροι, Tókharoi.


Friedrich W. K. Müller

Plutôt que de parler de langues tokhariennes A et B, il conviendrait plutôt de mentionner les langues Arśi et Kuči, ou encore l'agnéen (tokharien A) et le koutchéen (tokharien B).
Tokharien A - Arśi - agnéen 
Tokharien B - Kuči - koutchéen

La plupart des inscriptions tokhariennes retrouvées sont des textes bouddhistes.



Or donc, en tokharien B
- c'est Douglas Q. Adams qui nous l'enseigne -

se retrouve le neutre īke, pour « lieu, endroit ; position ».


Et ma foi, ce īke est joliment attesté.


Comme dans...
snaice tallānt ikemem, « depuis un lieu pauvre, misérable »,

ou alors dans...
sañ mäskelye yakene, « à l'endroit qui lui était assigné »,

même si je le préfère dans...
sle-tassäntse ikene« en lieu et place du commandant de la montagne ».


Mais là où il brille, c'est ici : 
tumem c[ai] brāhmani tot ike-postäm̥ ynemane Aran̥emiñ lānte yapoyne kamem̥, qui se traduit par « alors, ces brahmanes, se déplaçant de lieu en lieu (ike-postäm̥), arrivèrent au royaume du Roi Aranemin ».
Brahmanes

Ah ça ! Une référence au Roi Aranemin, ça ne se refuse pas.

- Mmmmh ? Quoi ? 

Aaaah, vous ignorez qui est le Roi Aranemin ?

C'est une blague, je suppose.
Vous voulez me tester, hein ?
Ah non ? Bon ben…

Alors, les enfants, je vais vous raconter l'histoire du fameux Roi Aranemin...


- Oh oui, papy !

Le brahmane Samudrarenu, notre bon roi Aranemin et ses mille princes avaient été écouter le sermon du bouddha de l'époque, celui l'on appelait Ratnagarbha (même si ce n'était pas très gentil).

Alors, le bouddha Ratnagarbha leur prodigua, à tous, les vyakaranas selon leurs pranidhanas, ce qui est somme toute très logique. 
S'il y a un bouddhiste dans la salle, qu'il se manifeste. 


 

Je comprends, mais sans en être sûr, que le bouddha Ratnagarbha leur prodigua les enseignements
- vyakaranas, vyakarana désignant aussi la grammaire ! -
correspondant à leurs vœux d'abandon de soi à la puissance supérieure (pranidhanas), par lesquels un éclairé s'engage à aider l'humanité à accéder au nirvāņa en refusant lui-même d'y entrer, en acceptant donc de se réincarner sur terre, alors que sa place l'y attend déjà, là-bas au nirvāņa.

C'est ainsi que le brahmane Samudrarenu, qui fit vœu de compassion, devint Siddhārtha Gautama.
Oui, le Bouddha que nous connaissons tous, que nous appelons même Le Bouddha, ou simplement Bouddha ! 

Pour l'étymologie de Bouddha, lisez ou relisez Le bedeau de la paroisse est toujours de l'avis de Monsieur le curé.

Siddhārtha Gautama, le Bouddha



Quant à notre roi Aranemin, dont le vœu était de renaître sur une terre pure, il devint le Bouddha Amitābha.
On raconte que le vœu d'un autre éveillé fut, non pas de renaître sur une terre pure, mais de remettre sur un sol en carrelage ; dès lors il se réincarna en Bouddha Bartābha. 
Ce qui indiquerait que le Bouddha Ratnagarbha connaissait le belgicisme remettre, pour vomir.


 


Bouddha Amitābha ! Ce n'est pas rien, convenons-en, Amitābha régnant sur la « Terre pure Occidentale de la Béatitude » (en sanskrit, Sukhāvatī), un monde merveilleux, pur, parfait, libre de mal et de souffrance. (Merci Wikipédia)

Cette terre pure, lieu de refuge en dehors du cycle des transmigrations
-  mais qui semble donc n'être pas le nirvāņa  -
est au centre des croyances et pratiques des écoles de la Terre pure. Ça se tient.


Amitābha, ce bouddha qu'on appelle aussi le bouddha des bouddhas, est très populaire chez les mahāyānistes
- ceux qui pratiquent le bouddhisme mahāyāna (en sanskrit, महायान), signifiant « grand véhicule » -,
notamment en Chine, en Corée, au Japon, au Tibet, et au Viêtnam.
(Merci à ce lecteur qui se reconnaîtra !)




le Bouddha Amitābha


le Bouddha Bartābha



Et Lao-Tseu là-d'ssus, je vous propose de clore ici l'article de cette semaine, maintenant que vous savez TOUT sur le tokharien B īke, « lieu, endroit ; position », et sur le roi Aranemin.

Et de toute façon, je ne vais pas non plus vous inventer des dérivés tokhariens de *ueiḱ-.
 





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine. 


Portez-vous bien.



Frédéric





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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

un enregistrement de ce magnifique ensemble choral qu'est

Tenebrae,

ici en pleine répétition.


Nous entendrons (mais moi je l'ai déjà entendu-euh)

Singet dem Herrn ein neues Lied, BWV 225,


un merveilleux motet à huit voix (2 x 4) créé pour un double chœur,
chaque chœur composé de quatre voix,

que Bach a probablement dirigé pour la première fois en 1727, à Leipzig.

On raconte que Mozart, l'ayant entendu en 1789 (deux ans avant sa mort), en fut grandement impressionné.



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