- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 26 juillet 2020

Donne-moi ta main, et prends la mienne






« Donne-moi ta main, et prends la mienne, 
La cloche a sonné, ça signifie : 
La rue est à nous ; que la joie vienne, 
Mais oui, mais oui, l'école est finie  !

Nous irons danser, ce soir peut-être, 
Ou bien chahuter, tous entre amis ,
Rien que d'y penser, j'en perds la tête ,
Mais oui, mais oui, l'école est finie ! »

L'école est finie,  (1962)
 Claude Carrère, pour Sheila 










Bonjour à toutes et tous !


Nous sommes au mois de juillet ! (Et depuis déjà un certain temps, je sais.)

Mais alors... l'école est finie ! Du moins jusqu'à la rentrée.


Je vous propose, comme point de départ pour une nouvelle grrrrande étude, de nous intéresser au mot... école.

Encore une fois, vous allez vous rendre compte à quel point un mot, somme toute banal,  est étroitement connecté à d'autres, par leur lointain, lointain, lointain ancêtre commun, une petite racine indo-européenne toute jolie...


Commençons donc par rechercher l'étymologie de notre français école.

Oui oui, école,

dont la première acception, selon ©Le Grand Robert de la langue française, désigne un...
établissement dans lequel est donné un enseignement collectif. 
 

Bon. 
Ça commence mal, mais le vieux français escole (attesté vers 1050), que continuera notre école, n'est qu'un vulgaire emprunt.

Au latin classique schŏla, très précisément.

Je ne vous le cacherai pas ; 
d'ailleurs, rien qu'à voir ce sch en latin, vous l'aurez déjà compris,

 
le latin schŏla n'était lui aussi qu'un emprunt, forcément au grec ancien, en l'occurrence à σχολή, skholê.

Globalement, le latin schŏla conservera les différents sens du grec σχολή, skholê ; nous ne nous étendrons donc pas outre mesure sur schŏla, si ça ne vous dérange pas trop.


Copieurs, va.


 


En revanche, le grec ancien σχολή, skholê mérite vraiment toute notre attention...

Car avant tout
- c'est son premier sens -,
σχολή, skholê désigne le repos, le loisir.


pléonasme ?



Oui.

Et comme sens secondaires, on lui trouve notamment conversation ou discussion (au cours de laquelle vous apprenez quelque chose), conférence, ou encore lieu de conférence, auditorium, voire... école (philosophique...).


École philosophique, mais qui semble provenir de
La Tour de Garde (The Watchtower), cette revue illustrée des
Témoins de Jéhovah 



Encore plus fort...

Étymologiquementσχολή, skholê, dérive du verbe ἔχω, ékhō, “avoir, posséder, tenir, retenir, maintenir...”.


Surprenant ?

Sous son acception globale de retenir se retrouvent cependant des sens plus particuliers, comme réprimer, arrêter, ou alors (avec le génitif) s'abstenir (de), ou enfin... s'arrêter, se fixer.

Oui, c'est vraisemblablement qu'il nous faut percevoir la source sémantique de ce σχολή, skholê, nom verbal créé sur ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir”, via l'aoriste radical σχ- muni d'un suffixe -λ-
 
(et oui, oh ! d'une voyelle thématique -o-, comme dans d'autres noms verbaux ; pinailleurs, va). 

On pourrait donc peut-être littéralement traduire σχολή, skholê par “le fait de se retenir”. 

Et pour rester dans le vocabulaire scolaire, je proposerais même “la retenue!

ici, le bonnet d'âne


Se retenir, oui, mais de quoi, en fait ? 
Eh bien, de travailler, tout simplement. 

En se permettant, en s'offrant un moment à soi, hors du train-train quotidien, un moment de repos.


Aaaaaah




- Mais ?? Et comment est-on passé de loisir à discussion, conférence, enfin ??
- De loisir pur et dur, le sens du mot est passé à  “activité intellectuelle... faite à loisir”.

Les discussions scientifiques que vous pouviez avoir avec Platon étaient de cet ordre. 
Il ne s'agissait ni de travail, ni de jeu à proprement parler.


La relation plutôt... platonique qu'entretenait Aristote avec Platon


C'est ainsi que plus tard, en grec hellénistique
(à la grosse louche, durant les trois siècles et demi avant la période romaine que l'on fait commencer en 30 avant Jésus-Christ),
le mot prendra le sens d'étude, d'école philosophique.


En latin, je vous le disais, schŏla reprend les emplois du grec,


comme celui de lieu où se donnent les conférences.

C'est de cette acception, lieu où l'on enseigne, que naîtra le premier sens de notre escole/école.


Ici, la plaque gravée au-dessus de la porte d'entrée de
l'ancienne école primaire de Gimnée.
Oui, oui, vous lisez bien : ECOLLE PRIMAIRE, 1825



Bon, c'est pas tout ça. Les loisirs, c'est bien, mais nous, on a encore du boulot.

Car voilà, d'où qu'i' vient, ce grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...” ? Hein ?

Hein, hein ?

Ben...
- ici, je dois vous raconter les coulisses du blog : jusqu'à présent, c'est Robert Beekes (Etymological Dictionary of Greek) qui nous a guidés, mais pour la suite, qui nous intéresse au premier chef, la racine indo-européenne à la source de ἔχω, ékhō, j'ai dû passer la main à Guus Kroonen (Etymological Dictionary of Proto-Germanic) -



 


Mais reprenons...

- D'où qu'i' vient, ce grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...” ??

- Ben, disais-je, mais de la racine indo-européenne...
- c'est du moins comme cela que la retranscrit Guus Kroonen - 
*seǵʰ-e-

au sens de “dominer, posséder...”.



Et donc, amis lecteurs, vous pouvez dès à présent contempler la douce racine avec laquelle nous allons passer quelques dimanches agréables, au calme, loin du brouhaha du monde :


*seǵʰ-e-, “dominer, posséder...




Nous en resterons là pour aujourd'hui.
Mais oui, les vacances se profilent à l'horizon, et je m'y prépare déjà, en ralentissant la cadence...

Et puis, avec cet article, je voulais surtout entrer en matière,
planter le décor...




**********

racine proto-indo-européenne **seǵʰ-e-, “dominer, posséder...

grec ancien ἔχω, ékhō“tenir, retenir, maintenir...
nom verbal σχολή, skholê, “repos, loisirpuis “activité intellectuelle faite à loisir
glissement de sens
en grec hellénistique, “étude, école philosophique
emprunt
latin classique schŏla, lieu où l'on enseigne
emprunt
ancien français escole, lieu où l'on enseigne
français école


**********






Chères lectrices, chers lecteurs,

Je vous souhaite un excellent dimanche, une très belle semaine.

Portez-vous bien.



Frédéric



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Et pour nous quitter...

Un morceau surprenant, une pépite de gaieté, de joie de vivre,
une délectation musicale...

Un madrigal de Monteverdi, de 1624,
Ohimè, ch'io cado,
 - Hélas, je tombe (amoureuse) -,

qui est déjà TRÈS bien en soi, mais ici... dans une interprétation passionnée, une joyeuse envolée...

Où la frontière entre les styles musicaux n'existe plus,
où la basse obstinée du madrigal se transforme en basse de jazz,
où le madrigal commence à swinguer...


Et pourquoi ce morceau ?
Mais, parce qu'il est temps de s'amuser, puisque l'école est finie !

Voici donc ce magnifique ensemble de Cleveland (oui, oui, Cleveland dans l'Ohio !),
Apollo's Fire,
dirigé par Jeannette Sorrel,
avec en vedette la divine - et si expressive - soprano Erica Schuller...

(oui, Schuller, SchulerSchüler..., comme l'allemand pour élève...).


Délectez-vous...



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dimanche 19 juillet 2020

- Le champ arménien. - Ah ! Charles Aznavour, Sylvie Vartan ! - Mais non, pas le chant, le champ.





« L'union fait la force,  
Eendracht maakt macht,
Einigkeit macht stark. »


 Devise nationale de la Belgique, ici dans nos trois langues nationales,
(et peut-être (?) inspirée par le grand franc-maçon lyonnais Jean-Baptiste Willermoz)


Jean-Baptiste Willermoz,
10 juillet 1730 - 29 mai 1824


(Et en liégeois, « L'ugniau fé la force, dauuuc ») 




Bonjour à toutes et tous !




Je ne vous le cache pas.





Ce dimanche 19 juillet 2020 marquera la fin de notre étude des dérivés de cette incroyable petite racine indo-européenne...

*heǵ-“conduire, diriger”.









Vous rendez-vous compte de la liste impressionnante de ses dérivés ?

Allez, pour la toute dernière fois, faisons le point.


Nous avons découvert, 

passés par les latins gerō, gerēreporter, transporter” et agō, -ere“mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”...
  • digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer, 
  • agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu, 
  • acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements, 
et... action !, 1er mars 2020,
  • aurige, cacher, cachet,
  • décati, squat, squatter,
  • l'espagnol et le portugais cuidar, nos français essai, essaim, exact, exaction, examen, exiger (pour compléments d'informations), outrecuidant,
  •  agile, (et des bouts des composés) fatiguer, litige, nager, naviguer, et transiger,
  • un terme des composés châtier, châtiment, fumigation, purger,

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racine proto-indo-européenne *heǵ-e/o-“conduire, diriger

proto-italique 
*ag-e/o-faire, agir

latin 
agō, -ere“mouvoir, (se) conduire, faire, agir...


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racine proto-indo-européenne *heǵ-e/o-“conduire, diriger

racine post-indo-européenne 
*hǵ-es-“transporter

proto-italique 
*ges-e/o-, “transporter

latin 
gerō, gerēreporter, transporter


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puis, passés par le grec ancien ἄγω, ágōguider, diriger, mener...”,
  • agonie, agoniste, paragogé, pédagogue et protagoniste,
  • antagonisme, antagoniste, mystagogue, stratagème, stratège, synagogue, 

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racine proto-indo-européenne *heǵ-“conduire, diriger

proto-hellénique 
*ágō-guider, conduire

grec ancien 
ἄγω, ágōguider, diriger, mener...


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ensuite, passés par le proto-celtique *ag-o-, “conduire”,
  • le vieil irlandais ág, “combat, lutte”, le gaulois ago-, “combat, lutte”, le vieux gallois hegit, “aller”, les moyen breton et cornique a, “aller”, les gaulois axat, “qu'il emmène”, et actos dans amb(i)-actos, “serviteur, envoyé”, dont découlera ambassade,
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racine proto-indo-européenne *heǵ-“conduire, diriger

proto-celtique 
*ag-o-, “conduire
vieil irlandais ág, “combat, lutte”, gaulois ago-combat, lutte”, vieux gallois hegit“aller”, moyen breton et cornique a, aller”, gaulois axat, qu'il emmèneactos dans le gaulois amb(i)-actos, serviteur, envoyé”, dont découlera ambassade


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 puis, passés par le vieux norois aka“conduire”,
  • l'islandais aka“(se) déplacer, conduire”, le norvégien nynorsk aka, ake, le danois age, ... et par empruntsle scots oag, hoag, aik et l'anglais dialectal du nord aik, “conduire”,

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racine proto-indo-européenne *heǵ-“conduire, diriger

forme *héǵ-e-
proto-germanique *akan-conduire
vieux norois aka“conduire
islandais aka“(se) déplacer, conduire”, norvégien nynorsk aka, ake, danois age, ...
et par emprunts
le scots oag, hoag, aik et l'anglais dialectal du nord aik, “conduire


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Ensuite, nous découvrîmes...
  • le sanskrit अजति, ajati, “conduire”, l'arménien classique ածեմ, acem, “transporter, aller chercher, emmener...”, l'avestique 𐬀𐬰𐬀𐬌𐬙𐬌‎, azait, “conduire, diriger”, et même le tokharien (A et B)  āk-, “conduire, diriger”...

mais aussi, hérité d'une forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture



et passé par le proto-italique *agro-“champ
  • le latin ager, agrīlopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...”, d'où nous arrivent nos agraire, agreste... mais aussi aire (le nid de l'aigle), débonnaire, ainsi qu'un bout de nos pèlerin, pèlerine, pèlerinage, et pérégrination,
marche à l'ombre, 14 juin 2020, Louis, sans en avoir l'air, était quand même assez pieux., 21 juin 2020 et les vrais aussi, ils partent en voyage, 28 juin 2020.
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racine proto-indo-européenne *heǵ-“conduire, diriger

forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture
proto-italique *agro-“champ
latin ager, agrīlopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...
étymon protoroman */ˈaɡr‑u/, étendue de terre propre à la culture ; étendue de la surface terrestre située à la campagne
ancien français (h)aire, nid d'oiseau puis, par spécialisationnid d'un rapace



latin ager, agrīlopin de terre, domaine, champ, terrain, territoire...
composé latin per-egre, de l'étranger, à l'étranger
latin peregrīnus“qui voyage à l'étranger, vient de l'étranger, concerne l'étranger...
dissimilation
bas latin pelegrinus
ancien français pèlerin (1050)étranger


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Toujours dérivé du mot indo-européen *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture, nous passâmes ensuite...
  • au grec ancien ἀγρός, agrós, “champ, terre, campagne...” et sa multitude d'emprunts en français en agro-,

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racine proto-indo-européenne 
*h“conduire, diriger

forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture
mycéen 𐀀𐀒𐀫, a-ko-ro, “champ, pays”,
grec ancien ἀγρός, agrós, champ, terre, campagne...


grec ancien ἀγρός, agrós, champ, terre, campagne...
grecs anciens ἀγροῖκος, agroîkosrustiquebrutgrossier”,
ἄγρωστις, ágrōstis, peut-être Elymus repens,
άγρυπνος, ágrypnos, insomniaque, éveillé, vigilant”,
ἄγρῐος, ágrios, sauvage, violent, féroce...


grec ancien ἄγρῐος, ágrios, sauvage, violent, féroce...
grec moderne άγριος, ágrios, “sauvage, féroce...”


grec ancien ἀγρός, agrós, champ, terre, campagne...
emprunts
français agronomeagrostème, mots divers en agro-


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Enfin, dimanche dernier, nous découvrions, passés de *heǵ-ro-, “champ non cultivé, pâture” par l'étymon germanique *akra- 1“champ”,
  • le vieux norois akr“champchamp de céréales, de blé”, d'où l'islandais akur, “champ”, le vieux danois akærle vieux suédois åker..., le gotique 𐌰𐌺𐍂𐍃, akrs, “champ cultivé”, le vieil anglais æcer, d'où l'anglais acre, le vieux saxon akkar, le vieux néerlandais accar, ackar, d'où le néerlandais akker, le vieux haut-allemand ackar, d'où l'allemand Acker, et par emprunt(s), notre français acre.


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racine proto-indo-européenne *h“conduire, diriger

forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture
germanique *akra- 1“champ”
vieux norois akr“champ, “champ de céréales, de blé”
islandais akur, “champ”, efdalien åker, vieux danois akær, vieux suédois åker...


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germanique *akra- 1“champ”
germanique occidental *ak(k)r, “champ, espace dégagé”, “champ de céréales, de blé”
vieil anglais æcer ⇒ anglais acre,
vieux frison ekker
vieux néerlandais accar, ackar ⇒ néerlandais akker,
vieux haut-allemand ackar ⇒ allemand Acker


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Oui, je sais.







Ce mardi 21 juillet, nous, Belges, commémorerons le serment fait un autre 21 juillet, celui de 1831, par Léopold Ier, premier roi des Belges, de rester fidèle à la Constitution.



Cette bonne vieille Constitution qui doit garantir les libertés individuelles des citoyens et se fonde sur la séparation des trois pouvoirs que sont le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

Oh, mais oui ! Ça paraît fou, mais c'était bien avant la particratie, avant que la politique ne soit confiée qu'à des gens qui pensent plus à leurs intérêts propres qu'à ceux du pays.


Nous aussi, hein, nous avons notre petit Boris Johnson, qui comme lui est un habile manipulateur, stratège érudit, cultivé et intelligent, et est surtout capable de faire littéralement exploser un pays en jouant sur la xénophobie et le droit du sol.







Allez, dernier article de cette série, consacré aux dérivés du mot indo-européen *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture”, mais cette fois dans la branche arménienne des langues indo-européennes - et donc, en arménien, hein -, ainsi que dans la branche... indo-iranienne.


Pour le 21 juillet et ses feux d'artifices qui se profilent, ma foi, ce sera ma façon à moi de contribuer au bouquet final...




L'arménien,
qui forme, vous le savez, un groupe linguistique à lui tout seul au sein des langues indo-européennes,
doit à notre *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture”, արտ, art,  champ de blé, champ de maïs, champ cultivé, ou encore plus génériquementterres arables”.

Ce art arménien...

Art arménien (champ de coton en Arménie)

Art Garfunkel (chanteur aux USA)


Ce art arménien, disais-je, est issu de notre *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture” par l'arménien classique... 

Le ballet arménien Navasart,
entre le classique et la danse traditionnelle...
(Navasart désignant le jour de l'an dans le calendrier arménien)
 
par l'arménien classique, donc... 
- on ne s'en sortira pas, vous savez, si vous continuez à m'interrompre... -
... արտ, art, de même sens : champ de blé, champ de maïs, champ cultivé, terres arables.

un champ en Arménie, avec au loin le mont Masis (Մասիս),
ou mont Ararat, en français



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racine proto-indo-européenne *h“conduire, diriger

forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture
arménien classique արտ, art, champ de blé, champ de maïs, champ cultivéterres arables
arménien արտ, art, champ de blé, champ de maïs, champ cultivéterres arables


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Mais nous devons encore à l'arménien classique արտ, art, quelques autres dérivés...

Citons tout d'abord le radical arménien classique արտ-, art-, que l'on pourrait traduire par  dehors, au grand air”.


au grand air, sous le ciel arménien

 
Eh oui, vous avez raison, on retrouve ici une évolution sémantique comparable à celle qui avait donné le grec άγρυπνος, ágrypnos, insomniaque, éveillé, vigilant”. 
Et si vous ne voyez pas pourquoi, alors il serait peut-être judicieux de relire Le lien entre les Titans de Chicoutimi et le grec ancien ἀγρός, agrós ? Le dimanche indo-européen....


Sur ce radical արտ-, art- s'est construit le préfixe arménien classique... արտ-, art-, qui est en quelque sorte l'équivalent de notre ex- français.

On le fait sémantiquement correspondre au grec ancien ἐκ, ek, même s'ils ne sont pas du tout cognats (ἐκ, ek, descendant, lui, de *heǵʰs-dehors, hors de”, racine que j'avais transcrite à la Watkins sous la forme *eghs- dans étrange étranger et exister, se redresser, transmettre).


Ce préfixe արտ-, art- se retrouve par exemple dans le verbe արտաշնչեմ, artašnčʿem,  exhaler.

Ou encore dans le verbe արտաբերեմ, artaberem, proférer, prononcer....



tenez, ça pourrait vous aider...




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arménien classique արտ, art, champ de blé, champ de maïs, champ cultivéterres arables
arménien արտ, art, champ de blé, champ de maïs, champ cultivéterres arables
radical arménien classique արտ-, art-, dehors, au grand air
préfixe arménien classique արտ-, art-ex-
արտաշնչեմ, artašnčʿem, exhaler
արտաբերեմ, artaberem, proférer, prononcer...


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Enfin, s'est dérivé sur l'arménien classique արտ, art, cet autre arménien classique ագարակ, agarak, au sens de propriété terrienne, domaine, village...”.


vieille église,
au sein de la communauté rurale de
Ագարակաձոր, Agarakdzor,
Ձոր, dzor désignant la vallée


L'arménien moderne ագարակ, agarak, de même sensn'en est cependant pas issu ; il n'est en réalité qu'un emprunt savant à ce vieux mot.


C'est d'ailleurs toujours par le mécanisme de l'emprunt que l'arménien classique ագարակ, agarak, propriété terrienne, domaine, village...” s'est curieusement retrouvé dans une langue non indo-européenne, le géorgien (du groupe des langues caucasiennes)

Par proximité, tout simplement.

l'Arménie, maintenant...


... et pendant l'Antiquité


Avec აგარაკი, agaraḳichamp, campement, datcha, village...



**********

arménien classique արտ, ar, champ de blé, champ de maïs, champ cultivéterres arables
arménien classique ագարակ, agarak, propriété terrienne, domaine, village...
emprunt savant
arménien ագարակ, agarak (de même sens)


arménien classique ագարակ, agarak, propriété terrienne, domaine, village...
emprunt
géorgien აგარაკი, agaraḳichamp, campement, datcha, village...


**********


Voilà pour l'arménien...


Et dire que
- je reviens à la politique belge, pardonnez-moi -
Et dire qu'un homme politique belge, un élu bruxellois, du parti qui se rêve socialiste - un Carolo, en plus, et c'est peut-être ce qui me fait le plus mal - a osé faire preuve de négationnisme vis-à-vis du génocide arménien, ce qui est en outre punissable par la loi.

Cet élu, Emir Kir, s'est FINALEMENT fait jeter de ce parti (qui pour l'occasion était redevenu un tout petit peu plus socialiste, un tout petit peu moins électoraliste), en 2020, après avoir quand même reçu deux élus d'extrême droite turque.


Ouais. La classe totale.



- Mais pourquoi refusait-on de voir son négationnisme pourtant clairement affiché
- Allez, je vous donne un élément de réponse... Dans sa commune bruxelloise de Saint-Josse-ten-Noode, ce n'est pas vraiment la population arménienne qui est remarquablement représentée.


Les vraies histoires belges sont rarement comiques, vous savez, amis Français...





Allez, la dernière salve !


Nous retrouvons notre mot indo-européen *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture”, dans l'étymon proto-indo-iranien... *Háȷ́ras-champ, pâture”.


De là, sans s'retourner, sans s'presser
- mais avec certainement beaucoup de sens critique -,
il est passé au... sanskrit

अज्र, ájrachamp”.




**********

racine proto-indo-européenne *h“conduire, diriger

forme nominale *heǵ-ro-, champ non cultivé, pâture
indo-iranien *Háȷ́ras-champ, pâture
sanskrit अज्र, ájrachamp

**********




Mais, mais...

de notre étymon indo-iranien *Háȷ́ras-champ, pâture” est également issu le proto-iranien (reconstruit, non attesté, ne poussez pas) *Hájrah-.


Eh !


Et de ce beau *Hájrah seront, à leur tour, issus...
  • l'avestique *𐬀𐬰𐬭𐬀‎, *azra (bon, ne chicanons pas, uniquement dans des composés)
et
  • le persan آسر‎, āsor, “champ”.


**********

indo-iranien *Háȷ́ras-champ, pâture
iranien *Hájrah-
avestique *𐬀𐬰𐬭𐬀‎, *azra
persan آسر‎, āsor, “champ


**********



Oui ! OUI !!

Et TOUS ces mots
soyez-en donc bien conscients,
proviennent d'une seule et même, toute jolie, toute petite, toute douce racine indo-européenne, 

*heǵ-“conduire, diriger”.


Mais quelle racine ! Quel tempérament !

Multimillénaire, mais... toujours bien là. 

Il suffit de gratter un peu, et sous nos mots si modernes apparaissent alors des merveilles antiques, d'illustres fondations sur lesquelles se sont bâties nos langues dites modernes...


des merveilles sous nos pieds...
Ici, découvertes archéologiques lors d'un chantier à Bruxelles
(ancien lit de la Senne, sous le Parking 58)






Chères lectrices, chers lecteurs,

Je vous souhaite un excellent dimanche, une très belle semaine.

Portez-vous bien.


Et vive la Belgique !



Frédéric


Le 21 juillet 2014,
où nous fêtions encore la Fête Nationale
en compagnie de notre adorable Emma et de Monsieur Badger






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Et pour nous quitter...

Je dois vous l'avouer, j'étais parti sur une prestation d'un grand chef d'orchestre arménien, comme Alain Altinoglu ou Vahan Mardirossian, voire Domingo Hindoyan (si vous ne les connaissez pas encore, prenez la peine de les rechercher sur Youtube ; ils en valent la peine...).

Et puis, quand je suis tombé sur cet emprunt géorgien...
Je ne sais pas pourquoi.
Vraiment pas.
Je cherche encore, d'ailleurs...

Mais bon, j'ai instantanément pensé à un musicien géorgien.

Enfin...

Á une musicienne géorgienne.

ხატია ბუნიათიშვილი, ou en graphie latine,
Khatia Buniatishvili.

(vous ne trouvez pas que la graphie géorgienne lui sied particulièrement bien ?)


- Mais pourquoi précisément elle ?
- Mais je n'en sais rien, moiarrêtez de me harceler, enfin !




Je nous ai choisi un morceau retenu, en demi teintes...

Á l'image de la situation actuelle, de ce dé-re-confinement, de toutes ces incertitudes,
à l'image de mon moral, aussi...

Le menuet (en sol mineur) de la première suite pour clavier, en si bémol majeur,
de Georg Friedrich Haendel, HWV 434.




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