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dimanche 2 octobre 2016

l'étage, là, au-dessus de l'étable, il est vraiment stable?


article précédent: un fauteuil pour (*steh) deux




“Je n'ai jamais gratté la terre ni quêté des nids, je n'ai pas herborisé ni lancé des pierres aux oiseaux. Mais les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes domestiques, mon étable et ma campagne ; la bibliothèque, c'était le monde pris dans un miroir, elle en avait l'épaisseur infinie, la variété, l'imprévisibilité.”

Les Mots (1964)

Jean-Paul Sartre


Des mots, de Sartre
















Bonjour à toutes et tous!


Dimanche dernier - ah, dimanche dernier! -, nous posions le regard sur les richesses de *stā-, glorieuse racine proto-indo-européenne exprimant l’idée d’“être debout”.



Je vous l’avais promis: aujourd’hui, des dérivés de  *stā- par le latin.


Et pour à présent entrer dans le vif du sujet, en ce dimanche 2 octobre 2016, le latin dont il s’agit, c’est stō, stāre, “être debout”, “se tenir debout, immobile…”


Nous avions vu il y a une semaine que notre jolie racine  *stā- avait donné, par le proto-germanique *stōdō- / *stōda-, l’anglais … stud, ”écurie, haras”.

Eh bien, notre jolie racine  *stā-, par le latin stāre, a donné au français… étable.
Lieu, bâtiment, abri où on loge les bestiaux, les bovidés.


Étable est issu du latin populaire *stabŭla.


Comme nous l’avons parfois constaté...
(relisez ce que nous disions de “Paris”, ou de “fromage”…), 
...l’histoire de notre langue est parsemée d’erreurs.

cherchez l'erreur

Tant mieux, ça prouve que nous ne sommes pas encore des machines.
mais bon, les machines aussi, peuvent se tromper


Ce *stabŭla, à cause de son a final, on l’a pris pour un féminin.
D’où le fait que étable soit féminin.
Alors qu’il s’agissait simplement du pluriel, en latin classique, du neutre stabŭlum.

Gros nigauds!

Ah là là…

Ce stabŭlum ne signifiait pas vraiment “étable”.

Non, il désignait plutôt l’endroit où on s’arrête, l’étape.

De là, “résidence”, ou même “auberge”.
Ou carrément “bordel”. On s'arrête où on veut, aussi, non?


Transposé dans la langue de la campagne, le mot a dû désigner en un premier temps l’endroit où l’on s’arrêtait avec le troupeau, quand il était au repos.

De là, “écurie, bergerie, étable, abri…”.


En français, où le mot arrive sous la forme estable au milieu du XIIème, il y aura spécialisation, étable ne désignant plus bientôt que le lieu où on loge les bestiaux, et plus encore les bovidés.

Dans le français des régions, cependant, il peut encore désigner l’écurie.


En anglais…
- car évidemment, et comme très souvent, c’est le français qui a donné le mot anglais -, 
... le vieux français estable, passé par l’anglo-normand puis le moyen anglais, est devenu stable.

Ne désignant plus, lui, d’une façon générale, que l’écurie.

écurie victorienne


De étable à établir, ou établissement, il n’y a qu’un pas…

Établir nous vient, lui, par une forme establir, du latin stabiliō, stabilīre, “stabiliser, rendre stable, consolider, soutenir, affermir…”.

Et stabilīre était construit sur ... stabilis...
(“ferme, solide”, littéralement “propre à la station verticale”),
... composé de stō et ...??  - oui, bien! - -bilis, suffixe marquant notamment la capacité, et qui donnera plus tard nos suffixes français -able et -ible.


Bon, oui, évidemment:

Stable (le français stable) nous vient également de là. Du latin stabilis.
Stabilis donnera la forme (orale) estable. Stable n’en étant que la réfection savante.
Je le rappelle, pour ceux qui prendraient le train en marche, la réfection est un procédé consistant à re-former un mot à partir d’un modèle préexistant.
On parlera de réfection quand on modifie la forme populaire d’un mot, due à son évolution on ne peut plus normale, en la (re-)transformant pour la rapprocher de sa forme d’origine, de son étymon.

Le train, en marche ou pas, on le prend à la gare. À la ... station.

Amusant, non, quand on y réfléchit, que station peut désigner le fait d’être debout, ou bien une gare.

Mmmmh?

Notre français station est un emprunt au latin classique statiō , “position permanente”, “lieu de séjour”, “stationnement” dans le sens métonymique de hommes de garde, détachement

Pour être plus précis, c’est de son accusatif statiōnem que dérivera station ; ce qui expliquera son n final.

Quant à statiō, il dérivait lui du supin de stāre, statum.

En ancien français, station, ou estacion, désignera d’abord l’endroit où l’on se fixe.

Mais parallèlement, le mot en viendra à désigner, via le latin ecclésiastique, le fait de s’arrêter pendant un déplacement, ou encore certaines églises, chapelles ou autels désignés par l’autorité ecclésiastique, que l’on va visiter pour y faire certaines prières, afin de gagner des indulgences.
On parlait ainsi des stations des sept églises à Rome.

Les indulgences?
Mais c'est absolument fantastique!! Les indulgences, c'est tout simplement la rémission de la peine temporelle due à nos péchés, que l'Eglise nous accorde hors du Sacrement de Pénitence, par l'application des mérites de Jésus-Christ et des Saints. Coool! Grandiose, même!

Alors, franchement, pourquoi se gêner?

J'ai adoré Dogma, ce film curieusement très intelligent, basé sur le principe même de ces fameuses indulgences...




Figurez-vous que ce n’est qu’au début du XIXème siècle qu’on parlera de station pour les arrêts du Christ pendant la montée au calvaire.

Et c’est cette même idée d’arrêt que l’on retrouvera dans l’acception de “gare”.

gare et calvaire: tout est dit!


Dans les gares s’arrêtent parfois des trains… à double étage.
Tous les matins, ou presque, c'est un de ces trains que je prends pour me rendre au travail.



Étage? Mais oui!!

Étage est un dérivé (1080, estage) de l’ancien français… ester, “se tenir debout”, “se trouver (dans telle ou telle situation)”, “rester”, “demeurer”.

Et ester, dérivé du latin classique stāre, s’employait usuellement en ancien français, dans le sens de “rester, demeurer” (on est dans la deuxième moitié du Xème).

Vous pouvez d’ailleurs comparer notre vieil ester à l’espagnol estar, bien sûr, qui signifie, comme son compatriote ser, “être”, mais dans le sens de “se trouver”, “se situer”.

Mais en latin juridique médiéval, stāre s’utilisera aussi dans le sens spécialisé de “soutenir une action en justice”. 
Oui, on peut facilement comprendre la spécialisation en question: vous devez rester debout, un certain moment, devant la cour, pour vous faire entendre des juges.

Dans la deuxième partie du XIIème, notre vieux et brave ester reprendra ce dernier sens, et c’est désormais sous cet unique sens que nous l’employons encore.

Silk, superbe série sur le monde du barreau britannique


Mais donc, étage provient de ester!

L'évolution du mot est intéressante...
Dans son premier emploi, fin du XIème, il (le mot étage, on suit) désignait assez logiquement la demeure, puis par métonymie, le séjour.

Et puis, le temps pendant lequel on sert quelqu’un… (mi XIIème).

Ainsi, en droit féodal, on parlait de lige étage, ou simplement étage, pour “stage obligatoire du vassal dans le château du suzerain, pour le défendre en temps de guerre”.

Et c'était chose ingrate, que de protéger un château de suzerain dont les
remparts devaient bien faire 30 cm de haut.

Étage revêt également le sens de situation, état, condition.
Ce qui est toujours particulièrement logique vu le sens original de ester.

Nous qualifions toujours quelque chose de médiocre comme étant “de bas étage”.
Nous ne le savons plus: dans cette expression, il n'est pas question de hauteur, mais bien de condition sociale.

- Bon, et quoi alors? Et étage dans le sens de étage”, c'est pour quand??
- Ouais ouais, on y arrive!

Flat-Iron Building, New York (1902) : 87 mètres,
et déjà quelques étages

En ancien français, estage “demeure” désignera vite, par synecdoque oserais-je dire, l’intervalle entre deux planchers d’un édifice. 
En d'autres termes, l’endroit précis où, dans la demeure, on ... demeure.
Synecdoque? 
Figure de style par laquelle on fait entendre le plus en disant le moins, ou le moins en disant le plus ; on prend le genre pour l’espèce ou l’espèce pour le genre, le tout par la partie ou la partie par le tout. C’est donc un cas particulier de ... métonymie
un troupeau de cinquante têtes” (pour bêtes), donner du pain à quelqu'un (pour de la nourriture)...

Quelques siècles plus tard, étage désignera le plancher d’une maison.
Ainsi, au XVème, par premier étage on entendait “rez-de-chaussée”.

Emploi par ailleurs toujours conservé au Québec.


- Euh, mais l’étage était un stage, en droit féodal? Se pourrait-il que stage
- Mais oui, absolument!

Stage n’est qu’un doublet lexical de étage, apparu plus tard, au XVIIème, et emprunté au latin ecclésiastique stagium “séjour”.

Précisément, stage se disait en droit canonique de la résidence d’un nouveau chanoine avant qu’il puisse jouir de sa prébende.

D’où l’idée, plus tardive, de “séjour temporaire”…!
Non, n'y pensez même pas! Arrêtons de systématiquement rapprocher clergé de l'Eglise catholique, apostolique et romaine et pédophilie
Enfin!? 
Prébende ne désigne d'aucune façon l'érection anticipative que pourrait éprouver un chanoine à l'idée de se rapprocher d'un enfant de choeur.
Mais quelle horreur!? Comment pouvez-vous penser à des choses pareilles?  
Mais non, évidemment: en droit canon, il s'agit du revenu fixe accordé à un ecclésiastique et, en particulier, à tout dignitaire d'une cathédrale. — Spécialement: bénéfice (d'un chanoine).
Merci, Le Grand Robert
À droite sur la photo, le chanoine Chedaille, mort, non pas d'une crise de foi,
mais d'une crise de foie.
(source)

Remarquons encore qu'en anglais, les sens de stage et étage se sont quelque peu télescopés, le mot unique stage les récupérant tous.
(même si l'on parle de floor pour l'étage d'un immeuble, on parlera toujours de stage pour l'étage d'une fusée, et stage, comme en français, signifie toujours phase temporelle)
Ce stage anglais, vous pouvez aisément l'imaginer, est emprunté à notre vieux français estage. C'est son acception de “plancher‎, d'endroit où l'on demeure” que l'anglais reprendra à son compte pour désigner la scène (de théâtre...).

la scène du Royal Albert Hall



Et voilà pour ce dimanche maussade, où j’ai dû rester, hélas, à la ville…
Mes activités m'empêchent toujours de passer beaucoup de temps sur le blog, mais pour l'instant, je tiens bon. Les prochains articles ne seront vraisemblablement pas très longs, mais chaque dimanche, si si, il y en aura un.


À vous toutes et tous, je vous souhaite un excellent dimanche, et une superbe semaine!

On se retrouve, voyons…? dimanche prochain?

Avec, ENCORE, plein de dérivés de notre si prolifique *stā-.




Frédéric


Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).


Et pour se quitter, The Beatles, on stage!


dimanche 9 septembre 2012

exister, se redresser, transmettre





Allez, encore une p'tite trilogie...

Vous vous en souvenez peut-être, pour célébrer Douglas Adams et son oeuvre, j'avais osé une trilogie (voir DON'T PANIC, 42 et toutes ces sortes de choses, l'éternité? Oh juste une bonne hygiène de vie. et roulez, jeunesse.)


Cette fois, je me lance dans quelque chose d'un peu plus sérieux… et peut-être aussi d'un peu plus polémique aussi...

Traditionnellement, il est considéré que nous sommes faits de trois composants :

  • le corps
  • l'âme et 
  • l'esprit.


Pour les hommes - et les femmes - que nous sommes, issus des "Lumières", "occidentaux", "modernes", cela n'a plus guère de sens.

D'ailleurs, faites l'expérience, regardez sur Internet: âme et esprit sont désormais considérés comme de vulgaires synonymes.

Ce qui, entre nous, est du grand n'importe quoi. Mais bon, ce n'est que mon avis.

Il faut quand même savoir, qu'on y croie ou non, que pour les anciens, et selon la voie traditionnelle,

  • à côté du corps qui représente les organes, les muscles, le squelette: la machinerie, le physique, il y a... 
  • l'âme: ce qui vous est propre, le siège de vos sentiments, de vos émotions. "Vous", quoi !
  • Et puis, il y a l'esprit, ou l'Esprit, qui est en quelque sorte l'étincelle divine en nous.
    Notre part de divin.
    Le centre de notre labyrinthe intérieur.
    L'Esprit ne nous est pas propre, il est immuable, il n'existe même pas: il EST


- Euh ??
- Oui, exister nous vient du latin existere ou exsistere, composé de ex- et de sistere, forme dérivée de stare: "être debout, être stable".

  • Ex- nous vient de la racine proto-indo-européenne *eghs- "dehors", "hors de". Reconstruite avec les laryngales,*heǵʰs-
    Rappelez-vous, nous en avions parlé dans étrange étranger
  • Quant à stare, le verbe provient de la racine proto-indo-européenne *stā-, que nous avions abordée dans du passage des ans.
    *stā-, c'est notamment: "être debout". Sens que l'on retrouve dans son descendant station.

Le latin exsistere, donc, c'était étymologiquement, en reprenant le sens des racines premières, "sortir de, s'élever, se dresser".


Deux versions de l'Evolution de l'Homme...




L'Homme existe...

Je trouve personnellement cette image très belle, de l'Homme qui se redresse pour exister, ou, encore mieux, qui existe POUR se redresser !

Mais donc, "exister" sous-entend l'idée de "sortir", de "s'élever".

Si l'on essaie de comprendre la conception traditionnelle de ce que l'on dénomme "Dieu", on se rend compte que "Dieu" n'est jamais sorti de quoi que ce soit: Il/Elle/Cela n'a pas été créé(e).

Il/Elle/Cela a toujours été, et sera toujours.

Immuablement.

- Ouais, OK, admettons, mais c'est quoi ce machin: tradition, voie traditionnelle ? Tu s'rais pas en train de virer extrémiste religieux, ou quelque chose du style ??
- Mais noooon, pfff !

La tradition, dans le sens que je lui accorde du moins, c'est la perception la plus optimiste et positive de l'homme et de l'humanité que je connaisse : l'idée est que derrière TOUTE religion ou voie spirituelle, il y a, bien enfouie, cette fameuse Tradition.
La Tradition serait le point commun qui nous unit tous, dans l'espace et dans le temps, au-delà de nos différences superficielles…
Invariable, elle se transmettrait d'humain à humain, de génération en génération…
Même si les formes qu'elle revêt sont différentes d'une époque à l'autre, d'un lieu à l'autre, le fond est toujours invariablement le même.

Allez - gardez-ça pour vous - je vous livre ici...

le secret ultime de toute religion, de toute spiritualité: 

Connais-toi toi-même, et apprends à aimer les autres ! 
Et pour le reste, ben, fais pour le mieux. 

Et surtout garde ça en tête : "à chacun sa vérité". 

En gros, la même chose, version Monty Python


Tradition nous est arrivé par le latin traditio.
 - Traditio quant à lui est construit sur traditus suivi de -io

Et traditus, c'est le participe passé de trado.
 - Trado, composé de trans- et .
  • Dō- nous vient de la racine proto-indo-européenne *dō- qui euh… donnera notamment "donner".


Si l'on précise encore que -io, le suffixe qui accompagne traditus, permet de créer des noms à partir de la notion d’un verbe en apportant une forme répétitive, ou durable, nous avons absolument tout ce qu'il nous faut pour comprendre "tradition" comme "ce qui se donne, se transmet, ce que l'on fait passer à un autre, encore, et encore, et encore, et encore…"

Le relais 4X 100 mètres: une belle image de
la tradition



Frédéric


- Ben, et quoi, tu nous avais bien promis une Trilogie "Corps/Ame/Esprit" ?
- Bien sûr! Ceci n'était que la mise en bouche….

A la semaine prochaine pour le premier volet du triptyque !