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dimanche 25 avril 2021

Oft ic wig seo, frecne feohtan

                           
article précédent : ptāñäkte ñom klyoṣluneyā




Oft ic wig seo, frecne feohtan

extrait d'un riddle (énigme poétique)

tiré du

Exeter Book,
 (ou pour être précis, Exeter Cathedral Library MS 3501, ou Codex Exoniensis),
rédigé en anglo-saxon à la fin du Xème siècle.


Traduit en anglais moderne, cela donnerait :  
often I see battleand fight the foe


ou en français :
souvent je vois la bataille, et combats l'adversaire


Pour l'anecdote,
dans ce riddle (le numéro 5),
l'énigme consiste à découvrir qui parle ainsi à la première personne.

Et moi je sais - euh. 


Pour les malades mentaux,
le texte complet du riddle, en anglo-saxon, est ici, ainsi que sa traduction en anglais


(L'épidémie liée au coronavirus et le confinement ont un impact sur la santé mentale ;  à l'Université de Leiden, on a dû reconnaître une augmentation certaine des inscriptions à la Faculté de Linguistique comparative ; il n'y a pratiquement plus de place, les professeurs et les chargés de cours n'en peuvent plus, ils sont à bout.) 


le Livre d'Exeter,
bibliothèque de la Cathédrale d'Exeter




Bonjour à toutes et tous.


Nous venons de terminer l'étude d'une racine absolument incroyable, *ḱleu-entendre”.

Mais... vous rappelez-vous, au moins, le déclencheur de cette étude ?
Mais oui, OH, nous avions décidé de célébrer à notre manière la naissance de Beethoven, il y a un peu plus de 150 ans.

Nous avions alors découvert que le prénom Ludwig était issu du vieux haut allemand Ludhuwīg, Hludwig, que l'on fait remonter à une forme germanique occidentale reconstruite, *Hlūdawīg

Mais ce *Hlūdawīg était en réalité un... composé.

De...
  • (h)lūt,“célèbre, renommé, “bruyant, sonore”, lointain descendant de *ḱleu-entendre”,
et de...
  • -wīgconflitbataille, descendant d'un verbe proto-germanique *wihan-, se battre”, lui-même descendant de la racine indo-européenne *uik-e-, “vaincre, triompher de”.

Eh bien, je vous propose de revenir au composé Ludwig, mais pour cette fois, nous intéresser à son second terme, -wīgconflitbataille”, et - évidemment - surtout à la racine...

*uik-e-, “vaincre, triompher de”.  




Cette étude nous emmènera dans les langues celtiques, les langues italiques, dans les langues balto-slaves, et au moins en sanskrit et en tokharien.




Alors
- je vous le dis tout de suite -,
pour certains des dérivés que je vous présenterai dans les semaines qui viennent, même si leur morphologie tend à les rapprocher de la racine *uik-e-vaincre, triompher de” (ou d'une de ses formes)leur sémantique ne semble en rien y correspondre. 

Au point qu'alors, leur ascendance étymologique est remise en question.




Il va de soi qu'à chaque fois que nous serons en présence d'un dérivé... incertain, dont l'étymologie peut être mise en cause, je le préciserai. 




Bon. Les précautions d'usage ayant été prises, allons-y.

Et à tout seigneur, tout honneur,



c'est dans le groupe germanique que nous débutons cette étude.


Forcément, je me fonderai pour ce faire sur les travaux de Guus Kroonen,

Guus Kroonen

le brillant et sympathique auteur du Etymological Dictionary of Proto-Germanic.




Nous savons donc déjà que notre *uik-e-, “vaincre, triompher de”, est passée, dans les langues germaniques, par un étymon germanique commun (reconstruit) *wihan-se battre”.

En gotique, il donnera 𐍅𐌴𐌹𐌷𐌰𐌽, weihan, de même sens.

gothique prête à se battre



Dans le sous-groupe des langues germaniques occidentales, il donnera naissance...
  • au vieil anglais wīganse battre, faire la guettre, batailler”, 
dont dériveront, par exemple, les vieux anglais... 

  • oferwīgan, “l'emporter au combat, conquérir”,
  • wīgend, “soldat, guerrier”, et
  • wigian, “se battre”.
Quelques fiers Anglo-Saxons
(ou alors des Brexiteers qui ont peur du photographe ?)



Toujours en vieil anglais, nous retrouvons encore...
  • wīġ, “guerre, bataille” - ce même wīġ dont vous pouvez vous délecter dans le titre de l'article et en exergue -,
et son composé...
  • ānwīġ, où wīġ est précédé de ān, 
ān qui donnera notamment l'anglais one
 
 
et peut se comprendre comme “seul, unique, solo” (j'aime beaucoup “solo”, ce qui me permet de faire ān, “solo”),

Han Solo,
Star Wars

et qui désigne un type de combat en corps à corps, 

où l'on se bat seul contre l'adversaire : le... duel,


 
ou encore

  • le substantif wiga“guerrier, combattant”, qui se traduit, en poésie anglo-saxonne, par “héro, homme”.


Hélas, ces termes n'ont pas survécu au passage des ans, et,

à ma connaissance, du moins,

aucun mot anglais n'en est issu, si ce n'est... l'anglais (obsolète, poétique)... wye, qui continue le vieil anglais wiga.

héros Anglo-Saxons



Allez,  un dernier mot à prendre des langues germaniques occidentales...

Vous rappelez-vous 

- et sinon, mais relisez - Ludwiiiiiig !, pour la nième fois ! - Aber... Was ?, enfin !! -

ce vieux francique *Hlūdawīg, dont nous avons tiré... Clovis ?

On retrouve bien dans ce composé le vieux francique

- langue qui se développera tranquillement du Vème au IXème pour devenir le vieux néerlandais -
 
*wīg, combat.

c'est surtout contre la montée des eaux
que se battent les Néerlandais

Ce *wīg vieux francique,

décidément habitué des seconds termes des composés,

figure également dans le prénom vieux francique *Mārīwīg, littéralement fameux (*mārī) au combat (*wīg)

*Mārīwīg (ou Merowig, Mérovech) sera latinisé pour devenir... Meroveus. Mais oui, Mérovée.

Nous en avons encore gardé,
par le latin médiéval Merovingi, les descendants of Mérovech”,
Mérovingiens, le nom de cette dynastie qui régna sur nos contrées du Vème jusqu'au milieu du VIIIème siècle.

Et Mérovée ne serait que l'aïeul de... Clovis

Enfin, c'est ce que l'on pense généralement... Rien n'est n'est très sûr ; d'ailleurs, on se demande toujours si Mérovée a vraiment existé.

Eh.

Mérovée, 448-458,
deuxième roi (légendaire ?) des Francs saliens


Allez, quittons les langues germaniques occidentales pour du plus septentrional, et par là-même, du plus... rugueux.

non, ce n'est pas de la peinture rouge


En - mais ouiiiiiii ! - vieux norois, le germanique *wihan-se battre”, donnera le verbe... vega, qui, sans surprise, signifie... se battre”.

Décidément, ils n'aiment pas les photographes


Voilà pourquoi, évidemment, ce sont les forces de Véga que doit combattre Actarus, prince d'Euphor, aux commandes de son Goldorak, dans les années 70. Enfin !!

Goldorak, monument de la linguistique comparative germanique.

Á l'Université de Leiden, il est clairement conseillé de connaître
la série complète pour entrer en première candi


Du vieux norois vega, se battre”, seront issus...

  • le danois archaïque vejeoccire, tuer au combat”,
  • l'islandais vega, de même sensHetjan vó drekann pouvant se traduire par le héro pourfendit le dragon,
  • le vieux suédois væghase battre, batailler, occire...”,
ou enfin, et surtout - et rien que pour Monsieur X -,
  • le féroïen viga, au sens spécialisé, pour tuer de sang froid des mammifères marins à la hache ou au gourdin, en savourant leurs cris implorants et désespérés le plus longtemps possible...”.


Et puis, il y a le vieux norois... víg, dont le sens est particulièrement explicitecombat, bataille, homicide, meurtre”.

Le prénom scandinave masculin Viggo, Wiggo, pourrait (sous réserves) en descendre, par latinisation du vieux norois Vigge, dérivé de víg.

l'acteur américano-danois Viggo Mortensen,
filmé ici, au naturel, par un paparazzi alors qu'il faisait ses courses
(le paparazzi a cessé de vivre peu après)


Et cela conclut le chapitre germanique des dérivés de la racine indo-européenne *uik-e-, “vaincre, triompher de”.



Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric



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(Mais de toute façon,
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Et pour nous quitter,

un morceau étonnamment moderne,

bien qu'il fut composé par le (germano-)danois

Friedrich Kuhlau, 1786-1832.

Friedrich Kuhlau



Voici donc, de Friedrich Kuhlau,

la Fantaisie pour flûte seule en ré majeur, opus 38,

interprétée par la sublime flûtiste allemande Elisabeth Wentland.

https://www.youtube.com/watch?v=be1jJCH32OU

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dimanche 18 avril 2021

ptāñäkte ñom klyoṣluneyā

                          




ptāñäkte ñom klyoluneyā


(par l'audition du nom du Bouddha”)




Il y a les grands Bouddha

et...
les petits Bouddha (ha ha ha)






Bonjour à toutes et tous,


Ce dimanche 18 avril 2021 marquera la fin de notre étude de *ḱleu-entendre”, cette incroyablement prolifique racine indo-européenne qui
- il faut bien l'avouer -
nous a menés par le bout de l'infixe nasal (blague de linguistes potaches) dans pratiquement tous les groupes linguistiques indo-européens...


En ce tout dernier dimanche en compagnie de *ḱleu-entendre”, nous terminerons par quelques-uns de ses dérivés en... tokharien.


🜛🜛🜛


Alors voilà,


faisons, une toute dernière fois, le point.




Nous savons déjà que le lud- de Ludwig en est un beau dérivé, par l'étymon germanique *hlūda-, “bruyant, sonore”....

Et aussi que ce *hlūda- est à l'origine de l'anglais loud, “bruyant, sonore”, ou encore du néerlandais luid, de même sens.

Nous avons ensuite appris que par *ḱleus-, une forme étendue de notre *ḱleu-entendre”, nous arrivaient notamment l'allemand lauschen et l'anglais listenécouter”.
The Audience is Listening, 27 décembre 2020

Nous avons découvert, également, que (notamment) le vieux norois hljóðécoute, son, silence”, l'allemand littéraire Leumundréputation...”, ou l'islandais hler, écoute, écoute aux portes”, en provenaient.



Nous savons encore, depuis le 10 janvier 2021, que de notre *ḱleu-entendre”, descendent l'islandais hlýr, joue”, avant d'un navire”, joue d'une hache”, ou même l'anglais (obsolète) leerjoue, visage, complexion...”.

Au nombre des dérivés latins, cette fois, de *ḱleu-entendre”, nous avons clueō, on m'appelle” et inclitus / inclutusillustre, fameux”, ce dernier emprunté... en italien, avec inclito, en portugais, avec ínclito, et en espagnol, avec ínclito.

En grec ancien, une myriade de dérivés nous attendaient, comme...
  • κλῠτός, klutós, “renommé, glorieux...”,
  • κλέος, kléos, “rumeur, renommée, réputation...” et une série de composés où il apparaît, de Ἀντίκλεια, Antíkleia, “Anticlée, à Κλεοπάτρα, Kleopátra, “Cléopâtre”, en passant par, par exemple, Εὐρῠ́κλειᾰ, Eurúkleia, Euryclée“.
Entre Anticlée et Euryclée, Ulysse ne savait pas trop à quel sein se vouer, 24 janvier 2021

Nous avons ensuite découvert quelques très beaux dérivés celtiques de notre *ḱleu-, comme...

le breton klevoutentendre ; ressentir”, le vieil irlandais rocluinetharentendre”, l'irlandais et le manxois cluin, le gaélique écossais cluinn, le gaulois clouiou, le gallois clywed, le cornique klywesentendre...”.

le dimanche indo-européen passe enfin à l'in*klus-ī-vité, 31 janvier 2021 

Toujours issus de la forme de degré zéro *ḱlu-to-, nous avons épinglé quelques jolis dérivés celtiques, issus du proto-celtique *kluto-, “renommée”, comme...
  • le gaulois cluto- (ou clouto-), “renommé, célèbre”,
  • le gaélique écossais Clota, “Renommée”, d'où l'anglais Clyde
  • l'irlandais cloth, “renommée, honneur, réputation”,
  • le gallois clod, “renom ; fameux, renommé”, ou encore
  • le breton klod, “gloire, renom”.
la Clyde est renommée. C'est comme ça., 7 février 2021 


Notons encore, au rang des dérivés celtiques de notre adorable *ḱleu-, les irlandais clú“réputation (favorable), louange, renommée”, et cluas, “oreille”, le vieil irlandais clúas, “oreille”, le gallois clustoreille”, ou encore le gaulois clutso- qui servira dans de nombreux toponymes, dont Les Clots (Savoie), Clot (Tarn, Gers et Alpes-Maritimes), La Clotte (Aude), Esclottes (Lot-et-Garonne)...
bíonn cluasa ar an gcoill, 14 février 2021
 Nous découvrions, le 21 février 2021, que la forme substantivée *ḱleu-os“renommée, gloire...” avait donné, dans les langues balto-slaves, des dérivés tels que le lituanien oriental šlavė, “honneur...”, le letton slava“renommée...”, le russe сло́во, slóva, “mot...”, et surtout, créé sur la sémantique du mot, l'ethnonyme Slaves (en russe, Славя́не, Slavjánje). 

Le 28 février 2021, nous examinions la descendance balte et slave de notre *ḱleu- via la forme de timbre o *ḱlous-, “renommée, gloire...” dont est issu l'étymon balto-slave *klouʔṣ- :

  • le letton klàusît“écouter, obéir”, 
  • le vieux prussien klausiton, “entendre”,
  • le russe слушать, “écouter”,
  • les chèques slyšet, “entendre”, et slušet, “convenir...”, 
  • le bulgare slúšam, “écouter ; suivre, obéir”...

Květiny, květiny, na zelené lučině, 28 février 2021


Le 7 mars 2021, toujours dans les langues baltes et slaves, nous retrouvions, vraisemblablement issus de *ḱleu-entendre” par un substantif indo-européen *ḱlēuh₁-
  • le lituanien šlovė̃“honneur, renommée”,
  • le mot slave сла́ва, slávagloire, renommée...”,
et puis aussi tous ces anthroponymes créés sur le suffixe -slav, de Станислав, Stanislav, à Ярослав,Iaroslav, en passant par Мстислав, Mstislav...


Le 14 mars 2021, nous examinions les dérivés laissés par les étymons slaves *sluti-, “être appelé” et *slȗxъ, “ouïe, rumeur”,

le premier donnant notamment...

  • le vieux slavon d'église слоути, sloutiêtre connu (comme, en tant que) ; exprimer par des... mots” et
  • le russe слыть (sleutjʹ), “passer pour, avoir la réputation de, être réputé...”, et

le second, entre autres...

  • le vieux slavon d'église ⱄⰾⱆⱈⱏ, slouxŭ“rumeur, nouvelles ; ouïe ; oreille”, ou
  • le russe слух, sloux“ouïe ; oreille”, rumeurs, ouï-dire ; nouvelles”.

Отчего́ прослы́л я шарлата́ном ?, 14 mars 2021

C'est le 21 mars 2021 que nous nous pâmions devant le verbe albanais  quajappeler, nommer...”, et l'un de ses composés, shqúaj, “distinguer, discerner, rendre visible...”.

Unë quhem Bond, 21 mars 2021

Le 28 mars 2021, nous restions sous le charme des arméniens classiques...
  • լսեմ, lsem, “entendre, écouter”,
  • ու, luouïe”, 
  • լուռ, luṙ, muet, silencieux”, 
  • հլու, hluobéissant, docile”
  • լուր, lur, renommée, rapport (que l'on fait sur quelqu'un)”,
ոչ լսեն ինձ., 28 mars 2021

Le 4 avril 2021, il s'agissait de passer en revue quelques-uns des plus beaux dérivés iraniens de notre douce racine :
  • l'avestique srao-entendre, écouter”,
  • le pahlavi srāy-, chanter”, 
  • le perse šenîdan, entendre”,
  • le perse sarvâ “poème, histoire”,
et surtout Sraosha, ce Yazata qui veille à l'Observance des Lois Divines, dont le nom peut se traduire par "Obéissance, Audition, Écoute".

Rimski-Korsakov se serait-il inspiré de Ludwig van Beethoven pour son Schéhérazade ?, 4 avril 2021

Enfin,  le 11 avril, c'est estomaqués, pantois, que nous découvrions quelques-uns des dérivés sanskrits de notre belle *ḱleu- :
  • श्रुत, śruta“entendu”,
  • श्रु, śruentendre, écouter, apprendre”,
  • श्रोषति, śróṣati, écouter, obéir”,
  • श्रवस्ś, srávas-, “renommée, honneur...”
  • वसुश्रवस्, vasuśravas“qui a bonne réputation”,
  • उरुश्रवस्, Uruśravā, “à la gloire étendue”,
  • श्रवस्यति, śravasyáti“souhaiter louer (un dieu)”.

🜛🜛🜛



Bon, allons-y...





Pour les petits nouveaux,


je précise que cette langue que l'on appelle tokharien
- ce nom lui fut en réalité donné par le philologue et orientaliste allemand Friedrich W. K. Müller (1863 – 1930) -,
cette langue, donc, se parlait dans le bassin du Tarim, l'actuelle région autonome chinoise du Xinjiang, et a disparu il y a environ un millénaire.



Elle a disparu, certes, mais...
verba volant, scripta manent -
en laissant des écrits !



Eh oui, la langue tokharienne est particulièrement bien attestée.

Elle constitue, avec ses deux variantes A et B, la langue la plus orientale des langues indo-européennes.


Et OUI, je vous l'accorde, plutôt que de parler de langues tokhariennes A et B, il conviendrait plutôt de mentionner les langues Arśi et Kuči, ou encore l'agnéen (tokharien A) et le koutchéen (tokharien B). 

Mais bon, moi, j'aime bien parler du tokharien.


tokharien A (oriental) - Arśi - agnéen 
tokharien B (occidental) - Kuči - koutchéen



Pour ce chapitre tokharien, je ferai appel à Gerd Carling



et à son A Dictionary and Thesausus of Tocharian A, Vol 1 : Letters a-j,




ainsi qu'à Douglas Q. Adams



et à son A dictionary of Tocharian B.




Aaaah, notre jolie *ḱleu-entendre” est vraiment bien représentée en tokharien...

Si vous avez suivi ses pérégrinations depuis le début, vous allez être ravis de retrouver ici, à travers ses dérivés tokhariens, la sémantique déjà présente dans d'autres groupes de langues.


Mais commençons par le commencement.

tout est là...



Avec le verbe “écouter, entendre”,  klyoṣ- en tokharien A, et klyauṣ- en tokharien, en tokharien... B. Bravo !

  • tokharien A klyoṣ-“écouter, entendre”,
  • tokharien B klyauṣ-, “écouter, entendre”.




En tokharien A, citons un beau dérivé de klyoṣ-klyioṣäl, pour “audition”.

  • tokharien A klyioṣäl, “audition”.


Mais il y a encore, toujours en tokharien A, klyoṣlune, qui, lui, signifie... “audition”....

- Audition ??? Mais Blondieau, tu VIENS de nous donner klyioṣäl...
- Oui, oui, et si vous me laissez terminer ma phrase, ça ira encore mieux...


Klyoṣlune signifie, disais-je, toujours “audition”, oui, mais dans un sens abstrait.

  • tokharien A klyoṣlune, “audition” (sens abstrait).

Et c'est ici qu'interdits, vous relisez le titre et/ou le texte en exergue,

ptāñäkte ñom klyoluneyā

(par l'audition du nom du Bouddha”)

que vous comprenez soudain qu'il s'agit de tokharien A, (klyo... et non klyauṣ...),



et prenez conscience que cette forme klyoluneyā n'est qu'un avatar de notre klyoṣlune, “audition”, une forme déclinée, ici à l'instrumental.




Vous pouvez parfaitement traduire le reste, maintenant, non ? 

Car ñom est bien le tokharien A pour nom
(rappelez-moi : qui a dit que le tokharien A était compliqué ?),

et ptāñäkte est le génitif de ptāñkät,
lui-même vil emprunt au sanskrit बुद्ध, bouddha, litt. “éveillé, participe passé passif du radical sanskrit बुध् budh-“s'éveiller”.

non, vous ne vous réveillerez pas plus sage après plusieurs Budweiser
(humour polyglotte)


Et j'avoue que moi, ce tokharien ptāñkät me donne furieusement envie, non pas de petits Bouddha - ha ha ha -, mais de... crêpes (crêpe se disant pannekoek en néerlandais)...

Et c'est d'autant plus intenable que je me suis mis au régime...




Allez, poursuivons.


Sur klyoṣlune, le tocharien A a créé l'adjectif... klyoṣluneṣi, propre à l'audition”.

  • tokharien A klyoṣluneṣi, propre à l'audition”.


Toujours en tokharien A, épinglons klyw-réputation, renommée...
Et en tokharien B, kälywe.

  • tokharien A klyw-réputation, renommée...,
  • tokharien B kälywe, réputation, renommée....




On poursuit ?

L'oreille se dira... klots en tokharien A, et klautso en tokharien B.

Amusant, curieux, surprenant, non, ce rapprochement que nous pourrions faire entre le tokharien B klautso et... le gaulois clutso-, désignant lui aussi l'oreille ? Eh !

  • tokharien A klotsoreille,
  • tokharien B klautsooreille.


Sur le duel
(un pluriel mais uniquement de deux, que l'on prend en tant que paire, couple... ; pensez au latin ambo ou à l'espagnol ambos, les deux,  à l'anglais both...)

de klots s'est créé, en

- forcément -
tokharien A, l'adjectif klośnāṣi“propre aux oreilles

  • tokharien A klośnāṣi“propre aux oreilles.

oreilles propres



La gloire ! 

Mais oui, il était déjà question de gloire, chez les Tokhariens.

En tokharien B, gloire peut se traduire par... klāwi.

  • tokharien B klāwigloire


Ah, la gloire, la renommée ! Concept essentiel, visiblement, aux yeux de ceux que l'on appelle les Indo-européens...

On la connaissait encore sous un autre nom, en tokharien A : klyu ; cadeau béni des dieux, car voilà devant nous un magnifique cognat (formel et sémantique) du vieil irlandais clú, “renommée, rumeur”...

Vous rendez-vous compte ?
Nous venons de créer un véritable pont linguistique entre le bassin du Tarim et l'Irlande, rien que ça. 
Même si certains seraient encore capables de vous expliquer que l'indo-européen est une f*taise, qu'il ne s'agit ici que d'emprunts entre langues, que les anciens Irlandais devaient probablement prendre leurs vacances là-bas, à quelques milliers de kilomètres vers l'est... 


Et si vous associez à klyu le mot tokharien A désignant le nom (oui ? oui oui ? on relit le titre ?), eh bien, vous obtenez ñomklyu, pour la gloire du nom.

En tokharien B, on parlera de ñemkälywe.

  • tokharien A klyugloire, renommée..”, d'où ñomklyu pour gloire du nom”,
  • tokharien B kälywegloire, renommée..”, d'où ñemkälywe pour gloire du nom


Enfin
- et ce sera le dernier, le tout dernier dérivé que nous retrouverons de notre jolie *ḱleu-entendre” -,


je vous propose le verbe tokharien B klāw-

- dont, pour tout vous dire, klāwigloire” n'est qu'un dérivé nominal -,
qui signifie... “être appelé, être nommé..., et qui nous permet ainsi de replonger dans ce concept central aux Indo-européens, remarquablement véhiculé par notre petite *ḱleu-, où la gloire est étroitement liée à ce que l'on a entendu de vous, aux mots que l'on utilise pour vous nommer...
  • tokharien B klāw“être appelé, être nommé...”. 






Ben... voilà.

Nous avons fait, à notre façon, le tour de l'indo-européenne *ḱleu-entendre”, et avons pu savourer, encore une fois, à quel point les liens existent entre des mots lointains, tokhariens, sanskrits, arméniens, albanais, slaves, celtes, germaniques, grecs, romans....

Avez-vous, comme moi, apprécié la cohérence de sens que l'on peut retrouver dans ces dérivés, pourtant si variés, de notre belle racine ?


Sans rire, auriez-vous pu imaginer qu'en partant de Ludwig, nous en serions arrivés au tokharien B klāw“être appelé, être nommé...?



Merci, petite racine, merci à tous les linguistes qui nous permettent, par leur travail invraisemblable, de faire jaillir de si beaux liens entre nos langues,

et puis...

merci à VOUS, amies lectrices, amis lecteurs, d'être là.


Ah oui, je vais quand même le préciser : comprenez bien que je ne pratique pas l'écriture...
- deux secondes, pardonnez-moi -



inclusive

- désolé, pardon -,
 
et que donc, ce Bonjour à toutes et tous par lequel j'ouvre l'article, et maintenant ce VOUS, lectrices, lecteurs”, sont à prendre comme une marque d'estime particulière que je fais à mes lectrices (mais oui, pour moi, le générique lecteurs suffit à inclure lectrices).
Car, bien souvent, ce sont elles qui se manifestent, et m'encouragent.

Et puis, les statistiques de mon site ne peuvent mentir : c'est toujours une majorité de femmes qui me lisent. C'est comme ça.

Ce qui ne m'étonne pas outre mesure, en fait : il m'a toujours semblé que la langue, quelle qu'elle soit, d'ailleurs, ressort naturellement du féminin

Visitez une école d'Interprètes pour vous en rendre compte.

Séance de Proclamation des Résultats de 2ème session à la
Faculté de Traduction et d'Interprétation de Mons



Protégez-vous, prenez soin de vous et de vos proches, 
Portez-vous bien.




Frédéric



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Et pour nous quitter,

et retourner à la maison, après un aussi long périple,


un morceau, non pas oriental, mais franchement occidental.

Qui parle même de la Virginie-Occidentale, West Virginia.


Voici donc une reprise de 

Take Me Home, Country Roads, de John Denver,

par The Petersens,

un groupe familial du Missouri,
dont le style est délibérément

- voyez leur mise -

bluegrass.


Bon, pardonnez à la cadette ses charmants petits rires nerveux (ils s'atténueront une fois qu'elle aura vu le loup), mais appréciez surtout et pleinement la qualité remarquable de l'interprétation, en direct, en plus.

Les voix, les musiciens, le talent, quoi...

Tout est là.

https://www.youtube.com/watch?v=qap9Qm-Q894

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