- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -
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dimanche 8 mai 2016

Mais regardez-moi ce prétentieux me toiser ainsi du regard! Impertinent, va.



Je suis François, (dont ce me poise)
Né de Paris, emprès Pontoise,
Et de la corde d’une toise
Saura mon col que mon cul poise

"Je suis François, (ce qui me peine) 
Né à Paris, près de Pontoise, 
Au bout de la corde d'une toise 
Mon cou saura ce que mon cul pèse"

François Villon



Bonjour à toutes et tous!


Ah, dimanche dernier, le cœur au ventre, le regard porté loin devant (sur les sommets), plein d'espérance, nous commencions sereinement l'étude longue, difficile, épique, de la formidable racine proto-indo-européenne *ten-, “étendre, étirer”.

"de glorieux linguistes historiques se mettant en marche" (traduction littérale)

(rien à faire, les discours syndicalo-dichotomistes du 1er mai me font toujours beaucoup rire.)

Notez, eux me font rire, d'autres me font peur.
Peter Sellers dans Dr. Strangelove, Kubrick, 1964



Nous avions déjà parcouru quelques-uns de ses dérivés, à *ten-, basés sur le latin tendō, tendere (“tendre”, “tendre à”...).

Mais comme je vous le disais, c'est pas fini!


Sur tendō, tendere, le latin avait également créé praetendō, praetendere.
Tendre en avant, prétendre.

Eh oui, nous en avons hérité prétendre.

Prétention est en réalité un dérivé savant de praetentus, le participe passé de praetendere.

En français, le mot sera employé, dans le vocabulaire juridique, avec le sens de “droit que l’on a - ou que l’on croit avoir - d’aspirer à quelque chose”.

Puis, il revêtira le sens de visées, intentions, ou encore exigences (dans un contrat)
On parlait d’un homme à prétentions, ou sans prétention. 

Prétentieux en découle,
“Qui estime avoir de nombreuses qualités, des mérites, qui affiche des prétentions excessives”.


Notre verbe prétendre a quelque peu évolué, mais son sens premier est toujours bien présent, même si plus ou moins caché.

Ainsi, quand nous parlons de prétendre à un titre, à une responsabilité, pour “les revendiquer”. 

Ou quand nous l’utilisons pour signifier “affirmer avec force; oser donner pour certain (mais sans nécessairement convaincre)”.

En anglais, le verbe n’a été conservé que dans un sens plutôt péjoratif.
To pretend, c’est - sciemmentconsciemment - feindre, simuler. 
Et dans le meilleur des cas: faire semblant.


The Great Pretender, 
The Platters, 1955


Le participe passé du latin tendere, c’était tensus, “tendu, étendu”.

Au féminin? Tensa.

On substantiva cette forme féminine, pour en faire tensa, “l’étendue”.

Passée en latin populaire, elle deviendra *tesa, *teisa, *toisa.

Et finira par nous donner le français… toise (première moitié du XIIème siècle).

La toise était une mesure de longueur, équivalant à six pieds (+/- 1,80 m), donc à la brasse ou à l’anglais fathom
(oh, mais oui enfin, relisez au briefing, on a insisté sur le port de brassards fluo).
Elle sera abandonnée avec l’instauration du système métrique, en 1795.
Mais on ne l’a pas entièrement oubliée…

Elle a survécu par son dérivé toiser, qui signifiait bêtement, littéralement “mesurer à la toise”, et qui s’emploie maintenant comme jauger avec dédain.


Vous pouvez toujours compter sur le cinéma expressionniste allemand 
pour vous montrer ce que doit être un bon toiser du regard.


De toiser est tiré le déverbal toise, “tige graduée pour mesurer la taille de quelqu’un”.

la fameuse toise


Pensons encore à l’entretoise,
pièce de bois qui relie, dans un écartement fixe, les éléments d’un assemblage.




Bon, continuons.
Nous connaissons encore, parmi les dérivés de tendere, cet ...
organe conjonctif, fibreux, d'un blanc nacré, qui prolonge un muscle jusqu'à ses points d'insertion,
j’ai nommé le … tendon! 

Et à sa suite, hélas, la douloureusement célèbre tendinite.



- Ouais bon. Et donc, aussi tous ces termes médicaux en téno- pour “relatif au tendon”: ténalgie, ténopathie, ténoplastie, ténotomie…
- Ben, en fait euh… non. Oui, mais non.

Car ces mots français en téno- ne proviennent pas du latin tendere.
Non, eux proviennent du grec ancien τένων, ténôn (« tendon »).

Mais rassurez-vous!
Ce qui est ab-so-lu-ment formidable,

c'est trop for-mi-da-ble!
c’est que le grec τένων, ténôn descend bien de notre indo-européenne *ten-, mais ici par sa forme suffixée *ten-ōn-.

En latin, τένων, ténôn, se retrouvera sous la forme tenon (tendon), apparenté à … tenens.
Tenens, le participe présent de teneō, tenēre, (notamment) “tenir, retenir, comprendre”…

Ce latin teneō, tenēre provient, lui aussi, de notre proto-indo-européenne *ten-, mais cette fois par une forme *ten-ē-, au suffixe statif *-ē-.
En d’autres termes, ce *-ē- indique un état permanent.
Alors qu’au latin tendō, tendere était donc réservé le sens de “tendre”, teneō signifiait plutôt tenir, mais avec une idée de continuité
(mais oui, pensez à ce fameux état permanent que marquait le suffixe proto-indo-européen *-ē-)
Ainsi, teneō pouvait s’employer dans le sens de “se maintenir dans une position”, “se maintenir dans une direction”…



En emploi absolu, teneō signifiait donc durer, persister, se maintenir.

Et employé transitivement, le verbe signifiait tout simplement "avoir (quelque chose) en main".
Ben oui: tenir. 

Le français a hérité de ces très très anciennes acceptions: nous pouvons tenir quelque chose en main, mais aussi et surtout, dans un emploi absolu, nous tenons! Nous tenons bon.
"Tenir, les gars, tenir!" nous disait, à notre peloton, notre formidable sergent-instructeur, au service militaire... 

Outre tenir en français, tenēre donnera notamment tenere en italien, ou encore tener en espagnol, où le sens s'est généralisé pour signifier "avoir".

expressions espagnoles avec "tener"


Et maintenant vous savez pourquoi il me semblait particulièrement à propos de traiter de *ten- étendre, étirer” après avoir étudié *dher-2,tenir fermement!
(relisez Le bon roi Darius 1er a mis son churidar à l'envers)

Car de l'expression "tenir fermement", vous connaîtrez ainsi, et la racine proto-indo-européenne qui se cache derrière "fermement", et celle à qui nous devons "tenir".



Bon!

Teneō, on lui doit aussi une série de dérivés, je vous dis pas

Je vous ferai grâce, évidemment, des détenir, contenir, retenir, soutenir, maintenir

Mais que penseriez-vous de … appartenir?

Le français appartenir est un emprunt au latin tardif appertĭnere, composé de ad- (ici indiquant l’addition, le renforcement) et de pertĭnere.

Quant à pertĭnere (composé de l’intensif per- et de, de, de… OUI, bravo! tenēre), il signifiait “tendre jusqu’au bout, jusqu’à”, “s’étendre de manière continue”, “s’appliquer à, tendre à, concerner”…
Ah oui, pour ce qui est du passage de appertĭnere à appartenir, on suppose que appertĭnere a évolué en une forme intermédiaire *appartĭnere sous l’influence du latin pars, partis (“part”), phénomène vraisemblablement lié à une mauvaise compréhension du mot, l'étymologie populaire croyant déceler dans le mot la présence de pars, partis.
De “s’appliquer à, concerner” proviendra le sens du français appartenir, en un premier temps “faire partie de”, puis ensuite, rapidement, “être la propriété de”.


"La République est proclamée à Rome. L’Europe s’émeut, la chrétienté s’inquiète. Pourquoi ? c’est que Rome n’appartient pas à Rome, Rome appartient au monde. Grandeur immense, mais qui contient une servitude, comme toute grandeur.

Il y a quelque chose de plus grand pourtant que d’appartenir au monde, c’est de s’appartenir à soi-même. Rome n’est qu’un temple, et veut redevenir un peuple. Elle est lasse qu’on s’agenouille chez elle, elle veut qu’on s’agenouille devant elle. Rome a raison. Qui sera fière si ce n’est Rome ? Qui sera libre si ce n’est Rome ? Plaudite, cives."

Victor Hugo, 
Œuvres complètes, Choses vues



- Pertĭnere?? Mais alors…
- OUI, pertinent nous en vient!

Notre adjectif pertinent provient du latin pertinens, participe présent de pertĭnere.

On retrouve toujours l’influence de pars, partis dans son dérivé ancien français partenir, sorti d’usage avant le XVème, et qui signifiait “être en rapport de famille avec”, ou encore “posséder, convenir à”.
Il fut en partie évincé par … appartenir.

Pertinent s’employait avant tout en droit, et désignait ce qui se rapporte à une question.

A l’origine, impertinent signifiait d’ailleurs “qui ne se rapporte pas à la cause”.

Ce n’est qu’à partir du XVème que le mot en viendra à signifier “inconvenant, malséant…

Charb l'impertinent


Et les amoureux de la langue de Shakespeare l’auront compris: to pertain ("appartenir") est calqué, du moins partiellement, sur le vieux français partenir.
Partiellement, oui, car ce per- est bien d'origine latine...



Allez, la liste des dérivés de *ten- est LOIN d'être finie, croyez-moi...

Pour la suite: dimanche prochain.

(et ici, il fait SUPERBE!!!)






Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très bonne semaine!




Frédéric



Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen 
CHAQUE JOUR de la semaine!

(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).



Ah, le printemps...

Ci-dessous, la délicieuse sonate pour violon No.5 en Fa mineur - Op.24 - de Beethoven,
"Printemps"

avec
Maria João Pires au piano et Augustin Dumay au violon.

Quelle interprétation, quelle communion, surtout!

Ces merveilleux interprètes me rappellent
- et c'est plus qu'élogieux! -
le duo Clara Haskil - Arthur Grumiaux.



article suivant: répétez après moi: "je suis content, ici et maintenant, je suis content, ici et maintenant..."



dimanche 1 mai 2016

quand Fouquet souffrait du talon d'Achille, il s'accrochait aux tentures




Jamais surintendant ne trouva de cruelles.
- L'or, même à la laideur, donne un teint de beauté.

Satires (1660-1711)

Nicolas Boileau-Despréaux

Boileau














Bonjour à toutes et tous!

Dimanche dernier, nous terminions notre tour des dérivés de *dher-2,tenir fermement”.

Alors, je me suis dis que c’était peut-être le moment de vous parler de la racine proto-indo-européenne...

*ten-.

Étendre, étirer”.

Vous comprendrez bientôt pourquoi…

Ce que je peux déjà vous dire, c’est que notre proto-indo-européenne a été particulièrement prolifique.

Qui plus est, nous en retrouvons de très lointains descendants dans pratiquement tous les groupes de langues indo-européennes.


Une forme de *ten- suffixée en *-do-*ten-do-, se retrouve dans le proto-italique *tend-, qui donnera le latin tendō, tendere: “tendre”, “tendre à”.
Ou encore “rendre droit”, “déployer”.


De là, une ch... euh une flopée de dérivés français!
Certains parfaitement prévisibles, mais d’autres, franchement…


Alors!

Ben oui, évidemment, nous lui devons, à notre latin tendere, notre verbe français tendre.
(J'espère ne pas vous surprendre)
D’où aussi tendu, ou le terme de chasse tenderie, à l’origine “action de tendre”.

Mais non, enfin, oh! Pour la dernière fois:
NON, JE NE SUIS PAS TENDU!
(The Fall, BBC)


Et si vous avez fait du camping, vous connaissez cette abomination qu'est le tendeur, destiné à vous faire mal, à vous blesser, à vous faire trébucher.

saletés de tendeurs


Et il tend quoi, le tendeur, hein? Ben oui: la tente! 

Mon grand frère Jean-Luc, devant la tente familiale
(vacances au Danemark, 1965 je crois)
(Et ici, toujours Jean-Luc, avec ma mère et moi, et la 2CV)

Sur l’un des supins du latin classique tenderetensum, s’est formé le bas-latin *tenda (ce qui est tendu), qui a son tour donnera, par exemple,
  • l’italien ou le portugais tenda
  • le roumain tinda, l’espagnol tienda, ou 
  • notre français tente (qui lui provient plus précisément de l’ancien occitan tenda, emprunté au latin médiéval tenda).

Pour ce qui est de l’espagnol tienda, le mot signifie bien “tente”, mais aussi et surtout le magasin.
Le terme nous rappelle ainsi que les premiers magasins étaient des échoppes, de simples structures tendues de toile

tudieu, ÇA c'est de la tienda!



Nous avons “tente”, mais aussi… tenture.
Notamment “ensemble des éléments destinés à décorer les murs d'une pièce, d'une salle”
En français de Belgique, les tentures, ce sont aussi des rideaux épais.

rideau et tenture


Le verbe latin attendō, attĕndĕre se composait du préfixe ad-, et de - comme c'est surprenant - tendō.

Il devait à l’origine vraisemblablement s’employer pour signifier “tendre la corde de son arc, en pointant une cible”.
C’est en tout cas ce qui expliquerait ses acceptions: “faire attention”, “prêter attention”, ou encore “se tourner, se diriger vers”.



Et OUI, c’est à attendō que nous avons emprunté ... attendre.



- Mais, euh, quel est le rapport entre “faire attention” et “attendre, patienter”?
- C’est une bonne question.

Clairement, les sens modernes du mot, “demeurer jusqu’à l’arrivée de quelqu’un, d’où “patienter”, sont propres au domaine gallo-roman.
On les retrouve dès l’emploi du mot en français, au XIème siècle (sous la forme “atendre”), mais on suppose qu’ils s’étaient déjà développés (oralement) en roman.

On peut cependant facilement imaginer ce joli glissement de sens, de “faire attention” (à quelque chose ou à quelqu’un)” vers attendre: “faire attention (à ce qui va arriver)”.

Mais cela nous explique aussi pourquoi ce faux ami d’anglais “to attend to” ne signifie nullement attendre, mais bien “faire/prêter attention à, s’occuper de”.

Car évidemment, l’anglais to attend provient du vieux français atendre, du temps où il voulait toujours bien dire “faire attention à…”.

Et les différentes acceptions, bien actuelles, de l'anglais attend sont toujours basées sur cette idée de “faire attention”: “servir, être au service de”…

Même celle qui signifie “être présent, assister (à une réunion)”.

Mais oui: être présent, c’est être là, au sens propre comme au sens figuré (“je suis là pour toi”) ; c’est parce que vous prêtez attention à ce qui se dira à cette réunion que vous y assisterez… (enfin, en théorie ; c'est ce que vous faites croire à vos collègues, à votre chef ou à votre client).
Il est amusant de constater la similitude de sens entre l’anglais “to attend” et le français “assister”: tous les deux peuvent s’employer dans le sens d’être présent, et aussi d’être au service de.

Peut-être n’avez-vous jamais fait de camping. Admettons.

Mais alors, avez-vous joué au train électrique? 

Derrière la locomotive à vapeur se trouvait le fameux ... tender.



Tender est un emprunt de la première moitié du XIXème à l’anglais …tender, mot du XVème, dont le sens se spécialisera plus tard comme - qui l'eut cru - terme de chemins de fer.

Le tender, c’était ce - je cite Le Grand Robert - wagon auxiliaire qui suit une locomotive à vapeur et contient le combustible et l'eau nécessaires à son approvisionnement.

Et l’anglais tender, à l’origine, basé sur “to tend”, "servir quelqu’un", désignait le serviteur.


Bon, vous pouvez aisément le supposer, du latin tendere, nous trouverons encore les français étendre, détendre, tension, extension…

des poufs, rien de tel pour se détendre


Mais il y en a d’autres, de dérivés de tendere, auxquels on ne penserait pas tout de suite…

Il suffit pourtant de se rappeler que le latin attĕndĕre (ad-tĕndĕre), signifiait notamment faire attention, prêter attention…



Car attentif descend du supin de attĕndĕre: attentum. 
On y retrouve admirablement bien le sens de départ, loin de la notion d’attente.

Et si attentif en descend, il en est évidemment de même pour attention, emprunt au latin attentio, toujours construit sur attentum.

Ou pour attentionné.
Encore une fois, vous y retrouvez, sans aucune altération, le premier sens de attĕndĕre.



Tendance, à la fin du XIIIème, désignait l’inclination amoureuse
Puis “force tendant vers une fin”.

On oubliera le mot jusqu’au XVIIIème, où la physique le récupéra en tant que “force par laquelle un corps tend à se mouvoir dans un certain sens”.

Tendance se dira également de ce qui porte une personne à agir, à se comporter.
D’où “avoir tendance…”.

Et maintenant, on dira, surtout sur Paris, “être tendanceuh”, pour être dans le dernier courant de la mode.

Imaginez la presse magazine sans le mot tendance!
Mais malheureux, vous supprimeriez des centaines de jobs! 

"La barbe colorée, nouvelle tendance masculine ?"
Masculine, pas sûr.


Tendancieux“qui manifeste des préjugés”qui n’est pas neutre ni objectif, date lui de 1904.



Le latin classique connaissait un autre composé de tĕndĕre: intendere.

“Tendre vers”, “tendre, diriger (son regard, son esprit, son attention… vers)”. 

Par extension: comprendre, ouïr. 

Eh bien oui!

Notre “entendre” en est un beau dérivé.
D’où aussi nos entente, malentendu, entendement, mésentente, sous-entendu…

Mais aussi... intention! 
Emprunté au latin intentio “tension, action de tendre, intensité…”, dérivé de intentum, supin de intendere.

Et intense.

Intention, intensité, bon d’accord, on pouvait s’en douter.


Mais que diriez-vous de … intendance?

Intendant provient, par aphérèse, au XVIème, du moyen français surintendant.
Lui-même issu du moyen français… superintendent.
Aphérèse? Mais oui, on a déjà dû en parler (guet provenant par aphérèse de aguet, une embuscade pour quelques pounds, quelques pesetas??)

L’aphérèse est simplement la chute d’une lettre, ou d’une syllabe, au commencement d’un mot.
Un exemple? Eh bien, c'est une belle aphérèse qui explique notre orange
À l’origine, l'espagnol naranja, qu’on emprunta sous la forme “une orange”: le n disparut du mot français, mais pour se conserver ... dans l’article ; les pauvres francophones de l’époque n’ayant probablement pas capté que le son faisait partie du mot, pas de son article. 
Pauvres taches.
(Dans ce cas particulier, où l’on crée de nouveaux mots en se plantant lamentablement sur la découpe du mot original, on parle d’aphérèse par déglutination. Sans rire).

naranja, et...
... une orange: vous constatez que c'est la même chose



Mais continuons:
Le latin médiéval superintendens, que nous avions emprunté pour former superintendent, était le participe présent du bas latin superintendere, “surveiller”, formé de super- (“sur-”) et de intendere (je le rappelle? “tendre vers”, d’où “diriger son esprit vers quelque chose”).

Par changement de préfixe, superintendant devint ... surintendant.

Le surintendant était celui qui avait la gestion, l’administration de quelque chose “au-desssus” des autres.
Le surintendant des Finances, mais c’était un ministre!

Nicolas Fouquet, surintendant des finances

L’intendant désignait un agent du pouvoir royal, mais par analogie, il finira par désigner toute personne qui administre des biens.

Intendance, à l’origine proprement “fonction de l’intendant”, en est venu à désigner le corps des fonctionnaires militaires préposés à l'administration de l'armée, puis les tâches économiques de l’État.

Approvisionnement des biscuits de guerre de l'intendance militaire
française, site de Calais (source)


Si vous aimez les séries policières britanniques, vous saurez qu'en Grande-Bretagne, le superintendent of police, c’est encore le commissaire (de police, pour les moins bien comprenants).

Mais le superintendent est aussi, plus généralement, un chef, un directeur dans certaines institutions.


DSI (Detective Superintendent) Stella Gibson,
jouée par Gillian Anderson, The Fall (BBC)
Superintendant Ted Hastings,
interprété par Adrian Dunbar, Line of Duty (BBC)


Ostensible!

Eh oui, aussi dérivé de tendō, tendere.
Ostendere (ob (“devant”) - tendere) signifiait littéralement “tendre devant”: montrer.

En latin médiéval, on trouve ostensibilis: qui paraît.

Ostensible signifie théoriquement, et en toute logique “qui peut être montré”.
Aujourd’hui, pourtant, on l’emploiera plutôt pour désigner “ce qui est fait pour être montré, pour être remarqué”.


Ostentatoire? voyant, tapageur.

Se dit souvent de ce luxe clinquant dans lequel baignent ces gens qui ont nettement plus d’argent que de bon goût.

Comme ici: la collection de voitures d'un fils à papa milliardaire et saoudien.
Pour l'anecdote, ça se passe à Londres, et il ne daignait pas s'acquitter des
frais de stationnement de ses voitures.
Ici, un Londonien a recouvert sa Ford Ka de papier doré, et l'a garée derrière
la file de voitures du coco en question.
Moi j'aime bien


Vous pensez qu’on en a fini?

Vraiment?

Que nous avons fait le tour des dérivés de notre latin tendō, tendere?


Mais nous encore PLEIN de choses à en dire: ce sera pour dimanche prochain.





Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une très très bonne semaine!




Frédéric


Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen 
CHAQUE JOUR de la semaine!

(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).


Suite, tirée de Alceste ou le Triomphe d'Alcide, 1674, de
Giovanni Battista Lulli,
surintendant de la musique de Louis XIV