- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 janvier 2023

“Le fanatisme est un monstre qui ose se dire le fils de la religion.” - Voltaire





Le prodige et le monstre ont les mêmes racines.


Et ce n'est pas moi qui le dis, mais...

Victor Hugo,

dans

La Légende des siècles,
Le cycle pyrénéen,



Illustration (plume, lavis d'encre, fusain et aquarelle)
réalisée pour La Légende des Siècles
par Victor Hugo lui-même, en 1860





Chers lecteurs, bonjour.



Nous continuons aujourd'hui à creuser, creuser...


autour du latin moneō« faire savoir, faire se souvenir, faire songer à », « avertir, recommander, instruire, annoncer, prédire, conseiller... », issu de notre belle racine proto-indo-européenne...

le grand architecte espagnol Rafael Moneo, pensif

*men-« penser ».


Psss, tout à fait entre nous :
pour retrouver le résumé des articles précédents de cette étude, voyez :



Je vous l'avais dit : le latin moneō n'a pas fini de nous étonner...

Il était un terme latin du vocabulaire religieux, construit sur moneō, qui désignait un signe divin qu'il vous fallait déchiffrer. 

Vous comprendrez mieux le lien sémantique qui pouvait exister entre ce mot et notre moneō si je vous dis que ce signe des dieux, ce présage, était supposé... avertir les hommes de la volonté des dieux.

Prêtre romain à qui un signe divin annonce
qu'il va se brûler les doigts, et prévient aussi de l'incendie de Rome



Et ce mot latin par lequel on définissait un avertissement des dieux, c'était... mōnstrum.

Oui. Vous devinez déjà ce que mōnstrum nous a donné en français...

Mais pour comprendre les méandres sémantiques par lesquels est passé ce mōnstrum latin, sachez qu'il perdra progressivement sa nature de présage divin, pour finalement désigner tout objet de caractère exceptionnel.

Il s'appliquera encore particulièrement, dans la langue chrétienne, aux démons.




Et NON, n'y pensez même pas, il n'existe aucun lien étymologique entre mōnstrum et démon.


Vers 1120,
et grâce à Alain Rey,
je peux vous dire que le français a emprunté ce beau mōnstrum, pour en faire monstre, et l'a tout d'abord utilisé dans son sens de « prodige, miracle ».

En 1541, on le retrouve, sous la plume de Calvin, au sens d' « action monstrueuse, criminelle ».

Illustration victorienne : Jack l'éventreur



Mais toujours au XVIème, un peu plus tard (1580), il est toujours attesté au sens de « chose prodigieuse, incroyable ».



Et c'est encore du latin mōnstrum qu'est issu cette fois
- et non plus emprunté, hein -,
via le latin populaire mostrare / monstrare, notre français... montrer, qui, à partir du bas latin mostrare / monstrare, a été repris, avant 950 !, sous la forme mostrer.





Le latin mostrare / monstrare, en passant de la langue religieuse à la langue
- pardonnez-moi, ma nausée revient -

commune

avait
- évidemment, c'est tellement convenu -

perdu tout sens religieux, et ne signifiera plus que « désigner, indiquer », voire « conseiller ». 


« Conseiller » ? Oui, on peut au moins le lui reconnaître, en passant du sacré au profane, il a cependant conservé cette acception héritée de son illustre ancêtre le latin moneō.

Quant à notre ancien français mostrer, il prendra comme sens premier,
et à la suite du sens profane de mostrare / monstrare,
« mettre devant les yeux, exposer aux regards ».

Sens que l'italien mostra a par ailleurs conservé (salon, exposition...).
Ici, la célèbre Mostra de Venise



Nihil novi... La vanité du monde n'est pas nouvelle, loin s'en faut...
Et il est intéressant de noter que dès le XIIème, se montrer a pris le sens de « paraître en société ».

des influenceuses (avant, on aurait parlé de pét*sses),
ou le règne de la vanité et des apparences



Et donc, OUI, monstre et montrer sont étroitement apparentés, mais pas comme l'étymologie populaire peut nous le raconter, qui fait de monstre un dérivé du verbe montrer (dans ce sens-là !) -, le monstre étant celui qu'on montre du doigt.

Disons que c'est... gentillet.




Montre ? Ouiiii, la montre, cette horloge portative, prend son nom du cadran de l'horloge, que l'on appelait, entre la fin du XVème et la fin du XVIème, « montre » tout simplement parce qu'il... montrait l'heure.
Parfois, l'étymologie est tellement simple quand elle ne nous fait pas chercher midi à quatorze heures. (Pardonnez-moi cet humour de trop bon aloi.)
ah oui, ça aussi c'est bien : porter une montre vintageaaaan,
simplement pour paraîtreeeaaaan


Vous l'avez compris : si notre montrer descend de moneō, il en sera de même pour... démontrer.




Le latin avait déjà créé le verbe composé dē-mōnstrō, dē-mōnstrāre, au sens de « montrer, faire voir, indiquer, désigner » où, remarquez-le, nous retrouvons la voix causative indo-européenne dont était empreint moneō

Mais dans un sens abstraitdemōnstrāre pouvait également signifier « exposer, décrire ».
Oui, c'est ce sens abstrait que l'ancien français conservera.

Notons encore que notre français démonstration, bien que très ancien
- il est déjà attesté vers 1225 ! -
est lui un emprunt savant au latin dēmōnstrātiō« action de montrer, d'indiquer, description... ».




- Et donc, monstre, montrer, démonstration... ?
- Eh oui, ils proviennent tous, par le latin moneō, de notre racine proto-indo-européenne *men-« penser ».



Portez-vous bien, et à la semaine prochaine, pour la suite des aventures de moneō.





Frédéric






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Et pour nous quitter…

non, pas de baroque, pas de motet, pas de Bach...

Mais une chanson tellement insouciante, gaie, entraînante ; réellement
d'un autre temps.

Une musique de film.

En effet, ce morceau, interprété par le groupe australien The Seekers,
servit de thème à une comédie dramatique de Silvio Narizzano tournée dans le Londres des années 60 - le Swinging London -,

Georgy Girl,

avec dans les rôles principaux,
Lynn Redgrave, Charlotte Rampling, Alan Bates et James Mason.

Et le titre de la chanson ?
Tout simplement...

Georgy Girl.


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dimanche 22 janvier 2023

À York, il y a beaucoup de distributeurs automatiques de billets.





À York, il y a beaucoup de distributeurs automatiques de billets.

Et d'ailleurs, ATM (automated teller machine, distributeur automatique de billets) provient du sanskrit आत्मन्, ātman« souffle, esprit », les Rothschild et autres Illuminati qui ont inventé le terme sachant parfaitement que l'argent est le souffle, l'âme du monde.
L'âme de cette planète qui est plate.


Sagesse d'Internet



les distributeurs de billets,  à York





Chers lecteurs, bonjour.



Nous poursuivons aujourd'hui l'étude des dérivés latins de notre formidable racine proto-indo-européenne...


*men-« penser ».


Psss, tout à fait entre nous :
pour retrouver le résumé des articles précédents de cette étude, voyez :


Et nous avons encore plein de choses à dire sur le verbe moneō« faire savoir, faire se souvenir, faire songer à », « avertir, recommander, instruire, annoncer, prédire, conseiller... », qui descend

- je me permets de vous le rappeler - 

d'une forme indo-européenne causative de notre*men- bien-aimée*mon-eie-.


Si, comme nous allons le voir dans les semaines qui viennent, de nombreux mots français et d'autres langues dérivent de moneō, le mot que nous traitons en ce dimanche est du même ordre que l'anglais York : construit sur des sables mouvants.

(relisez donc Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire)


Ce mot dont l'histoire est tout bonnement remarquable, c'est notre français... 

notre français... 

...

notre français... 

...

monnaie !




Non, n'essayez même pas de trouver le moindre raisonnement logique qui puisse expliquer le passage de...

moneō, « faire savoir, faire se souvenir, faire songer à ; avertir, recommander, instruire, annoncer, prédire, conseiller... »

à

monnaie, « pièce de métal, de forme caractéristique, dont le poids et le titre sont garantis par l'autorité souveraine, certifiés par des empreintes marquées sur sa surface, et qui sert de moyen d'échange, d'épargne et d'unité de valeur ».

Et en effet, il n'y a aucun lien sémantique qui se tienne. Aucun. AUCUN.

Vous ne trouverez pas ici de savant glissement de sens, de sens secondaire capillotracté qui vous permette de relier les deux mots.


Comme la linguistique comparative nous le montre, 
- ce que ne comprennent pas ces comiques d'activistes inclusivistes -,
les mots s'imposent à une société car la langue n'est que le reflet de la vision du monde qu'a cette société. Dans ce sens-. Ce n'est pas par l'imposition arbitraire de mots du chef de groupuscules fanatisés que l'on peut altérer la vision du monde qu'a une société définie ; ça se saurait. Taré⸱e⸱s⸱x, va.

c'est c'la, oui.


La langue est avant tout un outil, et il serait parfaitement inutile de créer des mots pour des choses qui n'existent pas, qui ne correspondent pas au monde dans lequel les utilisateurs de ces mots évoluent. 

Et dans le cas qui nous occupe, ce sont vraisemblablement les circonstances qui ont créé un mot...


Approchez, les enfants, que je vous raconte ça.




Il nous faut savoir que Junon 
- oui oui, je parle bien de Juno, Iūno, la reine des dieux dans la Rome Antique -,

avait notamment comme épithète Monēta (« Iūno Monēta » ; ce qui a franchement de la gl).


Junon

Mais avant d'aller plus loin, dites-moi, connaissez-vous Livius Andronicus ?


Il s'agit d'un esclave grec affranchi, né vers -284 à Tarentum, en Magna Graecia

- oui, Tarentum devenu Taranto, en Italie -

et mort vers -204, peut-être à Rome.


Nous lui devons Odyssia, une traduction de
- je vous le donne en mille -
Ὀδύσσεια, Odýsseia, l'Odysée d'Homère.

Il n'en reste plus grand-chose, de sa magistrale Odyssia, et apparemment... : heureusement, car d'après ce qu'on en sait, l'intérêt poétique et épique de l'œuvre était lamentablement pauvre.

Malgré tout, son Odyssia
- dont on n'a conservé que des bribes, donc -
est souvent considéré comme le premier poème majeur en latin, et également comme le premier exemple connu de traduction artistique.

En outre
- et ce n'est pas rien -,
c'est grâce à Livius Andronicus que nous appelons le héros grec Ὀδυσσεύς, Odysseús... Ulysse ; notre français Ulysse dérivant du latin Ulysses, déformation du nom par lequel Livius Andronicus avait baptisé Odysseús dans sa traduction : Ulixes.

Livius Andronicus
(je pense)

- Bon, on a compris, et alors ??
- Mais on y arrive, enfin, prenez une grande respiration et vous verrez, ça ira déjà mieux.


Si je prends la peine de vous parler de ce bon Livius Andronicus,


c'est qu'il s'est servi de ce Moneta pour traduire l'homérique Μνημοσύνη, Mnêmosúnê (qui devait figurer dans les vers 480-1 ou 488 du chant VIII de l'Odyssée ; vous pouvez vérifier) dans ce passage :

Nam diva Monetas filia docuit..., « puisque la fille divine de Moneta a enseigné... ».

(Mnémosyne était certes la déesse grecque de la Mémoire, mais aussi la mère des Muses, ces filles divines ; on relit Le véritable mélomane...).


Mais voilà ! 

Si je comprends bien

- mes sources, sur ce coup-là, étant peu claires et de plus discordantes  -,

il y aurait eu, à un moment ou un autre, confusion, car Monēta pouvait aussi bien être

  • l'une des épithètes de Junon (pour donner le classieux Iūno Monēta)

que

  • le nom latinisé de la déesse de la Mémoire grecque, Μνημοσύνη, Mnêmosúnê, à qui les Romains vouaient également un culte. Romanisé, lui.
Il y avait donc deux Moneta !
  • La déesse romaine correspondant à la grecque Mnémosyne,
et
  • l'épithète de Junon. Ouiii, le Moneta de - aaaah - Iūno Monēta.

DEUX !



Cicéron pensait que Monēta, en tant qu'épithète de Junon, provenait de moneō, « avertir... »

les oies sacrées du Capitole qui avaient beuglé comme des bêtes pour prévenir de l'invasion des Gaulois en -390 étant consacrées à... Junon, bravoo !,

ce qui faisait du délicieux Iūno Monēta : Junon, « celle qui nous avertit, nous prévient »

les oies du Capitole (en blanc)




Cependant, de nos jours, cette étymologie est largement remise en cause. 

Jusque là... Mais personne n'est vraiment d'accord avec personne

Et moi, je suis là, au milieu de la mêlée.



Je vous livre trois étymologies que je considère comme plausibles à - aaaah - Iūno Monēta :



  1. L'épithète Monēta dériverait du grec ancien μονήρης, moneres, « seule, unique... » : Junon, l'Unique ;

  2. Jean Haudry penche lui pour le prolongement, en Iūno Monēta, d'une ancienne « déesse au collier » distributrice de richesses, assimilée donc à Junon ;

  3. Il y aurait bien eu assimilation, mais non entre une ancienne déesse au collier et Junon, mais plutôt entre la déesse Moneta (la Mnémosyne romanisée ; on suit) et Junon, quand le culte de Moneta, extérieur à Rome, aurait été transféré intra muros.

Remarquez que par cette troisième étymologie, nous pourrions encore faire de l'épithète Monēta un dérivé greco-latin de notre indo-européenne *men-« penser », mais je ne m'avancerais pas sur ce terrain décidément mouvant.


Ce qui est sûr, en revanche, c'est que, par métonymie, le terme Monēta s'est appliqué au temple même où Junon était adorée à Rome, et à côté duquel (où carrément dans lequel ?)... on frappait la monnaie

Pour Jean Haudry, vous l'aurez compris, ce ne serait pas un hasard si c'est là que l'on frappait la monnaie, puisque Iūno Monēta était distributrice de richesses, présidant donc à la... monnaie.

le temple de Iūno Monēta

ce qu'il en reste



Par la suite, monēta prendra les sens de
- ô, merci, Alain Rey -
« frappe des pièces » et « pièces de métal servant de moyen de paiement ».


D'où, issu en 1170 du latin moneta, notre ancien français monoie, devenu monnoye, remplacé progressivement et finalement par sa forme actuelle monnaie en 1549.

Quant à monétaire, il ne s'agit que d'un emprunt ultérieur, de 1596, au bas latin monetarius« relatif à l'argent, aux monnaies », toujours dérivé, évidemment, de moneta.

Grâce à sa forme préservée, nous avons conservé en français un lointain souvenir de la belle Iūno Monēta.




Alors quoi, monnaie, dérivé du latin moneō, ou en tout cas, via le grec et le latin, de la racine indo-européenne *men-« penser » ?

Moi pas savoir.




Portez-vous bien.




Frédéric






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Attention,
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CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

une composition de Bruckner, sur un texte médiéval,

Virga Jesse.


Et ce sont les merveilleux chanteurs de

Tenebrae

qui nous l'offrent.

Un havre de paix, après cet article tumultueux.


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