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dimanche 2 février 2020

une indigestion de dérivés






Quelques filons de pegmatite, roche dont la décomposition fournit le kaolin, employé dans la fabrication des porcelaines, sillonnent çà et là ces masses granitiques, parsemées en outre de quelques rognons de quarz et de veines de mica.

Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau, 

L'Archipel de Chausey, souvenirs d'un Naturaliste,
in La "Revue des Deux Mondes", tome 30, 1842

Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau,
ou, pour les intimes, Armand de Quatrefages,
biologiste, zoologiste et anthropologue français,

6 février 1810 - 12 janvier 1892


























Bonjour à toutes et tous !


*pehǵ-“attacher”, ou ...







 Nous le savons déjà, la racine indo-européenne *pehǵ- nous a donné notamment ...
  • les anglais fang“croc”, peg, “patère...” et travel“voyage”,
  • l'allemand Fuge, “jointure”, et puis, ben voyons, 
  • nos français pactepaix, pays, (la) page, païen, paysage, propager, provinpropagande, pieu, pal, travail, travelling, balise, palissade, palonnier, pale, palette, paluche et pelle !
Mais oui, oh, tout est là :
troïka, sitar et trèfle 
Guerre et Paix. Et saucisse 
retour au pays 
C'était il y a très, très, très longtemps ...,
j'l'aime bien, mais ch'peux plus l'voir en peinture,
peut-on considérer les années 20 comme de la propagande pro-vin,
pālus et pāla sont en bateau..., 
À Lisbonne, on munissait les Latécoère de l'Aéropostale de balises en carton, et puis
le mécano lançait l'hélice du vieux coucou à la paluche. 
(attention cependant : je ne recommande aucunement la lecture de ce dernier article à toute personne fragile des intestins et/ou à la digestion difficile ; au moins une lectrice en a trouvé le texte indigeste (je la cite
Dommage , un peu indigeste le texte ?), et je ne tiens vraiment pas à avoir vos soucis gastriques sur la conscience.)




Amis lecteurs, je profite d'un moment de répit entre deux de vos crampes d'estomac


pour vous l'avouer : nous sommes presque arrivés à la fin de notre étude de l'époustouflante racine indo-européenne *pehǵ-“attacher”.

Encore un article après celui-ci - si je compte bien -, et nous devrons rendre la belle *pehǵ-“attacher”, à sa lointaine préhistoire, à sa dure vie dans la plaine pontique.
Oui bon, je sais, ma prose est assez indigeste, mais sachez que je fais référence ici au berceau du proto-indo-européen, dont je parle par ailleurs dans la rubrique Le pourquoi et le comment, créée - mais visiblement en vain -, pour mettre en contexte ce blog et chacun de ses articles, et les rendre ainsi un peu plus ... digestes. 



Tentons donc de terminer en beauté cette longue série d'articles.

Avec, tout d'abord, une acception du latin pango que nous avions omise jusqu'ici...


Nous en avons parlé : pango pouvait signifier enfoncer, ficher, planter, ensemencer, voire conclure.
Mais oui, relisez Guerre et Paix. Et saucisse !

Ça va, jusqu'ici ? Je vous laisse absorber quelques petites gorgées de Vichy Célestins (mais surtout, pas trop fraîche), par précaution, et on continue...


C'est en toute vraisemblance à partir du sens d'enfoncer que possédait pango, que le latin construisit l'acception que je vous présente maintenant :

Tracer des lettres (sur la cire), fixer dans la cire, écrire, 
d'où aussi composer, 
d'où encore dire, chanter.


C'est ainsi que dans l'un des douze volumes de son imposant De re rustica, ce bon Lucius Iunius Moderatus Columella nous dit, à propos de la lettre b, que...
littera proxima primae pangitur in cera docti mucrone magistri,
la lettre la plus proche de (après) la première est tracée sur la cire par la pointe (le stylet) du maître savant.
Lucius Iunius Moderatus Columella, dit Columelle,
 agronome romain de la 1ère moitié du 1er siècle,
né à Gadès (Cadix)


Et l'expression latine pangere egregia opera pouvait se comprendre comme célébrer, chanter, les hauts faits.


Chante, ô ma langue ...

Ce n'est pas moi qui le dis, mais bien Saint Thomas d'Aquin
- excusez du peu -,
Thomas d'Aquin
1224 ou 1225 - 7 mars 1274 

dans l'un des plus beaux hymnes grégoriens qu'il ait jamais composés (pour l’office des vêpres du Jeudi Saint, soyons fou), le plain-chant Pange Lingua, Chante, (ma) langue, dont le premier vers, dont on a tiré le titre
- je le précise par crainte de passer pour indigeste -
commence par notre pango à l'impératif :

Pange lingua gloriósi corpóris mystérium,

Chante, ô ma langue, le mystère de ce corps très glorieux








Nous avions évoqué, au nombre des dérivés de la charmante *pehǵ-
- dites, ça va ? Pas trop de gargouillis, pas de ballonnements ? -,
au moment de Guerre et Paix. Et saucisse

le verbe grec ancien πήγνυμι, pêgnymi, ficher, planter, fixer.


Oui ?


Eh bien, il ne s'agit pas que du seul mot grec ancien légué par notre vrombissante *pehǵ-.



Eh non ! Car il y a aussi...

le substantif πῆγμᾰ, pêgma, qui désignait tout naturellement ce qui est attaché, joint ensemble, comme par exemple la charpente d'un navire, celle d'un toit, ou encore les échafaudages utilisés dans les théâtres ...


À noter (ou pas ?) que les Romains, qui à leur navrante habitude pompaient le grec à tire-larigot, ont subtilement calqué leur pēgma, pēgmatis latin sur le beau πῆγμᾰ grec.

Ne nous en plaignons pas outre mesure, car nous devons au latin pēgma le français... pegmatite, emprunt savant du vocabulaire géologique créé il n'y a pas si longtemps (en 1811), pour désigner cet assemblage, ce conglomérat que représente une roche magmatique à grands cristaux (pouvant, par ailleurs, recéler des éléments rares, comme le lithium ou l'uranium).
en voilà une pegmatite qu'elle est belle
(expression particulièrment indigeste)





Quant au composé grec ancien σκηνοπηγία, skênopêgía, créé sur σκηνή, skênê, tente” et πήγνυμι, pêgnumi, et qui donc, littéralement, signifierait action de fixer, d'établir une tente, il était le nom que les Grecs donnaient à la fête juive des Tabernacles 

montage d'une tente

tente montée pour la fête des Tabernacles


Le latin, forcément, reprit le mot, 


pour en faire scenopegia, que nous reprendrons nous-mêmes bien plus tard, penauds, sous le calque scénopégie.


Et puis, et puis, citons encore 
πάχνη, pákhnē, la gelée blanche, le givre !

Vous voyez le lien ? Le gel coagule“fixe” les choses, il les fige, les cristallise.  


givre


Oh, et il y a encore πάγη, págē, substantif qui désignait, lui, le piège, le collet

Mais oui, un triste engin qui servait, étymologiquement,  à fixer, maintenir.






Enfin, je vous livrerai l'adverbe ...

ἅπαξ , hápax, “une fois, une seule fois...”, que Beekes décompose en 
  • ἁ-, dérivé de l'indo-européen *sm̥-, timbre zéro de la sémillante *sem-“un”, dont nous avions parlé il y a trèèèèss longtemps, fin juin 2013, précisément ici :
C'est simple: trop souvent ensemble, on finit par être assimilé l'un à l'autre... 
suivi de ...
  • -πᾰξ, que Beekes relie à πήγνυμι, pêgnymi.


Si Robert Beekes, dans son ô combien admirable Etymological Dictionary of Greek,



n'est pas très disert sur la raison pour laquelle resurgit ici notre douce *pehǵ-, il lui attribue pour l'occasion le sens de ferme, solide.

On peut dès lors peut-être y voir l'idée d'un un (1) compacté, solidifié pour marquer le fait qu'il n'y en a pas d'autres... 
Si vous avez une hypothèse plus intelligente à proposer, je suis preneur !


Toujours pas de reflux acide, de brûlures d'estomac ?



Aïe, ça commence !?




Alors, mieux vaut s'arrêter ici.


Nous poursuivrons et en terminerons bientôt avec les dérivés de notre délicieuse *pehǵ-, notamment dans les langues germaniques, mais aussi dans l'indigeste khotanais
- si, si, j'insiste ! -,
et enfin, enfin, en avestique, et en sanskrit ... 





Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine.


À... dimanche prochain !
(pensez bien à vous munir de votre bouteille de Vichy Célestins)







Frédéric



******************************************
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,


un éclairage en demi-teintes du sublime Ode an die Freude,
composé par Beethoven sur un poème de Friedrich von Schiller.


Ce qui vient de se passer outre-Manche,

ce triomphe de la bêtise et de l'inculture, du nationalisme et du populisme,
mêlé de relents d'extrême droite,

cette débâcle de l'intelligence et de l'humanisme,

ça,

c'est à moi que ça procure des crampes d'estomac.



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dimanche 9 avril 2017

être stoïque, c'est avoir de la prestance dans la douleur






“The stoical scheme of supplying our wants by lopping off our desires, is like cutting off our feet, when we want shoes.”

(“Cette méthode stoïque de subvenir à ses besoins en supprimant ses désirs équivaut à se couper les pieds pour n'avoir plus besoin de chaussures.”)

Jonathan Swift

 Jonathan Swift,
30 novembre 1667 – 19 octobre 1745















Bonjour à toutes et tous!



‘y a des jours comme ça…

Où je sèche. Où les pistes que je voulais suivre se désintègrent sous mes pas.

Où, en d’autres termes, les mots actuels que je voulais relier à notre indo-européenne *stā- ne mènent à rien. Ou en tout cas, pas à *stā-.

*stā-, “être debout”


Je ne veux pas vous faire de la peine, mais j’avais pensé à traiter de prêt.
Prêt dans le sens de “qui est en état de (faire, dire, recevoir, entendre…)”, “qui est dipsosé, préparé à…”
L’adjectif prêt nous venait du bas latin praestus, dérivé de l'adverbe latin classique praesto, “ici, tout près”, donc “sous la main, à disposition…”.
Alors, oui, on avait l'habitude de le rapprocher de stō, stāre, en en faisant un composé de prae- (“devant”, qui donnera notre “pré-“) et de, forcément, … stō.  
Mais bon, cette théorie est à présent sérieusement remise en cause, et rien n’est plus vraiment sûr ; je préfère donc ne pas en parler.

Oublions donc prêt, mais aussi preste, prestement, prestidigitateur.

Eh oui, c’est ça qu’ça veut dire!


Mais bon. Tant pis.




Prestance, en revanche, semble être un meilleur candidat.

prestance, vous avez dit prestance?

Nous l’avons emprunté, dans la seconde moitié du XVème, au latin praestentia, “supériorité, efficacité”, substantivation de praestans (“supérieur, remarquable…”), le participe présent adjectivé de praesto, praestāre, surpasser, être supérieur…

Ou vraiment littéralement: être devant. Prae-stō.

Comprenez donc que si le verbe latin praesto, praestāre semble bien venir de notre *stā-, c'est l’adverbe praesto, qui lui, pose problème quant à son étymologie, incertaine.


Votre serviteur, aux grandes orgues de l'abbatiale
Sainte-Foy de Conques,
il y a un certain temps
Si vous avez jamais touché à des grandes orgues, vous saurez peut-être où je veux en venir:

il existe encore un dérivé du latin praesto, praestāre qui a donné son nom à un jeu d’orgues à tuyaux bien particulier.

Qui, conforme à son étymologie, excelle, se distingue, est supérieur aux autres…



Le … prestant!





Oui, ce jeu de quatre pieds…


tirants de jeux (dits aussi de registres)
ici, le prestant 4 est le premier visible à gauche sur la deuxième rangée

Vous connaissez le principe? Un jeu de 4 pieds correspond, pour sa note la plus basse, à un tuyau d’environ 1m30 de longueur (4 pieds, quoi!), et, accessoirement, sonne une octave au-dessus de la note jouée sur le clavier.


Octave? En musique, une octave est l’intervalle séparant deux sons dont la fréquence fondamentale du plus aigu est le double de celle du plus grave. 
Quand vous coupez une colonne d'air (comme un tuyau d'orgue) à mi-hauteur, le son qu'elle produit s'élève d'une octave. De même pour la corde d'un instrument ... à cordes: bloquez-la précisément en son milieu ; quand vous la pincerez, elle sonnera une octave plus haut. C'est physique.


Et donc, une note entendue sur un jeu d'orgue de 8 pieds, à la tessiture plus grave qu'un 4 pieds, correspondant à des tuyaux deux fois plus longs (2m60 pour le plus grave), sonnera, elle, une octave plus bas que la même note sur un jeu de 4 pieds. (Entendez à la même hauteur que la note jouée)
Dans la même logique, une note jouée dans un jeu de 2 pieds sonnera une octave plus haut que dans un jeu de 4 pieds, et une note jouée dans un jeu de 16 pieds sonnera une octave plus bas que la même note jouée dans un jeu de 8 pieds
Toujours pas clair? Lisez donc ceci: http://decouverte.orgue.free.fr/jeux.htm#CHIFFRES
 
… Ce jeu de quatre pieds, donc - je parle du prestant -, est particulier, remarquable, car c’est le jeu de référence, sur lequel tous les tuyaux de l'instrument sont accordés.
On l’appelle parfois même le “jeu étalon, “octave” (car il joue à l’octave par rapport à un 8 pieds, hein?), ou “diapason”.

Ce jeu est donc toujours très soigneusement accordé, car de lui dépendra l’équilibre acoustique de tout l’instrument.

Mais quelle responsabilité!
Vous rendez-vous compte? De ce que ce pauvre jeu de prestant doit assumer?
Et pourtant, regardez-le, il est là, majestueux, serein, … stoïque.


Eh bien, ça alors! Qu’est-ce que ça tombe bien! Car stoïque vient aussi de notre racine indo-européenne *stā-!

C’est fou, non?

Moi j’vous l’dis: il n’y a pas de hasard.


Alors, le français stoïque est un emprunt des XIIIème et XIVème au latin stoïcus.
Il sera tout d’abord utilisé en tant que nom, pour désigner un stoïcien.

Ce n’est qu’au XVIème qu’il passera dans le vocabulaire psychologique, pour désigner toute personne qui fait montre de stoïcisme, autrement dit qui fait preuve de ...
courage pour supporter la douleur, le malheur, les privations, avec les apparences de l'indifférence.
sourire à la mort: ça c'est du stoïcisme ou je ne sais pas ce que c'est

À l’origine, le stoïcisme, vous le savez certainement, était la doctrine enseignée par Zénon, selon laquelle le bonheur est dans la vertu, mais surtout, qui professe l’indifférence devant l’épreuve.

Pour tenter de résumer cette doctrine en une phrase:
Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont. 

Zénon, ou plus exactement Zénon de Cition - ça ne s’invente pas -, en grec ancien Ζήνων ὁ Κιτιεύς, Zēnōn ho Kitieus, était né à, à, à ???? Cition, OUI! Et c'est à Chypre.

C’est du côté de -300 qu’il fonda le stoïcisme.

Mais pourquoi donc appeler cette doctrine précisément “stoïcisme”, me direz-vous?
Hein, hein??

Eh bien, il faut savoir que l’Agora, la place principale de l’Athènes antique...

l'Agora d'Athènes, comme si vous y étiez

était constituée d'un ensemble de bâtiments divers, temples et portiques (de longues galeries couvertes).
Reconstruction 3D du portique sud

Parmi ces derniers, un portique joliment orné de peintures, dont notamment une fresque racontant la bataille de Marathon.

Celui-ci, précisément


On s’y baladait, on y flânait, on y goûtait la paix, le calme, l’oisiveté…

Jusqu’à ce qu’un olibrius d’origine chypriote, du nom de Zénon de Cition - vraiment, ça ne s’invente pas -, décida qu’il en ferait son école.

Quand les pauvres Athéniens, outrés devant ce sans-gêne, lui reprochèrent de récupérer pour lui-même un monument de l’Agora, et d’en évincer tous ceux pour qui c’était un lieu de plaisance bien aimé, il leur répondit qu’ils feraient bien d’être un peu plus stoïques.

Lui, en tout cas, il le fut, quand les Athéniens,
qui étaient de bons bougres, mais bon, faut quand même pas pousser, 
lui tannèrent la gl, le rouèrent de coups et l’attachèrent enfin par les pieds à un char qui fit plusieurs fois le tour de la ville.

le chiton en question devait ressembler à ça
Stoïque, il le fut encore,

quand sa propre mère,

appelée à son chevet après qu'il eut été trainé par le char pour la sixième fois autour d’Athènes,

ne put le reconnaître, et réconforta plutôt son chiton en guenilles posé à côté de son lit.

Le chiton, χιτών, khitốn, est un vêtement de la Grèce antique. 
C'est une tunique de lin au plissé fin, cousue sur les côtés ou tissée sans coutures, cintrée à la taille, portée par les hommes comme par les femmes.
(ne croyez évidemment pas un mot de ce que je raconte)



Ce portique si joliment peint, où enseignait si stoïquement Zénon de Cition
- je ne m’en lasserai jamais -, 
c’était la Stoa Poikilè, ἡ ποικίλη στοά, littéralement, et fort à propos: “le portique peint”. 
Ce n’était peut-être pas très original, mais au moins tout le monde comprenait de quoi il s’agissait.
On raconte d’ailleurs qu’un de ces Athéniens défaits devant la décision unilatérale de Zénon (de Cition, si jamais vous aviez un doute) d’utiliser le portique peint pour en faire une école, lui beugla quelque chose comme “ça, tu vois là? Ça c’est un portique peint, et ça, ici, c’est un pain dans ta gl.”

Et donc, Zénon
(je parle de celui de Cition, ne confondons pas),
stoïquement, baptisa sa doctrine du nom du monument où il enseignait, le portique, στοά, stoá. 

Στωϊκός, Stôïkós, c’était tout simplement “du portique”. 
Ce qui n'est pas très malin, car il y avait plusieurs portiques sur l'Agora, mais bon...

Le grec στοά, stoá provenait de notre *stā- par un chemin que nous avons déjà parcouru: via *stāu-, altération de la forme allongée de *stā-, *staəu-.
restaurer un ancien restaurant, c'est quand même le comble

Et c’est Cicéron qui, plus de deux cent ans plus tard, latinisera ce Στωϊκός, Stôïkós en stoïcus.
Que nous avons à notre tour emprunté…



J’avais encore une longue série de mots à vous proposer comme dérivés de notre adorable *stā-, mais voilà, ou bien ils sont trop “bateau(aérostat, to stand / understand, instar, stade), ou bien je ne peux vraiment pas vous en garantir l’étymologie (“taureau, obstiné…”).


Alors voilà.
Je vais encore vous donner un dernier mot, un dernier dérivé de *stā-, et la semaine prochaine, nous voguerons vers de nouvelles aventures.


Ce dernier, ce tout dernier mot?


L’ancien grec… ἱστός, histós, “métier de tisserand”.

Il nous arrive par la réduplication du timbre zéro de *stā-, *si-st(ə)-.

- *si-st(ə)-? Mais…
- OUI! On en a déjà parlé, absolument!

C’est cette forme qui est à l’origine du latin sistō.
Relisez donc…
résister, persister... Ces mots prennent à présent toute leur valeur.

Mais quel est le lien entre un métier de tisserand et notre racine *stā-, “être debout”?
La position debout, tout simplement, les métiers à tisser antiques étant verticaux.
À ce sujet, vous pourriez d’ailleurs relire…
chacun chez soi, et la laine des moutons sera bien cardée

Et ἱστός, histós, qui littéralement se traduirait par “ce qui se dresse, montant”, a même dû désigner en un premier temps le montant du métier à tisser.

Puis, par métonymie, le métier en lui-même, et puis, par extension, ce que l’on tisse, sur ce métier: le tissu, la toile…


Nous retrouverons ἱστός, histós dans nos très modernes et scientifiques préfixes hist-, histio-, et histo-. 

Histologie? 
Science qui traite de la structure des tissus et des cellules.

Histogène?
Qui donne naissance aux tissus vivants.

Histolyse?
Dissolution de tissus vivants.

Histidine: emprunt à l’allemand pour désigner un acide animé.

De histidine et amine vient… histamine, 
d’où histaminique. 
Nous connaissons tous les antihistaminiques, qui combattent les effets de l’histamine



Histone?
le nom d’une protéine simple.

Histoplasmose: désigne un champignon microscopique, et aussi, hélas, une maladie infectieuse du poumon causée par cette saloperie de champignon.


Histogramme? 
Terme de statistique, désignant un graphique représentant la densité d’un effectif en fonction des valeurs d’un caractère.
ben oui, c'est bêtement ça, un histogramme...


Et c’est sur cet histogramme que nous nous quitterons.
Mais rien qu’une toute petite semaine, pas d’inquiétude!



Passez un excellent dimanche, une très belle semaine!



Frédéric


Attention, 
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).


Et pour nous quitter,

Un morceau plein de prestance...

Olivier Penin,
aux Grandes Orgues de Sainte Clotilde, Paris VII, 
nous interprète 
la transcription pour orgue seul, par Marcel Dupré (1886-1971), 
de la Sinfonia, tirée de la Cantate BWV 29, 
de J.S. Bach



Tiens, et encore un, spécialement pour les non-férus de technique musicale.

Vous voulez entendre ce qu'est précisément une octave?

Écoutez les deux premières notes de Somewhere Over the Rainbow,
chanté, forcément, par Judy Garland.

Some - where: la deuxième note, sur laquelle tombe where, est à l'octave de la première...

Moi, j'adore.