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dimanche 4 août 2019

Même s'il n'était guère épais, Tolstoï ne manquait pas d'esprit






“Ничего не было дурного или неуместного в том, что они говорили, всё было остроумно и могло бы быть смешно; но чего-то, того самого, что составляет соль веселья, не только не было, но они и не знали, что оно бывает.

Л. Н. Толстой, Война и мир, 1867

(Cependant) il ne se disait rien de répréhensible, rien de déplacé, mais les saillies spirituelles et plaisantes manquaient de ce tour délicat qu'ils semblaient ne pas même soupçonner, et qui est le vrai sel de la gaité.

Léon Tolstoï, Guerre et Paix,
traduction par Irène Paskévitch, 1901


Lev Nikolaïevitch Tolstoï (Лев Никола́евич Толсто́й),
1828 - 1910





















Bonjour à toutes et tous, 


Avant tout, un petit rappel...


Nous étions en train de découvrir, 
émerveillés,

la racine indo-européenne ...

*ueh1-i-, “tisser, tresser...,




avec ses dérivés en sanskrit, en avestique, en perse, en hittite, en arménien,
“La saison venue, la chenille tisse un cocon autour d’elle-même et elle devient cacahuète.” - Cavanna


puis son dérivé latin vieō, “courber, tresser, lier, attacher...”,
Partir en vrille au-dessus du Viminalis ? Le fait d'un pilote linguiste.

et ensuite vitta, dérivé de vieō, et à l'origine, notamment, de notre ... vétille,
fi, ce ne sont là que broutilles, bagatelles, de simples détails !

pour en arriver au latin vīnum, qui nous a donné notre vin.
un Gini plutôt que du vin ?? Vous ne seriez pas Arménien, vous, par hasard ?


De là, nous passions au composé latin vīndēmia, “vendange”.
les vents d’anges ne sont pas qu’affaires de culs bénis


Quitte à nous intéresser à des mots composés où l'un des termes provenait de *ueh1-i-, nous étions alors partis sur le composé ancien français ... vinaigre
du vin au vinaigre...


bah, pourquoi pas ?


C'est là que
stupéfaits

nous prenions conscience de la richesse des dérivés de la racine indo-européenne heḱ-“piquant, acéré”, à l'origine, via le latin ācer, ācris“, aigu, pointu...”, de notre français aigre.


heḱ-“piquant, acéré”
forme *heḱ-ro-“acéré”
proto-italique *akri-
latin ācer, ācris“, aigu, pointu...”



Toujours dans la même veine, nous passâmes la semaine qui suivit à examiner deux jolis emprunts au français, le néerlandais azijn et l'anglais eager, ainsi que le faux ami espagnol aceite.
On ne prend pas les mouches avec du vinaigre

Enfin, nous restâmes encore un peu sur *heḱ-ro-“acéré”, pour retrouver un autre de ses dérivés
- précisément par la forme *hóḱ-r-i-, “arête acérée” -,
le latin dialectal ocrismontagne escarpée”, l'un des termes du composé latin mediocris.
“Le propre de la médiocrité est de se croire supérieur.” - La Rochefoucauld


Petite gâterie, nous nous étions permis, dans le feu de l'action, de recenser quelques autres dérivés indo-européens de cette forme *hóḱ-r-i-, dans les langues celtiques, en sanskrit, et en grec ancien.


Ouuuuuf !






En ce premier dimanche d'août 2019, je vous propose de continuer, comme promis, à passer en revue la descendance de cette racine indo-européenne si prolifique,


*heḱ-“piquant, acéré”.


Il va sans dire
mais ça ira encore mieux en le disant, comme renchérira le beauf de service -,
je me fie ici, encore et toujours, aux précieuses analyses que me donnent les superbes ouvrages du Indo-European Etymological Dictionary, de l'Université de Leiden.





En enrichissant d'autant notre vocabulaire indo-européen, nous avons appris que nous pouvions reconstruire sur notre *heḱ-“piquant, acéré” une forme dérivée *heḱ-ro-“acéré”.


Oui ? Toujours d'accord ?
Si vous répondez oui uniquement pour me faire plaisir, mais qu'en réalité vous pensez non, relisez du vin au vinaigre..., ou “Le propre de la médiocrité est de se croire supérieur.” - La Rochefoucauld...

Eh bien, reprenons de là, de *heḱ-ro- !

Car si nous avons notamment mentionné au nombre de ses dérivés ...

  • le latin ācer, ācris, “aigu, pointu...”,
  • le latin dialectal ocris ou encore 
  • le grec ancien ὄκρις, ókrispointe, arête acérée, proéminence, rugosité...”,
sachez qu'en grec ancien, nous retrouverons également... ἄκρος, ákros, “pointu, aiguiséà la pointe”, d'où “à la limiteextrême ...


Ouais ouais... d'accord, d'accord, les rares esprits chagrins parmi vous me rétorqueront qu'il n'y a pas que le latin et le grec ancien dans la vie.

Mwouais. 
C'est un peu vrai, finalement.
Il y a aussi PLEIN d'autres langues indo-européennes qui ne demandent qu'à s'exprimer ici...

Comme celles du groupe balto-slave, que j'avais un peu mises de côté, dernièrement...


(source)


Nous y nous retrouvons, construit précisément sur *heḱ-ro-“acéré”, l'étymon
(oui, balto-slave, désolé de vous réveiller)
*aśros-, “coupant”, adjectif de son état.

Étymon que nous retrouverons tant dans les langues ...b ... b...altes, oui !, que ... sl...slaves, bravo !


Ainsi, c'est de *aśros-, “coupantque seront issus, 
d'un côté,
  • l'étymon balte *aštrus-, “coupant
et de l'autre,  
  • l'étymon slave *ostrъ-, toujours “coupant”.


Je reprends, peut-être ? 

heḱ-“piquant, acéré”
forme *heḱ-ro-“acéré”
proto-balto-slave *aśros-, “coupant” 
proto-balte *aštrus- et proto-slave *ostrъ-, “coupant” 



l'ours brun de Sibérie a des griffes coupantes


Dans les langues baltes
-ouiii, c'est ça, maintenant nous nous intéressons à l'étymon balte *aštrus“coupant”, bien ! -,
*aśros-, via *aštrus-, donc, nous a légué...

  • le lituanien aštrùs, “coupant”, ainsi que
  • le letton (mais l'est-on VRAIMENT ???) ass, de même sens (je veux dire “coupant”).



petites coupures lettonnes
(avant le passage à l'euro)


c'est sur quoi vous tombez quand vous faites
une recherche d'images sur l'anglais "latvian ass"


Dans les langues slaves, cette fois, *aśros-, via *ostrъ-, nous a notamment légué...
le - OUI OUI OUIIII !! - vieux slavon d'église остръ, ostrъ“coupant, rude”.


un vieux slavon d'église
beaucoup d'entre eux faisaient peur aux enfants


Oh, dans la grande famille des langues slaves, *ostrъ- a essaimé un peu partout, comme par exemple... 

  • dans le sous-groupe des langues slaves orientales, avec...
  • le russe о́стрый, +/- “óstreuil”“pointu, acéré, fin, critique, piquant...”,
  • dans celui des langues slaves occidentales, avec ...
  • le tchèque ostrý, 
  • le slovaque ostrý, 
  • le polonais ostry ou 
  • le haut-sorabe wótry - en bas-sorabe, c'est wótšy, hein -

  • et dans celui des langues slaves méridionales, avec ...
  • le serbo-croate öštar, 
  • le tchakavien - le tchakavien est un des trois dialectes du croate, parlé notamment en Istrieöštār,
  • le slovène ǫ́stər ou enfin - soyons fous - 
  • le bulgare óstặr, 
tous signifiant, sans trop de surprise, acéré...”.



(Même si OSTAR, c'est aussi l'acronyme de Original Single-handed Transatlantic Race, la toute première course transatlantique)
Ostar et Twostar sont en bateau...




Je me permettrai de retenir l'adjectif russe остроумный, +/- "astraoumneuil", construit évidemment sur о́стрый, et s'employant pour désigner ce qui est piquant, saillant, spirituel, verveux, plein d'esprit, plein de sel...”.

Eh oui, Tolstoï l'employait à bon escient ; en eussiez-vous jamais douté ?...






Chères lectrices, chers lecteurs, 

Merci de me lire, merci de votre fidélité, merci de vos commentaires.

Je vous souhaite un EXCELLENT dimanche, et une très heureuse semaine !

Dimanche prochain, suite des aventures de heḱ-“piquant, acéré” dans le monde balto-slave...

À ... dimanche prochain ?







Frédéric


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on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)
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Et pour nous quitter,

la fascinante Khatia Buniatishvili revisite Tchaïkovski.


Voici, dans une version incroyablement fougueuse mais tellement inspirée,

la troisième (et dernière) partie du

Concerto pour piano N° 1 en si bémol mineur, op. 23,

de Piotr Ilitch Tchaïkovski,

"Allegro con fuoco"
('faut pas lui dire deux fois, à la belle Géorgienne)




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