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dimanche 26 février 2023

Mentalité me plaît. Il y a comme cela des mots nouveaux qu'on lance

 article précédent : The sound body is the product of the sound mind.





— « Vous ne saviez peut-être pas, monsieur le duc, qu'il y a un mot nouveau pour exprimer un tel genre d'esprit, dit l'archiviste qui était secrétaire des comités anti-révisionnistes. On dit “mentalité”. Cela signifie exactement la même chose, mais au moins personne ne sait ce qu'on veut dire. C'est le fin du fin et, comme on dit, le “dernier cri”. »

Cependant, ayant entendu le nom de Bloch, il le voyait poser des questions à M. de Norpois avec une inquiétude qui en éveilla une différente mais aussi forte chez la marquise. Tremblant devant l'archiviste en faisant l'antidreyfusarde avec lui, elle craignait ses reproches s'il se rendait compte qu'elle avait reçu un juif plus ou moins affilié au « Syndicat ».

« Ah ! mentalité, j'en prends note, je le resservirai, dit le duc. » (Ce n'était pas une figure, le duc avait un petit carnet rempli de « citations » et qu'il relisait avant les grands dîners.)
« Mentalité me plaît. Il y a comme cela des mots nouveaux qu'on lance, mais ils ne durent pas. Dernièrement, j'ai lu comme cela qu'un écrivain était “talentueux”. Comprenne qui pourra. Puis je ne l'ai plus jamais revu.

— Mais mentalité est plus employé que talentueux, dit l'historien de la Fronde pour se mêler à la conversation. Je suis membre d'une Commission au ministère de l'Instruction publique où je l'ai entendu employer plusieurs fois, et aussi à mon cercle, le cercle Volney, et même à dîner chez M. Émile Ollivier.


À la recherche du temps perdu,
Le côté de Guermantes,

Marcel Proust, 1920-1921



Le superbe château de Guermantes,
qui n'apparaît absolument jamais dans
À la recherche du temps perdu.

Simple : lchâteau de Guermantes est à À la recherche du temps perdu
ce que le e est à La Disparition, de G(e)org(e)s P(e)r(e)c





Chers lecteurs, bonjour.


Aventuriers toujours à la recherche de la descendance de l'ébouriffante racine proto-indo-européenne
*men-, « penser »,





nous en sommes à mettre au jour ses dérivés passés par le latin mēnsmentis, « esprit, âme, raison, idée... ». 

(Ce latin mēnsmentis que
- n'hésitons pas à le rappeler -
Michiel de Vaan fait descendre,
via un étymon proto-italique *mn̥ti-,
d'un mot féminin indo-européen construit sur *men-, *mnti-, dont le sens aurait été « pensée, idée ».)



Or donc...

La semaine dernière, nous avions parlé du français - et de l'anglais  - « mental ».


Je vous propose d'embrayer là-dessus, et de poursuivre avec... 
  • mentalité.
Mais dites-moi, avant d'aller plus loin : connaissez-vous Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers ?

Ce bon Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers, né à Dienville le 4 avril 1788 et mort à Paris le 20 juillet 1850, lexicologue de son état, pour enrichir la langue française
- et surtout tenter d'éviter toutes ces périphrases nécessaires pour rendre une pensée claire et précise -,
avait proposé la création de mots sur des bases lexicales déjà établies.

sur Gallica



Voici, trouvé sur Wikipédia, l'un de ses néologismes :
Inouïsant : qui fait l’action d’inouïser. Exemple : C’est une inouïsante cruauté ; inouïsation ; inouïsé ; inouïser ; inouïsme ; ce qui ne représente que de l’inouï.

Riez, riez... 
Si le surprenant inouïsant n'a vécu que ce que vivent les roses, l’espace d’un matin, il est cependant vraisemblable que ce soit à Richard que nous devions le terme... occultisme


Eh bien, Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers avait, en 1842, proposé le mot mentalité, au sens propre de « qualité de ce qui est mental ».


Mais voilà, le méchant, méchant, anglais est passé par là.



Méchant anglais qui, non content d'avoir déjà dans son vocabulaire mentality, créé très logiquement sur mental (voir l'article de la semaine dernière), emprunta au français son nouvellement créé... mentalité.

Et donc, oui, il fut un temps où en anglais, mentalité et mentality n'étaient que des doublets. L'on peut supposer d'ailleurs que le plus chic des deux
- le plus posh -,
c'était le mot drapé de sa vêture française, les Britanniques A-DO-RANT parsemer leur langue de mots français jugés irrésistiblement prestigieux, voire élitistes.

Posh people



Touché. Ne pas employer de mots français dans un discours d'une certaine tenue, mais c'est clairement un fashion faux pas. Ces mots français donnent un je ne sais quoi... Et ils peuvent élégamment servir d'amuse-bouche à une conversation avec une femme fatale (ou alors sous forme de billet doux), pour parer à toute volte-faceC'est la vie !
 
(Entre nous, le fait d'accepter tous ces sales emprunts étrangers n'a JAMAIS déforcé l'anglais, que du contraire. 'Faudra m'expliquer. Mais bon.)


Mais ce n'est pas tout !
Car si le mot mentalité existait bel et bien en français,
et ce grâce à Jean-Baptiste Richard,
son sens s'est vu influencé 
- ou plutôt considérablement modifiéaltéré -
par celui de l'anglais mentality, qui pouvait désigner tant l'activité intellectuelle que... l'état mental, d'où l'attitude mentale


En sociologie, le mot s'emploiera désormais pour...
l'ensemble des habitudes d'esprit et des croyances qui informent et commandent la pensée d'une collectivité, et qui sont communes à chaque membre de cette collectivité.
Et en langue courante, il désignera, bien entendu,
l'état d'esprit, les dispositions psychologiques ou morales.
ô toi ©Le Grand Robert de la langue française


magnifique schéma qui permet de comprendre que
plus la mentalité varie, plus elle reste la même


Bien évidemment, tant qu'à mentionner les ravages éhontés du méchant, méchant, anglais en français, nous nous devons de citer encore ce calque de l'anglais de 1967,
  • mentaliste,
créé
- faut-il le préciser -
sur l'original... mentalist, désignant quelqu'un censé avoir le don de lire dans les pensées d'autrui.




Si Jean-Baptiste Richard avait imaginé donner au français mentalité, il est un auteur britannique actuel qui s'adresse à un jeune public anglophone, et qui ne se prive pas de parsemer son écriture de fines références classiques. 

Oui, je parle évidemment de Joanne Rowling, mieux connue sous son nom de plume J. K. Rowling.

J. K. Rowling, qui, en plus d'être belle,
intelligente, cultivée et talentueuse,
remet à sa place le wokisme et ses lubies.
Mais quelle femme !



Et J.K Rowling de nous parler, dans Harry Potter, de ces horribles et effrayants Dementors, qui, tels de diaboliques créatures psychopompes, sucent votre âme pour littéralement vous rendre fou, vous ôter toute joie de vivre, tout espoir, toute raison.

Ce formidable Dementor est bien sûr construit sur l'adjectif latin dēmēns. 


un Dementor



Allez, un petit dernier pour aujourd'hui (il y en aura d'autres, des dérivés du latin mēnsmentis, dont nous traiterons dans les semaines à venir. Mais ça suffit pour cette semaine. Il m'arrive aussi de vivre presque normalement).





Entre le château de Guermantes et le Royaume-Uni (celui d'avant cette absurdité qu'est le Brexit), mon cœur balance...

Am, stram, gram,
pic et pic et colégram,
Bour et bour et ratatam,
am, stram, gram ; pic ! monsieur ; pic ! madame.
Mais comme la reine et le roi ne le veulent pas, ce sera... ... ... toi !


Bon ben, le sort en a décidé : ce sera... le Royaume-Uni.



Où les scélérats que les mentalists ont permis d'arrêter sont jugés comme criminels si on a pu déterminer qu'ils s'étaient rendus coupables d'un acte criminel - ce que la common law appelle... 
actus reus,
mais qu'il y avait aussi dans leur chef intention coupable (culpabilité morale, esprit criminel),
mens rea,

cet état d'esprit qui doit (généralement) accompagner la perpétration d'un acte interdit pour que cet acte soit légalement considéré comme un crime.




Le test de la responsabilité criminelle d'un individu
- pour moi, tout individu est par nature criminel, mais soit -
est résumé par cette magnifique locution héritée de l'Antiquité (latine mais aussi grecque) :
« Actus non facit reum nisi mens sit rea » : 
l'acte de culpabilité ne rend pas un individu criminel à moins que l'esprit de cet individu soit aussi coupable.

beau résumé



Eh !






Portez-vous bien, et... à la semaine prochaine !

Et mais... Êtes-vous au courant ?
L'actualité ne sait pas non plus que choisir, 
am, stram, gram,
entre tristesse et allégresse...

D'un côté, les œuvres de l'auteur britannique Roald Dahl sont à présent en passe d'être censurées par l'éditeur. (Oh mais non, enfin, le wokisme n'existe pas ; ce n'est qu'une invention de fachos).

Même Salman Rushdie est monté au front pour combattre cette censure autant imbécile que ridicule.


De l'autre, c'est Bouli Lanners qui a remporté le César du meilleur acteur liégeois dans un second rôle, dauuuc.
(Et il faut le reconnaître, il est vraiment très difficile à un Liégeois, dauuuc, d'occuper un second rôle.)
(J'allais bien maladroitement vous raconter que c'était le belge Bouli Lanners qui avait remporté ce César du meilleur acteur dans un second rôle, mais à lire mes amis liégeois, nenni hein, Bouli Lanners n'est pas - et n'a jamais été - belge.)
à lire ici





Frédéric






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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

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Et pour nous quitter…

un merveilleux motet à quatre voix,
publié par Palestrina en 1604

- non, ça ne nous rajeunit pas -

reprenant le début (mais dans la version latine des Psalterium Romanum)
du Psaume 42 :

Sicut cervus
(Comme une biche soupire)

Comme une biche soupire après des courants d'eau,
Ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu !


Et ce divinement apaisant moment de polyphonie imitative vous est offert par

The Marian Consort,

dont tous les membres auraient mérité d'être liégeois.
Peut-être le sont-ils ?
Mais oui, OH !, forcément, qu'ils le sont.


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