article précédent : छुआछूत हमारा समाज का विष है।, chuāchūt hamārā samāj kā viṣ hai, "L'intouchabilité est un poison de notre société"
“Je faisais partie d'un groupe libertaire. J'ai même vécu dans un squat. Les flics, les gendarmes, c'était l'ennemi : des fachos, les chiens de garde du pouvoir, l'avant-poste de la réaction - ceux qui protégeaient le confort petit-bourgeois et qui opprimaient des faibles, les immigrés, les sans-domicile.”
Glacé, 2011,
Bernard Minier
Glacé, 2011,
Bernard Minier
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Bernard Minier, né en 1960, auteur de captivants polars |
Bonjour à toutes et tous !
En ce dimanche 12 avril 2020, en ce dimanche de Pâques si particulier,
nous reprenons vaillamment,
après l'avoir délaissée pour un sujet ô combien d'actualité,l'étude de notre charmante racine indo-européenne...
*h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
- digeste, gérer, gérondif, gestation, geste, indigeste, suggérer,
un exemple de gérondif ? "En digérant"., 16 février 2020,
- agir, agiter, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exiger, exigu,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?, 23 février 2020,
- acte, acteur, action, actually, actuel, actuellement, agence, agent, agissements,
et... action !, 1er mars 2020,et
- aurige, cacher, cachet,
et la statue de l'aurige, celle qu'on vient de retrouver à Delphes, on va l'appeler COMMENT ???, 8 mars 2020.
Je vous avoue ne pas vraiment déborder d'énergie.
Je dirais même que j'en ai un peu ras-le-bol...
Je me contenterai aujourd'hui d'un article court, mais que j'espère également surprenant.
Voyons, voyons...
Nous en étions restés, le 8 mars dernier, aux dérivés du latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”, c'est bien ça ?
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racine proto-indo-européenne *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”
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proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
proto-italique *ag-e/o-, “faire, agir”
⇓
latin agō, -ere, “mouvoir, (se) conduire, faire, agir...”
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Eh bien, pour ce dimanche, je vous propose encore un dérivé
- oui, un seul -du latin agō, mais spécialement choisi pour son... originalité.
Je veux dire par là que RIEN ne permet de le rattacher, de prime abord, à agō, -ere, et a fortiori, à notre douce *h₂eǵ-e/o-, “conduire, diriger”.
Vraiment, ce mot est remarquable.
Et à plus d'un titre.
Je vous propose donc, en ce dimanche de Pâques confiné, le verbe... squatter !
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un beau squat |
- Mais enfin, c'est un bête emprunt, un stupide calque
Mais quel intérêt !? En plus, encore de l'anglais ! Beurk !
- et récent, qui plus est -à l'anglais to squat !
Mais quel intérêt !? En plus, encore de l'anglais ! Beurk !
- Monsieur Ucon, ça alors !?
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Fernand Ucon, pour ceux qui ont encore le plaisir de ne pas le connaître |
Effectivement, j'ai cru comprendre que certains Français vomissaient l'anglais.
Et faisaient même un gros caca nerveux chaque fois qu'un mot anglais trouvait place en français.
Ce qui me fait d'ailleurs penser que l'anglais squat toilet désigne ce que nous appelons des toilettes à la turque : où il faut..., selon le sens original de squat
- nous y viendrons -,
s'accroupir.
Ce n'est même pas le phénomène des emprunts qui les rend fous, car un emprunt au latin, c'est parfait. Ou au grec ancien : miam miam. Un emprunt à l'espagnol, ça passe aussi très bien.
Mais dès qu'il s'agit d'un emprunt à l'anglais !?
Enfin...
- Mais oui, Blondieau, l'anglais est en train d'enlaidir le français, de l'appauvrir, de le faire disparaître, tout simplement !
- Ouais, Ucon. Le fait que l'anglais soit constitué au moins d'un tiers (voire deux tiers, selon certaines sources) d'emprunts au français, ça ne vous choque pas outre mesure ?
Et que malgré cela, l'anglais soit justement si riche et si vigoureux...
Personnellement, je ne crois pas que les emprunts appauvrissent une langue.
Au contraire, ils l'enrichissent. Preuve en est... l'anglais.
Le vrai souci, je pense, c'est la pauvreté, la médiocrité du français tel qu'il est utilisé par la plupart des francophones.
Quand votre langue est pauvre, que votre vocabulaire est limité, vous emploierez plus volontiers des mots étrangers en lieu et place de beaux mots existant déjà dans votre langue, mais que vous ne connaissez tout simplement pas.
Que nos gouvernements mettent enfin le paquet sur l'Éducation, sur l'étude du français, et des langues étrangères - y compris l'anglais -, et nous en reparlerons.
Bref.
Squatter !
Avant de parler du verbe, parlons du nom.
Le nom masculin squatter est un calque, attesté en 1835, de l'américain... squatter, attesté, lui, quelques décennies auparavant, en 1788.
Les squatters étaient, tant en américain qu'en français, ces pionniers qui allaient s'établir sur des terres inoccupées
(par l'homme blanc, en tout cas, un peu de sérieux)du Far west, sans titre de propriété.
Ce terme d'anglais américain descendait de l'anglais to squat, “s'accroupir, s'asseoir sur ses talons”.
Le lien entre “s'installer sur une terre (prétendûment) inoccupée” et “s'accroupir, s'asseoir sur ses talons” ?
C'est une excellente question.
Je n'en sais trop rien. Je pourrais penser que ce lien se fonde sur une des acceptions du terme original, qui, à côté de “s'accroupir, s'asseoir sur ses talons”, pouvait également signifier “se tapir”, d'où “se blottir”.
Vous ne vous blottissez que dans un endroit où vous vous sentez “chez vous”.
Il faudrait peut-être même distinguer une légère touche de sarcasme derrière l'emploi du terme associé à l'établissement des colons américains.
Il pourrait également faire référence à une autre acception de l'anglais to squat, ancienne et désuète, proche de “se tapir” : “rester caché, se retirer de la vue (d'autrui)”.
Pour, dans ce contexte, “s'installer en douce”...
Très honnêtement, je n'ai pas de réponse précise et absolue à cela. Si donc, vous, vous en avez une, je suis preneur...
Très honnêtement, je n'ai pas de réponse précise et absolue à cela. Si donc, vous, vous en avez une, je suis preneur...
Ce qui est certain, c'est que l'anglais to squat, “s'accroupir”, mais aussi “aplatir, écraser...”, descendait du moyen anglais squatten.
Mais ce moyen anglais squatten n'était, lui, qu'un vulgaire emprunt à... l'ancien français esquater, esquatir, escatir, “comprimer, presser, aplatir...”.
Cet esquatir se composait de ex- et de... quatir.
Arrivé ici, moi, si j'étais vous, je relirais l'article du 23 février,
exiger de s'agiter sans ambages, c'est un peu ambigu, non ?,
et sur ma lancée, aussi celui du 8 mars,
et la statue de l'aurige, celle qu'on vient de retrouver à Delphes, on va l'appeler COMMENT ???...
Vous avez le temps, enfin, vous êtes CONFINÉS !
Et l'ancien français quatir était issu, lui, d'un latin populaire (non attesté) *coactire,
formé sur coactus, le participe passé de... cōgō, cōgere, “rassembler, collecter...”,
dont nous avons précisément parlé le 23 février dernier, et qui se décompose en...
co- (cum-, con- : avec) + ... agō.
Ça vous en bouche un coin, ça, non ?
Ce méprisable emprunt à l'anglais squat
- beurk -n'est (encore) qu'un (énième) mot gentiment récupéré et conservé en anglais, à partir de notre propre ancien français.
Notez, je me moque (gentiment) de certains Français un peu chatouilleux, mais il y en a aussi qui sont franchement anglophiles, et qui vont même jusqu'à considérer Boris Johnson comme un être exceptionnel, un véritable homme d'état, qui mène
- je cite ; le plus dur, c'est de ne pas rigoler -
une politique ouvertement sociale.
Mais, un peu à la Boris Johnson, moi aussi, je vous mens...
Du moins, par omission.
Car si l'anglais a conservé pour nous le vieux, vieux, terme escatir, nous n'avons pas abandonné pour autant le terme principal du composé, catir.
Oh, bien sûr, il y a bien longtemps qu'il ne signifie plus
- nah nah nah nah, je vous l'avais dit, qu'il fallait relire et la statue de l'aurige, celle qu'on vient de retrouver à Delphes, on va l'appeler COMMENT ??? -“presser, serrer, contraindre, dissimuler...”.
En revanche, une de ses acceptions, “frapper, heurter”, a évolué en un sens spécialisé, technique.
Au début du XVIIIème, le mot a ainsi signifié “donner le lustre à une étoffe en la pressant et en la frappant”.
On parlait, en toute logique, d'un tissu cati.
Et si dans l'Encyclopédie, en 1753, on trouve à l'entrée décatir “démêler le poil d'une peau destinée à la fabrication de chapeaux”, le verbe est bien attesté, en 1812, au sens de “enlever l'apprêt et le brillant (d'un tissu)”.
Au sens figuré, en parlant d'une personne, son participe passé décati signifiera bientôt... “usé, marqué par l'âge”.
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vieillard décati |
Non mais, sans rire, vous auriez fait le lien, vous, entre, par exemple, nos digeste, gérondif, gestation, ambages, ambigu, cailler, coaguler, cogiter, exigu, acteur, aurige, cacher, cachet, squat et décati ???
Hein ?
Allez,
Chères lectrices, chers lecteurs, à vous toutes et tous, un excellent dimanche, une belle semaine !
Et surtout, surtout, surtout, protégez-vous.
Portez-vous bien !
Bonne fête de Pâques à vous tous !
Et puisque vous êtes confinés, profitez encore du blog !
(C'est gratuit, en plus.)Et relisez tout ce que j'ai pu raconter, au fil des années, autour de Pâques.
Frédéric
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CHAQUE JOUR de la semaine.
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Et pour nous quitter,
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La Passion selon saint Matthieu, BWV 244.
Ici, le choeur d'ouverture de cette oeuvre magistrale.
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