- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 juillet 2018

Un petit poisson, un petit oiseau


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La piscine





 Dans une monarchie bien réglée, les sujets sont comme des poissons dans un grand filet, ils se croient libres et pourtant ils sont pris. 

Montesquieu


Charles-Louis de Secondat,
Baron de La Brède et de Montesquieu,
18 janvier 1689 – 10 février 1755

















Bonjour à toutes et tous !

Nous avons découvert, dimanche dernier, que notre piscine descendait du latin piscis, “poisson”.

Mais au fait, et notre poisson


poisson


Car s'il provient bien de ce piscis latin, pourquoi alors cette forme si curieuse?


Avant tout 
- je tiens à vous rassurer quand même ; des sueurs froides, par un temps pareil, ce ne serait vraiment pas très conseillé -, 
le français poisson, OUI, descend bien du latin piscis.

Mais alors ?? 

Comment avons-nous pu passer de piscis à poisson ?? 
Alors qu'en plus - je ne veux pas rajouter une couche mais bon - nous avons si bien conservé la forme originale dans notre piscine...

Curieux, non?


Un magnifique spécimen de moins-bien comprenant







Sachez par ailleurs que tous les dérivés de piscis y ressemblent furieusement (à piscis, je précise, à l'adresse des moins-bien comprenants).










Je pense notamment  ...

  • à l'espagnol (castillan) pez, peje,
  • à l'asturien pexe
  • au catalan peix, 
  • au - soyons fous - galicien peixe
  • à l'italien pesce, 
  • à l'occitan peis, 
  • au portugais peixe,
  • au roumain pește,
  • au sicilien pisci...


Même en sarde ! 
Et s'il y en a qui s'y connaissent en poisson - surtout en sardines -, c'est bien les Sardes, non?
Pische, pisci.


Sarde


Encore mieux que ça ! En albanais, emprunté au latin, on trouve peshk.


Tintin en albanais
(source)


Alors quoi ???

C'est quoi ce poisson parfaitement improbable, saugrenuincongru?
N'ayons pas peur des mots: aberrant.


aberration chromatique


Eh bien, tout s'explique par l'Histoire, mes enfants !...

Même si on doit faire preuve d'un sens certain de la déduction, quand les preuves historiques, en d'autres termes, les attestations, manquent.




Tout porte à croire qu'en ancien français, poisson se disait peis
Peis, dérivé on ne peut plus logique du latin piscis.

Bon, on n'en trouve plus aucune preuve directe...


Fernand Ucon





- OK OK, tu commences déjà à nous raconter n'importe quoi, hein, c'est ça !


- Oh, bonjour Monsieur Ucon, vous allez bien ? 










Mais on peut supposer sans crainte du ridicule qu'il y a bien eu un peis ancien français.
Pourquoi? Par sa présence attestée dans des composés.

Comme craspeis, “baleine” (XIIème), littéralement “poisson gras”.


 Craspeis que par ailleurs le moyen anglais *grampas, grappays, grapas, graspeys nous a emprunté via l'anglo-normand grampais, pour faire l'anglais grampus, désignant notamment l'orque. L'épaulard, quoi.


Ou encore porpeis“marsouin” (XIème), littéralement “poisson porc”.

Tout était parfait, tout tournait, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.




Mais voilà.

Il y a dû y avoir confusion entre ce peis et vraisemblablement son homonyme peis (“paix”), ou alors peis, “pois”
Oui, Monsieur Ucon, comme dans petit pois. C'est bien.

Qu'est-ce qu'on a fait à l'époque? On n'allait quand même pas inventer un nouveau mot pour désigner le poisson, quand même ? Mais non ! On a conservé peis, et on l'a tout simplement rallongé

On lui a fourgué le suffixe -on, et toc. Tout était réglé, plus de confusion possible.




De peis, on a fait pescion et peison (attestés tous deux du côté de 980), pour enfin arriver, deuxième moitié du XIIème, à ... poisson.


poisson


- Tiens, et euh, pourquoi le poisson désigne-t-il le Christ, dans l'art chrétien primitif, et surtout en auto-collant sur l'arrière de certaines voitures de petites ou moyennes cylindrées? (vérifiez!) 




Ben, à l'origine, c'est un jeu de mots un peu nunuche, certes, mais pas méchant pour un sou.

Car les premiers chrétiens, pour éviter d'avoir des bricoles avec les autorités qui ne reconnaissaient pas encore la Seule Vraie Foi, usaient d'un truculent subterfuge pour ne pas trop se faire remarquer, tout en se faisant reconnaître par leurs pairs.

Dès qu'ils pouvaient, ils dessinaient des poissons, ou clamaient à qui veut l'entendre - ou pas - qu'ils adoraient le poisson...

Poisson car, en grec ancien, poisson se disait... ἰχθύς, ikhthús.

Et de ἰχθύς , ils avaient fait - c'était un secret !!! - un acronyme
Iesous Christos Theou Uios Soter, autrement dit “Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.

Inutile de vous dire que leur stratagème d'une rare subtilité n'a rigoureusement JAMAIS fonctionné, tant il était d'une confondante et consternante euh... candeur, pour rester aimable et gentil. 
Le côté positif, c'est que ça a permis d'augmenter le nombre des martyrs de la Cause, ce qui est toujours bon pour la comm.

Bon, ouais, bien sûr, les vraies raisons à ce rapprochement entre le Christ et le Poisson sont d'ordre symbolique, et nettement plus sérieuses et profondes, comme par exemple le fait que ce soit une baleine, considérée à l'époque comme un poisson, qui a abrité et protégé Jonas pendant trois jours et trois nuits dans son ventre, avant que le prophète en surgisse transformé, re-né... (même si pour l'odeur, c'était pas trop ça), représentant le cheminement ésotérique que tout bon chrétien doit savoir faire en lui-même (sinon, il ne serait pas ésotérique, hein. J'dis ça comme ça) avant de renaître à la vie spirituelle, et devenir un homme meilleur. 






Allez, avant de nous quitter, je ne résiste pas à vous donner le gallois pour poisson.

En gallois, donc, poisson se dit
(enfin... s'écrit, car vous le savez, le propre du gallois, c'est que RIEN ne s'y prononce JAMAIS comme à l'écrit. Une petite coquetterie...)
pysgod.
Allez, je me risque à le prononcer, rien que pour vous...: "peuskott".

Et ce pysgod, étymologiquement, même si emprunté au latin, ne désigne pas tant le poisson en tant qu'espèce ou animal, mais le désigne comme le produit de la pêche
Ça dit tout sur leur mentalité, tiens, aux Gallois...

Car si pysgod est emprunté au latin, ce n'est pas à piscis. 

Que nenni.

Non, c'est de piscātus, qu'il descend.

Piscātus le participe passé de piscor (“pêcher”), créé, lui, sur piscis.

Le gallois pysgod désigne donc ce qui est pêché.



Allez, la récap', et vive les vacances !



racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
proto-italique *piski-, “poisson

latin 
piscis, “poisson”

ancien français peis“poisson”, uniquement attesté dans des composés

confusion homonymique, vraisemblablement avec peis, “paix”, ou peis, “pois”

ajout du suffixe -on ⇒ ancien français pescion / peison puis poisson


---

racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
proto-italique *piski-, “poisson

latin 
piscis, “poisson”, d'où crassus piscis, poisson gras

ancien français craspeis“poisson gras, baleine...
anglo-normand grampais
emprunt
moyen anglais *grampas, grappays, grapas, graspeys, “poisson gras, baleine...
anglais grampus, “orque...

---

racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
proto-italique *piski-, “poisson

latin 
piscis, “poisson”

latin piscor, “pêcher”
participe passé piscātus, “pêché”
emprunt
gallois pysgod, “poisson



Je vous souhaite, à toutes et tous, 
un très agréable dimanche, une belle semaine sous le soleil !





Frédéric, en mode Alexandre...




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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
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CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
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c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 

Juliette Gréco, 
à Bobino, en 1972, 
nous chante le délicieux

Un petit poisson, un petit oiseau...



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dimanche 22 juillet 2018

La piscine






 J'ai touché le fond de la piscine
Dans le petit pull marine
Tout déchiré aux coudes
Qu'j'ai pas voulu recoudre
Que tu m'avais donné
J'me sens tellement abandonnée

Y'a pas qu'au fond de la piscine
Que mes yeux sont bleu marine
Tu les avais repérés
Sans qu'il y ait un regard
Et t'avais rappliqué
Maintenant je paie l'effet retard 

Isabelle Adjani, Serge Gainsbourg, Pull Marine





Bonjour à toutes et tous !


Il fait chaud. Il fait très chaud.
Il fait lourd.




Et il fait chaud.
Et encore encore plus chaud. Et encore plus lourd.


un appel au secours d'un fermier écossais. 
Probablement ses dernières paroles,
car succombant à une vague de chaleur de près de 15°.


Et je ne rêve que d'une seule chose...
Plonger dans l'eau délicieusement fraîche, d'une piscine.





















Le voilà, le sujet de ce dimanche: non pas canicule, dont nous avons déjà parlé dans
Aux Canaries, par cette canicule? Quel cynisme, gros canaillou!
mais bien ... piscine


Ça peut paraître évident pour certains d'entre vous, mais savez-vous d'où nous arrive notre piscine?
C'est par là que vous pourrez d'ailleurs expliquer pourquoi ce mot prend étrangement un s suivi d'un c.

Notre piscine est en fait un emprunt de la fin du XIIème au latin piscīna“vivier”.
Oui, entendez le bassin où l'on élevait des piscēs, des poissons, du latin piscis“poisson”.

C'est aussi simple que ça.

Enfin...

En ancien français (où l'on trouvait le mot tant sous la forme piscine que pecine), le terme piscine n'était utilisé que dans le cadre de la liturgie catholique, d'après la Piscine probatiqueà Jérusalem, où l'on purifiait les animaux qui devaient être offerts en sacrifice (moutons, brebis), et là aussi où Jésus aurait guéri le paralytique.
Ce probatique n'a strictement rien à voir avec nos probatoire ou probation, que ce soit clair. Il n'est qu'un emprunt au grec ancien πρόβατον, προβατιον, probaton, petit bétail”, référence directe à ces pauvres bêtes destinées au sacrifice.

Reconstruction des deux bassins de la Piscine
probatiqu
e à l'époque du Christ
(source)


Piscine s'emploie aussi, au  milieu du XIIIème, pour désigner le bassin où le prêtre officiant se lavait les mains...

Il faudra attendre le XVIème pour le mot passe dans l'usage général, et retrouve - enfin - son sens étymologique de “vivier”. Il va alors commencer à désigner un simple bassin où l'on se baigne.

Mais ce n'est que bien plus tard, dans la deuxième moitié du XIXème, que son sens courant de “grand bassin de natation sera attesté.


Bon, ça, c'est une chose.

Et d'où qu'i' v'nait, hein, le latin piscis?

Du proto-italique, bien sûr. De *piski-, bêtement “poisson”.

Et... d'où qu'i' v'nait, l'italique *piski-? Hein, hein?

Ben oui, de l'indo-européen *pisk- (ou *peysḱ- selon d'autres transcriptions), “poisson”.

Mais attention: la racine peut être qualifiée d'indo-européenne car on la retrouve dans plusieurs groupes linguistiques indo-européens, certes, mais ... uniquement dans les groupes occidentaux: dans les langues romanes, celtiques et germaniques

Ce qui fait dire à Guus Kroonen qu'il s'agirait plutôt d'une racine indo-européenne... occidentale

Arrivée sur le tard, si vous préférez, bien après que les grands groupes de langues indo-européennes se furent formés à partir de la langue de départ, l'indo-européen commun.

Même si, en sanskrit... Mais on y reviendra plus tard.


En résumé:




racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
proto-italique *piski-, “poisson

latin 
piscis, “poisson”

latin piscīna“vivier

emprunt

ancien français piscine, pecine, “piscine probatique”, d'où divers sens dans la liturgie catholique

généralisation
français piscine, “bassin où l'on se baigne”, puis grand bassin de natation


Bon, ben c'est déjà ça!!


Et moi, je me mets en mode ... vacances. 

Un article par semaine, oui, je m'y engage, mais les articles se feront plus courts, comme chaque année à la même époque.
Un peu comme les jours, après la Saint-Jean d'été...


Aaaaah, un peu de calme, de laisser-aller...

Philippe Noiret, dans le divin Alexandre le Bienheureux,
Yves Robert, 1968



Amis lecteurs, 
Merci - vraiment, sincèrement - de me suivre, de me lire, et parfois, de me le dire ! 




En ce lendemain de fête nationale
- Eh oui, nous, Belges, nous sommes libérés du joug de Guillaume Ier (Guillaume Frédéric d'Orange-Nassau, roi des Pays-Bas) en 1830, et nous célébrons notre fête nationale le 21 juillet, commémorant ainsi le serment du 21 juillet 1831, au cours duquel notre premier roi, Léopold de Saxe-Cobourg, jura de rester fidèle à la Constitution. 
(Remarquez que nous parlons du Roi des Belges, et non du Roi de Belgique, ce premier Roi ayant été choisi par - non pas le peuple, n'exagérons rien - mais par ses représentants.)

En ce lendemain de fête nationale, donc, je vous souhaite un excellent dimanche, et une superbe semaine. Un peu moins chaude, peut-être?





À dimanche prochain, pour la suite des aventures de la trépidante *pisk-“poisson”!


Vive la Belgique, et vive le Roi!





Frédéric




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Et pour nous quitter, 


Ben oui
- ça alors, quelle surprise!? -,

Pull marine,
co-écrite par Isabelle Adjani et - évidemment - Serge Gainsbourg.

Qui plus est, dans un clip réalisé ici - excusez du peu - par Luc Besson



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