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dimanche 18 novembre 2012

Fergus le loup-garou est un virtuose de la violence





Troisième volet dans notre cycle des "mots basiques" !

Lors des deux derniers dimanches (voir Terre des hommes ? Pléonasme !  et Manneken-Pis, yeomen et autres moujiks), nous avions parlé de racines proto-indo-européennes à l'origine des mots homme et man.

Eh bien, nous allons continuer, non pas avec une racine évoquant le mot femme mais avec encore(!) une autre racine évoquant la notion d'homme.

Cette racine, plus précisément, est derrière le mot "viril".

Mais elle nous a donné d'autres mots, bien connus, que pourtant nous n'associons pas nécessairement les uns avec les autres, et encore moins avec cette racine.

Pour cette raison, elle mérite toute notre attention!

Cette racine proto-indo-européenne, dévoilons-la à présent :

*wī-ro- (ou *wiHrós- selon la retranscription choisie) : "homme"

*wī-ro- , comme vous le constatez, est déjà un composé (dans sa forme la plus ancienne supposée, il s'agirait de *wihx-ro).

Il nous faut donc d'abord aborder les deux composants de ce composé !

*-ro- est tout simplement un suffixe adjectival, en d'autres termes utilisé pour la constitution d’un adjectif à partir d’un nom.
Même principe pour le français chant qui a donné le mot chanteur par l'ajout du suffixe -eur.

D'accord, mais quid de *wī- ?

Il s'agit en fait de la forme au degré zéro de la racine *weiə-, qui véhiculait des notions comme "courir après quelque chose", ou "poursuivre avec vigueur, désir".

Sous sa forme nominale, elle évoque la force, le pouvoir

*wī- est à l'origine du latin vīs : la force, qui a donné des dérivés irréguliers comme viōlare : traiter avec violence, et violentus : violent, véhément.

Sous une forme suffixée au degré "o" (pas zéro, o!) - avec donc un beau o comme voyelle dans le radical : *woi(ə)-tyā, *weiə- nous a donné gain, ou gagner !
De l'ancien français gaaigner, gainier : obtenir.

Enfin, oui, obtenir, mais quand même pas par n'importe quels moyens...,  gaaigner étant fondé sur le germanique *waithanjan : chasser, piller, voler...

Que voilà une plaisante racine…
Mais comme souvent, tout n'est jamais ni tout blanc, ni tout noir...

Car sous une forme suffixée au degré zéro cette fois, *weiə- devenant *wiə-to, allait signifier… inviter !

C'est sur cette forme que le latin invītāre (inviter) s'est créé, par la conjonction du préfixe privatif in- et du radical vis ("force, volonté").

"Inviter" évoquerait donc originellement l'idée de "prendre chez soi, mais sans faire appel à la force" !

Le latin invitus voulait dire malgré soi, à contrecœur, comme dans invitus bellum gero : je fais la guerre à contrecœur.


Et donc, si nous revenons à notre composé proto-indo-européen *wī-ro-, il devait donc probablement désigner le chasseur, le pilleur
En tout cas, dénotant une idée de force, de vigueur, mais aussi de violence


Notre racine proto-indo-européenne *wī-ro- nous a donné l'anglais werewolf : littéralement l'homme-loup, donc le loup-garou.

Wallace, Gromit et l'effrayant lapin-garou

Mais elle se retrouve également dans l'anglais… world ! Le monde.
Par le vieux haut-germanique *wer-ald : "vie, ou âge de l'homme", ald signifiant "âge".

Le français loup-garou lui-même provient de la racine *wī-ro- dérivé du vieux français garoul, lui-même calqué sur le francique *wer-wulf : "homme-loup".

D'autres dérivés de *wī-ro- ?

Mais certainement !

Une virago, c'est une femme d'aspect viril, autoritaire, grossière, rude… Mais en latin, c'était aussi une guerrière, une héroïne

Virago


Vertu et vertueux
Le mot vertu vient du mot latin virtus, lui-même dérivé du mot vir.
Tandis que vir sert à nommer l'individu humain de sexe masculin, virtus désigne la force virile et, par extension, la "valeur", la "discipline" opposée au "courage", plutôt synonyme d'impulsivité.

Gladiateurs : Virtus et Honor : la force et l'honneur
Le courage était d'ailleurs même un défaut, considéré comme essentiellement barbare.

Caius Marius sur la vertu :
"La vertu est la clef de voûte de l'empire, faisant de chaque seconde de la vie du citoyen, une préparation minutieuse aux dures réalités de la guerre, et de chaque bataille rien d'autre qu'un sanglant entrainement".

Ce bon Caius Marius méditant sur
les ruines de Carthage


Virtuose et virtuosité
Virtuose nous vient de l'italien virtuoso, correspondant à vertueux : "qui pratique le bien, la vertu" et est construit sur le latin tardif virtuosus, "vertueux", du Latin virtus, "excellence".
Par extension, le terme en est venu à signifier très doué, faisant preuve de maitrise.

Paganini, virtuose incontesté du violon


Dans la Rome antique, le mot curia, traduit en français par curie, désigne un groupe d'hommes, ou le lieu où ils se réunissent. Le terme désignait ainsi des subdivisions civiques à Rome à l'époque de la monarchie et dans les cités de droit latin.

La Curie (en latin Curia) désigne le bâtiment où se réunissait le Sénat romain, bâtiment toujours visible sur le forum romain aujourd'hui.

Curia peut probablement se décomposer en co-vir-ia: "des hommes ensemble", "assemblée d'hommes".

La Curia, le siège du Sénat romain

Fergus
Le prénom Fergus reprend la racine composée *wī-ro- passée en vieil irlandais : fer : homme, associée à la racine celte *gustu : la force, utilisée dans les noms propres.

Fergus, c'est donc celui qui a la force des hommes





Merci de me lire !
Bon dimanche, bonne semaine à toutes et tous !




Frédéric



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