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"Défie-toi d'un homme qui parle peu,
D'un chien qui n'aboie guère,
Et de l'et cetera d'un notaire."
Quelque six mille proverbes
et aphorismes usuels
empruntés à notre âge et aux siècles derniers
et aphorismes usuels
empruntés à notre âge et aux siècles derniers
Charles Cahier, 1856
Bonjour à toutes et tous!
Aujourd’hui, le mot le plus bête de la langue française!
Rantanplan, le chien le plus stupide à l'ouest du Pecos |
Non, c’est pas vrai, il n’est vraiment pas bête, mais il est, disons… commun.
Même plus que ça.
Au point que finalement, il n’intéresse personne.
Il n’a pas vraiment de sens précis ; il fait partie des meubles, il ne représente strictement aucun intérêt si ce n’est celui de réunir d’autres mots.
Ce mot, c’est “et”.
Vraiment, que pourrait-on en dire!
"Conjonction de coordination qui sert à lier les parties du discours, les propositions ayant même fonction ou même rôle, à exprimer une addition, une liaison, un rapprochement."
“Et” nous arrive du latin classique et.
Que l’on pourrait traduire par “et”.
C’est tout bonnement captivant.
Et le et latin, vous vous en doutez, provient d’une racine proto-indo-européenne.
*eti-
- Qui s’utilisait comme conjonction, dans le sens de “et”?
- Eh bien non!
*eti- signifiait...
- ou plutôt: “le champ sémantique de *eti- devait couvrir les notions de...” ; nous avons déjà parlé de la difficulté de retrouver le sens précis d’une racine multimillénaire -au-dessus, au-delà.
Oui, une liste comme “Anton, Ivan, Boris et moi” peut se comprendre comme “au-delà d’Anton, Ivan, Boris”, il y a moi”.
Notez que ça marche avec beaucoup d'emplois de la conjonction de coordination “et”, comme dans “Rebecca, Paula, Johanna et moi”: “au-delà de Rebecca, Paula, Johanna, il y a moi”.
Ou même "Sacha, Sonia, David et moi, Dimitri, Yanni, Natacha et moi": "au-delà de Sacha, Sonia, David, Dimitri, Yanni, Natacha, il y a moi".
Mais oui, faut bien que je meuble...
Avec ça, j’aurai déjà pratiquement fait le tour de notre “et”!
Mais bon, en français, nous utilisons encore l’expression “et cetera”.
Alors poussons jusque là:
cette locution est empruntée au latin médiéval juridique “et cētera desunt”, que l’on pourrait traduire littéralement par « et le reste est omis », cētera étant le neutre pluriel de cēterī: “tous les autres”.
Cēterī donnant au singulier cētĕrus
Tiens, profitons-en: écrire et caetera ou et cætera, c’est reprendre une vieille bêtise étymologique, du temps où l’on pensait que et cetera dérivait du grec ancien καί ἕτερα, kaí hetera (« et les autres »).
(Mais en revanche, oui, le cētĕrus latin est bien apparenté au grec ancien ἕτερος, heteros, « autre ».)
Et il n’y a vraiment aucune raison de prononcer l’expression /ek sétéra/: c’est bien /et sétéra/, sans aucun doute.
Alors - faut-il vraiment le préciser? -, notre racine proto-indo-européenne *eti- se retrouve dans pas mal de langues indo-européennes.
- Il y a déjà l’adverbe latin etiam (aussi, même)
- le portugais e, l’espagnol y, l’italien e/ed…
Soupalognon y Crouton (et son fils Pépé) |
ou encore
- l’ancien grec ἔτι, éti “encore”,
- le sanskrit अति, áti (“très, au-delà”), ou, de même sens, le vieux persan ativ et l’avestique aiti.
- Et l’anglais and, et l’allemand und, et le néerlandais en…
- Non. Pas du tout. Absolument pas. Aucun rapport.
- Mais, mais, mais enfin…
- Ouais je sais, “et” et “and”, ou “en”, ça se ressemble très fort, hein?
Mais voilà…
Ô nuit désastreuse! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle: le lien entre et et and se meurt, le lien entre et et and est mort!
(merci à Jacques-Bénigne Bossuet, qui n'était pas Aigle de Meaux pour rien)
Oui! Je sais, ça surprend, que deux mots de sens et de forme pratiquement identiques n'aient finalement aucun rapport entre eux.
C’est comme ce qui se passe avec temps et time…
temps: Avez-vous le tempérament pour jouer du Bach?
time: le démagogue est en quelque sorte le démon de la démocratie
Si vous voulez vraiment le savoir, les formes germaniques and, und, en… proviendraient, elles, d’une toute autre racine proto-indo-européenne… (proviendraient, hein, parce qu’on n’en est pas plus sûr que ça de la racine originale)
Cette racine, c’est *en-. Celle qui donnera le latin in, le français en! ("dans")
En se basant sur les différentes versions de “et” dans les langues germaniques:
- le vieux saxon endi,
- le vieux frison anda,
- le moyen néerlandais ende,
- le vieux haut-allemand enti,
- le vieux norois - aaah! - enn
- …,
Et on pourrait supposer qu’à l’origine de ce *anda / *unda germanique se cache la racine *en- au degré zéro, *n̥-, sous une forme suffixée en -*dha-: n̥-dha-.
Mais vous savez, ' suffit de relire ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite, car on en a déjà parlé, de *en-, dans cet incroyable article où nous faisions de l’ésotérisme chrétien! Si si!
Mais bon, revenons à notre *eti-.
J’avais mentionné, au nombre des dérivés de *eti-, l’ancien grec ἔτι, éti “encore”.
En fait, sous une acception équivalente, nous retrouvons aussi notre racine dans le groupe germanique.
Avant de poursuivre, rappelez-vous que pour les anciens, le temps n’était pas linéaire, mais cyclique.
Ok? C'est bon pour tout le monde?
Alors, on continue.
Car en proto-germanique, les formes *idi-, *idi, *ida signifiaient “encore, à nouveau”, mais aussi “à l’envers”, “de/en retour”.
Car dans un monde où le temps est cyclique, si un phénomène se représente, c’est qu’il … revient!
Les notions véhiculées par à nouveau et à l'envers sont, dans un monde au temps cyclique, très proches.
Ces germaniques *idi-, *idi, *ida, on les retrouve par exemple dans l’allemand dialectal it- (à nouveau…), dans l’islandais ið- (encore, à nouveau…).
Ou en anglais.
Sous la forme ed-.
Comme dans eddy, le tourbillon, le remous (dans l’eau), du vieil anglais edēa, où
- à ed- est attachée la notion de “tourner, revenir en arrière”, et où
- ēa désignait l’eau (oui, on en a déjà parlé ; à sa base, la racine *akʷ-ā-, relisez donc que d'eau!)
Les aventures d'Eddy, le petit tourbillon |
“Eddish grass” serait ainsi littéralement de l’“herbe qui pousse après (la tonte ou le fauchage)”
Le dialectal edgrow est encore un joli synonyme pour aftermath: suites, conséquences, séquelles…
Pour en terminer avec *eti-, sachez qu’on la retrouve aussi, cette racine si mimi, dans les langues baltes et slaves, par l’intermédiaire du (excusez du peu) proto-balto-slave *at-, construit sur le timbre o de notre racine: *oti-!
Pensons ainsi…
- au préfixe at- présent en lituanien et en letton, pour “de retour, loin”, ou encore
- au proto-slave *otъ (à partir de, depuis… … …), qui donnera le … (MAIS OUI!!) vieux slavon d’église отъ (“otŭ”), le russe от (“ot”), l’Ukrainien від (vid), ou les tchèque et polonais od, ode…
Un tout petit mot, bien commun, dérivé d’une toute petite racine, et voilà, on peut tenir tout un dimanche…
Merci qui?
Merci le proto-indo-européen, évidemment!
Allez, très bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très agréable semaine,
Et retrouvons-nous… dimanche prochain?
Ah mais oui, j’oubliais!!
Et Eddy, le prénom Eddy, se pourrait-il qu’il provienne de eddy le tourbillon? Hein, hein?
On ne sait pas vraiment.
Peut-être que oui, ou alors du gaélique eddee, “instructeur”.
Ou encore de la racine saxonne ead: succès, prospérité…
Ce qui d’ailleurs le rapprocherait de Edmond, de Edmée…
(relisez jeux de mains)
Eddy Merckx, ou une autre vision du temps cyclique. |
Frédéric
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