- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 7 novembre 2021

– Vois-tu garçon, il faut battre le fer quand il est... ch...







Bonjour à tous !


En ce jour d'hui, nous sommes toujours à la recherche des dérivés de la racine indo-européenne…

*kelh-, “battre, frapper”.


ça, Frédéric, c'est pas très politiquement correct,
espèce de boomer...



Le point ?

🜛🜛🜛



🜛

Le 10 octobre 2021, à la recherche de l'étymologie du français calamité, nous étudiions les latins
  • călămĭtāsfléau, malheur, défaite, ruine...”,
et
  • incolumis, “sain et sauf, non endommagé...”, d'où 
  • l'espagnol incólume,
  • l'italien incolume,
  • le portugais incólume.
      Călămĭtās et incolumis pourraient peut-être descendre de la racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.

      En revanche, le latin clādēs, “destruction, désastre, défaite...”, en est un parfait dérivé.

      Nobis omnes conscii sumus...10 octobre 2021

      🜛

      Le 17 octobre, nous découvrions un beau dérivé latin de notre racine *kelh-, “battre, frapper”, 
      •  -cellō“frapper”, sur lequel seront composés les latins...
        • percellō, percellere“abattre, terrasser, heurter avec violence...”,
        • recellō, recellere“reculer, rebondir (vers l'arrière) ...”,
      et
        • procellō, prōcellere, “porter en avant, jeter violemment en avant, renverser...”, et en mode pronominalse prōcellere“se jeter en avant, s'allonger...”.
      De procellō dérivera prŏcella, tempêteorageouragan”, d'où, notamment...
      • le portugais procela, de même sens, 
      et nos moyens français...
      • procelletempête”,
      • procellé“produit par l'orage”,
      • procelleux“tempétueux”.
      🜛

      Le 24 octobre, nous avons tenté de trouver des dérivés grecs anciens à notre racine, mais sans grand succès…
      • κλάω, kláô“briser, casser...”, est vraisemblablement emprunté au substrat pré-grec,
      et pour ce qui est de
      • κλάδος, kládos, “branche, jet, brindille...”, son étymologie est peu claire ; il pourrait s'agir d'un emprunt au substrat pré-grec, ou d'un dérivé de la racine indo-européenne *kdo-“(morceau de) bois.
       
      🜛

      Le 31 octobre, nous poursuivions, avec persévérance mais sans trop d'espoir, notre quête des dérivés grecs anciens de notre racine, toujours sans grand succès...
      • κλαδαρόςkladarós, “invalide, infirme...est vraisemblablement un emprunt au substrat pré-grec,
      et 
      • κόλος, kólos, “tronqué, écorné, écourté, raccourci...est également probablement emprunté au substrat pré-grec.
      Nous avions également épinglé quelques emprunts savants que le français avait créés sur le grec ancien, comme claste, le suffixe -claste, clastique, le suffixe -clastique, panclastite, anaclase...

       
      🜛🜛🜛



      Amis lecteurs, 

      Nous allons à présent nous tourner vers les dérivés...

      celtiques



      … de notre racine proto-indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.



      Pour nous servir de druides guides, nous ferons appel, avant tout, à...

      Ranko Matasović,



      Etymological Dictionary of Proto-Celtic,
      le 9ème volume du Leiden Indo-European Etymological Dictionary 


      mais aussi à...

      Xavier Delamarre.



      Dictionnaire de la langue gauloise



      Le décor est planté, le cadre délimité, alors...
      Allons-y !



      Ranko Matasović reconstruit, comme étymon à l'origine d'une première série de dérivés celtiques de notre chère *kelh-, “battre, frapper”, le verbe proto-celtique *klad-o-“creuser, enterrer”.

      Oui, je sais. - “Mais comment peut-on passer de battre, frapper” à creuser, enterrer ?”.
      C'est bien ça ?

      Question judicieuse. Non, le rapport à chercher n'est pas de type consécutif, selon lequel vous enterrez ceux que vous auriez un peu trop battus, frappés.



      Non, je pense plutôt,
      au vu des développements sémantiques que nous ne manquerons pas d'examiner bientôt, et aussi de la forme indo-européenne à laquelle Matasović rattache ce celtique *klad-o-“creuser, enterrer”,
      qu'il faille plutôt y voir une spécialisation du sens de frapper : frapper avec une arme blanche, que l'on finit par enfoncer. L'enfoncement, le creusement, seraient ainsi à comprendre comme le résultat de l'action première. Et le sens d'enterrer ne serait plus alors qu'une évolution de sens à partir de creuser.
      Je peux me tromper, mais je vous expliquerai bientôt pourquoi il m'apparaît qu'il s'agit probablement de la clé de ce glissement de sens. 


      Alors !


      Un rapide rappel, peut-être, sur les langues qui constituent ce groupe celtique ?

      Les langues celtiques :
      • continentales : gaulois, celtibère, lépontique, galate… 
      • insulaires :
        • gaéliques : irlandais, manxois, écossais
        • brittoniques : breton, cambrien, cornique, gallois


      Selon Ranko Matasović, l'étymon celtique (reconstruit, bien sûr, hein !) *klad-o-“creuser, enterrer” explique...

      dans les langues gaéliques
      • le vieil irlandais claidid, ·claid“creuser”,
      Tiens, avez-vous remarqué ce joli point médian, cet interponct devant le c de claid ? (Oh, j'en avais déjà parlé, ici : Fichid le vieil Irlandais avait la victoire rapide.) Dans les ouvrages de linguistique relatifs au vieil irlandais, ce symbole s'emploie pour séparer un élément préverbal (prétonique) de la syllabe accentuée du verbe (comme dans do·beir, donne). Mais il est également utilisé, comme c'est le cas ici, pour citer les formes verbales utilisées après de tels éléments préverbaux (on parlera de formes prototoniques), comme dans ·beir, porte, pour les distinguer des formes utilisées sans préverbe (beirid, porte).
       
      Quelques exemples d'emploi de la prototonique ·claid, peut-être ? (Mais oui, je vous connais comme si vous étiez mes lecteurs...)

          • ad·claid, chasser, pêcher”,
          • con·claid, “creuser, fouiller”,
          • do·claid, “retirer du sol par la racine”,
          • fo·claid, creuser en dessous”.

      d'où
        • l'irlandais claidh“creuser”,
      et
        • le gaélique écossais cladhaich, de même sens,

      Prototonique, enfin, pas protonique ! Vous êtes lourds, parfois.
      Prototonique : accentué sur la première syllabe (deutérotonique : sur la deuxième).


      et

      dans les langues brittoniques
      • le moyen breton clazafaire une tranchée, creuser”,
      d'où
        • le breton klazañ, de même sens,
      et
      • le - ouiiiii oui oui ouiiii !! - moyen gallois cladducreuser, creuser une tombe”,
      d'où
        •  le gallois claddu, de même sens.


      Et maintenant, comme vous avez étés très gentils, je vais vous en dire un peu plus sur cette forme indo-européenne dont descendrait, selon Matasović, le celtique *klad-o-“creuser, enterrer”...

      Il s'agit de *kelhdéti-.

      Et ce *-déti- n'est lui-même qu'une variante de *dʰeh-“faire”

      utilisée pour créer des verbes..., des verbes...

      tadaaaaa

      résultatifs !


      - Résultatifs ? Maisje ?

      - Mais oui, ré-sul-ta-tifs.

      Résultatif :

      Qui implique un état présent… résultant (ben ouais ; on s'en s'rait douté, tiens) d'une action passée.
       
      J'aime beaucoup l'explication que voici : les verbes résultatifs ont souvent le même sens que les accomplis (passé composé) d'autres verbes :
       
      je sais” implique j'ai appris.

      Je la paraphraserais ainsi, pour la mettre en contexte et vous faire part de ma compréhension du glissement de sens frapper ⇒ creuser : 
       
      je creuse (j'enfonce)” implique j'ai frappé (avec une arme blanche)”.

       

      Encore une fois, je peux me tromper, hein ! Mais... retenez quand même cette idée d'arme blanche, vous risquez de la retrouver très bientôt.... Pom pom pom...


       


      Un petit résumé, peut-être, mmmh ?

      racine proto-indo-européenne (timbre e, degré plein) *kelh-, “battre, frapper
      forme verbale résultative (timbre e, degré plein) *kelhdéti-“blesser avec une arme blanche (poignarder...), (d'où) enfoncer
      proto-celtique *klad-o-“creuser, enterrer”
      vieil irlandais claidid, ·claid“creuser”, d'où irlandais claidh et gaélique écossais cladhaich,“creuser”,
      moyen breton clazafaire une tranchée, creuser”, d'où breton klazañ,
      moyen gallois cladducreuser, creuser une tombe”, d'où gallois claddu.




      La semaine prochaine, chers amis lecteurs, nous découvrirons encore (plein) d'autres dérivés celtiques de notre racine indo-européenne *kelh-, “battre, frapper”.




      Je vous souhaite, à toutes et tous,
      un excellent dimanche, une heureuse semaine.





      Frédéric

      ******************************************
      Attention,
      ne vous laissez pas abuser par son nom :
      on peut lire le dimanche indo-européen
      CHAQUE JOUR de la semaine.
      (Mais de toute façon,
      avec le dimanche indo-européen,
      c’est TOUS LES JOURS dimanche…)

      ******************************************

      Et pour nous quitter,

      je vous propose

      God So Loved the World,

       superbe chœur tiré de

      The Crucifixion

      - "Crucifixion?
      Good. Out of the door, line on the left, one cross each".
      Mais là, je m'égare


      The Crucifixion: A Meditation on the Sacred Passion of the Holy Redeemer, 1887,

      oratorio du compositeur anglais John Stainer,
      6 juin 1840 - 31 mars 1901

      merveilleusement interprété par

      Tenebrae.


      https://youtu.be/24pe76Edh_s

      ******************************************

      Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, hein ? Vous pouvez par exemple...
      • vous abonner par mail, en cliquant ici, en tapant votre adresse email et en cliquant sur “souscrire”. ET EN CONFIRMANT le lien qui vous arrivera par email dans les 5 secs, et vraisemblablement parmi vos SPAMS (“indésirables”), ou

      ******************************************

      article suivant : Vouillé, c'est pas dans la Creuse ?

      2 commentaires:

      LeScrat a dit…

      Woppinaize!

      Après 14 semaines passées à parler de "mort" nous voici à nouveau devant des sépultures.. Ça tombe bien, tu m'diras.

      N'empêche avec le ouiiiii oui oui ouiiii !! - moyen gallois claddu, on n'est pas passé loin car la ressemblance est ..frappante.

      https://www.youtube.com/watch?v=dn7hbghmd44

      Très belle semaine, Frédéric!!

      Frédéric Blondieau a dit…

      @LeScrat

      Ah oui, juste ! =-D
      Claddu, qui est évidemment aussi un bel hommage à "Le Jour où la Terre s'arrêta"

      Merci, et bonne fin de semaine !