- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 janvier 2017

- Et la Stasi, alors ? - Non, RIEN à voir.


article précédent : Debout, Albanie !



L'iconostase, haute muraille de vermeil à cinq étages de figures (…) éblouit l'œil par sa fabuleuse magnificence. À travers les découpures de l'orfèvrerie, les mères de Dieu, les saints et les saintes passent leurs têtes brunes et leurs mains aux tons de bistre (…) Quel beau motif de décoration que ces iconostases, voile d'or et de pierreries tendu entre la foi des fidèles et les mystères du Saint-Sacrifice !

Théophile Gautier, 
Voyage en Russie

Théophile Gautier,  1811 - 1872
















Bonjour à toutes et tous !


Alors, à votre avis, de quelle racine va-t-on traiter aujourd’hui, mmmh ?

Eh oui, j’en suis profondément désolé, mais en ce dimanche, ce sera ENCORE *stā-, “être debout” !


Allons, allons, ce ne sera qu'un tout petit moment à passer


Avec des dérivés que, peut-être, vous ne soupçonneriez pas…



Vous avais-je déjà parlé de cette forme dédupliquée *si-st(ə)-, basée sur le degré zéro de notre glorieuse *stā-: *stə- ?

Question toute rhétorique, ne cherchez pas.
OUI, on en a déjà parlé, de cette forme dédoublée, quand nous avions entrepris de trouver l’étymologie de armistice.
résister, persister... Ces mots prennent à présent toute leur valeur.

En latin, *si-st(ə)- était devenue sistō, sistēre, “mettre en place”. 

Certes.
Mais on la retrouve aussi en grec ancien…

Où elle donnera également un verbe : ἵστημι, hístêmi, de sens équivalent : “placer, mettre en place…”. Ou encore “être / se mettre debout, arrêter, établir…”
Toute petite remarque : ἵστημι, hístêmi se retrouve aussi sous des formes alternatives (comme les faits de Donald Trump), comme le tardif ἱστάνω, histánō, ou le poétique στᾰτίζω, statízō.

Et autant que je vous le dise tout de suite : ce dimanche sera entièrement consacré à la progéniture du grec hístêmi, à qui nous devons tant...
Si si, n'insistez pas, c'est comme ça


Allons-y.

L’équivalent grec du cum latin, c’était… σύν, sún, “avec, ensemble.”

Maître Sún, avec. (Un  petit Scarabée devenu grand.)
(Kung Fu)


Bien. Maintenant, vous préfixez ἵστημι, hístēmi avec σύν, sún,
et vous obtenez… συνίστημι, sunístēmi : “placer ensemble, associer, unir…”.

Le substantif que l’on tirera de συνίστημι, sunístēmi, c’est … σύστημα, sústēma.
Que l’on pourrait traduire très génériquement par “un tout fait de plusieurs parties”.
D’où “gouvernement organisé”, “corps de soldats”, “collège de prêtres, ou de magistrats…”.
D’où enfin… machine, appareil.

Eh oui, notre système vient de là !
Nous l’avons emprunté au XVIème au bas latin systema, qui lui, donc, se basait sur l’ancien grec σύστημα.

système solaire à manger


Tiens, et si je vous demandais de créer un mot grec - soyons fous - qui signifierait littéralement “qui se tient devant”.
Évidemment, ce mot dérivera de ἵστημι, hístêmi.

Je vous aide : “devant” se dirait πρό, pro-, et “qui se tient (debout)”, ce serait στάτης, statês, basé sur l’adjectif στατός, statos, “debout, stable...”.

Oui?

Oui: προστάτης, prostatês. “Qui se tient devant”.

Ce mot sera employé, en toute logique, pour désigner le chef, le président, ou même le défenseur, le protecteur.

Dès le IIIème siècle, on l’utilisera en médecine pour désigner l’os hyoïde, qui, par sa position, vous protège le larynx.



En latin plus que tardif (on parle de 1875)
- vous vous doutez de la suite, non? -,
on reprendra le terme pour désigner cette glande “qui est devant”, car située chez l’homme à la jonction du col de la vessie et de l’urètre: la ... prostate.

"qui est devant", mais on la vérifie par l'arrière 



Le grec ancien avait créé, sur ἵστημι, hístêmi, le substantif στάσις, stásis : “le fait / l’action ... de poser debout, de dresser”. “L’action de se tenir”, d’où “stabilité, lieu, attitude…”.

Stásis pouvait encore désigner “ce qu’on pose debout”, “ce qui est posé”, comme une colonne, un pilier

À στάσις, stásis, on doit plusieurs mots français, parmi lesquels certains dont on se serait volontiers passé.

Commençons par ce mot qui me donne des boutons :

Apostasie.
Nous en avions parlé au moment où nous traitions de la racine indo-européenne *apo-, qui exprimait la notion d’éloignement : hors de, au loin…
Oui, il était passé chez Pivot pour son "apologie de l'apothicaire"...

Et rien n’a changé depuis, l’apostasie est toujours considérée comme un crime dans certaines parties du monde, et punissable de mort.

Le terme, employé tout d’abord en théologie chrétienne, signifiait abandon de la foi et de la vie chrétiennes.

À présent, c’est surtout quand il désigne l’abandon de l’islam
(au demeurant, religion de Paix et d'Amour ; les preuves éclatent au grand jour, mais aussi dans le métro, dans les aéroports, dans les marchés de Noël...),
 que le mot s’est fait si aimablement connaître.



De l’intégrisme islamique, véritable cancer de la société
- comme TOUS les intégrismes, ceci dit -,
à la métastase, il n’y a hélas qu’un pas vite franchi.

Au grec ancien μετά, metá (“au-delà, après”) correspond l’idée de changement d’état, donc de transformation, voire même de transcendance

Métastase,
croissance d’un organisme pathogène ou d’une cellule tumorale à distance du site initialement atteint,
nous vient du grec μετάστασις, metástasis, “transformation”.



Si metástasis correspondait à la transformation,
le grec ancien διάστασις, diástasis correspondait, lui, à l’idée de … séparation.

Oui, nous lui devons… diastase, ancien mot employé (jusqu'à la fin des années soixante) pour “enzyme”.

Quant à “diastasis”, comme dans "diastasis tibio-péronien”, on l'utilise toujours en chirurgie :
Écartement, séparation de deux os qui étaient contigus, et particulièrement du tibia et du péroné, du cubitus et du radius.


Ah, la traduction, c’est tout un art.
Et j’en profite ici pour rendre un vibrant hommage à tous mes amis traducteurs, dont certains s'en sont sortis brillamment. Même si d’autres font toujours de la traduction.
Perso, je trouve ça bien pratique

Quand on vous demande de traduire en anglais un terme imaginé par le philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte fin du XVIIIème, que vous avez déjà plusieurs fois dit “non”, mais qu’on insiste et qu’on vous fait comprendre que ce sera ça, ou plus rien, alors, après avoir vainement tenté de vous pendre puis de vous noyer, vous vous forcez à relire et comprendre - en contexte, excusez du peu - ledit terme :

Wissenschaftslehre.



Et si vous êtes James Frederick Ferrier, écrivain et métaphysicien écossais du XIXème, vous traduirez cet horrible Wissenschaftslehre par un mot encore plus infâme que l’original, rien que pour montrer au monde à quel point vous haïssez la traduction des termes philosophiques allemands de la fin du XVIIIème en particulier, et le monde en général.

Epistemology”.

Voilà ce que ce bon James Frederick Ferrier
- il l'était du moins avant de tomber sur Wissenschaftslehre -,
né le 16 juin 1808 à Édimbourg, et que l’on retrouva suicidé d’une soixantaine de coups de couteau dans le dos le 11 juin 1864 à St Andrews, réussit à vomir à la face du monde.

James Frederick Ferrier

Il créa ce néologisme sur le grec ancien ἐπιστήμη, ‎epistḗmē, “science, connaissance”, lui-même composé de ἐπίσταμαι, ‎epístamai, “je sais” et de -λογία, -logía, “discours”.

Cet ἐπίσταμαι, epístamai, “savoir, connaitre…” n’était, vous l’aurez compris, qu’un composé de ἵστημι, hístêmi, “poser…” et de ἐπί, epí, “sur”.

Oui, pour les Grecs, pour savoir, pour connaître, il fallait regarder d’en haut, se détacher de l’objet pour mieux y poser le regard et l’observer.
Il fallait ainsi “se tenir au-dessus” du sujet d’étude.
Petite précision : 
Pour James Frederick Ferrier, epistemology se comprendra - et c’était une excellente traduction de l’original - par “étude de la connaissance”, en général. 
Une fois francisé, le mot revêtira plutôt un aspect critique, et se comprendra dès lors comme “étude critique des sciences et de la connaissance scientifique”.

Sidérant


Dans les églises de rite byzantin, particulièrement orthodoxes, vous trouvez une grande cloison couverte d’icônes, qui sépare les lieux où se tient le clergé célébrant du reste de l'église.

un peu comme ça

L’iconostase.

Le mot nous vient du russe иконостас, ikonostás, toujours descendant de στάσις, stásis, mais cette fois par le grec ... Allez, comme le rite... OUI ! byzantin.

Mais non, ce n'est pas du tout chargé, enfin, voyons ?!


Allez, une dernière !

Mais ici, c’est vous qui ferez le boulot.

Le mot à chercher : c’est un emprunt au latin ecclésiastique, qui pourrait se traduire littéralement par “fait d’être hors de soi”. 
“Déstabilisation”, d’une certaine façon, très très littérale.

Il est toujours basé sur notre στάσις, stásis.

Le mot est composé de deux éléments…

Le premier ? Un préfixe signifiant “hors de”, 
Le second ? Ben, la francisation de στάσις, stásis.


Vous avez trouvé ?

OUI!!!

Extase. Du latin ecstasis, emprunté au grec ἔκστασις, ékstasis.
À l’origine, dans le vocabulaire religieux, le mot désigne l’état particulier d’une personne, transportée hors d’elle-même, en union intime avec la divinité.
Ensuite, par analogie, il prendra le sens profane d’“état d’exaltation”, pathologique ou non.

The Spirit of Ecstasy


Ah oui !
Et surtout, arrêtez de croire que Anastasia, ce si doux prénom, se composerait de stásis (fait d'être debout” précédé d'un supposé privatif  ana-”. 

NON, Anastasia ne veut pas dire, et n'a JAMAIS voulu dire “qui n'est jamais debout”, “qui est plus souvent couchée que debout”.

Marre de ces remarques désobligeantes et méprisantes sur les Anastasia, genre “à 25 ans, elle avait déjà regardé plus de plafonds que Michel-Ange durant toute sa vie”, ou il n'y a que le tram qui ne lui soit pas passé dessus
C'est simplement machiste, misogyne, petit, et tout bonnement indigne.

Une certaine Anastacia, que je ne connais pas, mais qui illustre bien le
propos



Et moi, je vous laisse pour aujourd’hui…

Je vous souhaite, à toutes et tous, un très beau dimanche, et une très belle semaine !





Portez-vous bien,

Frédéric


Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom :
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine !
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).


Pour nous quitter, osons toucher à l'extase,
avec Anne-Sophie Mutter nous interprétant
la Sarabande de la Partita n°2 en ré mineur, BWV 1004,
de Jean-Sébastien Bach, forcément.




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