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dimanche 16 février 2014

être séquestré par une secte peut causer de graves séquelles





"La secte, c'est l'Eglise de l'autre."
André Comte-Sponville, in Dictionnaire de philosophie



Bonjour à toutes et toutes!


Dernière livraison dans le cadre de notre dossier “temps”: seconde!


Je vous en avais soufflé mot dimanche dernier: le français seconde provient d’une racine proto-indo-européenne qui pourrait se traduire par “suivre”…


Cette racine, là voici:

*sekʷ-1


Seconde nous vient du latin secundus, que nous pourrions traduire par suivant, arrivant après, ou bêtement... second!
Et c'est en fait d'une forme suffixée participiale de *sekʷ-1: *sekʷ-ondo-, que dérive le latin secundus.

Raymond Poulidor, l'"éternel second"


- Bon, OK! Mais... et alors? En quoi cette notion de "suivant" a à voir avec la seconde, la soixantième partie d'une minute?
- Très judicieuse question!

Vous vous rappelez que "minute" est à entendre comme la partie menue résultant de la division de l'heure. Mmmmh?
Eh bien, seconde nous vient du latin minutum secundum: « partie menue résultant de la seconde division de l’heure - ou du degré ».

Eh! Pour obtenir la minute, on divise l'heure une première fois en 60 parties; pour la seconde, on la divise une … seconde fois en 60 parties...!

Oui, c'est aussi simple que ça!


On retrouve notre racine proto-indo-européenne *sekʷ-1 dans pas mal de langues indo-européennes, comme par exemple en sanskrit, où सचते (sácate) véhicule l’idée d’accompagner, de suivre, de poursuivre… ou encore en ancien grec: ἕπομαι, hepomai, c'était suivre, obéir, être inséparable de, résulter de…

C’est toujours elle qui a donné le vieil irlandais sechur:je suis”, ou l’avestique hačaitēil suit”.

Toujours elle, derrière les mots pour “suivre” en lituanien: sekti, ou en letton: sekt.

PS: l’avestique, c’est l’iranien ancien dans lequel est rédigé l’Avesta, le livre sacré de la religion mazdéenne.

L'un des textes fondateurs pour les Mazdéens,
adorateurs de Mazda
"Mazda est grand, et Wankel est son prophète"



Par le latin secundus, *sekʷ-1 nous a aussi donné secondaire, évidemment.

Mais nous avons reçu de *sekʷ-1, par le latin sequor cette fois: suivre, puis le latin vulgaire *sequere (suivre) et ensuite le vieux français sivre (suivre), le français moderne… suivre!

Poursuivre, suite… , en sont également issus, 'ya pas d'secrets.


Par l’anglo-normand suer, le vieux français sivre est devenu l’anglais to sue: poursuivre, toujours, mais cette fois en justice.


Oh, il y a bien d’autres descendants de *sekʷ-1 par le latin populaire *sequere, comme séquence, conséquence, ou séquelle

Ou persécuter! du latin per-sequor: poursuivre, pourchasser


Mais vous serez probablement surpris de découvrir quelques autres mots que nous devons à *sekʷ-1


Commençons par ... secte!
Du latin sectaligne de conduite ; école philosophique, parti politique, secte religieuse »), issu lui-même de sequor (« suivre », hein, on est d’accord?) via son fréquentatif sector, que l’on pourrait traduire par « suivre assidûment ».



Notez, on mentionne parfois une autre étymologie à secte, selon laquelle le mot proviendrait du latin secare (couper) et désignerait alors un petit groupe qui se détache, se retranche d'un ensemble plus vaste.

Comm’ d’hab', vous choisissez la version qui vous convient - mais personnellement, je pencherais pour secte comme provenant de sequor, comme le fait Watkins…


En espagnol, sequor est devenu … seguir (suivre).

Connaissez-vous la seguidilla? Une danse castillane rapide, à trois temps…

Bizet nous en donne sa version, dans Carmen…


La Callas, dans la Seguidilla de Carmen, Bizet


Plus surprenant, parmi les descendants de *sekʷ-1, est le verbe… exécuter!

Eh oui! Exécuter nous vient du latin exsecutus, participe passé de exsequor, formé, vous l’aurez compris, de ex- et de sequor.

Exsequor, c’était suivre jusqu’au bout, poursuivre.

D’où son sens de “mettre en oeuvre”, de finaliser, de concrétiser

Ah, que de souvenirs...!


Encore plus curieux: obsèques!

Le mot nous vient du latin obsequiae, un curieux mélange du latin exsequiaepompe funèbre, funérailles, convoi »), et du latin obsequia, neutre pluriel de obsequiumcortège »).

Les obsèques, c’est donc, étymologiquement, le convoi - funèbre - que l’on suit

Le cortège funèbre transportant la dépouille mortelle de
Churchill sur la Tamise, les grues des docks (du Hay's Wharf,
à présent disparu, remplacé aujourd'hui par la Hay's Galleria)
s'inclinant respectueusement, l'une après l'autre, sur son
passage...


Obséquieux?
Mais oui, même origine!

Obséquieux, qui, selon la définition que nous en donne le wiktionnaire, désigne celui qui “porte à l’excès les témoignages de respect, les égards, la complaisance, les attentions, par servilité ou hypocrisie”, se base sur le latin obsequiosus, de même sens.

Dans obsequiosus nous retrouvons obsequium et -osus.
Obsequium, composé de ob-sequor et de -ium, désignait l’action de suivre docilement, la docilité, la complaisance, la déférence, la soumission


Séquestrer!
Du latin juridique sequestrumdépôt, séquestre »).
Sequestrum est en fait le neutre substantivé de sequester, dérivé de sequor.

Le sequester était celui qui gardait à part, en attente d'un jugement, un objet litigieux.
Dans l'ordre - "dans la séquence" devrais-je dire - de la procédure judiciaire, le sequester était ainsi “celui qui suit” (“le suiveur”).
On pourrait comprendre son rôle comme celui d'un intermédiaire, d'un médiateur...


Intrinsèque!
Du latin scolastique médiéval (du 13ème ou 14ème siècle) intrinsecus, « intérieur », formé de intra et secus.

Et secus, basé sur le même radical *sec que sequor, provient d’une forme suffixée en *-os- de notre racine *sekʷ-1: *sekʷ-os- (“suivant”).

Littré nous définit intrinsèque comme "qui est intérieur à quelque chose, en dedans de quelque chose".
Etymologiquement, nous pourrions comprendre l'adjectif comme "suivant sa nature intérieure", "fonction de soi-même"...


Enfin, une forme au degré (ou timbre) o de notre racine proto-indo-européenne *sekʷ-1, et suffixée en *-yo-, j’ai nommé: *sokʷ-yo-, nous a laissé quelques descendants de poids…

Car c’est d’elle que nous arrive le latin socius: l’allié, le compagnon.

Sur socius, nous avons créé, bien entendu, social, sociable, associé, société, association...

Eh oui! Nous sommes bien des êtres grégaires: derrière la notion de société, il y a clairement, étymologiquement du moins, l’idée de suivre




De Panurge, les moutons!

Comment Panurge feist en mer
noyer le marchant et les moutons



Et là-dessus, je vous laisse ruminer (ahahah!) sur ces incroyables entrelacs de l'esprit humain, créations linguistiques millénaires…

Oui: société, séquestrer, poursuivre, secte, exécuter, obsèques ou seconde, tous ces mots usuels et aux sens bien différents sont étroitement apparentés…


- Merci qui?
- Merci le proto-indo-européen!





Bon dimanche à toutes et tous,
Passez une très bonne semaine, je vous donne rendez-vous à…
Dimanche prochain!


Au menu?
Surprise!




Frédéric


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