article précédent : "Eight o' clock? Mais c'est l'heure de la chasse aux oeufs!" dit Papageno en gloussant et cacardant comme une oie...
So Zadok the priest, and Nathan the prophet, and Benaiah the son of Jehoiada, and the Cherethites, and the Pelethites, went down, and caused Solomon to ride upon king David's mule, and brought him to Gihon.
And Zadok the priest took an horn of oil out of the tabernacle, and anointed Solomon. And they blew the trumpet; and all the people said, God save king Solomon.
And all the people came up after him, and the people piped with pipes, and rejoiced with great joy, so that the earth rent with the sound of them.
1 Kings 1:38-40, King James Bible
Alors le prêtre Tsadok descendit avec le prophète Nathan ainsi qu’avec Benaja, le fils de Jehojada, les Kéréthiens et les Péléthiens. Ils firent monter Salomon sur la mule du roi David et le conduisirent à Guihon.
Le prêtre Tsadok prit la corne d'huile dans le tabernacle et il consacra Salomon par onction. On sonna de la trompette et tout le peuple dit: «Vive le roi Salomon!»
Tout le peuple monta après lui, en jouant de la flûte. Ils manifestaient une joie si grande que la terre tremblait sous leurs cris.
Bonjour à tous!
Nous n’allons pas quitter Pâques aussi vite…
Après les racines...
*ōwyo- ou *ōyyo-, “oeuf” et enfin
je vous présente la racine …
*ghrēi-
Qui véhiculait la notion de frictionner, frotter…
- Mais tu es complètement fou ! Le rapport avec Pâques, pauvre pomme ?
- Ah bonjour ! Le rapport ? Mais il saute aux yeux… !
Avant d’aller plus loin, sachez que la forme la plus ancienne de *ghrēi- que nous ayons pu reconstruire, c’est *ǵhreh₁i-, dont on connaît une variante métathésique (où certains phonèmes sont inversés): *ǵhreih₁-, qui possédait une forme au timbre (ou degré) zéro (donc, sans voyelle-pivot) *ǵhrih₁-, contractée en *ǵhrī-.
- Mais ce type est malade !!???
- Oh, mais non ! Enfin, oui, peut-être...
Mais bon, là n'est pas la question: si je vous dis tout ça, c’est que les dérivés de cette racine *ghrēi- dont je vais vous parler sont tous basés sur cette forme métathésico-contractée *ǵhrī-.
A commencer par…
Le substantif anglais grime: la saleté, la crasse.
Basé sur le proto-germanique *grīm : tache, salissure.
Germanique *grīm que l’on retrouve notamment dans le danois grim (suie, tache…), le vieux néerlandais grijmsel, ou encore le vieux bas allemand greme (“saleté”).
Le moyen anglais grim, dont procède l’anglais moderne grime, se serait traduit par quelque chose comme “saleté ou suie couvrant le visage”.
Quant au vieil anglais grīma, il signifiait le masque !
- Euh, et le rapport entre frotter et la crasse ? “La crasse c’est que que l’on nettoie en frottant ??”
- Excellente question ! Et qui trouve sa réponse dans le verbe to grime : couvrir de saleté, de salissure…
Oui, il y a toujours bien, derrière, cette idée d’enduire en frottant.
Mais la crasse, ce serait plutôt ici ce dont se recouvre en frottant!
C’est ainsi, en vieil anglais, que l’on pourrait rattacher au sens de grīma la notion de masque… Ce dont on se recouvre le visage.
Nous retrouvons la racine dans le français grimer, évidemment: se grimer le visage, c’est bien le recouvrir d’une couche de fard, de maquillage…
Grimage sur un supporter de balle au pied. Que dire de plus sans passer pour un pédant, un méchant, voire un méprisant, un monstre dans la société des Hommes? Rien. |
Ici aussi, le mot dérive du germanique, décliné dans le francique grima qui, à l’instar du vieil anglais grīma, désignait le masque.
Il est possible que le français grimace y soit apparenté. Pourquoi pas: faire la grimace c’est en quelque sorte transformer l’apparence de ses traits, comme sous l’effet d’un masque…
Certains vont même jusqu’à rapprocher le français grimoire du francique grima.
Oui - et perso, je n’en mettrais franchement pas ma main au feu - car le grimoire est un livre de magie, et le masque est propre au magicien, au sorcier.
Ouaaaais.
Et puis, il y a aussi, toujours en anglais, grisly (macabre, horrible…), et qui dérive lui de *ǵhrī- par le proto-germanique *gris-: effrayer.
Selon Watkins, on retrouve dans bien dans grisly l’idée originale de “frotter”, car l’adjectif, en son sens primitif, serait à comprendre étymologiquement comme “ce qui vous gratte, ou vous râpe l’esprit”.
L’idée d’horreur et de saleté, c’est une chose.
Mais sur une forme allongée du proto-indo-européen *ǵhrī-: *ghrīs, le grec a créé khrīein: frotter d’huile, ou de matière grasse, huiler, graisser…
- Et on reste quand même dans la saleté, non? Enduire de graisse… berk berk berk…
- Ah là là!! Mais non, justement! Et c’est ça qui est formidable avec l'étymologie…
Car de khrīein dérive Χριστός, christos.
Oui : christ.
(et pour les Chrétiens - ça va sans dire, mais c'est toujours mieux en le disant - la fête de Pâques commémore la résurrection de Jésus-Christ)
(et pour les Chrétiens - ça va sans dire, mais c'est toujours mieux en le disant - la fête de Pâques commémore la résurrection de Jésus-Christ)
Christ signifie simplement “celui que l’on a frotté à l’huile”.
Bon, cette façon d'interpréter le mot est particulièrement irrévérencieuse.
Mais il s’agit bien de cela : le christ est littéralement celui qui a reçu l’onction, qui est donc oint.
J'espère humblement qu'Emile Gardaz n'a pas voulu blasphémer dans son Retour de Oin-Oin, que d'aucuns pourraient mettre un peu trop facilement en rapport avec la Résurrection du Christ.
Pour en revenir à ce qui nous intéresse, Χριστός, christos n'est en fait que la reprise en grec de l’araméen meshiḥa (« oint [du Seigneur] »), lui même calque de l’hébreu משיח, mashiaḥ (« oint [du Seigneur] »), du verbe מיח, mashaḥ (« oindre »).
- Et l'intérêt d'être oint ???
- Mais enfin, celui qui est oint, il est sacré !
Notez d’ailleurs que selon la tradition, les Rois Mages offrent à Jésus nouveau-né de la myrrhe.
On peut y voir le symbole de l’onction dont jouit, selon la Bible, l’"enfant-dieu”, la myrrhe étant, pour les hébreux, un des principaux composants d'une huile d'onction sainte.
Mais non !
- Donc, le christ, il a été oint ! Mais alors, euh... Quand, et comment ?
- Alors là, j'en sais vraiment trop rien, et je ne tiens pas trop non plus à finir au bûcher en affichant des positions hétérodoxes...
Je ne connais pas la position officielle, catholicorthodoxe sur la chose, mais si je comprends bien l'idée défendue par Jacques-Bénigne Bossuet - qui fut quand même l'Aigle de Meaux - en gros, il est né comme ça.
Alors que pour d'autres, il est seulement oint vers l’âge de 30 ans, quand il est baptisé dans l’eau et oint de l’esprit de l'Eternel rendu visible sous la forme d’une colombe qui descend sur lui.
Mais dans tous les cas, rien, à ma connaissance, ne précise qu'il ait jamais été oint d'huile.
Mais non !
c'est ça, la myrrhe. |
- Donc, le christ, il a été oint ! Mais alors, euh... Quand, et comment ?
- Alors là, j'en sais vraiment trop rien, et je ne tiens pas trop non plus à finir au bûcher en affichant des positions hétérodoxes...
Je ne connais pas la position officielle, catholicorthodoxe sur la chose, mais si je comprends bien l'idée défendue par Jacques-Bénigne Bossuet - qui fut quand même l'Aigle de Meaux - en gros, il est né comme ça.
Alors que pour d'autres, il est seulement oint vers l’âge de 30 ans, quand il est baptisé dans l’eau et oint de l’esprit de l'Eternel rendu visible sous la forme d’une colombe qui descend sur lui.
Mais dans tous les cas, rien, à ma connaissance, ne précise qu'il ait jamais été oint d'huile.
L’onction, mes amis, est - traditionnellement - le moment le plus important du sacre d’un roi.
Le couronnement a pour but de transformer le prétendant en roi temporel, mais l’onction est supposée le transformer en christ ! Ou du moins en son représentant sur terre.
L’onction confirme le caractère divin de la royauté.
A ce propos, je ne peux que vous recommander de regarder l’enregistrement du couronnement d’Elizabeth II.
Car le couronnement des souverains anglais est encore une fascinante cérémonie, hautement sacrée et symbolique, qui rappelle le sacre des Rois de France, ou finalement celui de tout monarque de droit divin.
Le moment le plus important, le plus sacré de la cérémonie du couronnement, ce n’est pas celui du couronnement!
Eh non! Mais bien celui de l’onction.
Cet “instant divin” est à ce point sacré qu’il se déroule en secret, à l’abri des regards, même du public présent…
D'ailleurs, c'est pas difficile, je vous mets au défi de trouver la moindre photographie, le moindre film de l'onction d'Elizabeth II, alors que la cérémonie du couronnement fut filmée et même retransmise en direct à la télévision...
D'ailleurs, c'est pas difficile, je vous mets au défi de trouver la moindre photographie, le moindre film de l'onction d'Elizabeth II, alors que la cérémonie du couronnement fut filmée et même retransmise en direct à la télévision...
Elizabeth, quelques instants avant de recevoir l'onction |
Ce que nous en savons ?
Le Doyen de Westminster verse dans une cuillère (du XIIème siècle, quand même, la cuillère) quelques gouttes d'huile consacrée que contient une ampoule en forme d'aigle ; l’archevêque de Canterbury va alors se servir de cette cuillère pour oindre le souverain (ou la souveraine) par un signe de croix sur les mains, la tête et le cœur.
l'ampoule en forme d'aigle, et la fameuse cuillère |
Pendant ce temps, et suivant un rituel inauguré à l'occasion du couronnement du roi Edgar à l'abbaye de Bath en 973, et jamais interrompu depuis - non non, je n'ai pas oublié un "1" devant le "9" - le chœur chante les passages 38 à 40 du Premier Livre des Rois, évoquant l'onction du roi Salomon par le prêtre Tsadok et le prophète Nathan.
Le prêtre Tsadok |
Le prêtre Shadok (le devin plombier) |
Et depuis le couronnement de George II in 1727, c’est le grandiose et majestueux Zadok the Priest de Handel, dont les paroles sont inspirées de ces mêmes passages, qui est systématiquement utilisé.
Honnêtement, ça ne gâche rien...
Zadok the Priest (HWV 258), George Frideric Handel
(pour celles et ceux qui me lisent sur un iPad:
(Ce n'est certes pas à mon sens la meilleure des
interprétations, mais au moins elle "pêche", et elle
est super bien filmée...)
Pour en savoir plus sur le cérémonial précis du couronnement des rois et reines d'Angleterre : http://www.oremus.org/liturgy/coronation/cor1953b.html
Alors, oui, l’huile consacrée puisée dans la sainte ampoule, c’est le … chrême. Le saint Chrême.
Du latin chrisma (« onction »), du grec ancien χρίσμα, khrísma, bien évidemment basé sur khrīein, et donc lui aussi dérivé de notre racine *ghrēi-.
Le wiktionary nous définit le chrême comme de l’huile sacrée, mêlée de baume et servant aux onctions qu’on fait dans l’administration de certains sacrements et dans quelques autres cérémonies de l’Église.
Le mot chrétien nous arrive lui du latin christianus, basé sur le grec χριστιανός, christianos, de χριστός, christos, je ne vous l'apprendrai pas.
Il semble que ce soit à Antioche, du côté de l’an 43 - si du moins on en croit les Actes des apôtres, chap. 11 v.26 - que les disciples de Jésus le Christ furent appelés « chrétiens » pour la première fois.
Le mot est devenu chrestien en vieux français.
Le s repris du latin a finalement disparu pour être remplacé par le e accent aigu (é) que nous connaissons de nos jours.
The Holy Hand Grenade of Antioch: la Sainte Grenade d'Antioch , devant permettre au Roi Arthur de vaincre le lapin tueur (Monty Python and the Holy Grail, 1975) |
- Tiens et crème, il provient aussi de *ghrēi- ??
- Eh bien, oui !
Enfin, non…
Disons... comment dire... ?
Pouh, à vous de trancher !
Enfin, non…
Disons... comment dire... ?
Pouh, à vous de trancher !
Car “crème” nous arrive de l’ancien français cresme, qui est en réalité le résultat du mélange, de la confusion, d'un quiproquo entre …
- le latin chrétien chrisma, onction: « chrême »
et…
- le bas latin crama.
Ce crama est vraisemblablement la latinisation d’un mot gaulois *crama, qui désignait … l’écume, la peau, la surface…
Basé, soit dit en passant, sur la racine proto-indo-européenne *(s)keu-, qui méritera facilement un article un dimanche ou l’autre…
... mélange qui a fini par désigner la crème du lait, par exemple...
Encore quelques dérivés de *ghrēi- ?
Bah, vous les connaissez tous, basés sur "christ" :
- les prénoms Christian ("chrétien", ou carrément "celui qui est oint") et Christophe (celui qui porte le christ; voir des fjords à l'Euphrate),
- christianisme, chrétienté, christianiser...
- l'anglais Christmas : Noël, littéralement la messe du Christ. En vieil anglais tardif, on parlait encore de Cristes Maesse ; on en retrouve une occurrence en 1038.
L'expression continua d'évoluer, pour devenir ainsi Cristes-messe en 1131....
Mais connaissez vous...
- le chrémeau : un petit bonnet de linge fin, dont, après l’onction, on coiffe l’enfant baptisé.
- Ou la chrismation ?
Qui désigne précisément l'onction faite avec le saint chrême lors du baptême et de la confirmation.
- ou encore les christolytes ?
Il s'agissait d'une secte hérétique apparue au VIème siècle, qui séparait la divinité de Jésus-Christ de son humanité. Et ça, c'est vraiment pas bien. En fait, ces christolytes n'étaient qu'un sale ramassis de christomaques : nom donné par plusieurs Pères de l’Église à tous ceux qui erraient sur la nature ou la personne de Jésus-Christ.
Et dire qu'après, ils osaient encore faire mine de s'étonner qu'on les pourchasse, qu'on les soumette à la question et qu'on les brûle !!! Saleté d'hérétiques.
Quant aux cristaux liquides, ils n'ont rien à voir.
cristaux liquides |
Je vous souhaite un excellent dimanche, et une très belle semaine !
Et je dédie ce post à toi mon ami, mon frère Christian
Frédéric
article suivant: Siegfried était-il téméraire ?
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