« Knowledge without character is mere pie-crust »
Baden-Powell
« Le savoir sans le caractère n'est que la croûte sans le pâté. »
Bonjour à toutes et tous!
Vous vous souvenez?
Dimanche dernier, dans le cadre de notre thème Langue / mot / Parole, nous avions découvert la racine proto-indo-européenne derrière le français discuter:
*kwēt-,
Il nous restait à découvrir quelques autres dérivés de cette racine, mais cette fois, passés par le grec.
Passés par le grec πασσω, passo.
C'est marrant, c'est irrésistible. J'en pleure de rire.
Son sens?
Plus tout à fait secouer, mais on reste quand même dans l’idée: saupoudrer.
Sablés aux amandes délicieusement saupoudrés de sucre glace Aaaargh |
Bon, je me dois de vous prévenir, nous sommes encore ici en pleine guerre étymologique.
Pour Pierre Chantraine, l’origine du mot est inconnue, et son rapprochement avec le latin quătĭo "peu vraisemblable".
Pas mieux pour Alain Rey, pour qui πασσω, passo est d’"origine obscure".
Et pour l’Oxford English Dictionary, idem, le grec πάσσειν, passein est d’origine inconnue.
Dont acte!
Mais voilà, me basant sur Pokorny, Watkins, le Linguistic Research Center de l’Université d’Austin, et enfin sur le Webster's New World College Dictionary, j'ose me permettre de vous présenter humblement la version suivante:
C’est bien notre racine *kwēt-, toujours via une forme *kwat-, altération de sa forme au degré zéro *kwət-, qui se serait dérivée dans le grec πασσω, passo.
En tout cas, et en toute humilité, cette évolution ne me semble pas entrer en contradiction avec les lois de mutations consonantiques, selon lesquelles...
- un *kw proto-indo-européen peut devenir un /p/ en grec ancien, tout comme ...
- un *t proto-indo-européen peut lui se transformer, toujours en grec ancien, en /ss/ après une voyelle.
(notez que par expérience, je peux vous dire que la transformation en SS peut se faire parfois curieusement très vite. Je ne citerai cependant pas de noms, mais il suffit parfois d’être un peu trop sûr de détenir la vérité pour très facilement sombrer dans une démarche proche de celle de l’Inquisition.)
Sur πασσω, passo, les points de vue étymologiques semblent, ô miracle, converger, pour lui reconnaître une descendance des plus prolifiques, une jolie famille de mots bien connus…
Et souvent gages de plaisirs gustatifs…
(C'est pas difficile, rien qu'à rédiger ce dimanche, j'ai pris du poids...)
Ainsi, nous devons au grec ancien πασσω, passo,
- par son dérivé παστά, pastá, “gruau d’orge”, ou “mets constitué à partir d’un mélange de céréale et fromage”, neutre substantivé de l’adjectif παστος, pastos “saupoudré”,
- latinisé (en latin tardif) sous la forme pastă (désignant la pâte à pain, la pâte de farine),
- l’italien… pasta, bien sûr!
Vous imaginez, vous, un monde sans pâtes???
“Sans la musique, la vie serait une erreur”
Friedrich Nietzsche
“Sans la musique et les pâtes, la vie serait une erreur”
Frédéric Blondieau
“Sans la musique et les pâtes, la vie serait une erreur”
Frédéric Blondieau
Car, inutile de le préciser, notre français pâte(s) vient, sans surprise, de l’italien pasta.
Difficile de trouver une plus belle photo de pâtes |
Bon d’accord, pâte ne correspond pas nécessairement à pâtes alimentaires ; le mot est employé également en céramique, en géologie, dans le vocabulaire de la pêche, en peinture, en pharmacie…
Mais bon.
Restons malgré tout dans l’alimentation…
Où nous retrouvons aussi le pâté.
Gaaaaah..... |
Connu dès la fin du XIIème siècle, pâté désigne d’abord une préparation de pâte cuite servant d’enveloppe à un hachis de viande.
Oui! Nous parlons toujours de pâté en croute…
Pâtissier, lui, dérive vraisemblablement d’un mot ancien français, *pastitz, non attesté, issu du latin populaire *pasticium (pâte), dérivé, bien entendu, de pastă.
Quant à pâtisserie, le mot est basé sur l’ancien français pâtisser “faire des pâtés ou des gâteaux”.
C’est ainsi que pâtisserie désignait les produits comestibles faits avec de la pâte, qu'ils soient sucrés ou salés.
Par la suite, mais pas plus tôt qu’au XIXème siècle, chacune des deux gammes de produits a finalement reçu sa propre appellation distinctive, les sucrés ont conservé pâtisserie, les salés recevant l’appellation générique charcuterie…
Arrrgh! Intenable! |
La pâtée désigne, depuis la fin du XVIIème siècle, le mélange ... pâteux dont on engraisse les volailles ou autres animaux domestiques.
Sur pâte s’est également créé pâton: morceau de pâte à pain ; le pâton est encore de nos jours un morceau de pâte que le boulanger manie dans le pétrin.
Le pâtonnage désigne encore, dans la fabrication du pain et de certains gâteaux levés, l’opération qui consiste à soulever la pâte au cours du pétrissage.
pâton |
Empâter?
Dans la première moitié du XIIIème, le mot, intransitif, signifiait devenir pâteux (de la bouche!), pour ensuite, en tant que transitif, signifier rendre pâteux, puis couvrir de pâte.
Au XVIIème, il s’emploie d’ailleurs comme terme de peinture.
Enfin, au début du XIXème, il s’emploie à la forme pronominale, s’empâter signifiant gonfler, devenir gras.
L’abus de pâtes, pâtés et pâtisseries diverses pouvant y être lié, ne m’en parlez pas.
En italien, il existait un terme pour pâté, et qui s’employait également au sens figuré, pour désigner une affaire embrouillée…: pasticcio.
Toujours basé sur le bas latin *pasticium.
Oui, il est devenu notre pastiche, “imitation de la manière d’un artiste ou d’un écrivain, soit par jeu, soit à dessein de suggérer la critique des procédés que l’on contrefait”.
Joyeux pastiche de la |
Et si vous avez la langue un peu pâteuse d’avoir un peu trop bu, au point que n’arrivez plus qu’à prononcer “pastiche” pour désigner la boisson qui vous a mis dans cet état, c’est que vous venez de vous prendre une solide dose de… pastis.
Lui aussi issu du latin *pasticium, mais cette fois par l’ancien provençal pastis, pastitz (pâté).
Le mot est arrivé en français avec le sens de “situation embrouillée”.
Il finira par désigner, dans l’argot du milieu marseillais, ce mélange d'alcool et d'extraits d'anis et de réglisse, désormais connu sous ce nom.
Moi, je vous avoue, en tant que Belge, ne pas boire souvent du pastis.
Question de température je suppose.
Et d’origines, peut-être, plus celtiques que méditerranéennes.
Mais bon, il y a quelques années, j’ai découvert une boisson dont je me délecte en été, le Pontarlier-Anis à l’Ancienne.
Ouais, bon! Il ne s’agit pas à proprement parler de pastis - ce n’est pas de l’alcool mélangé à de l’anis, mais bien d’anis - vert - distillé.
L’animal fait quand même 45%, et si je devais en juger par ma propre expérience, la langue pâteuse en est également un dérivé naturel.
Il y a encore pas mal de mots dérivés du latin pastă dont nous pourrions parler (en vrac? pastille, basé sur l’espagnol pastilla, les anglais pastry (pâtisserie) et patty (pâté), créés sur les mots équivalents français … … …)
J’en citerai encore un avant de clore le chapitre…
Pastel!
Emprunté à l’italien pastello (“gâteau”, et par spécialisation “bâtonnet coloré”), le pastel étant une poudre de couleur agglomérée en … pâte.
L’italien pastello provenait lui du bas latin pastellus (de pastă), à qui nous devons également pastille.
couleurs pastel |
Pour moi, dernier dimanche de bien courtes vacances, mais voilà, la vie - active - continue…
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très bonne semaine, et vous dis…
… à dimanche prochain!
Frédéric
article suivant: Hippolyte et Philippe, à cheval sur un hippopotame??
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