article précédent: Moi, Egill Skallagrímsson, je dis. - Mais non! Dimanche.
"(...) Tel était le dédale effroyable où les passions engageaient un des hommes les plus probes jusqu'alors... : la concussion pour solder l'usure, l'usure pour fournir à ses passions et pour marier sa fille. (...)"
La Cousine Bette (1846)
Honoré de Balzac
La Cousine Bette, mais c'est ELLE! |
Bonjour à toutes et tous!
Aujourd’hui, sur le mot à traiter, pas de discussion.
Enfin..., euh... justement, si.
Nous continuons tranquillement notre étude des mots liés à la langue, aux mots, à la parole…
Et dans ce cadre, nous nous poserons aujourd'hui la question de l’origine du mot … discuter.
Qui - je vais certainement vous surprendre - provient d’une lointaine racine proto-indo-européenne:
*kwēt-.
*kwēt- n’avait strictement aucun rapport avec la notion de discuter.
Non.
En fait; *kwēt- c’était … secouer.
- Mmm Mais-je? Mais alors??? Mais comment est-ce seulement possible???
- Oui, je sais.
Je vous demanderai tout d’abord de bien vouloir vous calmer.
Votre légitime question (“Mais p de b de m, comment a-t-on pu passer de “secouer” à “discuter”) recevra une réponse, je vous le garantis.
(je trouvais simplement que l'attitude de ces deux énergumènes correspondait bien au dialogue ci-dessus) |
*kwēt-1 |
*kwēt-2 |
Notre verbe français “discuter”
(pour le Larousse:
“Examiner contradictoirement une question pour l'approfondir, la régler ou pour prendre une décision ; débattre” ou
“Faire l'examen minutieux de quelque chose dans un exposé écrit ou oral, en évaluer la véracité, la valeur, etc. ; critiquer”, ou
“Mettre en question quelque chose, considérer que quelque chose est sujet à caution ; contester”, ou enfin “Contester chaque chose”)
provient du bas latin discutere.
Composé ...
- du préfixe dis-, évoquant ici particulièrement l’idée de séparation, et
- de quătĭo, quătĕre (qui donnait au participe passé quassus, devenant
-cussus dans les formes composées).
C’est ce quătĕre, vous l’aurez compris, qui nous intéresse, car OUI, il dérive de notre racine *kwēt- (précisément par une forme *kwat-, altération de sa forme au degré zéro *kwət-).
Ce verbe latin signifiait toujours bien, fier de son ascendance proto-indo-européenne, secouer, agiter, (par extension, brandir), voire bousculer, ébranler, donc aussi battre, et au sens figuré, émouvoir, troubler.
Le composé dis-quătĕre => discutere reprenait ainsi l’idée de “secouer pour séparer”.
En un premier temps, et littéralement, il se comprenait comme “faire tomber en secouant, fracasser, détacher”.
Son sens se modifia par la suite, pour devenir plutôt “lézarder” (oui: "frapper pour créer des lézardes": taper, secouer, pour séparer ; l’idée de base est toujours bien là).
Au sens figuré, le mot en vint également à signifier écarter, fouiller, débrouiller.
Enfin, dans la langue ecclésiastique, discutere prit le sens d’examiner, inspecter, pour traduire le grec εξετάζω, exetázō, qui, je ne vous le cacherai pas, signifiait examiner, inspecter.
Le latin discutere est passé en français au XIVème siècle, avec cette valeur, au figuré, d'“examiner le pour et le contre d’une chose”, et s’est employé dans le sens de “contester”, puis “manifester une opinion différente”.
Ce n’est que bien plus tard - au XIXème siècle, figurez-vous! - que par extension il en est venu à signifier simplement “parler avec d’autres en échangeant des idées”.
Discussion au pays des Consultants |
*kwēt-, et ce toujours par sa forme *kwat-, se retrouve également dans le bas latin quassare: agiter fortement, briser.
Quassare deviendra, en français, quasser (1080), puis, un siècle plus tard… casser!
Surprenant, hein!
L’auriez-vous fait, ce lien entre discuter et casser?
Casser nous a donné pas mal de dérivés ; je m'en tiendrai à trois!
Cassonade!
Probablement emprunté à l’ancien provençal cassonada (1476), repris du latin médiéval cassonata.
Il faut le comprendre comme “sucre brut … concassé…!
Cassation!
Oui, juridiquement, l’annulation d’un acte, d’un jugement.
Nous connaissons bien entendu la Cour de Cassation.
Et puis, il y a aussi … le casque!
Eh oui!
Casque est emprunté ici à l’espagnol casco, le casque, déverbal de cascar: briser.
En ce sens, on suppose qu’une des premières acceptions de casco était tesson ("ce qui est brisé").
De là, le mot en serait venu à désigner le crâne. Oui, probablement, je le suppose, parce qu’il présente des lignes de fracture, des lézardes, un peu comme un pot de terre cuite dont on aurait reconstitué et recollé les tessons...
Le casco, en tout cas, a fini par désigner une armure de tête.
casque |
Et notre casquette n’est qu’une évolution du mot, désignant ici une coiffure qui est tout sauf un casque, car par définition… souple.
Ici, le conteneur est bien souple, et le contenant inexistant |
En anglais, le moyen français quasser, par l’entremise de l’anglo-normand quaisser, à donné l’anglais… quash: casser, anéantir ... (to quash a rebellion se traduirait par étouffer une rébellion, par exemple).
Basé sur le vieux français esquasser, nous retrouvons encore l’anglais moderne… squash! Ecraser, presser…
Lemon squash, c’est de la citronnade.
Et OUI, le squash, ce sport si physique, tient son nom de là, du fait de ces pauvres balles littéralement écrasées au mur sous les raquettes. Non, ne cherchez pas la contrepèterie.
*kwat- a aussi donné l’anglais scutch, scutching, mot technique que l’on traduirait par teiller, teillage.
Le teillage (action de teiller, pour les malcomprenants) est une opération mécanique qui permet de séparer les fibres textiles du bois et de l'écorce par broyage et battage.
Le teillage s'applique également aux fibres de chanvre et de lin.
Teillage de jardin |
Teilhard de Chardin |
Et puis, et puis…!
Toujours par sa forme *kwat-, et toujours par l’intermédiaire du latin quătĭo, quătĕre / quassus, -cussus, *kwēt- nous a légué…
Concussion, du latin impérial concussio, violente secousse.
A présent, dans le vocabulaire médical, nous le prenons au sens physique de coup, ébranlement…
Percussion!
Mais oui, percuter nous venant du latin percutere, pénétrer en frappant, percer, ou frapper fortement.
Répercuter, percuteur, autant de dérivés…
percussions |
Secouer est issu, par évolution phonétique, du latin succutere, sub-quatere: littéralement: secouer par en dessous.
D’où aussi … secousse!
Bon, pour le mot qui suit, j’ai un doute…
Pour Watkins et d’autres, dont notamment l’Oxford English Dictionary, le mot descend bien du latin quătĭo.
Mais pour d’autres, dont Pierre Guiraud, rien à voir.
Je vous le donne, le mot, et vous en ferez ce que vous voulez (même si personnellement, si je le cite ici…)...
Rescousse! (devenu aussi l'anglais rescue)
- Soit basé, pour Watkins et l’OED, sur le latin re-excutere - cutere n’étant qu’une forme variante de quătĕre.
- Soit basé, selon Guiraud, sur le latin excurrere (faire une sortie, une … excursion!).
Et ce n’est pas tout!!!!!!!!
Car nous avons également repris toute une famille de dérivés de *kwēt-, mais cette fois par le grec…
Et ça, nous le découvrirons la semaine prochaine!!!
Et donc - rendez-vous compte!! -, discuter, concussion, secousse, casque ou casquette, percussion, casser et cassonade!
TOUS (TOUS) sont des dérivés de cette toute mignonne racine proto-indo-européenne *kwēt-.
Et dimanche prochain, je vous livrerai la liste de leurs cousins par le grec…
D’ici là, portez-vous bien, passez un excellent dimanche, et une très belle semaine - de vacances peut-être? -.
Joyeuses Pâques à toutes et tous!
(source) |
et puis, en musique, l'une des versions que je préfère
de la Passion selon Saint Matthieu, BWV 244...
https://www.youtube.com/watch?v=ImPB3T1X3LM
de la Passion selon Saint Matthieu, BWV 244...
A dimanche prochain!
Frédéric
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