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"Happiness in marriage is entirely a matter of chance. If the dispositions of the parties are ever so well known to each other, or ever so similar before-hand, it does not advance their felicity in the least. They always contrive to grow sufficiently unlike afterwards to have their share of vexation; and it is better to know as little as possible of the defects of the person with whom you are to pass your life.''
Pride and Prejudice (Orgueil et préjugés), Volume I, Chapter VI
Jane Austen
"Le bonheur en ménage est pure affaire de hasard. La félicité de deux époux ne m'apparaît pas devoir être plus grande du fait qu'ils se connaissaient à fond avant leur mariage ; cela n'empêche pas les divergences de naître ensuite et de provoquer les inévitables déceptions. Mieux vaut, à mon avis, ignorer le plus possible les défauts de celui qui partagera votre existence !"
Jane Austen, la seule et unique (source) |
Bonjour à toutes et tous!
En ce très très très - TRES - chaud dimanche, nous continuons l’étude de notre charmante “super-racine” *wer-3, tourner, plier, dont dérivent d’autres racines.
Eh, c’est cela qui fait son charme…
Et aujourd’hui, nous parlerons de la racine dérivée…
*werg-
(à ne pas confondre avec *wergh- découverte la semaine dernière)
Quant à son champ sémantique, je ne crois pas vous surprendre:
tourner!
Ou peut-être, plus spécialement, tordre, courber…
Une forme variante de *werg-, nasalisée, *wreng‑, s’est dérivée dans le proto-germanique *wrankjan, tordre, essorer…
De là, par exemple, l’anglais wrench, via le vieil anglais wrencan: tordre.
Wrench, en anglais, c’est plein de choses: un mouvement (violent) de torsion, un déchirement (au propre comme au figuré), une entorse, mais aussi une clé (anglaise, forcément), ou une clé Allen.
Clé anglaise |
Clé Allen, sans laquelle Ikea n'aurait jamais existé. |
En tant que verbe, to wrench véhicule l’idée de tirer violemment sur quelque chose, arracher…
To wrench one's ankle, c’est - aïe ouille -, se tordre la cheville.
Mais de ce même germanique *wrankjan, l’anglais a aussi repris… wrinkle. La ride, le pli…
wrinkles, wrinkles |
- Bon, coco, tu vas nous refaire le coup de la dernière fois, hein, avec que des dérivés germaniques!
Il est pas écrit germanique, ici!!!
- Ah, bonjour!
Non effectivement, germanique, non.
Mais rassurez-vous… Un peu de patience…
Car *wergh- nous a aussi légué le latin vergō, vergēre.
Courber, plier, incliner, pencher…
Mais il y a latin, et latin.
Ici, il s’agit du latin prout prout.
Pas le latin du vulgus, certes non!
Ici, Monsieur, on parle de latin littéraire.
Les sans-dents, eux, utilisaient plutôt les composés de -clīnō (dēclīnō, inclīnō ; vous devinez aisément ce qu’ils sont devenus en français).
Alors, sur vergō, nous avons bien entendu créé converger, adapté du latin scientifique convergens (1611, Kepler!): “qui se dirige vers un point unique”.
Et son antonyme diverger.
En 1785, Rousseau emploiera diverger en musique, au sens de “s’écarter le plus l’un de l’autre”.
Ces deux mots nous sont arrivés tardivement, tous deux donc par la langue scientifique, qui les a en quelque sorte remis au goût du jour.
Divergence des plaques continentales Peut-être est-ce comme cela que les opposants à la théorie du proto-indo-européen s'expliquent la dispersion des langues en Inde et en Europe? |
Un peu de hittite, mmmh?
Car *wergh- se retrouve en hittite sous la forme hurki-, “ce qui tourne”: la… roue!
Et les Hittites, croyez-moi, ils en connaissaient un bout, sur la roue...
Char de guerre Hittite Bas relief trouvé à Karkemish (source) |
Bobsleigh trouvé à Garmish |
Dites-moi, connaissez-vous les Scythes Amyrgiens?
(Répondez-moi franchement, je ne vous en voudrai pas)
Chef de guerre scythe |
“Amyrgiens”, du nom de leur roi Amorges - un grand pote à Cyrus - ces Scythes, peuple nomade, vivaient non loin de l’antique Bactriane (au Sud de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan et au Nord-ouest de l'Afghanistan actuel) et de la Sogdiane.
Si je vous précise que la Sogdiane s’étendait au nord de la Bactriane, à l'est de Khwarezm, et au sud-est de Kangju entre l'Oxus (Amou-Daria) et le Jaxartes (Syr-Daria), ça ne vous dira peut-être pas grand-chose.
Et ce sera un gage de bonne santé mentale.
MAIS … si je vous disais que la capitale de la Sogdiane, c’était… Samarcande!
Aaaaah!
Eh oui!
Il est ainsi des noms de villes qui font rêver…
Là sur la carte, en haut à droite, la Sogdiane et la Bactriane (source) |
Samarcande... |
... et à l'heure actuelle |
En vieux-perse (soyons fou), on appelait les Scythes Amyrgiens les Sakā Haumavargā, Sakā étant tout simplement le nom perse donné à ces tribus, que les Grecs baptiseront à leur tour Scythes.
Cette appellation Sakā s’appliquait en fait à toute une série de peuplades nomades…
Parmi les plus connus, citons les courageux Sakā dhō qui transportaient victuailles et autres objets usuels accrochés sur leurs épaules par l'intermédiaire de bretelles rembourrées et ajustables, et les Sakā Phoûtr, réputés pour la très grande beauté de leurs femmes.
Quant aux Sakā Haumavargā, eh bien ils seraient précisément les Sakā, les Scythes qui “disposaient des plantes d’hauma autour du feu”.
Alors, un mot d’explication, peut-être?
Le vieux-perse hauma-, que l’on retrouve dans l’avestique haoma-, dans le persan moderne hōm, ou en sanskrit védique en tant que sóma-, désignait une plante.
Laquelle?
Ben… gros mystère…
On a été jusqu’à évoquer le cannabis, ou en tout cas une plante que l’on pouvait absorber en décoctions, ou en boisson, qui apportait vraisemblablement l’ivresse et qui devait intervenir dans des rituels religieux.
Pour ce qui est de -vargā, dérivé de notre proto-indo-européenne *werg- - du moins selon Karl Hoffmann et à sa suite Michiel de Vaan - il évoque lui l’idée de “disposer autour”.
Karl Hoffmann |
–vargā serait alors à rapprocher de l’avestique varj, ou du sanskrit védique vrṇákti “retourner, détourner...”, ou surtout “disposer (quelque chose autour de)”.
En langue védique, on retrouve précisément l’expression vrnktá-barhiṣ- “ayant disposé les herbes sacrificielles autour (du feu)”.
De là cette traduction très plausible du composé Haumavargā comme “disposant les plantes hauma autour (du feu)”.
Enfin, c’est encore *wreng‑, la variante nasalisée de notre *werg-, qui se cacherait derrière le latin ringor.
C’est du moins ce que je déduis de l’analyse de Michiel de Vaan, qui voit en ringor la descendance d’une racine proto-indo-européenne *ureng- “tourner, courber”.
M’est avis qu’on parle de la même racine…
Ringor, c’était littéralement “montrer les dents”!
D’où, par extension, grogner en montrant les dents, ou au sens figuré, enrager, être furieux, ronger son frein…
Issu de *wreng‑ par une forme latine présumée *rengor.
Le rapport entre montrer les dents et tourner?
La courbure des lèvres nécessaire à l’opération!
Et ringor, qu’est-ce qu’il nous a donné??
Eh bien, il faut s’intéresser à son participe: rictus: ouverture de la bouche, bouche ouverte, gueule béante.
Oui, nous lui devons, forcément, notre français rictus, contraction de la bouche, grimace des lèvres et des joues.
Ça au moins, c'est du rictus. |
Notre racine, décidément bien vaillante, est aussi passée au slave.
On la retrouve...
- dans le slavon vrьgǫ (« jeter, mettre bas »), dont dérivera notamment le tchèque vrhnout, renverser,
- ou encore dans un autre dérivé slave du radical, *ręgnǫti, à la base du tchèque řehtat se (« se tordre de rire »).
Et donc, si nous avons bien suivi son parcours dans le temps et dans l'espace, notre toute petite et toute gentille *werg- se retrouve dans les langues...
- anatoliennes (hittite [de -2700 à -1800]),
- indo-aryennes (sanskrit védique [de -1800 à -1500]),
- iraniennes (avestique [de -1200 à -1000], vieux-perse [-500], persan moderne),
- germaniques (proto-germanique: [de -2000 à 0]),
- romanes (latin [de -1500 à -500]), et
- slaves (slavon et+, vieux slavon d'église [+800]) ...
(dates données à la grosse louche)
Pas mal, non???
Ouf, là, j'ai besoin d'un solide verre d'eau...
Je vous souhaite beaucoup d'ombre, un TRES beau dimanche, une SUPERBE semaine, et vous propose de nous revoir, disons... dimanche prochain?
Frédéric
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