Merveilleux encore est le Dniepr par une chaude nuit d'été, lorsque tout est endormi : homme, bête et oiseau; quand Dieu seul majestueusement contemple le ciel et la terre et secoue son manteau, d'où tombent les étoiles; les étoiles étincellent et brillent sur le monde, et toutes se reflètent dans le Dniepr. Il les reçoit toutes dans son sombre sein ; et aucune ne lui échappe - à moins de s'éteindre dans le ciel. Une forêt noire aux corneilles assoupies, des montagnes jadis éboulées, en surplomb, s'efforcent de le couvrir de leur ombre longue - c'est en vain ! Rien au monde ne peut couvrir le Dniepr! Son flot bleu coule, toujours bleu, au milieu de la nuit comme en plein jour; on le distingue d'aussi loin que peut porter l'oeil humain. Se dorlotant et se resserrant plus près des rives à cause du froid de la nuit, il a parfois un flot argenté qui brille comme les raies d'un sabre damasquiné; mais il se rassoupit de nouveau, toujours bleu. Merveilleux alors est le Dniepr, et nulle rivière ne lui est comparable au monde!
"Une terrible vengeance",
deuxième nouvelle de la seconde partie du recueil
(de nouvelles - un petit café du matin, avant de poursuivre?)
(de nouvelles - un petit café du matin, avant de poursuivre?)
"Les Soirées du hameau près de Dikanka" (Вечера на хуторе близ Диканьки),
que Nikolai Gogol écrivit entre 1830 et 1832
Le Dniepr est un fleuve,
long et bleu.
Et argenté, aussi, parfois.
"Gogol pour les gens pressés ou qui travaillent",
Frédéric Blondieau, 2015
Bonjour à toutes et tous!
*apo-! Racine proto-indo-européenne marquant l’éloignement.
Nous l’avions découverte ici:
Se faire la malle de Bergame à Bombay...
Puis, nous avions continué son étude ici:
Oui, il était passé chez Pivot pour son "apologie de l'apothicaire"...
Enfin - c’était la semaine dernière -, nous continuions d’en découvrir les dérivés:
le préposé au compostage était là, fixé sur mon billet, comme absorbé, absent...
En ce dimanche, nous allons évidemment poursuivre l’étude de cette racine ô combien riche et intéressante…
Tout petit rappel?
Nous savons déjà qu’à *apo-, nous devons… poste, ablaut, aphorisme, apothicaire, les anglais of / off, after, ou ces mots en abs-, ou compote ou compost, poser (dépôt, entrepôt …), ou même prévôt.
Jusqu’à présent, nous avons surtout parlé, pour ce qui est de la descendance de *apo-, de grec, de langues romanes, et de langues germaniques.
Ce qui n’est déjà pas mal, surtout pour une si petite racine!
Elle est toute mimi!
Mais *apo- se retrouve aussi … en sanskrit!
- ah bon, et c'est où qu'on sanskrit?
- je ne sais pas, mais je peux te montrer par où on sort.
Où, par exemple, le préfixe अप, ápa se traduirait par “loin, hors de”.
Le verbe अपयाति, “apayAti”, c’est partir, disparaître.
अपर, “apara”, en tant que substantif, peut se traduire par “futur”.
En tant qu’adjectif, il pourra signifier “suivant”, ou “postérieur”.
Oui, nous y retrouvons la même notion que dans l’anglais “after”.
Postérieur?
POST-érieur?
Mais? Mais…?
Eh oui!
Notre français postérieur est lui aussi dérivé de *apo-, et toujours par sa variante *po(s)-.
Oui, nous avions vu que c’était probablement elle qui se retrouvait dans le latin pōnere, que l’on suppose être un composé de *po(s)- et de sinere, ce qui en ferait ainsi le reliquat d’une forme proto-italique *posinō (*po-s(i)nere).
postérieur de chien (ou de chienne, c'est difficile à dire) |
Hormis pōnere, on soupçonne *apo- - par sa variante *po(s)-, donc, on se concentre - d’avoir donné le latin post (après, puis, depuis, en arrière, derrière…).
Si c’est le cas, une avalanche de mots dérivés en découlent!
Naturellement, tous les mots français en post-, de postérité à posthume.
Posthume, que l’on devrait en réalité écrire postume, car provenant du latin postumus, dernier.
Mais en latin déjà, la variante posthumus est apparue, sur le tard.
Ce h inopiné vient du rapprochement avec humus, terre, d’où humare “enterrer” (ben oui: inhumer). Ce qui finalement collait bien avec le sens de “ce qui se fait après la mort de quelqu’un”: “après son enterrement”.
Remords posthume (Les fleurs du mal), Baudelaire |
Et si humus vous semble si proche de humain, ou de humilité, c’est que votre petit doigt vous dit (ou vous rappelle) peut-être qu’une seule et même racine proto-indo-européenne se cache derrière ces mots!
*dʰéǵʰōm-, terre.
Oui, pour les Indo-Européens, l’Homme était tout simplement le terrien, celui qui vit sur, ou est issu de … la terre!
D’où ce remarquable titre, pour cet article admirable, que vous ne manquerez pas de lire ou de relire:
Terre des hommes? Pléonasme!
PS: (ce post-scriptum tombant particulièrement bien à propos) s’il y a quelque chose qui me gonfle, c’est cette expression “les droits humains”.
C’est nul, c’est moche. Et je reste poli.
Pourquoi, simplement, ne pas user de ce très beau, de ce très solennel, de ce parfait français “les droits de l’homme”?
- Ah oui, mais tu comprends, alors on ne considère pas les droits de la femme, ou ceux de l’enfant.
- Et ma main, tu la considères?
Mais enfin, soyons sérieux! Jusqu’à nouvel ordre, le terme homme, dans ce genre d’expressions, représente - justement - le GENRE humain.
Les hommes, les femmes, les petits nenfants, les adolescents (boutonneux ou pas), les prépubères qui s'imaginent que One Direction et Justin Bieber font de la musique, Adeline Blondieau (qui apparemment serait une lointaine cousine), les vieux réac, les blancs-becs, les numismates ou les presbytes (aïe ouille), les clowns blancs, les pète-sec, les Ucclois, Stromae, les consultants, les coiffeurs... tous, quoi.
Peut-être ma cousine... |
Ça vous pose vraiment un problème? Au point d’utiliser une parodie de traduction littérale de l’anglais Human Rights - une translation, oui! - qui ne veut RIEN dire?
Des droits humains? Mais enfin?? Les droits ne sont pas humains ou inhumains, c’est des droits.
On parle des droits des animaux. Vous trouvez que ça sonnerait mieux, les droits animaux? Les droits bestiaux, tant que vous y êtes.
Pour en revenir à nos dérivés (car ci-dessus, c'est moi qui dérive), peut-être ne faites-vous pas le lien entre le latin post et les quelques mots français que voici…
- apostiller!
Dérivé de l’ancien français postille, emprunté au latin médiéval postilla (post illa: “après celles-ci, après ces choses”).
À l’origine, il signifiait gloser un texte.
À présent, d'emploi vieilli, l’apostille est une note additionnelle en marge d’un écrit, ou, plus généralement, un mot de recommandation ajouté à une lettre…
Une amie avocate me signale que l'apostille n'est pas partout d'un emploi vieilli, loin sen faut!
Car elle est encore quotidiennement adressée par les juges d'instruction à la maréchaussée ou à des détenteurs d'informations, pour solliciter l'accomplissement d'un devoir.
Elle se retrouve dans les dossiers répressifs sous forme d'une feuille A4, reprenant souvent la demande sous forme manuscrite (afin d'appuyer la diligence du magistrat!).
- poterne!
Eh oui, du bas latin posterula, “porte de derrière”.
(Non, n'y pensez même pas. Pas de fines allusions, pas d'illustrations grivoises)
À partir du XIIème, le mot désignera spécialement une porte dérobée dans une muraille d’enceinte…
- potron-minet!
Au XIXème, on remplacera l’expression “dès le poitron-jacquet” (“dès l’aube”) par ce “dès potron-minet”.
Le jacquet, c’était l’écureuil.
Et poitron se basait sur le bas latin (et ici, vraiment bas ; l'expression latin vulgaire prend ici tout son sens) posterio.
Le cul, pour faire simple.
Le cul, pour faire simple.
L'expression ô combien imagée “dès le poitron-jacquet” signifiait donc clairement et précisément “dès qu’on voit le cul de l’écureuil”.
Donc à l’aube, l’écureuil étant réputé pour s’activer dès l’aube.
Au XIXème siècle, on substitua le chat (le minet) à l’écureuil, probablement parce que le chat passait lui aussi pour être matinal. (?)
Je dis (?) parce que dans les langues régionales, on confond souvent l'écureuil et le chat.
(Pendant des siècles, on n'a pas su classer l'animal, méconnu, difficile d'approche.)
En breton, par exemple, l'écureuil se dit kaz-koad, littéralement "chat des (ou du) bois".
En Berry, on l'appelle encore le "chat garreau" ("chat bariolé, bigarré").
Ne serait-ce pas une piste?
Ah oui, pour ce qui est de la forme potron, il ne s'agit là que d'une simple évolution de poitron.(J'aime beaucoup cette étymologie - reprise de Alain Rey, quand même -, mais d’autres existent ; il en est une qui donne l'expression comme d'origine bourguignonne, et qui relie po(i)tron avec paître: "dès le paître jacquet" signifierait alors "dès le moment où l'écureuil va au paître", donc de grand matin. Mais c'est nettement moins gai.)
- puis, depuis!
Puis, dérivé du latin populaire *postius, qui dérivait lui du latin classique post (ou de son dérivé postea, “ensuite, après, depuis”).
Même origine pour les espagnols pues, después, les portugais pois, depois, ou les italiens poi, dopo.
Ce postea latin a par ailleurs survécu en italien avec “poscia”, “après”…
Et notre puisque provient lui aussi du latin post, car descendant du latin post que, “après que”.
En français, il a rapidement perdu son sens d’origine, pour signifier, comme c’est encore le cas, “étant donné que”, “dès l’instant où”…
Puisque tu pars, Jean-Jacques Goldman
Je vous citais le sanskrit ápa, “loin de”.
Mais en hittite, soyons fou, “après” se disait appa.
Et vous pourriez - mais vraiment, uniquement si vous n’aviez rien d’autre à faire - traduire l’avestique apa par “loin”.
En proto-slave, de notre *apo- proto-indo-européenne, on retrouve … *po, ou *pa: “après, à côté, chez”.
Ce qui nous donnera plus tard, par exemple, les prépositions po, en tchèque, ou по (“po”) en russe.
Du vieux slave поздѣ (“pozdě”), dériveront le russe поздно, (“pozdna”), “tard” , ou le tchèque pozdě, “tard, en retard”.
Toujours construit sur le proto-slave *po-, le russe по́сле (“posli”), “après”.
En proto-slave, le tonnerre devait se dire грôмъ (“gromŭ”).
D’où le … (mais oui, je sais!) vieux slavon d’église pour tonnerre: громъ (“gromŭ”).
Il faut croire que pour les Slaves de l’époque, le tonnerre pouvait être particulièrement dévastateur, meurtrier, car le verbe construit sur громъ, le tonnerre: громить (“gramitj”) - entendez donc, littéralement … tonner - signifiait aussi saccager, détruire, piller, mettre à sac!
Le préfixe по- (“po-”) peut vouloir dire plein de choses en russe.
Il peut ainsi désigner l’achèvement, l’accomplissement de l’action.
C’est ce qu’il fait ici:
Le verbe погромить (“pagramitj”) pourrait se traduire, dans l’idée du moins, par “avoir tout détruit”: éradiquer, exterminer, réduire à néant.
Oui, c’est hélas bien de là que nous arrive le tristement, le sinistrement célèbre russe погром (“pagrom”), francisé - via le yiddish פּאָגראָם ("pogrom") - en ... pogrom, que l’on traduit platement par “extermination”.
Il faudrait plutôt comprendre, si l’on se base sur l’étymologie, quelque chose comme “fureur dévastatrice”, ou alors “anéantissement fulgurant”…
Restons encore en Russie… Ou en tout cas par là...
Il se pourrait bien que le Днепр (“Dniepr”),
ce long fleuve qui traverse la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine pour finalement se jeter dans la mer Noire,
via le proto-slave *Dъněprъ,
puis le vieux slave oriental Дънѣпръ (Dŭněprŭ),
dans le samartien
(du groupe des langues scythes, sous-groupe des langues indo-iraniennes)
Dānu apara, “le fleuve (Dānu) du côté éloigné (apara)”.
Pas mal, non?
Moi ça me fait rêver!
Qu’à l’origine de l’anglais after ou de notre français depuis, figure une lointaine, lointaine racine proto-indo-européenne, qui aurait permis de nommer ce fleuve majestueux, qui coule à des milliers de kilomètres d’ici…
(mais tout près de là où l'on situe le berceau de la société indo-européenne! - du moins selon l'hypothèse kourgane, celle que je préfère)
l'hypothèse kourgane |
- En samartien, le fleuve c'était Dānu? Mais alors, se pourrait-il que ...
- Oui, je sais à quoi vous pensez! Donau, le Danube!
OUI, il se peut, en effet, que les noms de tous ces fleuves: le Danube, le Donets, le Dniepr, le Dniestr, le Don russe, le Don britannique, ou même le Dão portugais, proviennent d'une ... source! indo-européenne - qui aurait pu désigner une divinité des fleuves.
Et je n’ai toujours pas fini.
Mince.
Oui, on a encore plusieurs dérivés de *apo- à passer en revue.
En latin, en français, en espagnol…
Je pense que la semaine prochaine, on aura vraiment fait le tour de cette incroyable *apo-.
Réalisez-vous le chemin qu’elle nous a déjà fait faire?
Géographiquement et temporellement parlant?
Aaaaah...
En espérant vous retrouver… dimanche prochain...
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Frédéric
Daniel Barenboim nous interprète ici le nocturne n° 20 de Frédéric Chopin, en ut dièse mineur.
Oeuvre posthume.
On parlait de pogroms?
Ce morceau est joué dans "The Pianist", de Roman Polanski, 2002
article suivant: A propos, vous auriez un postiche de disponible, pour avril?
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