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“Les aifes de la vie & le calme de la profpérité font que les Princes ont de la joye de refte pour rire de tout ; mais les gens moins heureux ne rient qu'à propos.”
Jean de La Bruyère
(on raconte qu'il pondit ce texte devant le miroir de fa falle de bain, en se broffant les dents)
Bonjour à toutes et tous!
*apo-, formidable petite racine proto-indo-européenne qui marquait l’éloignement.
Nous lui avons déjà consacré quatre (QUATRE) dimanche!
- Se faire la malle de Bergame à Bombay...
- Oui, il était passé chez Pivot pour son "apologie de l'apothicaire"...
- le préposé au compostage était là, fixé sur mon billet, comme absorbé, absent...
- Et puisque je me suis trempé le postérieur dès potron-minet dans le Dniepr, ... (continuez la phrase)
Aujourd’hui, avec un peu de chance, nous en terminerons l’étude...
(Mais non, je l'aime bien, la petite *apo-, mais bon, il y a encore tellement d'autres racines à découvrir...)
Vous connaissez le latin aperiō, aperīre?
Ouvrir!
Mais aussi découvrir, dévoiler, montrer, révéler, mettre à jour, faire connaître…
Eh bien, il se pourrait que son ap- initial descende de notre *apo-.
Bon, je ne m’étalerai pas sur aperiō, aperīre maintenant, car nous y reviendrons très bientôt (si si), à l’occasion de l’étude de *wer-5, la proto-indo-européenne à l’origine de l’autre partie du mot, la principale…
Mais en guise de teasing, sachez déjà que *wer-5,
la racine proto-indo-européenne identifiée comme allant donner le “-eriō” de aperiō,signifiait couvrir.
*apo- “hors de” + *wer-5 “couvrir” = dé-couvrir.
Et croyez-moi, vous ne soupçonnez pas les liens étroits qui unissent des mots bien connus, que JAMAIS vous ne rapprocheriez les uns des autres sans recourir à cette racine….
pom pom pom
Mais restons en latin, ici et maintenant!
L’adjectif aprīlis signifiait littéralement… d’avril.
Alors oui, les mots utilisés pour désigner les mois latins sont en réalité des adjectifs, qui modifiaient le substantif mēnsis, le mois.
Je vous proposerais bien de relire à ce propos l’ébouriffant lune, lumière et mesure
Et donc, mēnsis Aprīlis c’était le mois d’avril.
Il se pourrait
- c’est du moins une des quelques théories en dispute sur l’étymologie du mot, mais suffisamment intéressante pour que Michiel de Vaan l’avance dans son ”Etymological Dictionary of Latin and the other Italic Languages" (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series) -,que l'on retrouve *apo- dans Aprīlis.
- je ne remercierai d’ailleurs jamais suffisamment l’Université de Mons pour les invraisemblables efforts consentis pour mettre à ma disposition ces ouvrages remarquables de la série "Leiden Indo-European Etymological Dictionary", mais aussi particulièrement onéreux, du moins pour un particulier.
- Ah bon, super! L’Université t’a finalement aidé à en financer l'achat, ou t’a permis d’utiliser un compte de type universitaire pour accéder au formidable moteur de recherche de la collection en ligne?
- Euh… Ah ben non en fait… Ah non ??!! Mince, Je l’avais rêvé, pardon! Non non, ces beaux ouvrages je me les offre au compte-gouttes, lentement, l’un après l’autre, sur le marché de l’occasion.
Oui, désolé, je prends parfois mes rêves pour des réalités. Ça doit être l’âge, ou la candeur.
le dico en question |
Le mois d’avril était le deuxième mois du calendrier romuléen (celui qu’aurait transmis Romulus), qui ne comportait que 10 mois, et qui commençait en …
(je fais ici appel à votre sagacité) …mars.
Bien! Pas mal!
NON, pas romulien, romuléen enfin! |
Et qui serait remplacé plus tard par le calendrier pompilien, puis par enfin le plus connu d'entre eux, le calendrier julien.
Oh oui, on a déjà parlé du calendrier à quelques reprises:
- Une sieste dans la Chapelle Sixtine? Chaque année bissextile?
- Une semaine en septembre...
- C'est alors que Jack Ryan proposa quelques After Eights au capitaine de l'Octobre Rouge
Le mois d’avril était donc le mois qui suivait le tout premier, le mois de mars.
Eh!
Vous retrouvez ainsi le sens d’*apo- dans aprīlis, qui se traduirait, littéralement, par "(le mois) qui suit".
Oui, quant à la terminaison -īlis, on l’explique par simple analogie avec les mois de Quintīlis et Sextīlis (respectivement le cinquième et le sixième, pour ceux qui n'ont pas encore eu leur café).
Mais donc, si du moins cette théorie est exacte, notre avril, qui est dérivé du latin aprīlis par le latin populaire *aprilius, est lui aussi un lointain descendant de *apo-…
On pourrait alors également rapprocher aprīlis du sanskrit अपर, apara: le suivant, celui qui suit…
Je dois cependant vous signaler une autre étymologie possible à aprīlis, émise par Benveniste, que je trouve également très intéressante.
Selon elle, le mot latin aurait été emprunté à l’étrusque apru, lui-même calqué sur le grec Aphrô, simple apocope de Aphroditê, ce qui ferait donc d’avril le mois d’Aphrodite.
Aphrodite's Child. the singles? Forcément, avec une dégaine pareille, ils ont dû rester célibataires |
les mêmes in Rain & Tears, 1968, basé sur le
canon en ré majeur de Pachelbel
canon en ré majeur de Pachelbel
Ici, une version intéressante de l'original,
où les quatre voix sont parfaitement identifiables
('faudra quand même m'expliquer pourquoi
la violoncelliste a besoin d'une partition)
Allez, on continue.
Le latin pōnēre, ou plus précisément son participe présent pōnēns, utilisé dans l’expression “sol ponens”
(“soleil (se) posant”, donc “soleil couchant”),s’est retrouvé dans l’ancien provençal ponen, qui désignait la direction du soleil couchant (l’ouest, oui?), ou le vent qui soufflait de cette direction. (Le vent d’ouest, toujours d’accord?).
Et sans vent d'ouest (écoutez-le vouloir), pas de plat pays!
(Et avec la hausse du niveau de la mer, bientôt plus de plat pays du tout!
Quand on y pense, De Wever a raison: d'ici quelques dizaines d'années, la Flandre aura quitté la Belgique)
le soleil couchant, sans qui une aventure de Lucky Luke ne peut se terminer |
Sachez encore que c’est aussi sur le latin “(sol) ponens” que se sont construits l’italien ponente et l’espagnol poniente.
Citons encore, en français, le curieux lantiponner!
À ne pas confondre avec l’anti-poney (M.A.P., “Mouvement Anti-Poney”), ce mouvement qui s’érige contre le dessin animé “My little Pony”.
Je ne peux que les encourager, “My little Pony” étant à l'origine du suicide de très nombreuses cellules cérébrales.
Ce mouvement existe vraiment! (Chtijiir, selon l'expression communément usitée dans ma rue)
Pour une fois, je n’ai RIEN inventé!
effrayant |
Le mot (1666) est composé de lent - mais influencé par lanterner -, et de ponner (poser), transformation du latin pōnēre.
Et lantiponner a vécu ce que vivent les rosesLe mot s’éteignit, doucement, sereinement, au XIXème siècle.
L’espace d’un matin.
Plus surprenant encore…
Saviez-vous que pondre (oui, le pondre de “pondre des oeufs”) provient lui aussi du latin pōnēre?
Oui, littéralement, pondre c’est poser, déposer des oeufs. Sans plus!
Qui est venu en premier: l'oeuf ou la poule? |
Et pendant ce temps, en Espagne, les petits espagnols chantaient des refrains, des comptines, forcément enfantines…
L’une d’entre elles scandait
“María pósate, descansa en el suelo”:
“Maria, pose-toi, repose-toi par terre”.
C’est de là que vient l’espagnol pour papillon: le très joli mariposa!
Toujours du latin pōnō, pōnēre, le français pour “dont on peut disposer”: disponible.
Ou encore positif.
Du bas latin positivus (“posé”, “qui repose sur quelque chose”, d’où “établi, conventionnel”), basé sur le supin de pōnēre, positum.
En effet, au XIIIème siècle, positivus, terme de philosophie et de grammaire, signifiait “conventionnel”, et en parlant d’un adjectif, “employé pour poser une qualité, sans la comparer”.
Le mot est passé en français pour qualifier ce qui a un caractère d’évidence, qui résulte non de la nature des choses, mais d’un acte volontaire, s’opposant ainsi à naturel (je cite ici Alain Rey).
Ne parle-t-on pas de droit positif?
Ou de philosophie positive, avec Auguste Comte?
De l’acception grammaticale “qui pose une qualité sans la comparer” découlera le sens moderne que nous donnons au mot: “qui a un caractère de certitude, affirme une chose, la donne comme vraie”.
Qui s’impose, autrement dit!
Positif donnera, hélas, séropositif, mais aussi diapositive!
Dia (du grec, à travers), et … positive.
Le mot apparaît dans les expressions cliché diapositif ou plaque diapositive, en 1892.
Positif, tout simplement car inverse photographique d'un film ... négatif.
le fameux projecteur de diapositives, et cet ingénieux mécanisme d'introduction des dias destiné à se bloquer aléatoirement, ou à accepter deux dias à la fois |
Tiens, peut-être connaissez-vous le positif, ce clavier d’orgue?
Sur un orgue baroque, c’est - souvent - le premier des claviers (avec, dans l’ordre et de bas en haut, Positif, Grand Orgue, Récit, Écho).
Plus tard, le clavier de positif deviendra généralement le deuxième des claviers (Grand Orgue, Positif, Récit, Echo).
Ici donc, le positif est en deuxième position. Les organistes, très taquins, l'appellent parfois le Poulidor |
Mais non, bien sûr! À l’origine, l’orgue positif était - très relativement - un petit instrument, que l’on transportait et … posait quelque part, sur un meuble, ou sur le sol.
Peut-être même sur un sol fa si la si ré.
Si le sol était bien ciré, ça permettait en plus de le faire glisser.
D’où la notion de glissando.
Ah ah ah, je n’en peux plus.
le célèbre glissando de Rhapsody in Blue
Mais oui, au clavier le glissando se fait à un doigt,
que vous glissez vers les graves, ou les aigus:
ici, la Mazurka en Glissando, de Ernesto Lecuona,
grand compositeur cubain, le Chopin des Caraïbes
Bon, dérivé de pōnō, pōnēre, nous avons encore posture. Vous l’aviez trouvé, je suppose!
Daredevil en (bien) mauvaise posture |
postiche?
“non naturel, feint, artificiel”
Le mot proviendrait peut-être de l’italien porre (“placer, poser”, d’où poste), ou plus certainement du latin tardif appositicius: “placé à côté”, d’où, au figuré, “feint”.
Ce appositicius étant dérivé de appositus, le participe passé de apponere (qui nous donnera notre apposer).
Dès la fin du XVIIème, le mot désignera ce montage de cheveux remplaçant (ou complétant) une partie de la chevelure …
Allez, un tout tout dernier, et nous aurons, je le pense, fait le tour complet de notre incroyable racine *apo-.
Propos!
Oui, propos vient bien de pōnō, pōnēre.
On peut effectivement, intuitivement, le sup-poser.
Mais quel est donc le rapport entre le propos (entendez les paroles échangées dans la conversation), et cette notion de “poser”?
Propos est le déverbal de proposer.
En toute logique, en ancien français, il a eu, comme le latin propositum “projet, dessein, thème…”, le sens de “dessein, résolution formée”. Ce qu’on se propose de faire, intention, projet.
D’où le “de propos délibéré" (XVème siècle), pour volontairement.
C’est vers la fin du XIVème siècle que son sens évoluera, pour signifier “ce dont on parle, qu’on se propose de traiter dans un ouvrage”.
Bon!
Je pense que maintenant, ça y est, on peut en rester là.
Du moins pour ce qui est de *apo-.
Non mais, c'est dingue!!
Vous rendez-vous compte de la descendance d'*apo-?
after, compost, compote, compositeur, imposteur, prévôt, préposé, position, post-, poste, posthume, potron-minet, (de)puis, puisque, Dniepr, pogrom, ablaut, aphorisme, apothicaire, apôtre, of/off, propos, positif, postiche, ponant, pondre ... ... ...
À toutes et tous, je vous souhaite un excellent dimanche - enneigé peut-être? -, et une très belle semaine!
Je vous donnerais bien rendez-vous mais quand?
Dimanche prochain?
Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Frédéric
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