article précédent: l'étage, là, au-dessus de l'étable, il est vraiment stable?
Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie,
Rien n'est bon que d'aimer, n'est vrai que de souffrir.
Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.
Tu connaissais le monde, et la foule, et l'envie,
Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie,
Tu regardais aussi la Malibran mourir.
Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie.
Ce que l'homme ici-bas appelle le génie,
C'est le besoin d'aimer ; hors de là tout est vain.
Et, puisque tôt ou tard l'amour humain s'oublie,
Il est d'une grande âme et d'un heureux destin
D'expirer comme toi pour un amour divin !
À la Malibran
Stances XXVI et XXVII
Alfred de Musset
Alfred de Musset, 1810-1857 |
Et le nom de ce pilier posé le long des hiloires pour soutenir les barrotins ? Rien à voir?
Mais si, absolument, il a tout à voir!!
Ah, vous êtes là!? Pardon, pardon!
Bonjour à toutes et tous!
Oui, nous continuions, avant que vous n'arriviez, moi et moi-même, à discuter des dérivés de notre monumentale racine proto-indo-européenne *stā-, “être debout”.
Et en particulier, de ses dérivés par le latin stō, stāre, “se dresser”, “être debout”.
Oui, vous le savez déjà, ester et étage en proviennent ; ébahis, nous l’avions découvert dimanche dernier.
Mais stāre nous a également laissé ce mot par lequel on appelle, dans le vocabulaire de la marine, un
pilier posé le long des hiloires pour soutenir les barrotins.Je vous jure, je n’invente RIEN.
Une hiloire (oui, une, c'est un féminin), je ne vous l’apprends pas, c’est un...
fort bordage longitudinal destiné à accroître la résistance d'un pont de navire.Ou même...
la bordure verticale d'un panneau, qui protège l'ouverture et empêche les entrées d'eau, les chutes intempestives d'objets, etc.
Les flèches rouges indiquent les hiloires |
Pour ce qui est des barrotins, il s’agit évidemment de petits barrots.
Des demi barrots, quoi. D’autres questions?
Mais ouiii!
Ce que ce bon Claude Caron, Geographe & Arpenteur Royal Juré en la Ville, Prevofté & Vicomté de Paris...
- hélas parfois décrié pour la trop grande concision du titre de ses ouvrages -,... décrit en 1676 dans son...
Traité des bois servans à tovs vsages, Contenant les Ordonnances du Roy touchant les Reglemens des bois, leurs proprietez, nature & difference; Ce que les Proprietaires doivent obferver pour mettre leurs Bois en valeur, Et les Marchands, en l'achapt & debit qu'ils en font; Les Comptes et Toifez qui fe doivent faire dans les Forefts, fur les Ports, & dans les Bâtimens, lors qu'ils font mis en oeuvre, tant Maifons, Moulins, que Batteaux et Vaiffeaux de Mer; Les Noms de toutes les Pieces qui fervent à leur Conftruction, faciles à connoiftre par les Plans & Profils, enrichis de plufieurs autres Figures concernant le Debit & Transport des Bois.
Avec La Difposition pour Conftruire les Navires; La Methode de les mettre en Chantier. & les Proportions qu’il y faut obferver; La Maniere de reduire les Bois à bâtir, fuivant les Vz & Coûtume de Paris ; et une Reduction generale de toutes fortes de Longueurs & Groffeurs,
Mais que c'est beau! Et les deux volumes du traité sont consultables sur Gallica! |
(…) “Entre lesdits Baux, il se met encore d'autres pièces qui sont de moindre grosseur que l'on nomme Barotins ou demy-barots, qui traversent de mesme la largeur desdits Ponts.” (je vous évite les f)
F’est plus clair maintenant? Vous aurez évidemment compris qu’un barrot est une...
pièce transversale de la charpente d'un bateau allant d'un bord à l'autre et soutenant un pont.Quant au barrotin, ou demi barrot, c'est un barrot qui ne va pas d’un bordé à l’autre du bateau.
Tout est là! Source: ce site très complet: http://ybphoto.free.fr/lexique_la_buse_yb.html 1. Barrots d'écoutille, 5. Barrotins (demi-barrots), 8. Barrot d'écoutille amovible, 10. Barrots de mat, 12. Barrotins |
Bon, et le mot dont je vous parle, dérivé de stāre, qui désigne ce pilier posé le long des hiloires pour soutenir les barrotins, à votre avis, quel est-il?
...
...
Estance! Une estance.
Dérivé de l’ancien français estance, provenant du latin stāns, stāntis, qui n’est autre que le participe présent de stāre: “étant debout…”.
De cet estance nous arrive également ... étançon (fin du XIIème),
“pièce de bois que l’on met pour soutenir un mur”.
Non, je ne vous ferai pas l'étançon dur. Non non. |
Le Carnaval de Cologne, ou Ach, étançon choue gondre choue |
Mais
Oui oui, un homonyme, toujours bien dérivé du latin stāre, mais cette fois basé sur le vieux verbe ester.
Si ester signifiait “être debout, être immobile, demeurer…”, cet autre estance désignait tout simplement le fait d’être, d’exister, d'où aussi la résidence, l’état, la condition…
Mwouais… En fait, je devrais vous préciser que pour ce qui est des deux ... euh... instances d’estance, on n’a pas trop de certitudes.
Je vous ai donné ici ma version des faits.
Car même si tout le monde semble d’accord sur le fait que les deux mots descendent bien du latin stāre, la filiation de estance “résidence” avec ester ne fait pas l’unanimité.
Bon, on va pas en faire un caca nerveux.
Et passons vite à l'espagnol.
L’espagnol estancia est un emprunt à l’italien.
Estancia La Angostura, Patagonie |
Eh oui, vous avez bien lu, ce mot qui désigne à présent une vaste exploitation agricole d’Amérique du Sud...
- mais qui peut également s’employer pour désigner le séjour, la salle, l’habitation, -... est en réalité un calque de l’italien stanza, “chambre, pièce, séjour…”.
Qui lui nous arrive du bas latin *stantia, “station debout, immobile”, ou, par extension “séjour”.
Et i’ v’nait d’où, hein, le bas latin *stantia? Hein?
Eh oui, du latin stāns, stāntis, “étant debout…”
- Oui mais bon. Et la stance, alors, en littérature? La strophe, le poème lyrique??
- Jolie remarque!
Oui, quand vous parlez des stances de Musset à la Malibran...
- J'adore ces alexandrins... -,...vous reprenez en français le stanza italien!
- Mais, mais?? Ce mot n’a, étymologiquement, AUCUN RAPPORT avec une strophe, un poème, enfin!!!???
- Eh bien si.
Car la stanza italienne désignait également une strophe, dans une composition.
Mais ... pas n’importe laquelle, de strophe: la ... dernière.
Ou du moins la dernière du passage dont elle faisait partie.
C'était la strophe … “avec repos”. Celle qui marquait l’arrêt. À la fin d’une section de texte.
Ah, les stances de Musset à Maria Malibran… Quelle triste beauté…
Comme beaucoup de ses contemporains, Musset admirait la Malibran, mezzo-soprano remarquablement belle, et à la voix - d'après ce que l'on en sait - envoûtante…
Cette voix à la tessiture si étendue qu’elle lui permettait de chanter, dans le grave, des airs de contralto, et dans l’aigu, ceux du répertoire des soprano!
María-Felicia García, dite la Malibran, 1808 - 1836 |
Elle mourra bien trop jeune, des suites d’une chute de cheval. Elle refusera de se soigner, et tentera encore d’honorer son public en se produisant sur scène…
C’est à Laeken, figurez-vous, tout près de chez moi - ç'est pas loin de Molennebèqueuh -, qu’elle repose désormais.
La chapelle où est inhumée la Malibran |
Voilà, nous en resterons là pour ce dimanche…
- Eh oh, tu ne vas pas t’en tirer comme ça! T’as pas encore fini!
Estance, étançon…, donc, en toute logique, étai vient également de stāre.
Et donc de *stā-, forcément!
- Forcément.
Eh bien non, je dois vous contredire.
Le français étai...
- pièce de charpente destinée à soutenir provisoirement une construction (oh merci, Grand Robert) -,... vient, lui, par l’ancien français estache, “pieu, bâton, barre, attache…”, de l’ancien bas francique *staka, “piquet”, ou “soutien”, qui dériverait d’un proto-germanique *stakô (“pieu, poteau, piquet…”), lui-même descendant d’une racine proto-indo-européenne *steg-1, “pieu, bâton”.
Donc, vraiment, RIEN à voir!
étais |
C’est bien, en revanche, le germanique *stakô qui resurgit dans l’anglais stake (notamment “poteau”), le néerlandais staak, l’islandais staki, le danois stage, etc.
Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, une très belle semaine.
Je viens d’apprendre le décès de Pierre Tchernia.
Pour m'en sortir avec une litote, je dirai que ça ne me fait pas plaisir.
Pierre Tchernia et Michel Serrault sur le tournage du film Le viager en 1972 |
Frédéric
Attention, ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen, c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Nous nous quitterons avec un air que la Malibran a interprété.
Qui d’autre que Cecilia Bartoli, autre merveilleuse mezzo-soprano, pour nous le restituer?
Ah, non credea mirati
Acte II, scène 2
La Sonnambula, de Vincenzo Bellini
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