article précédent: - Et la Stasi, alors? - Ben oui, c'est la même racine. Évidemment, enfin!
Gloire à ceux qui ont forgé silencieusement mais efficacement le fier levain qui, demain ou après-demain au plus tard, fera germer le grain fécond du ciment victorieux, au sein duquel, enfin, sera ficelée, entre les deux mamelles de l'harmonie universelle, la prestigieuse clef de voûte qui ouvrira à deux battants la porte cochère d'un avenir meilleur sur le péristyle d'un monde nouveau !
André Isaac, dit Pierre Dac
Pierre Dac 15 août 1893 - 9 février 1975 |
Bonjour à toutes et tous!
*stā-. “Être debout”.
Je sais, c’est surprenant.
Et je peux déjà vous le dire, ce dimanche ne sera pas le dernier centré sur cette invraisemblable racine indo-européenne, qui nous occupe depuis déjà pas mal de temps.
Aujourd’hui, voyons de plus près une forme allongée basée sur le degré zéro de *stā-: *stū-,
que l’on fait, soit dit en passant, dériver d’une version antérieure *stūə-, mais bon, je présume que ça ne vous fait ni chaud ni froid.
OK, ça a le mérite d'être clair. |
Une forme suffixée de *stū-, *stū-lo-, qui aurait signifié simplement “poteau, pieu”, est à l'origine du grec ancien… στῦλος, stûlos, “colonne, pilier, support”.
Mais oui, nous lui devons des mots comme …
Péristyle:
Nous l’avons emprunté sans vergogne au latin classique peristȳlum, peristȳlium.
Sans vergogne, car le latin l’avait lui-même déjà emprunté au grec ancien περίστυλον, perístulon, neutre substantivé de περίστυλος, perístulos, “entouré par des colonnes”,
composé où on retrouve...
- περί, perí, “autour”, et évidemment notre
- στῦλος, stûlos, “pilier…”.
En grec, perístulon désignait une colonnade entourant la cour intérieure d’un édifice, ou disposée… autour… d’un édifice.
Et particulièrement en archéologie, péristyle s’appliquera à la partie de la maison romaine qui consistait en une colonnade autour d’une cour, ou d’un jardin.
Pompéi, maison de Ménandre |
Octostyle:
Allez, à votre avis?
Élément d’architecture, ou façade, comportant [un nombre précis] de colonnes.
La question: combien de colonnes?
Ben oui. le mot est un composé de οκτώ, oktô, “huit”, et de , de???
OUI, BIEN! στῦλος, stûlos, “colonne, pilier”.
église de la Madeleine, Paris Si si, vous pouvez compter. |
Systyle:
- Élément d’architecture comportant six colonnes?
- Bon, on dira que je n’ai rien entendu.
Le grec ancien σύστυλος, systylos, emprunté en latin pour faire systylos
(ça valait bien la peine de l’emprunter, pour ne même pas y toucher. Enfin…),et que le français a repris à son tour sous la forme systyle, représentait un ensemble particulier, une ordonnance de colonnes particulière, où l’entrecolonnement était de deux diamètres, ou de quatre modules.
Oui, le module était une mesure arbitraire servant à établir les rapports de proportion entre toutes les parties d’un ouvrage d’architecture.
NON - AUX MESURES - ARBITRAIRES, NON - AUX MESURES - ARBITRAIRES! |
C'est le diamètre ou le demi-diamètre du bas de la colonne qui servait ordinairement de modules.
Le σύ, sy de σύστυλος, systylos n’était qu’une forme de σύν, sún, “avec, ensemble.”
Il s'agit de ce même σύν, sún dont nous avions parlé la dernière fois,
- Et la Stasi, alors? - Non, RIEN à voir.qui dérive de la racine indo-européenne *sem-, “ensemble”, “un” (“comme un seul”), à qui nous avions consacré quelques articles, comme le remarquablement intéressant …
C'est simple: trop souvent ensemble, on finit par être assimilé l'un à l'autre...
Delphes, trésor de Cyrène: rapports de proportion |
Distyle:
- Euh, “élément d’architecture comportant … dix colonnes”??
- Comment dire? C’est touchant? Ton grand-frère sait que tu joues avec son PC pendant qu'il n'est pas là, ma petite chérie?
Distyle est, lui, une invention nettement plus récente, datant du XIXème.
Ce di est repris du grec ancien δι-, di-, “deux” ou “double”.
Et donc, distyle se dira, en architecture, d’un édifice comportant un couple de colonnes.
deux, ni plus, ni moins |
Et en botanique, il se dira des fleurs qui ont deux… styles!
Eh oui, notre style, dans cette acception-là en tout cas, provient de στῦλος, stûlos “colonne”, et désigne la partie allongée du pistil, entre l’ovaire et le ou les stigmates.
(source) |
Bon, on va peut-être passer les
- tétrastyle “qui a quatre colonnes de front”,
- hexastyle “portique qui a six colonnes de face”,
- décastyle “édifice à dix colonnes de front” et autres
- polystyle “d’un édifice où il y a beaucoup de colonnes”.
(le truc: dès que vous voulez décrire un édifice avec au moins deux colonnes, parlez de polystyle, c’est plus simple, et ça aura l'avantage de vous éviter d’étaler votre culture et de passer pour un pédant.)
(source) |
Styloïde:
- Qui ressemble à une colonne??
- OUI, c’est bien! La terminaison -oïde correspond au grec ancien εἶδος, eidos, “forme, aspect”.
En anatomie, styloïde se dit d’une extension osseuse et pointue (donc, “en forme de colonne”) où se fixent les muscles.
Ah ça, pour de beaux processus styloïdes, ce sont de beaux processus styloïdes |
Stylobate:
Le mot est un emprunt au grec ancien στυλοβάτης, stulobátēs, “base de colonne”.
On y retrouve, à côté de notre στυ̃λος, stûlos, βάτης, batês, “marche” (βαίνειν , baínein signifiant “aller, marcher”).
Stylobate, vous l’aurez compris, désigne, en architecture, le piédestal, le soubassement qui porte des colonnes.
Stylite:
Ça, c’est nettement plus comique.
Le mot provient du grec écclésiastique στυλίτης, stulítēs, basé, évidemment, sur notre στῦλος, stûlos “colonne”.
Ce suffixe -ίτης, -ítês permettait de créer des noms masculins. C’était l’équivalent, en d'autres termes, de notre suffixe -ier, qui sert notamment à désigner la personne réalisant une action, un métier... Bateau? Batelier. Banque? Banquier.Littéralement, donc, στυλίτης, stulítēs pourrait se comprendre comme “colonnier”, “celui à la colonne”…
Il n’y avait, je vous l’assure, RIEN de graveleux.
Mais non. Les stylites étaient ces fameux ermites, des débuts du christianisme, qui n’avaient rien trouvé de mieux pour fuir le monde et se rapprocher de Dieu, que de vivre en permanence en haut d’une colonne.
Siméon le stylite (en haut) |
Il n’y en a plus beaucoup, de stylites, il faut bien le dire.
Beaucoup sont tombés, et par là même, se sont rapprochés de Dieu encore plus vite qu’ils ne l'avaient espéré.
Sylvain Pierre Durif: encore un qui a pris Dieu en pleine face
- Bon, euh, y en a rien que pour le grec, aujourd’hui, c’est ça??
- Subtile remarque. Mais non, attendez.
Car sur une forme secondaire de degré plein basée sur *stū-, *steuə-, et suffixée en *-ro-,
pour donner donc *steuə-ro-,s’est construit le sanskrit…
स्थविर, sthavira-, “ancien, solide, vieillard, vénérable…”.
D’où le composé स्थविरवाद, sthavira-vAda désignant la toute première - donc la plus ancienne - école de bouddhisme, वाद,vAda signifiant la doctrine, d’où “enseignement, école”.
Le sanskrit sthaviravAda signifiait donc “Enseignement des Anciens”.
En pâli, le mot est devenu theravāda.
Et c'est sous ce nom - theravāda, pour tout poisson rouge qui suivrait ce blog - qu'une branche du bouddhisme est toujours particulièrement bien représentée à l'heure actuelle en Asie du Sud et du Sud-Est continentale, le Sri Lanka étant devenu le centre spirituel de ce courant, comptant environ 14 millions de pratiquants, soit 70% de la population!
Sri-Lanka, hier et aujourd'hui |
Et puis, toujours en sanskrit, pilier se dit स्थूणा, sthUNA. En tout cas quand il s'agit d'un pilier sacrificiel.
Sinon, le bête pilier, le bête poteau, ce sera स्थूण, sthUNa.
Tout comme en avestique: stūna-.
Allez, une petite dernière fournée de dérivés de notre *stā-, pour la route.
Car on la retrouve aussi vraisemblablement - du moins sous une forme variante - dans le proto-slave *stъlbъ et le proto-balte (soyons fou) *stulb-, “pilier”.
D'eux dériveront notamment
- le russe столб, “stolb”, “pilier, pieu, colonne…”, ou encore, toujours dans le sens de “colonne”,
- le lituanien stul̃bas, ou
- le letton (mais l’est-on vraiment?) stulbs.
pilier (de comptoir) russe |
Là-dessus, comme aurait dit un stylite,
je vous souhaite un très beau dimanche, et une très belle semaine!
Frédéric
Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen CHAQUE JOUR de la semaine!
(Mais de toute façon, avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
Et pour nous quitter,
Du Bach. Oui, encore du Bach.
La fugue de la sonate n°2 pour violon en la mineur, BWV 1003.
Jusque là, rien de spécial...
Mais ici, magistralement exécutée,
par Tatyana Ryzhkova,
à la guitare!
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