- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 12 août 2018

piscari in aere - Plaute ("pêcher en l'air", d'où "perdre son temps")






Dieu n'a pas prévu le bonheur pour ses créatures ; il n'a prévu que des compensations :
la pêche à la ligne, l'amour, le gâtisme.

  
Jean Giraudoux

Jean Giraudoux,
29 octobre 1882 - 31 janvier 1944


  

















Bonjour à toutes et tous !



Nous sommes toujours, en ce superbe dimanche, et malgré les vacances et toutes les tentations diverses et variées qui en découlent, en train d'étudier les dérivés que nous a légués la délicieuse 
racine indo-européenne 

- mais probablement uniquement occidentale -,
*pisk-“poisson”.



Nous sommes donc, vraisemblablement, un peu disons euh... spéciaux

Pas méchants, nooon, pas vraiment idiots non plus, mais... différents.





Il n'y a que ça qui puisse expliquer cet engouement pour la linguistique historique en général, et les racines indo-européennes, non ?






Enfin... je parle surtout pour vous, et ce n'est que par déférence et respect que j'emploie ce nous inclusif. Car il s'agit bien de vous

C'est VOUS qui lisez ces articles, finalement ! 




Moi, je me contente de les écrire, gentiment, dans mon coin, et ne force vraiment personne à les lire...















Encore merci de me lire...



Allez, encore un dérivé français de notre charmante *pisk-“poisson”. 










Un dérivé sans surprise aucune, mais qu'il nous faut évidemment traiter, puisqu'il s'agit de... 


Pêcher


Et nous embraierons immédiatement avec son déverbal, qui lui non plus ne doit pas être présenté: pêche.



Pêcher?

Voyons ce qu'en dit le ©Le Grand Robert de la langue française:
Prendre ou chercher à prendre (du poisson),
ou sans complément direct, 
S'adonner à la pêche



Quant à pêche...
Action ou manière de pêcher, de chercher à prendre du poisson, et, par extension, des crustacés, des mollusques… et autres produits vivants des eaux douces ou des mers, pouvant servir à l'alimentation de l'homme.


Pêcher nous arrive de notre racine *pisk- par le latin piscis, “poisson”.


Et pour être un peu plus précis, le français pêcher, par l'ancien français peschier (1140)provient du bas latin (non attesté) *piscāre, construit lui-même sur le latin (classique, cette fois) piscārī, l'infinitif présent actif du déponent piscor“je pêche”. 


Et piscor, bien entendu, provient de notre latin piscis.




Si je vous fais ainsi remonter jusqu'à ce verbe latin piscor, c'est pour le plaisir, bien sûr, mais aussi parce qu'il est à l'origine de tous ces verbes pour pêcher dans les langues romanes, comme par exemple...:


  • l'espagnol pescar,
  • l'estrémègne (famille de dialectes de l'Estrémadure) pescal,
  • le portugais pescar,
  • l'italien pescare,
  • le frioulien pescjâ, pesčhâ, ou
  • le roumain pescui.


Ah oui ! Quant à pêche, il descend de l'ancien français pesche, déverbal de peschier, attesté en 1261, qui désignait à la fois le droit de pêcher, l'endroit où l'on pêche, l'action de pêcher, l'activité de prise du poisson, et enfin le produit pêché... Une sorte d'intégré, quoi.





racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
proto-italique *piski-, “poisson

latin 
piscis, “poisson”

verbe déponent piscor“je pêche”, donnant piscārī à l'infinitif présent actif

bas latin *piscāre

ancien français peschier

français pêcher



Mais... 


Quittons à présent les langues romanes, pour nous intéresser aux dérivés ... germaniques de de notre jolie indo-européenne *pisk-“poisson”.


Car en proto-germanique, *pisk-,

via une forme suffixée *pisk-o-,
a donné l'étymon *fiska-“poisson”.
*fiska- que l'on peut restituer par une flopée de cognats
du gotique fisks au 
- YES YES YES - 
vieux norois fiskr
(d'où, si ça vous intéresse à ce point, l'elfdalien fisk, ou le féroïen fiskur)
en passant par ...

le francique *fisk,

d'où le vieux néerlandais fisk, visc,
d'où le moyen néerlandais visc, visch, 
d'où le néerlandais vis

ou encore...


le vieux haut-allemand fisc

d'où le moyen haut-allemand visch
d'où l'allemand Fisch

ou, soyons fous, 


le vieil anglais fisċ

qui, en moyen anglais, donnera les formes fisch, fis, fissh, 
d'où le scots fish / fisch / fysch, ou l'anglais ... fish, bien entendu.



racine indo-européenne (occidentale) *pisk-“poisson
forme suffixée *pisk-o-

proto-germanique 
*fiska-“poisson

viel anglais fisċ 

moyen anglais fisch, fis, fissh,

anglais fish



Encore deux remarques:



La première: les formes germaniques sont bien issues, au sens le plus noble du terme, de notre racine indo-européenne
- même si uniquement occidentale -
*pisk-, car dérivées de sa forme *pisk-o-. 

Il ne s'agit donc pas d'emprunts, si vous préférez. 

Mais... tout n'est pas toujours simple...


Car sachez quand même que pour créer le mot désignant le pêcheur

le germanique a repris en toute logique *fiska-“poisson”, auquel il a accolé un suffixe nominal (ce type de suffixe permettant d'obtenir un agent à partir d'un verbe).

Le suffixe en question ? *-ārijaz.


Et donc, ce mot germanique pour pêcheur, si vous avez bien tout suivi, le voici le voilà:


*fiska- + *-ārijaz*fiskārijaz,

*fiskārijaz, dont proviendront, par exemple, le

- oh oui oh oui -
vieux norois fiskari
d'où l'islandais fiskari, 
forcément
l'anglais fisher, ou l'allemand Fischer.



Et c'est là que ça devient amusant !

Car ce beau suffixe bien germanique *-ārijaz n'est en réalité que la transposition germanique (un emprunt, quoi) du latin ... -arius.


Cet -arius bien connu, que vous retrouverez dans nombre de composés, comme par exemple aquarius, créé bien évidemment sur aqua, 
“eau”, et désignant le porteur d'eau (ou aussi l'inspecteur des conduites d'eau), ou le signe astrologique du Verseau.




Eh !



Et la deuxième remarque ?


Vous savez tous - ou pas - que selon les lois de mutation consonantique que l'on a pu déduire, par analyse et comparaison, des différents cognats dans les langues indo-européennes, un *p- initial indo-européen donnera un p en latin 

(ben oui, ce qui fait qu'on passe de l'indo-européen *pisk- au latin piscis),
et que ce même *p- initial indo-européen donnera un son /f/ en proto-germanique, d'où, vous l'avez compris, le germanique *fiska-.


Eh bien, moi je trouve vraiment bien que le latin ait conservé le p original, et surtout qu'il ne l'ait pas transformé en /f/. 


J'en suis soulagé. Reconnaissant, même.




Car sans cela, nous aurions eu, en ancien français, feschier.



C'eût été nettement moins classe.





Psss: les lois de mutation phonétique, c'est ici (mais en anglais, sorry):
https://en.wikipedia.org/wiki/Indo-European_sound_laws


Allez, sur ce, je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine...!


Dimanche prochain, dernière ligne droite.

Nous aborderons les dérivés celtiques de notre brave *pisk-.


Frédéric, en vacances


















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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter, 


Un bon résumé de la météo du moment, des emprunts du latin au germanique entrevus ce ce dimanche, et qui plus est, un bel avant-goût du suivant, 

avec,

tiré de la comédie musicale Hair (1967; je sais, ça ne nous rajeunit pas; ça me rappelle surtout le temps où j'en avais (des cheveux)),

le kitchissime medley Aquarius/Let the Sunshine In, 

chanté - car elle chante, en plus !!!! - et dansé par la sculpturale

Raquel Welch.

Ben oui: welch, comme gallois...



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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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