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dimanche 29 janvier 2012

arobase, arrobe et autres jubilatoires billevesées


article précédent : credo



"Toi, l'adepte du politiquement correct qui entres ici, abandonne tout espoir"
Dante Alighieri - Frédéric Blondieau



Nous avons déjà traité des mots web et souris... (voir "Bacon, souris et coeur, Bart et les gaufres").


Cette fois, je vous propose de nous intéresser au fameux @, qui pour ainsi dire représente les échanges électroniques, et que les francophones s'appliquent à nommer arobase.



Pour ceux qui aiment se reposer sur la technologie  



Ce n'est pas tant le symbole, qui pourrait évoquer vaguement le croisement contre nature d'un "a" et d'un escargot, qui m'intéresse, mais bien son origine et sa prononciation.

Il s'agirait d'un signe, une ligature, représentant le latin "ad". 

Ce qui est sûr, c'est qu'il a été repris en 1972 par Ray Tomlinson, à qui l'on doit la mise en place d'un système de messagerie inter ordinateurs sur ARPANET : le @ lui permettait de distinguer le logon de l'utilisateur (son nom tel que connu par un système informatique) du hostname (en bon français, le nom de l'ordinateur hôte).

Ainsi, un message envoyé à "fred007@serveur42" aurait signifié qu'il s'adressait à l'utilisateur fred007, "à rechercher sur la machine" serveur42.

Utiliser ce caractère était une excellente idée : on pouvait le créer sur tout type de clavier, il ne figurait théoriquement pas dans les noms propres, et qui plus est, il voulait dire "at" (en anglais : à, vers, chez). 
fred007@serveur42 se lisait donc ainsi : fred007 à la machine serveur42
- peut-être dirions-nous en français sur la machine serveur42 -
ce qui correspondait bien à l'idée de base...).


Et à présent, @ annonce le nom du fournisseur Internet du destinataire de votre message, et/ou sa société...

Dans le champ destinataire d'un email
- je n'ai personnellement aucun souci à employer le terme email, le si politiquement correct courriel ayant plutôt tendance, je l'avoue, à me gonfler -
l'adresse...
label_2-4-10@lewis-mariano.es

pourrait ainsi se lire : label_2-4-10, "chez", ou "hébergé(e) par", ou encore "aux bons soins de" la société lewis-mariano, dont le nom de domaine .es laisse supposer qu'il est enregistré en Espagne. 

Olé.


C'est - évidemment! :-)) - une racine proto-indo-européenne, 


*ad-

qui pourrait se traduire par "vers", "près de", ou encore par la préposition "à" quand elle désigne le lieu, qui est à l'origine du latin ad ; c'est elle aussi qui a essaimé dans les langues germaniques : l'anglais at en provient par le vieil anglais œt (avec la même signification). 

Œt fournissant également à l'anglais atone (at one : "vers ou vis-à-vis de quelqu'un", d'où "expier"; atonement, c'est l'expiation), ou même twit ("crétin, imbécile": at wit - le moyen anglais wīten signifiant accuser, reprocher, d'où celui vers qui le reproche est dirigé : à qui on fait reproche). 

Notons que twit peut toujours vouloir dire "reproche".


L'anglais ado, lui, toujours basé sur la racine proto-indo-européenne *ad-, mais passant cette fois par le vieux norrois at, est la contraction de "at do". 
C'est littéralement "à la tâche", "en train de faire", d'où l'idée d'activité bruyante, de bruit, de tumulte, de confusion...

Peut-être connaissez-vous la comédie "Much ado about nothing" ("Beaucoup de bruit pour rien") de Shakespeare...


Emma Thompson dans le rôle de Beatrice,
dans Much ado about nothing,
de et avec Kenneth Branagh


Par le latin ad, nous avons bien évidemment reçu à, mais aussi adieu, adjuvant, aide, et puis tous ces mots construits sur a - ad, comme addiction, adresse, adjoindre, aligner, accéder, afficher, agglutiner, allonger, annoter, apporter, arranger, assaisonner, atterrir...  


Il est amusant de noter que dans le latin de chancellerie, l'usage de la préposition ad, qui s'écrivait déjà @, s'est répandu dès le XVIIe siècle - et peut-être même avant? - dans toutes les cours d'Europe pour indiquer le destinataire d'un document officiel.

C'est ainsi que la formule...

@ SSMM Ludov. & Marg. R&R Francae 

se comprenait "à l'attention de leurs Majestés Louis et Marguerite, roi et reine de France".



Quant au grotesque, ridicule à en être obscène arobase, il serait la déformation de a rond bas (de casse), c'est à dire "a minuscule entouré d'un rond".

Mais il y a apparemment confusion avec une unité de mesure espagnole, l'arroba, dont le nom français est arrobe
Cette mesure espagnole viendrait elle-même de l'arabe ar-roub (le quart). 


Quoi qu'il en soit, le nom français préconisé par la délégation générale à la langue française pour ce caractère est le terme arrobe.


Eh bien moi, j'appelle et continuerai à appeler @ "at", car :
  1. Je ne crois pas vraiment à cette définition historiquo-typographique, dont il ne sort rien de clair.
  2. Je ne vois pas pourquoi utiliser des mots d'origine anglaise en français serait malvenu, d'autant que le français a passé, par les conquêtes normandes, bien plus de vocabulaire à l'anglais que l'inverse. Et ça, personne ne le dit ! Rappelons à ce propos la jouissive sortie de l'excellent M. Toubon, à l'époque ministre français de la Culture, qui avait jeté l'opprobre sur le mot fax - au profit de télécopie - car d'origine anglaise, alors qu'il n'est qu'une forme abréviée du latin fac simile.
  3. At dans sa version actuelle est peut-être un mot anglais, mais il descend aussi, et pratiquement sans déformation, de notre langue-mère multimillénaire le pro-indo-européen. Et ressemble tellement à son pendant latin ad !
  4. Ca em...bête la délégation générale à la langue française.

A la limite, je pourrais me forcer à dire "ad"... Mwouais, je ne promets rien...




Frédéric




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